đâđš 2010 : Nous sommes tous Julian Assange.
L'administration Obama pointant Assange comme le paria de la communautĂ© journalistique, les mĂ©dias dominants ont vaquĂ© Ă sa persĂ©cution sans penser qu'ils seront peut-ĂȘtre les prochains sur la liste.
đâđš 2010 : Nous sommes tous Julian Assange.
Par ConsortiumNews, 30 juin 2023
Les questions essentielles au cĆur de l'affaire Julian Assange ont Ă©tĂ© exposĂ©es dans les moindres dĂ©tails par Robert Parry, le regrettĂ© fondateur du CN, dĂšs dĂ©cembre 2010.
L'administration Obama pointant M. Assange comme un paria de la communautĂ© journalistique. Les mĂ©dias traditionnels se sont joints Ă sa persĂ©cution sans rĂ©aliser qu'ils pourraient bien ĂȘtre les prochains sur la liste.
En tant que premier journaliste d'investigation de sa gĂ©nĂ©ration (ayant rĂ©vĂ©lĂ© des informations majeures sur le scandale Iran-Contra pour l'Associated Press), Bob Parry a Ă©crit le 16 dĂ©cembre 2010 un article intitulĂ© âTous les journalistes sont Julian Assangeâ, dans lequel il affirmait que l'Ă©diteur de WikiLeaks se livrait Ă exactement le mĂȘme travail que lui.
DâaprĂšs Bob Parry, Julian Assange mettait en pratique les mĂȘmes mĂ©thodes : il encourageait ses sources Ă lui fournir davantage d'informations, protĂ©geait leur identitĂ©, et les incitait mĂȘme Ă de minimes contraventions Ă la loi en divulguant des informations classifiĂ©es, afin d'empĂȘcher l'Ătat de commettre un dĂ©lit plus important.
Alors que le ministĂšre de la Justice d'Obama a finalement dĂ©cidĂ© de ne pas procĂ©der Ă une mise en accusation, parce qu'il aurait franchi la ligne rouge de la criminalisation du journalisme, l'administration Trump a franchi cette mĂȘme ligne sur les mĂȘmes preuves que l'administration Obama a rejetĂ©es. Il s'agit d'un article particuliĂšrement prĂ©monitoire et pertinent du dĂ©funt fondateur de Consortium News, Ă©crit huit mois seulement aprĂšs la publication de la vidĂ©o âCollateral Murderâ.
Cet article a marqué le début de la couverture de l'affaire Assange par Consortium News, la plus complÚte et la plus perspicace que l'on puisse trouver dans les médias. Nous publions ici l'article de Bob. Aidez-nous à poursuivre notre couverture de l'affaire Assange en faisant un don généreux aujourd'hui, dernier jour de notre campagne de financement de printemps.
đâđš Nous sommes tous Julian Assange.
Par Robert Parry, spécial pour Consortium News, le 16 décembre 2010.
Quels que soient les aspects inhabituels de l'affaire, l'intention dĂ©clarĂ©e de l'administration Obama d'inculper le fondateur de WikiLeaks Julian Assange pour avoir conspirĂ© avec le soldat Bradley [aujourd'hui Chelsea] Manning afin d'obtenir des secrets amĂ©ricains touche au cĆur du journalisme d'investigation sur les scandales liĂ©s Ă la sĂ©curitĂ© nationale.
En effet, pour obtenir des informations classifiĂ©es sur des crimes d'Ătat, les journalistes doivent le plus souvent persuader un fonctionnaire d'enfreindre la loi, soit en remettant des documents classifiĂ©s, soit au moins en parlant de ces informations secrĂštes. Il y a presque toujours un certain niveau de "conspiration" entre le journaliste et la source.
Contrairement à ce que les observateurs pourraient croire, il est en fait assez rare que des documents sensibles nous arrivent simplement "en passant", sans avoir été sollicités. En effet, au cours de trois décennies de reportages sur ce type d'affaires, je ne me souviens que de quelques documents secrets qui me sont parvenus de cette maniÚre.
Dans la plupart des cas, j'ai joué un rÎle - plus ou moins actif - pour localiser les informations classifiées ou convaincre un fonctionnaire de divulguer certains secrets. Le plus souvent, j'étais l'instigateur de la "conspiration".
Mes "co-conspirateurs" étaient généralement des fonctionnaires bien intentionnés, conscients de pratiques répréhensibles commises sous le couvert de la sécurité nationale, mais qui ne souhaitaient pas mettre leur carriÚre en péril en parlant de ces infractions. Je devais généralement les persuader, soit en faisant appel à leur bonne conscience, soit en élaborant une justification raisonnable pour les inciter à m'aider.
Parfois, il m'est arrivĂ© de lĂącher discrĂštement des informations classifiĂ©es dignes d'intĂ©rĂȘt pour les soustraire Ă la vigilance du gouvernement. En effet, en 1995, Consortiumnews.com a Ă©tĂ© crĂ©Ă© pour publier des informations secrĂštes et top secrĂštes dĂ©couvertes dans les dossiers d'une enquĂȘte confidentielle du CongrĂšs pendant la pĂ©riode chaotique entre la victoire des RĂ©publicains aux Ă©lections de 1994 et leur prise de contrĂŽle effective du CongrĂšs au dĂ©but de 1995.
En décembre 1994, j'ai sollicité et obtenu l'accÚs à des dossiers prétendument non classifiés provenant d'un groupe de travail qui avait examiné les allégations selon lesquelles la campagne de Ronald Reagan avait saboté les négociations sur les otages avec l'Iran menées par le président Jimmy Carter en 1980.
Ă ma grande surprise, j'ai dĂ©couvert que les enquĂȘteurs, apparemment pressĂ©s de conclure leur travail, n'avaient pas Ă©purĂ© les dossiers de tous les documents classifiĂ©s. Alors que mon "gardien" ne faisait pas attention Ă moi, j'ai donc photocopiĂ© une partie des documents classifiĂ©s et suis parti avec. Plus tard, j'ai publiĂ© plusieurs articles sur ces documents et en ai diffusĂ© certains sur l'internet.
Ce type de comportement - qu'il s'agisse de convaincre un fonctionnaire frileux de révéler un secret ou de mettre à profit un accÚs non autorisé à des documents classifiés - fait partie du travail d'un journaliste d'investigation qui couvre les abus en matiÚre de sécurité nationale. La rÚgle générale veut que ce soit le gouvernement qui cache les secrets et le journaliste qui les découvre.
"La procĂ©dure permettant aux journalistes d'obtenir des informations classifiĂ©es sur des crimes d'Ătat implique le plus souvent qu'un journaliste persuade un fonctionnaire d'enfreindre la loi, soit en lui remettant des documents classifiĂ©s, soit au moins en parlant dâinformations secrĂštes. Il y existe presque toujours un certain niveau de 'conspiration' entre le journaliste et la source".
Lorsque les fuites sont considérables, le gouvernement tente souvent de convaincre les rédacteurs en chef d'amplifier ou d'édulcorer les informations "pour la sécurité nationale". Mais c'est l'organe de presse qui décide en dernier ressort de se plier à ces exigences, ou de publier.
Historiquement, la plupart de ces fuites ont mis le gouvernement dans l'embarras temporairement (bien qu'elles soient généralement accompagnées de protestations disproportionnées). à long terme, cependant, le public a bénéficié de la divulgation de certains abus du gouvernement. Des réformes s'ensuivent souvent, comme ce fut le cas lors du scandale Iran-Contra que j'ai contribué à révéler dans les années 1980.
Le précédent Nixon
Pourtant, dans l'affaire WikiLeaks, au lieu de se contenter de se plaindre et de passer Ă autre chose, l'administration Obama semble s'engager dans une voie inĂ©dite depuis que l'administration Nixon a cherchĂ© Ă bloquer la publication des Pentagon Papers, l'histoire secrĂšte de la guerre du ViĂȘt Nam, en 1971.
Ce faisant, l'administration Obama, qui avait promis une nouvelle Ăšre d'ouverture, a envisagĂ© une nouvelle stratĂ©gie pour criminaliser les pratiques journalistiques traditionnelles, tout en essayant d'assurer aux principaux organes de presse amĂ©ricains de ne pas ĂȘtre rattrapĂ©s par l'engrenage Assange-Manning.
Le New York Times a rapportĂ© jeudi que les procureurs fĂ©dĂ©raux examinaient la possibilitĂ© d'inculper M. Assange pour conspiration, car il aurait encouragĂ© ou aidĂ© M. Manning Ă extraire "des fichiers militaires et du dĂ©partement d'Ătat classifiĂ©s d'un systĂšme informatique gouvernemental".
L'article du Times, rédigé par Charlie Savage, note que si les procureurs concluent que M. Assange a apporté son aide au processus, "ils pensent pouvoir l'inculper en tant que complice de la fuite, et pas seulement en tant que destinataire passif des documents qui les a ensuite publiés".
"Parmi les documents examinés par les procureurs figure un historique des conversations en ligne dans lequel le soldat Manning affirme avoir communiqué directement avec M. Assange par le biais d'un serveur de messagerie crypté alors que le soldat téléchargeait des fichiers gouvernementaux. Le soldat Manning aurait également affirmé que M. Assange lui aurait fourni l'accÚs à un serveur dédié afin qu'il puisse télécharger certains de ces fichiers vers WikiLeaks.
"Adrian Lamo, un ex-hacker Ă qui le soldat Manning s'est confiĂ© et qui l'a finalement dĂ©noncĂ©, a dĂ©clarĂ© que le soldat Manning a dĂ©taillĂ© ces interactions dans ses conversations par messagerie instantanĂ©e. Il a dĂ©clarĂ© que l'objectif du serveur dĂ©diĂ© Ă©tait de permettre aux contributions du soldat Manning d'ĂȘtre 'placĂ©es en tĂȘte de liste pour examen'. D'aprĂšs M. Lamo, le soldat Manning s'en est vantĂ© "comme preuve de son statut de source de premier plan pour WikiLeaks".
Bien que certains Ă©lĂ©ments de cette collaboration prĂ©sumĂ©e entre Assange et Manning puissent ĂȘtre techniquement inĂ©dits en raison du rĂŽle d'internet - et c'est peut-ĂȘtre un soulagement pour des organes de presse plus traditionnels comme le Times, qui a publiĂ© certains des documents de WikiLeaks - la rĂ©alitĂ© sous-jacente est que ce que WikiLeaks a fait est essentiellement "de la mĂȘme veine" de journalisme d'investigation "nouvelle formule", Ă savoir internet.
"Dans la plupart des cas, j'ai joué un rÎle - petit ou grand - pour localiser les informations classifiées ou convaincre un fonctionnaire de divulguer des secrets. Le plus souvent, j'ai été l'instigateur de ces 'conspirations'".
En considérant WikiLeaks comme une sorte d'hybride journalistique déviant, les principaux organes de presse américains respirent mieux aujourd'hui, mais risquent de se retrouver pris dans un nouveau précédent juridique susceptible de s'appliquer à eux par la suite.
Quant à l'administration Obama, sa soudaine insistance à déceler de nouveaux "crimes" dans la publication d'informations véridiques est particuliÚrement choquante lorsqu'on la compare à son approche "complaisante" à l'égard des crimes ouvertement admis commis par le président George W. Bush et ses subordonnés, y compris des délits majeurs tels que torture, enlÚvements et guerres offensives.
La décision de M. Holder
Pour moi, l'éventualité d'une inculpation d'Assange ne relÚve plus de la paranoïa galopante. Au départ, je ne pensais pas que le gouvernement Obama était sérieux dans sa volonté outranciÚre de contourner la loi pour trouver le moyen de poursuivre Assange et de faire cesser les activités de WikiLeaks.
Mais ensuite, il y a eu les pressions exercĂ©es sur les partenaires commerciaux de WikiLeaks, tels qu'Amazon.com et PayPal, ainsi que les menaces profĂ©rĂ©es par d'Ă©minentes personnalitĂ©s politiques amĂ©ricaines, qualifiant M. Assange de "terroriste" comparable Ă Oussama ben Laden, et de cible digne d'ĂȘtre assassinĂ©e.
Normalement, lorsque de tels propos violents sont tenus, ils attirent l'attention de la police et des procureurs. Dans le cas présent, cependant, l'administration Obama semble s'incliner devant ceux qui parlent librement d'assassiner celui qui dit la vérité.
Le procureur gĂ©nĂ©ral Eric Holder a annoncĂ© la semaine derniĂšre qu'il avait pris des mesures "significatives" dans le cadre de l'enquĂȘte, une rĂ©fĂ©rence possible Ă ce qu'un avocat d'Assange a dĂ©clarĂ© avoir appris des autoritĂ©s suĂ©doises au sujet d'une rĂ©union secrĂšte d'un grand jury tenue dans le nord de la Virginie.
Selon le Times, "les fonctionnaires du ministĂšre de la Justice ont refusĂ© de discuter des travaux du grand jury. Mais lors d'entretiens, des personnes au fait de l'affaire ont dĂ©clarĂ© que le ministĂšre semblait tentĂ© par la possibilitĂ© de poursuivre M. Assange en tant que co-conspirateur des fuites, parce qu'il subit une pression intense pour faire d'Assange un exemple susceptible de dissuader d'autres fuites massives de documents Ă©lectroniques sur l'Internet.â
"En considĂ©rant WikiLeaks comme une sorte d'hybride journalistique dĂ©viant, les principaux organes de presse amĂ©ricains peuvent respirer plus facilement maintenant, mais ils risquent de se retrouver pris dans un nouveau prĂ©cĂ©dent juridique qui pourrait leur ĂȘtre appliquĂ© plus tard.
"En engageant des poursuites contre M. Assange en tant que complice de la fuite du soldat Manning, le gouvernement n'aurait pas à se demander pourquoi il ne poursuit pas également les organes de presse traditionnels, ou les journalistes d'investigation qui divulguent eux aussi des informations qui, selon le gouvernement, doivent rester secrÚtes - y compris le New York Times, qui a également publié certains documents obtenus à l'origine par WikiLeaks."
En d'autres termes, l'administration Obama semble identifier M. Assange comme un cas isolĂ© au sein de la communautĂ© journalistique, alors qu'il est dĂ©jĂ considĂ©rĂ© comme une sorte de paria. De cette maniĂšre, les reprĂ©sentants des mĂ©dias traditionnels peuvent ĂȘtre invitĂ©s Ă se joindre Ă sa persĂ©cution sans se douter qu'ils pourraient bien ĂȘtre les prochains sur la liste.
Bien que les journalistes américains puissent à juste titre vouloir se protéger en prétendant que Julian Assange n'est pas des leurs, la réalité, que nous le voulions ou non, veut que nous soyons tous des Julian Assange.
* Robert Parry, aujourd'hui décédé, a révélé de nombreuses informations sur l'affaire Iran-Contra dans les années 1980 pour l'Associated Press et Newsweek. Il a fondé Consortium News en 1995.
https://consortiumnews.com/2023/06/30/nailing-the-assange-story-since-2010/