đâđš 10 ans de Snowden-Leaks : les rĂ©vĂ©lations ne sont plus les bienvenues
"Au dĂ©but, l'idĂ©e Ă©tait de fournir les donnĂ©es Ă une fondation, mais cela ne s'est malheureusement pas produit", les mĂ©dias Ă©tant sommĂ©s de renoncer Ă certains reportages pour "le bien de l'Ătat".
đâđš 10 ans de Snowden-Leaks : les rĂ©vĂ©lations ne sont plus les bienvenues
Par Ralf Hutter, le 5 juin 2023
L'exploitation journalistique des fichiers Snowden s'est tarie sous la pression de l'Ătat.
Le lanceur d'alerte Edward Snowden a rencontré John Goetz, Georg Mascolo, Sarah Harrison et Hans-Christian Ströbele à Moscou en 2013 dans un lieu tenu secret.
Toute une sĂ©rie de dĂ©veloppements inquiĂ©tants - interviews des services secrets, implication dans un comitĂ© gouvernemental qui "attend" des mĂ©dias de renoncer Ă certains reportages pour âle bien de l'Etatâ -
En 2018, Ă l'occasion du cinquiĂšme anniversaire du dĂ©but des rĂ©vĂ©lations de Snowden, Bill Evanina, un haut responsable des services de renseignement amĂ©ricains, a dĂ©clarĂ© Ă l'agence de presse AP que, Ă©tant donnĂ© que seul un pour cent des fichiers dĂ©robĂ©s avait Ă©tĂ© rendu public, "cette affaire n'allait pas se terminer de sitĂŽt". C'est pourtant ce qui sâest passĂ©. John Goetz y voit une "lassitude Ă l'Ă©gard du sujet Snowden". Le journaliste d'investigation primĂ© de la NDR le dĂ©plore, car aujourd'hui encore, les nombreux documents du lanceur d'alerte contiennent des aspects essentiels. Goetz a collaborĂ© avec Wikileaks en 2010 et 2011 pour le Spiegel. En 2013, il a analysĂ© les fichiers de Snowden pour des articles dâinvestigation dans le "SĂŒddeutsche Zeitung". Sur la chaĂźne de tĂ©lĂ©vision NDR, oĂč il est dĂ©sormais employĂ©, il a rĂ©alisĂ© des documentaires sur ces sujets.
Mais la lassitude ne suffit pas Ă expliquer la fin des reportages sur Snowden. La pression exercĂ©e par l'Ătat sur les mĂ©dias, et la maniĂšre dont ils ont ensuite cĂ©dĂ© en sont probablement la raison. Câest apparu clairement et publiquement dans le cas du journal britannique The Guardian. Le 20 juillet 2013, l'un des Ă©vĂ©nements les plus bizarres de l'histoire rĂ©cente du journal s'est dĂ©roulĂ© Ă son siĂšge : sous la surveillance d'agents du service secret britannique GCHQ, des collaborateurs du Guardian ont dĂ©truit des supports de stockage contenant des donnĂ©es de Snowden.
AprĂšs son premier article du 6 juin, le Guardian avait Ă©tĂ© contactĂ© Ă plusieurs reprises par les milieux gouvernementaux pour qu'il s'abstienne de publier de nouveaux documents confidentiels. Le rĂ©dacteur en chef Alan Rusbridger a fait Ă©tat de ces intimidations et exigences dans un article du 19 aoĂ»t 2013, dans lequel il Ă©crivait toutefois que le travail de rĂ©vĂ©lations se poursuivrait depuis le bureau new-yorkais du journal : "Nous continuerons Ă fournir des reportages patiemment et consciencieux sur les documents de Snowden, mais pas depuis Londres". En dĂ©cembre 2013, Rusbridger avait tenu des propos similaires en racontant la rĂ©pression subie lors dâune commission du Parlement britannique.
Mais les choses se sont passĂ©es autrement. Sur la plateforme de dĂ©veloppement de logiciels collaboratifs Github, quelqu'un a compilĂ© une liste prĂ©tendument complĂšte de toutes les publications basĂ©es sur les documents de Snowden. Selon ce document, le Guardian a publiĂ© 18 articles en 2013, mais seulement trois en 2014. D'autres mĂ©dias, dont le Spiegel, ont continuĂ© Ă fournir des publications pendant des annĂ©es. Entre-temps, le Guardian a connu toute une sĂ©rie de dĂ©veloppements inquiĂ©tants, notamment des interviews exclusives avec des chefs de services secrets, et la participation Ă un comitĂ© gouvernemental qui "attend" des mĂ©dias de renoncer Ă certains reportages pour âle bien de l'Etatâ.
Mais le magazine en ligne The Intercept, cofondĂ© en 2014 par Laura Poitras et Glenn Greenwald pour se consacrer au travail sur les donnĂ©es de Snowden, est Ă©galement sous le feu des critiques. La rĂ©daction disposait, contrairement Ă tous les autres mĂ©dias, de l'ensemble du trĂ©sor de Snowden. En 2019, The Intercept a mis fin Ă l'exploitation des donnĂ©es explosives, au grand dam de Poitras et Greenwald, qui ont entre-temps quittĂ© l'entreprise, qui leur a souhaitĂ© bonne chance pour trouver d'autres partenaires. âThe Intercept a rapidement pris une autre orientation", regrette John Goetz. InterrogĂ© sur le fait de savoir si la rĂ©daction possĂ©dait encore les archives Snowden, The Intercept a refusĂ© de prendre position.
La trÚs grande majorité des documents de Snowden n'est désormais à la disposition de quasiment plus personne. "Au début des révélations, l'idée était de fournir les données à une fondation", se souvient John Goetz. "Mais cela ne s'est malheureusement pas produit".