👁🗨 À des kilomètres de Gaza, on creuse de nouvelles tombes pour les Palestiniens tués à Jénine
“Les Israéliens pensent que les raids successifs, qui détruisent les maisons et tuent des gens, nous briseront et nous feront capituler. Mais cela n'arrivera jamais. Nous libérerons notre terre.”
👁🗨 À des kilomètres de Gaza, on creuse de nouvelles tombes pour les Palestiniens tués à Jénine
Les processions funéraires sont devenues monnaie courante dans une ville de Cisjordanie tourmentée par des raids israéliens meurtriers.
Par Peter Oborne et Angelo Calliano à Jénine, en Cisjordanie occupée, le 23 novembre 2023.
Depuis plus de 40 ans, Esam Nasharti lave les corps des Palestiniens morts, avant qu'ils ne reposent dans les cimetières toujours plus nombreux du camp de réfugiés de Jénine.
La toilette du cadavre est l'un des rituels les plus solennels de l'islam, dont les instructions sont clairement définies par les écoles juridiques sunnites.
Après avoir baigné le corps dans de l'eau chaude, il est enveloppé dans un simple linceul. Le travail doit être effectué rapidement en vue d’un enterrement le jour même.
Lorsque Middle East Eye a rencontré Nasharti à 9 heures du matin devant l'hôpital Khalil Suleiman de Jénine, qui tient son nom d'après un médecin tué par les forces israéliennes pendant la seconde Intifada, il nous a dit que la famille d'un combattant récemment tué, Jamal Mashaqa, 21 ans, lui avait téléphoné quatre heures plus tôt pour l'informer de son décès.
Nasharti travaillait encore comme gardien de nuit sur un chantier de construction, et c'était son premier appel depuis quelque temps.
Depuis le 7 octobre, date à laquelle des combattants palestiniens ont lancé une attaque multiforme sur plusieurs fronts contre le sud d'Israël, tuant quelque 1 200 personnes et en capturant 240 autres, le gouvernement israélien a intensifié ce qu'il appelle les opérations de lutte contre le terrorisme en Cisjordanie occupée, parallèlement à son offensive sans répit à Gaza.
Selon un décompte effectué par Middle East Eye, plus de 200 Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes ou des colons en Cisjordanie depuis que la guerre contre Gaza a éclaté.
La ville de Jénine est devenue le théâtre de raids quasi-quotidiens : au moins 49 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre. Tous, sauf un, sont morts sur le coup.
Mashaqa est l'exception. Blessé lors d'une frappe aérienne une semaine plus tôt, il a succombé à ses blessures le 18 novembre.
“Il est dit dans le Prophète, que la paix soit avec lui, que toute personne tuée dans le djihad est instantanément pardonnée et purifiée”, a déclaré Nasharti à MEE.
Une fois le rituel terminé, le corps de Mashaqa a été évacué de l'hôpital sur un brancard orange, soutenu par six porteurs. Son visage, enveloppé dans un keffieh, était visible. Il était drapé dans le drapeau blanc des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, un fusil d'assaut M16 en travers de la poitrine.
Environ 500 hommes en deuil étaient présents. Ils ont brandi les drapeaux jaunes du Fatah, les drapeaux blancs des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa et l'emblématique drapeau palestinien.
Ils ont scandé le nom du défunt et les mots : “Dans notre sang, dans notre âme, nous sommes avec toi shaheed [martyr]”, ajoutant : “Nous suivrons ton chemin”.
Ils ont ensuite adressé des mots de réconfort à la mère de Jamal Mashaqa.
Pour les personnes réunies ce jour-là pour ses funérailles, Mashaqa était un symbole de l'unité nationale palestinienne, et un exemple à suivre face à la montée de la violence en Cisjordanie.
Les raids israéliens ne nous briseront pas
Assister à des funérailles est devenu une occupation à plein temps dans la ville de Jénine, au nord de la Cisjordanie, proche de la frontière israélienne et située à 90 minutes de Tel-Aviv en temps normal.
Le cortège funéraire s'est dirigé vers le centre commercial de Jénine, où les magasins étaient fermés, en signe de recueillement.
Il a fait demi-tour à la bibliothèque publique située à l'entrée de la vieille ville de Jénine, et est passé devant une vieille église catholique romaine en avançant dans la rue Abu Bakr en direction du camp de réfugiés.
Les destructions infligées par les assauts constants des Israéliens sont visibles partout. Les murs sont criblés de balles.
“À Jénine, nous respectons tout le monde, quelle que soit la race, la couleur ou la religion. Nous ne brandissons pas le drapeau blanc. Jamais nous ne ferons cela”. — Iyad Azmi, un marchand de légumes dont le frère a été tué.
Le cortège a traversé la place où se tenait le cheval de Jénine, symbole du camp construit avec des débris de voitures accidentées et un panneau d'ambulance cassé pendant la seconde Intifada, avant d'être brisé par les forces israéliennes lors d'un récent assaut.
Les endeuillés ont traversé un rond-point à l'entrée du camp de réfugiés. Par pure malveillance, les bulldozers israéliens ont détruit la majeure partie de la route qui traverse le camp.
Abu Zaid, dentiste, a déclaré à MEE : “Notre message au monde est celui de la liberté et des droits de l'homme”.
Le cortège est passé devant l'ancien cimetière, où il ne reste plus de place pour de nouvelles tombes.
Le nouveau cimetière se trouve à quelques pas de l’endroit où la journaliste Shireen Abu Akleh a été abattue par un tireur d'élite israélien l'année dernière.
Il y a trois semaines, son mémorial a été détruit au bulldozer et profané.
À leur arrivée dans le nouveau cimetière, le cortège s’est arrêté, ont formé une ligne, des hommes armés masqués aux côtés d'hommes en civil, et ont déposé le corps.
L'imam a prononcé la dernière prière funéraire. À la fin, les endeuillés se sont avancés pour toucher le corps.
Alors que Mashaqa était inhumé, des combattants de la Brigade des martyrs d'Al-Aqsa ont tiré une dernière salve vers le ciel.
Juste à côté, on peut voir les tombes toutes récentes d'un garçon de 12 ans et d'un autre de 14 ans. Le cimetière s'est rempli si vite qu'il manque des pierres tombales sur de nombreuses tombes.
Iyad Azmi, un marchand de légumes, a pleuré son frère Mohammed, tué lors d'une frappe aérienne israélienne deux jours plus tôt.
“À Jénine, nous respectons tout le monde, quelle que soit la race, la couleur ou la religion. Nous ne brandissons pas le drapeau blanc. Jamais nous ne ferons cela”, a-t-il déclaré à MEE.
“Les Israéliens pensent que les raids successifs, qui détruisent les maisons et tuent des gens, nous briseront et nous feront capituler. Mais cela n'arrivera jamais. Nous libérerons notre terre.”