👁🗨 À la veille de l’investiture de Trump, l’Iran & la Russie signent un accord historique
Les néolibéraux & néoconservateurs ayant contrôlé la politique étrangère des États-Unis ne disparaîtront pas, mais la Russie & l'Iran viennent à présent défier frontalement l'Empire du Chaos revisité.
👁🗨 À la veille de l’investiture de Trump, l’Iran & la Russie signent un accord historique
Par Pepe Escobar, le 20 janvier 2025
En signant un accord de partenariat stratégique intégral la semaine dernière à Moscou, les puissances eurasiennes que sont la Russie et l'Iran lancent un défi à l'ordre mondial dirigé par les États-Unis et mettent en garde le nouveau président des États-Unis.
En géopolitique, tout se joue sur le timing. Vendredi dernier à Moscou, trois jours seulement avant l'investiture du président américain Donald Trump à Washington, les principaux dirigeants des membres des BRICS, le président russe Vladimir Poutine et le président iranien Masoud Pezeshkian, ont signé un accord de partenariat stratégique intégral, détaillé en 47 articles, soit deux fois plus que dans le récent accord entre la Russie et la Corée du Nord.
Ce partenariat stratégique est désormais scellé alors que l'énorme dette - irrécouvrable - du gouvernement américain atteint le montant sans précédent de 36 100 milliards de dollars, soit 106 400 dollars par Américain, et que le poids des États-Unis dans l'économie mondiale tombe pour la première fois sous la barre des 15 %, selon les chiffres de la Banque mondiale et du FMI.
En revanche, le partenariat stratégique entre la Russie et l'Iran tend à renforcer encore davantage l'imbrication des organisations multilatérales cruciales chargées d'organiser le nouveau monde multimodal : les BRICS+, l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et l'Union économique eurasienne (UEE).
Il s'agit d'un moment clé dans le long processus d'intégration de l'Eurasie. Ou, comme l'interprète généralement la Majorité Mondiale, un défi direct et souverain à l'“ordre international fondé sur des règles”, moribond et dicté par l'Occident.
Le vaste partenariat stratégique Téhéran-Moscou renforce la collaboration dans les domaines de la sécurité et de la défense, et met particulièrement l'accent sur le développement harmonieux du couloir de transport international Nord-Sud (INSTC), un axe trans-eurasien reliant la Russie, l'Iran et l'Inde, qui fait de l'Iran un centre de transit incontournable pour le gaz russe et les autres biens vendus à plusieurs partenaires d'Afro-Eurasie.
Réécrire les règles de la guerre asymétrique
Ce partenariat, qu'il qualifie de “document révolutionnaire” fixant des “objectifs ambitieux” axés sur le “développement durable”, a été interprété par M. Poutine lui-même, et ce de façon édifiante.
Il a ajouté que la Russie et l'Iran s'alignent sur “la plupart” des questions de politique étrangère, sont des nations indépendantes, et que les deux nations civilisationnelles “résistent aux pressions extérieures et s'opposent aux sanctions illégitimes”.
Le ministre des Affaires étrangères iranien, Abbas Araghchi, a souligné que le partenariat remplace “l'unilatéralisme au profit de la coopération et du respect mutuel”, dans un accord destiné à fournir à l'Iran et à la Russie les outils nécessaires pour construire
“un nouvel ordre dans lequel la coopération remplacera l'hégémonie et le respect les restrictions imposées”.
Passons maintenant aux détails. Bien que l'accord ne soit pas constitué en alliance militaire formelle, le partenariat institutionnalise les échanges militaires au plus haut niveau - depuis les exercices conjoints et la mise au point d'armes jusqu'aux projets de partage du renseignement.
Moscou vendra inévitablement des avions de chasse Sukhoi S-30, des missiles Pantsir, Tok et Buk, ainsi que des systèmes de défense S-400 (et dans un avenir proche, des S-500) aux fins de la défense aérienne iranienne contre d'éventuels cas d'aventurisme américano-israélien, tout en achetant une vaste gamme de missiles et de drones fabriqués en Iran. Les échanges sur la recherche dans le domaine du renseignement artificiel seront également dynamisés. L'Iran et la Russie sont tous deux en première ligne pour réécrire les règles de la guerre asymétrique.
Le partenariat stipule que la Russie fournira à l'Iran une “assistance”. Dans la pratique, cela signifie non seulement des armes, mais aussi que Moscou défendra Téhéran aux Nations unies et auprès d'autres forces internationales contre les menaces diplomatiques, et qu'elle limitera les effets des sanctions économiques déstabilisantes.
Et si une attaque contre l'Iran devait avoir lieu, la Russie ne collaborerait en aucun cas avec l'attaquant : pas de renseignements, ni d'autorisation d'utiliser le territoire russe pour divers raids ou incursions.
L'infrastructure énergétique est l’un des piliers du partenariat, et vise à redonner de la visibilité à l'Iran dans un contexte de dégradation de l'économie nationale. La Russie fournira des technologies énergétiques de pointe pour développer les vastes infrastructures énergétiques iraniennes - qui doivent encore être modernisées -, les réseaux de gazoducs et le commerce de gaz naturel liquéfié (GNL), qui ne cesse de se développer.
Le jour de l'accord, le ministre russe de l'énergie, Sergei Tsivilev, a fourni de nouveaux détails sur un autre accord de 30 ans sur les gazoducs de la mer Caspienne entre Gazprom et la National Iranian Gas Company (NIGC), qui inclura l'Azerbaïdjan et tentera probablement d'inciter Bakou à abandonner ses comportements hostiles dans la région. La Russie couvrira les coûts d'infrastructure et fournira essentiellement du gaz à l'Iran et à certains de ses voisins.
Le volume prévu de 55 milliards de mètres cubes par an à l'achèvement du projet est comparable aux capacités du double gazoduc Nord Stream vers l'Union européenne, saboté furtivement par les Américains, comme l'a révélé le journaliste d'investigation de renom Seymour Hersh en 2022.
Cet accord énergétique est essentiel pour Téhéran, car même si le pays détient les deuxièmes plus grandes réserves de gaz de la planète - 34 billions de mètres cubes, juste derrière la Russie - il souffre de pénuries domestiques, surtout en hiver. La plupart des vastes réserves de gaz du pays ne sont pas exploitées en raison des sanctions imposées par les États-Unis depuis des décennies.
Perfectionner le “laboratoire du futur”
Sur le plan géoéconomique, la Russie et l'Iran sont au centre de l'un des principaux couloirs de connectivité du 21è siècle : l'INSTC, qui protège trois BRICS (l'autre étant l'Inde) des sanctions, et qui constitue une alternative sérieusement plus rapide et moins coûteuse au canal de Suez, autrefois incontournable.
L'autre couloir est la Route maritime du Nord (NSR) traversant l'Arctique, que les Chinois appellent la Route de la soie des glaces, ou Route de la soie polaire. La Chine se définit comme un “État proche de l'Arctique”.

L'INSTC, c'est l'intégration de l'Eurasie par excellence, doublée d'un projet de connectivité de premier plan pour les BRICS. Les répercussions géoéconomiques sont stupéfiantes, car l'INSTC accélérera le processus de contournement du système financier international dominé par le dollar américain au sein des BRICS+.
La Russie et l'Iran échangent déjà massivement avec leurs propres devises et cryptomonnaies, tout en travaillant à la mise au point d'un mécanisme confidentiel permettant de contourner intégralement le système mondial de messagerie bancaire SWIFT, basé en Belgique. La prochaine étape concerne la configuration d'un réseau de paiement à l'échelle de l'Eurasie, lié à un mécanisme évolutif des BRICS, avec plusieurs options déjà envisagées et testées dans ce qui ne peut être décrit que comme “un laboratoire du futur”.
L'hystérie impériale proverbiale qui définit le partenariat comme le nouveau chapitre du nouvel “axe du mal” - avec la Corée du Nord et la Chine pour faire bonne mesure - n'a pas lieu d'être. Le timing géopolitique, une fois encore, est inestimable - couplé au contrecoup de sanctions démentielles.
Cette folie demeurera d'ailleurs inhérente à l'axe occidental emmené par les États-Unis. Jack Sullivan, le grand manitou de la sécurité nationale, avant sa sortie pathétique, a suggéré à la Maison Blanche d'attaquer les sites nucléaires iraniens avant la prise de fonction de Trump 2.0 - ce qui aurait immédiatement plongé le nouveau président républicain dans l'œil du cyclone, à savoir une guerre généralisée en Asie de l'Ouest.
Mais le problème réside en ce que la spirale sioniste qui gravite autour de Trump hérite en fait des plans d'attaque de l'administration Biden, et que ceux-ci sont loin de rencontrer l'opposition de l'État profond américain, et que cette folie ne s'arrête donc jamais. Compte tenu de la suffisance inhérente à l'Empire du Chaos, il est peu probable que quelques réalistes parviennent à comprendre les ramifications de l'entente stratégique entre la Russie et l'Iran.
La mentalité des guerres éternelles qui a ravagé des pans entiers de l'Afghanistan, de l'Irak, de la Libye, de la Syrie, de Gaza, de l'Ukraine et bien d'autres pays est désormais quelque peu altérée. Cependant, les néoconservateurs et néolibéraux employés permanents qui ont contrôlé la politique étrangère des États-Unis pendant des décennies ne disparaîtront pas. À cette différence près que la Russie et l'Iran, en étroite coopération, viennent à présent défier frontalement l'Empire du Chaos revisité.
https://thecradle.co/articles/on-the-eve-of-trump-iran-and-russia-launch-historical-deal