đâđš Ă l'Ouest, rien de nouveau : Un film anti-guerre fort, et au bon moment
"La guerre s'arrĂȘtera non pas grĂące aux appels et aux protestations adressĂ©s Ă la classe dirigeante et Ă ses gouvernants, mais par une mobilisation politique internationale contre tout conflit armĂ©".
đâđš Ă l'Ouest, rien de nouveau : Un film anti-guerre fort, et au bon moment
đ° Par Christoph Vandreier, Bernd Reinhardt, le 18 novembre 2022
Réalisé par Edward Berger, d'aprÚs le roman d'Erich Maria Remarque.
La nouvelle adaptation cinématographique d'Edward Berger du classique anti-guerre d'Erich Maria Remarque, All Quiet on the Western Front (Im Westen nichts Neues, 1928), est une description impressionnante de l'horreur de la PremiÚre Guerre mondiale. Plus que cela, il expose l'impitoyabilité avec laquelle une génération entiÚre a été envoyée au massacre.
Le film, produit par Netflix et également projeté dans les salles de cinéma, a atteint la premiÚre place des classements de streaming immédiatement aprÚs sa sortie. Il est également considéré comme un candidat possible pour un Oscar.
Le livre de Remarque est considĂ©rĂ© Ă juste titre comme l'un des romans anti-guerre par excellence. Non pas tant pour sa finesse littĂ©raire ou son examen des racines politiques et sociales de ce conflit sanglant, mais parce qu'il prĂ©sente la rĂ©alitĂ© de la guerre des tranchĂ©es du point de vue de Paul BĂ€umer, 17 ans, avec une honnĂȘtetĂ© brutale, et dans toute sa dĂ©vastation physique et Ă©motionnelle.
La publication du livre dix ans aprĂšs la fin de la guerre s'est avĂ©rĂ©e ĂȘtre de la dynamite politique. Le gouvernement allemand travaillait depuis longtemps au rĂ©armement, et le parti nazi d'Hitler faisait tout ce qui Ă©tait en son pouvoir pour encourager le militarisme et le chauvinisme. Dans ces conditions, la description rĂ©aliste de la guerre impĂ©rialiste du roman de Remarque a pris une signification Ă©norme.
L'ultra-nationaliste Deutsches Adelsblatt, organe officiel de la noblesse allemande, par exemple, craignait que le livre n'Ă©veille et ne renforce un sentiment de "Plus jamais la guerre". Le journal nazi Völkischer Beobachter a dĂ©crit le roman comme "l'apologie exultante des dĂ©serteurs, des transfuges, des mutins et des tire-au-flanc", et a menĂ© une campagne fĂ©roce contre l'Ćuvre et son auteur.
La révolutionnaire adaptation cinématographique en langue anglaise du roman de Lewis Milestone (avec Lew Ayres dans le rÎle de Paul) n'a été adoptée par les autorités allemandes en 1930 que sous une forme fortement censurée. Néanmoins, les nazis ont organisé une campagne de dénigrement massive, perturbant les projections à l'aide de bombes puantes et fumigÚnes, et bloquant les cinémas.
L'année 2022 est certainement un moment approprié pour créer une nouvelle adaptation cinématographique de ce matériau dans un langage visuel moderne, et le rendre ainsi largement accessible à une nouvelle génération.
Avec la guerre USA-OTAN contre la Russie, des dizaines de milliers de jeunes des deux cĂŽtĂ©s du front sont une fois de plus transformĂ©s en simple chair Ă canon dans l'intĂ©rĂȘt des oligarchies financiĂšres. Les soldats comme les civils risquent d'ĂȘtre dĂ©chiquetĂ©s et mutilĂ©s dans les combats et les bombardements, tandis que la guerre menace l'humanitĂ© dans son ensemble d'un anĂ©antissement nuclĂ©aire. Dans ces conditions, les mĂ©dias officiels et des couches d'universitaires tentent de minimiser, voire de dissimuler entiĂšrement, le caractĂšre impitoyable et criminel des deux guerres mondiales du siĂšcle dernier.
La rĂ©apparition du militarisme s'accompagne d'une nouvelle glorification de la bataille et du culte des hĂ©ros "guerriers". Les reportages de guerre se limitent pour la plupart Ă du "journalisme embarquĂ©" et Ă une propagande abrutissante. En revanche, le film de Berger dĂ©peint la rĂ©alitĂ© du combat. En se concentrant sur les circonstances vĂ©cues par le soldat ordinaire, le nouveau âĂ lâouest rien de nouveauâ parvient Ă nous prĂ©senter une expĂ©rience vĂ©ritablement universelle, d'une actualitĂ© brĂ»lante.
MĂȘme si les rĂ©alisateurs s'Ă©cartent parfois dĂ©libĂ©rĂ©ment de l'intrigue du roman, ils parviennent Ă transposer Ă l'Ă©cran une grande partie de l'ambiance gĂ©nĂ©rale du livre. Dans le processus, cependant, ils renoncent largement au dĂ©veloppement des personnages. L'accent est mis ici sur ce dans quoi les jeunes hommes sont jetĂ©s et oĂč ils doivent soudainement trouver leur chemin. GrĂące aux gros plans sur les postures et les expressions des visages, l'expĂ©rience des protagonistes devient palpable.
Ce âĂ lâouest rien de nouveauâ ne commence pas avec BĂ€umer, mais avec une bataille fĂ©roce qui se dĂ©roule avant qu'il ne soit appelĂ©. AprĂšs la bataille, les uniformes sont retirĂ©s des soldats tombĂ©s au combat, et la boue et le sang sont Ă©liminĂ©s dans d'Ă©normes chaudrons. Des dizaines de couturiĂšres rĂ©parent les uniformes dans une Ă©norme salle. Lorsque BĂ€umer reçoit une telle tenue, il s'interroge sur l'insigne nominatif qu'elle porte encore, rapidement retirĂ© par un officier. La machine meurtriĂšre se remet en marche et l'action du film commence.
Dans la confrontation avec cette machine, le spectateur n'est pas Ă©pargnĂ© : sa brutalitĂ© est impitoyablement dĂ©peinte, comme dans le roman de Remarque. La camĂ©ra ne coupe pas, elle soutient son regard implacable lorsque des corps sont dĂ©chiquetĂ©s, des soldats Ă©crasĂ©s par des tanks ou brĂ»lĂ©s au lance-flammes. La mobilitĂ© de la camĂ©ra pendant les batailles propulse le spectateur au cĆur mĂȘme des combats.
La représentation réaliste des horreurs de la guerre est soutenue par un scénario détaillé, des images de soldats couverts de boue rampant pour sauver leur vie. Une bande sonore, plutÎt discrÚte pour un film de guerre, qui reprend les bruits de l'action ou annonce les événements, en souligne également les horreurs. Les sons humains tels que la respiration, les halÚtements et les gémissements sont clairement audibles et perceptibles au plus prÚs.
C'est dans ce cadre que les protagonistes Ă©voluent entre une immersion totale dans la machinerie sanglante de la guerre et leur propre humanitĂ©. Ce thĂšme principal du livre de 1928 est remarquablement mis en scĂšne grĂące au jeu d'acteur exceptionnel de Felix Kammerer, dans le rĂŽle de Paul BĂ€umer, et d'Albrecht Schuch, dans celui de son camarade et pĂšre de cĆur, Stanislaus "Kat" Katczinsky.
De nombreuses sĂ©quences sont particuliĂšrement mĂ©morables : par exemple, lorsque BĂ€umer, sous une grĂȘle de balles, atteint les tranchĂ©es ennemies, tuant des soldats français dans une fureur dĂ©sespĂ©rĂ©e, avant de se reconnaĂźtre face Ă un jeune ennemi. Ou lorsque BĂ€umer, dans un effort surhumain, ramĂšne le blessĂ© Kat au camp, pour dĂ©couvrir Ă l'hĂŽpital de campagne que tout ce temps, il a transportĂ© un cadavre, car Kat avait dĂ©jĂ succombĂ© Ă ses blessures. C'est la lutte dĂ©sespĂ©rĂ©e contre la mort.
D'autres scÚnes clés du roman de Remarque ont également été fort bien transposées. Au cours d'une bataille, BÀumer se réfugie dans un cratÚre d'obus et y poignarde un soldat français. BÀumer doit s'allonger dans le cratÚre prÚs de l'homme mourant, tentant de le faire taire. Petit à petit, le jeune Allemand prend conscience de la similitude de leurs expériences. Il tente de stabiliser le soldat mortellement blessé, l'appelle camarade et promet à l'homme de rendre son portefeuille à sa famille. Cette scÚne montre la panique et la brutalité, et aussi des moments émotionnellement douloureux de remords et d'empathie, qui caractérisent l'existence quotidienne au front.
Quand BÀumer, dévasté, regagne son camp de nuit à travers le champ de bataille, le film dépeint le somptueux dßner de l'impitoyable général Friedrichs (Devid Striesow), un personnage introduit par Berger et ses scénaristes. Cette séquence souligne à quel point BÀumer est plus apparenté au soldat français ordinaire qu'au général allemand.
Lorsque BĂ€umer atteint enfin le camp, il y dĂ©couvre des soldats en train de faire la fĂȘte. L'un d'eux s'approche de lui et crie : "Les gros porcs [l'Ă©tat-major de l'armĂ©e] ont compris. Ils nĂ©gocient enfin. Nous allons bientĂŽt rentrer chez nous, soldat".
C'est toutefois dans ces scĂšnes dĂ©cisives que se dĂ©voilent les principales faiblesses de cet âĂ l'ouest rien de nouveauâ. Dans le roman, la scĂšne du cratĂšre est l'aboutissement d'un processus, le dĂ©veloppement complexe des doutes de BĂ€umer, qui sont pour la plupart absents dans le nouveau film. Ainsi, le congĂ© dans les foyers, au cours duquel la jeune recrue prend conscience de sa profonde dĂ©saffection pour la sociĂ©tĂ© allemande militarisĂ©e, a Ă©tĂ© Ă©liminĂ©, et la confrontation avec les prisonniers de guerre russes, envers lesquels BĂ€umer Ă©prouve une profonde compassion, manque aussi Ă lâappel.
En gĂ©nĂ©ral, en raison de l'approche radicalement "immĂ©diate", on n'apprend pratiquement rien sur les pensĂ©es et le vĂ©cu psychique des jeunes soldats. Dans le livre de Remarque, l'horreur de la guerre ne se manifeste pas seulement dans la souffrance des tranchĂ©es, mais dans les scĂšnes mĂȘmes oĂč les jeunes tentent de composer avec ce qu'ils ont vĂ©cu. Lorsque BĂ€umer ment Ă sa mĂšre en phase terminale en lui disant que tout va bien au front, ou lorsqu'il doit annoncer Ă la mĂšre de son camarade Kemmerich la mort de ce dernier, le lecteur est confrontĂ© aux profondes blessures psychologiques que la guerre a infligĂ©es Ă la jeune gĂ©nĂ©ration.
Ce sont précisément ces expériences qui engendrent les plus graves souffrances chez BÀumer et ses camarades, car elles évoquent une humanité en rupture totale avec la réalité du front. "Les moments dangereux qui nous montrent que l'adaptation n'est qu'artificielle aprÚs tout. Parfois, elle éclate soudainement, dangereuse, refoulée, comme si elle jaillissait de chaudiÚres à vapeur surchauffées", comme le décrit le roman.
En omettant ces Ă©lĂ©ments centraux, le âĂ lâouest rien de nouveauâ de Berger ne perd pas seulement en intensitĂ© tragique et en profondeur. Les soldats sont rĂ©duits Ă de simples victimes de la guerre, car la capacitĂ© de rĂ©silience inhĂ©rente Ă de nombreuses scĂšnes du roman n'est pas transmise. Les dialogues des soldats sont rares et souvent marmonnĂ©s de maniĂšre incomprĂ©hensible, alors que le gĂ©nĂ©ral, par exemple, discourt de façon tout Ă fait thĂ©Ăątrale.
Berger utilise peut-ĂȘtre cet artifice pour exprimer le mutisme des soldats face aux horreurs vĂ©cues, un aspect qui a certainement sa place dans le livre. Mais lorsque des Ă©changes immensĂ©ment importants sur la valeur et l'absurditĂ© de la guerre, le mensonge de la propagande de guerre et l'Ă©galitĂ© des travailleurs français et allemands sont presque totalement omis, une image radicalement diffĂ©rente apparaĂźt.
C'est le changement le plus flagrant par rapport Ă l'original de Remarque. Alors que son livre se termine en octobre 1918 avec la mort de BĂ€umer lors d'une "journĂ©e tranquille" sur le front occidental, et fait au moins allusion Ă la rĂ©volution allemande qui Ă©clatera un mois plus tard ("S'il n'y a pas de paix, alors il y a une rĂ©volution"), Berger dĂ©place la fin de son film au 11 novembre, le jour oĂč l'armistice prend effet.
Le général fictif Friedrichs envoie les soldats, qui célÚbrent déjà l'armistice, dans un assaut final sans espoir quinze minutes avant le cessez-le-feu. Quelques-uns refusent et sont abattus, mais le gros de la troupe retourne dans les tranchées, apathique et épuisé. BÀumer est à nouveau pris dans la frénésie sauvage du front, tirant et tuant des Français qui ne veulent en fait plus se battre, et s'engage dans un féroce combat au corps à corps, au cours duquel il est poignardé dans le dos quelques secondes avant la fin des combats.
Ainsi, la reprĂ©sentation du soldat faible et soumis est poussĂ©e Ă l'extrĂȘme, adoptant un point de vue essentiellement pessimiste et dĂ©sespĂ©rĂ©. Non seulement cela semble absurde et improbable, mais cela ne reflĂšte pas non plus la rĂ©alitĂ© de la guerre. Une scĂšne comme celle montrĂ©e dans le film n'a pas pu se produire sur le front occidental. De plus, lorsque le commandement de la marine allemande a tentĂ© de saboter les nĂ©gociations de paix par une offensive finale peu avant l'armistice, les marins se sont mutinĂ©s, dĂ©clenchant la rĂ©volution de novembre, au cours de laquelle des conseils d'ouvriers et de soldats ont Ă©tĂ© formĂ©s dans tout le pays, chassant le Kaiser et mettant fin Ă la guerre.
Le roman ne fait d'ailleurs que glisser sur la rĂ©volution, laissant entrevoir sa probabilitĂ© par la fraternisation des troupes allemandes avec "l'ennemi", et par la capacitĂ© de rĂ©sistance des soldats. Remarque dĂ©crit l'attitude fondamentalement hostile des simples soldats Ă la guerre. Ils ont le sentiment de ne pas ĂȘtre Ă leur place, rejettent le militarisme et ses symboles, tels que l'instructeur dĂ©testĂ© Himmelstoss et les universitaires patriotes comme Kantorek qui ont conquis le monde Ă la table des habituĂ©s du cafĂ©. Les soldats mĂ©prisent le "gendarme de campagne" et le "policier de l'Ă©conomat" qui surveillent les soldats, et commentent amĂšrement : "Les patrons d'usine en Allemagne sont devenus des gens riches - et nos tripes sont rongĂ©es par la dysenterie".
Berger est quasiment passĂ© sur les dĂ©veloppements insurrectionnels qui ont lieu de part et d'autre du front. Il transfĂšre la partie centrale du film au mois oĂč les soldats dĂ©sertent, refusent d'obĂ©ir aux ordres, et oĂč le contrĂŽle Ă©chappe de plus en plus aux gĂ©nĂ©raux, mais ne traite pas de cet aspect Par contre, il dĂ©taille les nĂ©gociations de paix sous l'Ă©gide du politicien centriste Matthias Erzberger (Daniel BrĂŒhl), dĂ©peint de maniĂšre assez pertinente comme un homme de main de l'Ă©tat-major, qui ne contribue que peu Ă notre comprĂ©hension de la guerre et de sa conclusion.
Berger justifie l'introduction de cet Ă©lĂ©ment de l'intrigue en expliquant qu'il voulait braquer les "projecteurs sur l'avenir", oĂč les militants, profitant de la signature de l'armistice par Erzberger, rĂ©pandent la lĂ©gende du coup de poignard dans le dos et ouvrent ainsi idĂ©ologiquement la voie Ă la Seconde Guerre mondiale.
Mais ce processus est loin d'ĂȘtre aussi simple qu'il n'y paraĂźt. La PremiĂšre Guerre mondiale n'a pas seulement donnĂ© naissance aux Corps francs d'extrĂȘme droite, au sein desquels une grande partie des forces d'Hitler ont Ă©tĂ© recrutĂ©es, et Ă un courant rĂ©actionnaire, mais aussi Ă une rĂ©volution et Ă une profonde conviction antimilitariste dans la communautĂ© ouvriĂšre. La sortie du roman "Ă l'ouest, rien de nouveau" a d'ailleurs alimentĂ© cette prise de position par sa description sans complaisance des ravages de la guerre.
Le nouveau film parvient également à rendre tangible la réalité des horreurs de la guerre. Le spectateur en ressent les effets pendant des semaines, et se demande comment faire pour éviter qu'une telle catastrophe ne se reproduise aujourd'hui, face à la recrudescence du bellicisme. C'est précisément la raison pour laquelle on peut regretter la vision sombre du film, et la suppression des véritables tensions sociales.
Néanmoins, ce "à l'Ouest, rien de nouveau" contribuera à inciter une nouvelle génération à réfléchir au pourquoi du massacre impérialiste et à s'opposer aux forces qui menacent le monde d'une troisiÚme guerre mondiale. Il les encouragera à rejeter les Himmelstoss et Kantorek qui sévissent aujourd'hui dans les rédactions et aux pupitres des universités, et à rejoindre un mouvement international contre la guerre.
Aujourd'hui encore, le seul moyen de faire obstacle Ă une nouvelle flambĂ©e de barbarie passe par la mobilisation du monde du travail international. "La guerre s'arrĂȘtera non pas par des appels et des protestations adressĂ©s Ă la classe dirigeante et Ă ses gouvernants, mais par une mobilisation politique internationale du monde du travail", peut-on lire dans la dĂ©claration de l'IYSSE* appelant Ă une assemblĂ©e internationale en ligne contre la guerre en Ukraine.
* IYSSE: L'International Youth Students for Social Equality est l'organisation de jeunes et d'étudiants du Parti de l'égalité socialiste et du Comité international de la QuatriÚme Internationale