👁🗨 2023, l'année de la libération d'Assange ? Des espoirs feutrés
Il faudra faire preuve de subtilité & de patience pour atteindre l’objectif. Si Assange est libre d'ici la fin de l'année, ou dans les deux prochains mois, ce sera un triomphe en politique étrangère.
👁🗨 2023, l'année de la libération d'Assange ? Des espoirs feutrés
Par Matthew Knott, le 7 janvier 2023
Par une chaude nuit d'été en août dernier, l'endroit le plus branché de New York était la boîte de nuit Elsewhere de Brooklyn. La star de l'événement, qui se produisait en tant que DJ pour la première fois en 15 ans, était plus connue comme l'une des lanceuses d'alerte les plus célèbres et les plus controversées de l'histoire.
En 2010, Chelsea Manning a utilisé son poste d'analyste du renseignement de l'armée américaine pour copier des centaines de milliers de documents liés à la guerre en Irak et en Afghanistan, les sauvegardant sur un CD portant l'étiquette "Lady Gaga" pour les camoufler. Manning a ensuite envoyé les fichiers à WikiLeaks, dont la célèbre vidéo Collateral Murder montrant des troupes américaines en train de rire après avoir abattu un groupe d'Irakiens, dont deux journalistes. (Tous les hommes étaient des civils). Manning a par la suite été condamnée à 35 ans de prison pour la plus grande fuite d'informations classifiées jamais enregistrée en Amérique.
Aujourd'hui, Manning est une femme libre, une icône transgenre célèbre qui a récemment publié ses mémoires et passe des morceaux allant de Britney Spears à un remix de la chanson thème de Succession pour les ravers de Brooklyn pendant son temps libre. Barack Obama a commué la peine d'emprisonnement restante de Manning pour des raisons humanitaires dans l'un de ses derniers actes en tant que président, lui permettant de retourner à la vie civile en 2017.
Pendant ce temps, l'homme qui a publié les documents divulgués par Manning, le fondateur de WikiLeaks Julian Assange, dépérit dans la prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres, entouré de meurtriers et de violeurs notoires. Depuis quatre ans, le ministère américain de la justice tente d'extrader l'Australien pour qu'il soit jugé pour 17 chefs d'accusation d'infraction à la loi sur l'espionnage et pour une autre accusation liée au piratage informatique. C'est la première fois que cette loi est utilisée contre une personne qui a reçu et publié des informations classifiées, et non pas celui qui les avait divulguées.
Assange a subi une attaque cérébrale en 2021 et sa santé mentale a été mise à mal par de longues périodes d'isolement. Sa famille craint qu'il ne survive pas à la procédure d'extradition. "Il est en déclin constant, tant physiquement que mentalement", me dit Gabriel Shipton, le frère d'Assange. "C'est très oppressant, et il est clair qu'il en subit les conséquences".
Pourtant, les partisans d'Assange commencent l'année avec plus d'espoir que jamais que les États-Unis mettent fin à leurs efforts d'extradition, lui permettant ainsi de retourner en Australie. "Nous sentons que la dynamique est en train de se mettre en place", dit M. Shipton.
L'avocat Greg Barns, conseiller de la campagne australienne en faveur d'Assange, déclare : "Les planètes s'alignent plutôt bien."
Plus tôt cette semaine, John Lyons, rédacteur en chef des affaires internationales d’ABC, a renforcé l'anticipation en déclarant à l'antenne : "Je m'attends à ce que Julian Assange soit libéré d'ici deux mois environ." La prédiction de Lyons a provoqué des frissons non seulement en raison de son calendrier précis, mais aussi parce cette déclaration vient de l'un des journalistes les plus expérimentés du pays. M. Lyons a été rédacteur en chef du Sydney Morning Herald, chef des affaires courantes et des enquêtes de l'ABC et producteur exécutif de l'émission dominicale de Nine.
La principale raison de cet optimisme croissant est que l'Australie a un premier ministre qui s'efforce activement d'obtenir la libération d'Assange, même s'il faut pour cela dépenser du capital diplomatique auprès de notre plus important allié. Le gouvernement Morrison avait adopté une approche non interventionniste, estimant qu'il fallait laisser l'affaire Assange suivre son cours dans les systèmes juridiques britannique et américain.
Dans l'opposition, M. Albanese avait déclaré estimer que l'affaire Assange n’avait que trop duré, et qu'il fallait y mettre un terme. Au cours des premiers mois de son mandat de premier ministre, il a gardé le silence sur la question, déclarant ne pas mener de "diplomatie du mégaphone". Cela a changé en novembre, lorsqu'il a donné une réponse étonnamment franche à une question de la députée indépendante Monique Ryan.
"J'ai personnellement soulevé cette question avec des représentants du gouvernement des États-Unis", a déclaré M. Albanese au Parlement. "Ma position est claire et a été communiquée clairement à l'administration américaine. Je continuerai à la défendre, comme je l'ai fait récemment lors des réunions que j'ai tenues."
Albanese a essentiellement confirmé qu'il avait soulevé la question directement avec Biden, les deux hommes s’étant rencontrés 45 minutes à peine quinze jours plus tôt à Phnom Penh.
Puis vint la décision d'Albanese, juste avant Noël, de nommer l'ancien Premier ministre Kevin Rudd au poste d'ambassadeur d'Australie aux États-Unis. Dès 2010, lorsque WikiLeaks a publié les câbles de guerre, M. Rudd a insisté à plusieurs reprises pour que le gouvernement américain et M. Manning soient tenus responsables de la divulgation de documents secrets, et non M. Assange.
En juin, lorsque Priti Patel, alors ministre britannique de l'Intérieur, a validé l'extradition d'Assange vers les États-Unis, M. Rudd a tweeté : "Je ne suis pas d'accord avec cette décision. Je ne soutiens pas les actions d'Assange et son imprudent mépris pour les informations de sécurité classifiées. Mais si Assange est coupable, il en va de même pour les dizaines de rédacteurs de journaux qui ont joyeusement publié ses documents."
Les partisans d'Assange voient également des signes prometteurs dans les médias américains, où son cas a reçu étonnamment peu d'attention malgré son passé très médiatisé et controversé. Dans une lettre ouverte conjointe publiée fin novembre, le New York Times et quatre organes de presse européens ont demandé au gouvernement américain d'abandonner les poursuites, car celles-ci "créent un dangereux précédent" qui menace de porter atteinte à la liberté de la presse.
"Obtenir et divulguer des informations sensibles lorsque cela est nécessaire dans l'intérêt du public est une partie essentielle du travail quotidien des journalistes", indique la lettre. "Si ce travail est criminalisé, notre discours public et nos démocraties s'en trouvent considérablement affaiblis."
Peu après, Ari Melber - un animateur de premier plan de la chaîne câblée MSNBC, orientée à gauche - a consacré un monologue de 12 minutes pour plaider en faveur de la libération d'Assange.
Depuis qu'il a fondé WikiLeaks, Assange a fait des choses discutables, voire détestables. Le rapport de Robert Mueller sur l'élection américaine de 2016 a révélé qu'Assange a entretenu de dangereuses théories, en suggérant que c'est un employé du Parti démocrate assassiné, Seth Rich, et non des pirates informatiques russes, qui aurait divulgué à WikiLeaks des informations compromettantes sur la campagne d'Hillary Clinton. Brad Bauman, ancien porte-parole de la famille Rich, a déclaré à l'époque que le rapport montrait qu'Assange était un "monstre, pas un journaliste".
Mais il n'est pas nécessaire de considérer Assange comme une figure noble - ou même comme un journaliste - pour soutenir sa libération après tant d'années de captivité.
"Il est très facile pour les gens de comprendre l'hypocrisie de tout cela", dit Shipton. "Pourquoi un éditeur australien est-il détenu en prison alors que le lanceur d'alerte américain est libre ? La question ne résiste pas à la critique."
Rien n'indique que Biden, ou son procureur général Merrick Garland, souhaitent qu'Assange soit puni. Les accusations portées contre lui sont un vestige de l'administration Trump. Le ministère de la Justice de l'ère Obama a refusé de poursuivre Assange en raison du précédent que cela pourrait créer d'emprisonner des journalistes pour avoir fait leur travail.
Néanmoins, l'idée que demander à Biden d'abandonner l'extradition ne nécessiterait rien de plus qu'un simple coup de téléphone doit être nuancée par la réalité.
"Il ne s'agit pas de simples démarches", déclare une source gouvernementale de haut niveau, sous couvert d'anonymat. "Que Biden puisse agir d'un simple coup de baguette magique sur ce dossier est une absurdité. C'est difficile et compliqué".
L'un des péchés de la litanie de Trump pendant son mandat a été d'essayer de remodeler le ministère de la Justice pour en faire son cabinet juridique personnel de facto. M. Biden a déclaré que l'une de ses priorités en tant que président était de "rétablir la réputation et l'intégrité" du ministère de la Justice, qui, selon lui, a été "corrompu" par M. Trump.
M. Biden a dû rapidement faire marche arrière en octobre après avoir déclaré qu'il souhaitait que des personnes soient poursuivies pour avoir refusé de répondre aux citations à comparaître de la commission de la Chambre des représentants chargée d'enquêter sur les émeutes du 6 janvier au Capitole. "Je n'ai pas pris, et je ne prendrai pas le téléphone pour appeler le procureur général et lui dire ce qu'il doit ou ne doit pas faire en termes de personnes à poursuivre", a insisté M. Biden.
Donner à Garland l'ordre d'abandonner les charges contre Assange serait une violation manifeste de ce vœu. Il est plus réaliste d'espérer que Garland réexamine discrètement l'affaire, et décide qu'elle mobilise des ressources qui pourraient être mieux utilisées ailleurs.
Le ministère de la justice est fier de son indépendance, comme l'a clairement indiqué le porte-parole Anthony Coley en octobre : "Le ministère de la Justice prendra ses propres décisions indépendantes dans le cadre de toutes les poursuites, en se fondant uniquement sur les faits et la loi. Point final."
Il est important de noter que le processus judiciaire avait déjà suivi son cours lorsque Obama avait accordé la clémence à Manning. C'est une toute autre histoire avec Assange. Des personnalités de l'establishment de la sécurité nationale américaine - qui affirment que le comportement d'Assange, y compris sa prétendue conspiration avec des pirates informatiques, va au-delà de la pratique normale des journalistes - veulent qu'il soit tenu pour responsable. Et de nombreux démocrates considèrent toujours Assange avec dédain pour le rôle qu'il a joué dans l'accession au pouvoir de Donald Trump en publiant les courriels d'Hillary Clinton lors de la campagne de 2016.
L'argument en faveur de l'abandon des charges contre Assange a toujours été puissant pour des raisons de liberté de la presse. Il ne devient que plus convaincant à mesure que le temps passe. Il a assez souffert en prison, et assez longtemps.
Albanese devrait être félicité pour son travail en vue d'obtenir sa libération. Il faudra toutefois faire preuve de subtilité et de patience pour atteindre cet objectif. Si Assange est un homme libre d'ici la fin de l'année, sans parler des deux prochains mois, ce sera un triomphe en politique étrangère.