đâđš Ă Gaza, on ne voit pas seulement la mort. On la ressent. On la respire
Je n'aurais jamais pensĂ© poursuivre des chiens qui mangent les corps de mes voisins et de leurs enfants qu'IsraĂ«l nous empĂȘche d'enterrer, violant ainsi le caractĂšre sacrĂ© des morts & des vivants.
đâđš Ă Gaza, on ne voit pas seulement la mort. On la ressent. On la respire
Par Mohammed al-Hajjar, le 14 janvier 2024
Le refus de mĂ©nager lâaccĂšs aux blessĂ©s et aux morts, les cadavres Ă©tant laissĂ©s Ă l'abandon, est une stratĂ©gie systĂ©matique de la guerre gĂ©nocidaire d'IsraĂ«l contre les Palestiniens.
Je n'aurais jamais imaginé, dans mes pires cauchemars, courir aprÚs un chien errant pour retirer de sa gueule le pied d'un petit bébé.
Ces trois derniÚres semaines, les forces israéliennes ont bombardé sans pitié mon quartier de Rimal, dans le nord de la bande de Gaza, entraßnant la destruction massive d'immeubles résidentiels le long de la rue al-Galaa.
Un grand nombre de maisons de mes voisins qui ont été bombardées étaient habitées et pleines de gens ayant fui d'autres zones sous les bombardements pour se réfugier chez des proches.
Je faisais partie d'un groupe de jeunes gens qui se sont chargés de la mission ardue du sauvetage et de la restitution des corps. Nous avons fait de notre mieux pour extraire les survivants des énormes tas de décombres, et nous avons tenté de sortir de là les corps des morts pour leur accorder une sépulture digne de ce nom.
Nous étions cependant encerclés par des tireurs d'élite israéliens qui ont tiré sur tous ceux qui s'approchaient des décombres, tuant cinq hommes. AprÚs cela, la mission de recherche a été interrompue.
Mais de faibles voix se sont fait entendre de sous les dĂ©combres. CâĂ©tait les cris de deux enfants en bas Ăąge et de leur mĂšre dĂ©sespĂ©rĂ©e. MalgrĂ© nos tentatives, nous n'avons pas pu atteindre les enfants pris au piĂšge, qui ont fini par mourir sous les dĂ©combres.
Nous avons ensuite essayé de dégager leur mÚre, blessée et anéantie de chagrin, de lui permettre de respirer et de lui donner de l'eau, tant bien que mal, et quelques dattes pour qu'elle puisse rester en vie.
Pendant ce temps, les forces israĂ©liennes et leurs vĂ©hicules et engins blindĂ©s lourds tournaient autour de nous, nous assiĂ©geant et nous empĂȘchant d'accĂ©der aux blessĂ©s et aux personnes prises au piĂšge, tout en nous empĂȘchant de quitter la zone. Nous avons Ă©tĂ© contraints de nous rĂ©fugier dans la maison d'un voisin.
Des cadavres en décomposition
AprĂšs des frappes aĂ©riennes massives et la destruction de notre quartier, les forces israĂ©liennes ont lancĂ© une invasion brutale, prenant d'assaut les quelques maisons qui tenaient encore debout, prenant pour cible et arrĂȘtant de nombreux jeunes, et exĂ©cutant publiquement ceux qui cherchaient un passage sĂ»r pour Ă©chapper aux bombardements.
Le groupe avec lequel je me trouvais a fui vers la plage pour revenir quelques jours plus tard.
Je suis d'abord allée rechercher la mÚre, toujours ensevelie sous les décombres. Je l'ai appelée par son nom, j'ai rampé sous les gravas de béton, mais il n'y avait plus que le silence.
Nous avons creusé davantage pour découvrir enfin qu'elle était morte, ses bras entourant les corps minuscules de ses enfants.
Quelques jours aprÚs notre retour dans le quartier, nous avons remarqué qu'une meute de chiens errants s'était réfugiée dans l'une des maisons bombardées à cÎté de chez nous. Toute la nuit, nous les avons entendus aboyer et hurler bruyamment, comme s'ils se disputaient quelque chose.
Au petit matin, j'ai trouvé la meute de chiens. J'ai été choqué de voir que l'un d'entre eux avait le pied d'un petit enfant dans sa gueule. Je l'ai poursuivi, j'ai retiré le pied du petit enfant et je l'ai enterré profondément dans le sol.
Le lendemain, nous avons trouvĂ© les restes de la colonne vertĂ©brale, des os et de la poitrine d'un autre enfant mangĂ© par les chiens. Je n'avais jamais rien vu de plus brutal ni de plus choquant, comme si la vie humaine avait perdu toute valeur. C'Ă©tait un Ă©niĂšme coup dur dans le flot ininterrompu de chĂątiments oĂč la cruautĂ© devient permanente et sans limite.
Nous avons encore cherchĂ© Ă Ă©loigner les chiens du secteur pour reprendre notre recherche de survivants blessĂ©s et de victimes ensevelies sous d'Ă©normes tas de dĂ©combres. Mais mĂȘme les parties de corps que nous avons trouvĂ©es grĂące aux chiens avaient dĂ©jĂ subi une dĂ©composition extrĂȘme, on le voyait Ă la peau.
Les personnes sont tombées sous les bombardements, et leurs corps se transforment en cadavres en putréfaction.
Les forces israéliennes ont délibérément tué et menacé la vie de survivants participant aux opérations de sauvetage et de secours d'urgence. Elles ont entravé le sauvetage d'innombrables civils, en particulier de jeunes enfants terrifiés appelant à l'aide, qui ne vient pas, jusqu'à ce que leurs voix épuisées finissent par se taire.
Malgré les risques, de nombreuses ùmes courageuses se sont portées à leur secours et y ont laissé leur vie.
Partout, la mort
EmpĂȘcher les blessĂ©s dâĂȘtre secourus et les morts sortis des dĂ©combres est systĂ©matique et fait partie de la stratĂ©gie de la guerre gĂ©nocidaire d'IsraĂ«l contre les Palestiniens. Des tĂ©moins, notamment des survivants, des membres de leur famille et des journalistes de tous les quartiers densĂ©ment peuplĂ©s de Gaza, ont racontĂ© que les forces israĂ©liennes avaient intentionnellement tirĂ© sur les Ă©quipes de secours - et mĂȘme sur les Ă©quipes chargĂ©es des enterrements - ou les avaient bombardĂ©es.
La destruction totale des zones rĂ©sidentielles et les gigantesques amoncellements de dĂ©combres que personne ne peut dĂ©placer ou mĂȘme approcher sont Ă l'origine d'une crise de grande ampleur. Un nombre stupĂ©fiant de cadavres se dĂ©composent rapidement et amplifient ce tableau macabre.
à Gaza, on ne voit pas seulement la mort, on la ressent, on la respire. On ressent la mort de tous nos sens, avant d'observer avec horreur et incrédulité les chiens errants se régaler des parties décomposées des corps de ceux que l'on connaissait et que l'on aimait.
Mon oncle Abu Yousef, qui vit dans le quartier de Yarmouk, m'a confirmé que de grosses meutes de chiens errants parcourent tous les quartiers, y compris ce qui était autrefois le marché animé et populaire de Yarmouk.
Dans les environs, plusieurs tours rĂ©sidentielles et commerciales ont Ă©tĂ© lourdement bombardĂ©es et dĂ©truites, laissant des centaines de personnes ensevelies sous les dĂ©combres, oĂč personne n'a pu accĂ©der pour rĂ©cupĂ©rer leurs corps en vue d'un enterrement digne de ce nom, ou d'une quelconque forme d'enterrement.
Les chiens, confrontés à la famine comme les habitants de Gaza, sentent les corps en décomposition, se faufilent dans les ruines et en ressortent avec des morceaux de corps dans la gueule.
MĂȘme aprĂšs 100 jours de massacres barbares d'hommes, de femmes et d'enfants palestiniens, le spectacle horrible de ces chiens errants se rĂ©galant des corps des ports est toujours aussi choquant.
Gaza est toujours sous blocus, les bombardements et l'occupation sont permanents. Sa population reste la cible de la campagne génocidaire d'Israël. Partout dans tout Gaza, il n'y a qu'odeurs de mort, de détritus et de pourriture.
Aujourd'hui, les chiens et les animaux errants cherchent de la nourriture sous les dĂ©combres et ne trouvent que des morts aux corps Ă demi dĂ©composĂ©s. Ils dĂ©vorent les corps que l'on nous empĂȘche d'enterrer, violant ainsi le caractĂšre sacrĂ© des morts et des vivants.
https://www.middleeasteye.net/opinion/gaza-dont-only-see-death-smell-breathe-it