👁🗨 Abou Moussab al-Zarqaoui : terroriste notoire, ou agent américain ?
Désireuse d'impliquer l'Irak dans les attentats du 11 septembre, l'administration Bush n'a pas tardé à exploiter Zarqawi pour masquer les objectifs géopolitiques de Washington dans le pays.
👁🗨 Abou Moussab al-Zarqaoui : terroriste notoire, ou agent américain ?
Par William Van Wagenen, le 26 mars 2024
Après Oussama ben Laden, l'ennemi déclaré le plus célèbre des États-Unis pendant la soi-disant guerre contre le terrorisme était le djihadiste jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui, fondateur d'Al-Qaida en Irak (AQI).
Mais un examen plus approfondi de la vie de Zarqawi et de son impact sur les événements en Irak montre qu'il était probablement un produit et un outil des services de renseignement américains.
Les stratèges néoconservateurs de l'administration de George W. Bush ont utilisé Zarqawi comme un pion pour justifier auprès de l'opinion publique américaine l'invasion illégale de l'Irak en 2003.
En outre, il a contribué à fomenter la discorde entre les groupes de résistance irakiens opposés à l'occupation américaine, provoquant finalement une guerre civile entre les communautés sunnites et chiites en Irak.
Israël poursuit son objectif en Irak
Cette stratégie délibérée de tension en Irak a permis à Tel-Aviv d'atteindre son objectif : perpétuer les vulnérabilités du pays, diviser les populations autour de clivages confessionnels, et affaiblir la capacité de l'armée irakienne à défier Israël dans la région.
On sait depuis longtemps que la CIA a créé Al-Qaida dans le cadre de sa guerre secrète contre l'Armée rouge soviétique en Afghanistan dans les années 1980, et qu'elle a soutenu des éléments d'Al-Qaida dans diverses guerres, notamment en Bosnie, au Kosovo et en Tchétchénie dans les années 1990.
En outre, des preuves attestent du soutien de la CIA à des groupes affiliés à Al-Qaïda lors de la guerre clandestine en Syrie lancée en 2011 dans la foulée de ce que l'on appelle le printemps arabe.
Mais les journalistes, analystes et historiens occidentaux continuent de prendre pour argent comptant le fait que Zarqawi et AQI auraient été les ennemis jurés des États-Unis.
Si l'on ne comprend pas le rôle de Zarqawi en tant qu'atout des services de renseignement américains, il est impossible de comprendre le rôle destructeur joué par les États-Unis (et Israël) dans l'effusion de sang infligée à l'Irak, non seulement lors de l'invasion initiale de 2003, mais aussi dans le déclenchement des conflits internes qui s'ensuivirent.
Il est également crucial de saisir l'importance de la démarche actuelle des Irakiens visant à expulser les forces américaines, et à délivrer le pays de l'influence des États-Unis.
Qui était Zarqawi ?
Abu Musab al-Zarqawi est né Ahmed Fadhil Nazar al-Khalaylah, mais il a ensuite changé de nom pour prendre celui de son lieu de naissance, Zarqa, une zone industrielle près d'Amman, en Jordanie. Incarcéré à plusieurs reprises dans sa jeunesse, il s'est radicalisé pendant son séjour derrière les barreaux.
À la fin des années 1980, Zarqawi s'est rendu en Afghanistan pour combattre les moudjahidines soutenus par la CIA contre les Soviétiques. À son retour en Jordanie, il a participé à la création d'un groupe militant islamique local appelé Jund al-Sham, et a été emprisonné en 1992.
Après sa libération à la suite d'une amnistie générale, Zarqawi est retourné en Afghanistan en 1999. The Atlantic note qu'il a rencontré pour la première fois Oussama ben Laden à cette époque, qui soupçonnait le groupe de Zarqawi d’avoir été infiltré par les services de renseignement jordaniens pendant son incarcération, raison de sa libération anticipée.
Zarqawi a ensuite fui l'Afghanistan pour se rendre dans la région pro-américaine du Kurdistan, dans le nord de l'Irak, où il a créé un camp d'entraînement pour ses combattants durant la funeste année 2001.
Le maillon manquant
Désireux d'impliquer l'Irak dans les attentats du 11 septembre, l'administration Bush n'a pas tardé à exploiter la présence de Zarqawi pour masquer les objectifs géopolitiques de Washington dans le pays.
En février 2003, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, le secrétaire d'État américain Colin Powell a affirmé que la présence de Zarqawi en Irak prouvait que Saddam hébergeait un réseau terroriste, justifiant ainsi une invasion américaine.
Selon le Council on Foreign Relations,
“cette affirmation a été démentie par la suite, mais elle a définitivement placé le nom de Zarqawi sous les feux de la rampe internationale”.
Powell a fait cette déclaration alors que la région kurde de l'Irak, où Zarqawi avait établi sa base, était effectivement sous le contrôle des États-Unis. L'armée de l'air américaine avait imposé une zone d'exclusion aérienne dans la région après la guerre du Golfe de 1991. L'agence israélienne de renseignement extérieur, le Mossad, était également notoirement présente dans la région, réalité reconnue officiellement par l'Iran, très vigilant à ce sujet.
Curieusement, bien que la base de Zarqawi soit implantée dans le Kurdistan irakien, l'administration Bush a opté pour la passivité alors qu'elle disposait d'une occasion en or de le neutraliser.
Le Wall Street Journal a rapporté que le Pentagone avait élaboré des plans détaillés en juin 2002 pour frapper le camp d'entraînement de Zarqawi, mais que
“le raid contre M. Zarqawi n'a pas eu lieu. Des mois se sont écoulés sans que la Maison Blanche autorise le plan”.
Lawrence Di Rita, porte-parole en chef du Pentagone, a justifié cette inaction en affirmant que “le camp n'était intéressant qu'en raison de la production présumée d'armes chimiques”, même si le risque de voir des armes chimiques et biologiques tomber entre les mains de terroristes devenait en principe une excellente raison pour renverser Saddam Hussein.
En revanche, le général John M. Keane, vice-chef d'état-major de l'armée américaine à l'époque, a expliqué que les renseignements confirmant la présence de Zarqawi dans le camp étaient “solides”, que le risque de dommages collatéraux était faible, et que le camp était “l'une des meilleures cibles que nous ayons jamais eues”.
L'administration Bush a fermement refusé d'approuver les frappes, bien que le général américain Tommy Franks ait indiqué que le camp de Zarqawi figurait parmi
les “exemples de ‘niches’ terroristes que le président Bush s'était juré de détruire”.
Dès que la présence de Zarqawi en Irak a atteint son objectif initial, à savoir vendre la guerre contre l'Irak à l'opinion publique américaine, et alors que l'invasion de mars 2003 était déjà en cours, la Maison Blanche a finalement approuvé les frappes aériennes sur son camp. Mais à ce moment-là, ajoute le Wall Street Journal, Zarqawi avait déjà levé le camp.
Les chiites dans la ligne de mire
En janvier 2004, la justification de la guerre par l'administration Bush a pris du plomb dans l'aile. David Kay, l'inspecteur en désarmement chargé de trouver les ADM irakiennes, a déclaré publiquement : “Je pense qu'elles n'existent pas”, après neuf mois de recherches.
Le Guardian a rapporté que l'échec de la recherche d'ADM avait porté un coup si dévastateur pour la justification de l'invasion de l'Irak que “même Bush s'est mis à revoir les raisons qui l'avaient poussé à déclencher la guerre”.
Le 9 février, alors que s’amplifiait la gêne liée aux ADM, le secrétaire d'État Powell a de nouveau affirmé qu'avant l'invasion,
Zarqawi “était actif en Irak et se livrait à des activités dont les Irakien devaient être au courant. Et nous sommes toujours à la recherche de ces liens”.
Deux semaines auparavant, les services de renseignement américains avaient commodément rendu publique une lettre de 17 pages prétendument écrite par Zarqawi. Son auteur revendiquait de multiples attentats terroristes, affirmait que la lutte contre les chiites irakiens primait sur la lutte contre l'armée d'occupation américaine, et promettait de déclencher une guerre civile entre les communautés sunnites et chiites du pays.
Dans les mois qui ont suivi, les autorités américaines ont attribué à Zarqawi une série d'attentats à la bombe meurtriers visant les chiites irakiens, sans pour autant fournir de preuves de son implication.
En mars 2004, des attentats-suicides contre des sanctuaires chiites à Karbala et dans le quartier de Kadhimiya à Bagdad ont tué 200 fidèles commémorant l'Achoura [célébrations qui se tiennent le 10e jour du Mouharram, premier mois du calendrier lunaire islamique]. En avril, des attentats à la voiture piégée dans la ville à majorité chiite de Bassorah, dans le sud de l'Irak, ont fait au moins 50 morts.
Concernant les attentats de Karbala et de Kadhimiya, Al-Qaida a publié une déclaration par l'intermédiaire d'Al-Jazira dans laquelle il nie fermement toute implication, mais le chef de l'Autorité provisoire de la coalition (APC), Paul Bremer, a insisté sur l’implication de Zarqawi.
Les attaques présumées de Zarqawi contre les chiites irakiens ont contribué à semer la zizanie entre les résistants à l'occupation américaine, jetant les bases d'une future guerre civile.
Ceci s'est avéré très bénéfique pour l'armée américaine, qui essayait d'empêcher les factions sunnites et chiites d'unir leurs forces pour résister à l'occupation.
Diviser pour régner
En avril 2004, le président Bush a ordonné une invasion à grande échelle pour prendre le contrôle de Falloujah, une ville de la province d'Anbar devenue l'épicentre de la résistance sunnite.
S'engageant à “pacifier” la ville, le brigadier général Mark Kimmitt a lancé l'attaque avec des hélicoptères de combat, des drones de surveillance et des avions de combat F-15.
L'attaque a suscité la controverse car les Marines ont tué de nombreux civils, massivement détruit habitations et autres bâtiments, et déplacé la majorité des habitants de la ville.
Finalement, sous la pression de l'opinion publique, le président Bush a été contraint d'annuler l'assaut, et Falloujah a été déclarée zone “interdite” aux forces américaines.
L'incapacité à maintenir leurs troupes sur le terrain à Falloujah a de nouveau incité les planificateurs américains à recourir aux services de Zarqawi pour affaiblir la résistance sunnite de l'intérieur. En juin, un haut responsable du Pentagone a déclaré que de “nouvelles informations” indiquaient que Zarqawi “se cacherait dans la ville de Falloujah, bastion sunnite”.
Le responsable du Pentagone
“a toutefois précisé que ces informations n'étaient pas suffisamment précises pour déclencher une opération militaire pour retrouver al-Zarqaoui”.
L'apparition soudaine de Zarqawi et d'autres djihadistes à Falloujah à ce moment précis n'est pas le fruit du hasard.
Dans un rapport rédigé pour le Commandement des opérations spéciales des États-Unis (USSOCOM) et intitulé “Diviser l'ennemi”, Thomas Henriksen explique que l'armée américaine a utilisé Zarqawi pour attiser les dissensions entre les opposants à l’occupation américaine à Falloujah et ailleurs.
Il écrit que l'armée américaine avait pour but de
“déclencher des confrontations meurtrières entre factions adverses” afin que les “ennemis de l'Amérique s'éliminent les uns les autres”, ajoutant que “quand il n’y a pas de tensions, les agents américains se chargent d'y remédier”.
L'exemple de Fallujah
Henriksen cite ensuite les événements survenus à Falloujah à l'automne 2004 comme “un exemple” promouvant “les habiles stratagèmes déployés pour générer les tensions entre insurgés”.
Il explique que les opinions takfiri-salafistes de Zarqawi et de ses compagnons djihadistes ont provoqué des tensions avec les insurgés locaux nationalistes de confession soufie, qui se sont également opposés aux tactiques de Zarqawi, notamment l'enlèvement de journalistes étrangers, l'assassinat de civils via des bombardements aveugles et le sabotage des infrastructures pétrolières et électriques du pays.
Selon Henriksen, les opérations psychologiques américaines, qui ont
“exploité et attisé les tensions intestines à Falloujah”, ont donné lieu à “des fusillades nocturnes sans implication des troupes de la coalition”.
Ces divisions se sont rapidement étendues aux autres bastions de la résistance sunnite, à savoir Ramadi, dans la province d'Anbar, et le district d'Adhamiya, à Bagdad.
Les tensions initiées par les services de renseignement américains par l'intermédiaire de Zarqawi à Falloujah ont ouvert la voie à une nouvelle invasion américaine de la ville rebelle en novembre 2004, quelques jours après la réélection de Bush.
Le journaliste de la BBC Mark Urban a rapporté que 2 000 corps ont été retrouvés après la bataille, dont des centaines de civils.
Bien entendu, “Abou Moussab al-Zarqaoui a échappé à la mort”, car il a pu franchir les barrages américains autour de la ville avant le début de l'assaut, a ajouté M. Urban.
Focaliser sur Zarqawi
Les services de renseignement militaire américains ont reconnu par la suite avoir monté des opérations psychologiques pour se servir de Zarqawi dans l'insurrection sunnite luttant contre l'occupation américaine.
Le Washington Post a rapporté en avril 2006 que
“l'armée américaine mène une campagne de propagande pour vanter le rôle du chef d'Al-Qaida en Irak”, pour aider “l'administration Bush à justifier sa guerre contre l'organisation responsable des attentats du 11 septembre 2001 auprès des électeurs américains”.
Le Post cite le colonel américain Derek Harvey expliquant que
“focaliser sur Zarqawi confère au personnage une importance qu'il n'a pas”.
Comme le rapporte encore le Post, les documents internes détaillant la campagne d'opérations psychologiques
“citent explicitement le ‘public américain’ comme l'une des cibles d'une campagne de propagande à plus grande échelle”.
La campagne de promotion de Zarqawi s'est également avérée utile au président Bush lors de sa campagne de réélection en octobre 2004. Lorsque l'opposant démocrate John Kerry a qualifié la guerre en Irak de diversion à la soi-disant guerre contre la terreur en Afghanistan, le président Bush a répondu en clamant
que “le cas de ce terroriste montre à quel point le raisonnement [de Kerry] est erroné. Le chef terroriste auquel nous sommes confrontés en Irak aujourd'hui, responsable de l'explosion de voitures piégées et de la décapitation d'Américains, s'appelle Zarqawi.”
Qui a tué Nick Berg ?
Nick Berg, un entrepreneur américain en Irak, aurait été décapité par Zarqawi. En mai 2004, des médias occidentaux ont publié une vidéo montrant Berg, vêtu d'une combinaison orange de type Guantanamo, en train d'être décapité par un groupe d'hommes cagoulés.
Dans cette vidéo, un des hommes cagoulés, affirmant être Zarqawi, déclare que l'assassinat de Berg est la réponse aux tortures infligées par les États-Unis aux détenus de la tristement célèbre prison d'Abu Ghraib.
Berg se trouvait en Irak pour tenter d'obtenir des contrats de reconstruction et a disparu quelques jours seulement après avoir passé un mois en détention américaine à Mossoul, où il a été interrogé à de multiples reprises par le FBI.
Le 8 mai, un mois après sa disparition, l'armée américaine a affirmé avoir trouvé son corps décapité au bord d'une route près de Bagdad.
Mais les affirmations américaines selon lesquelles Zarqawi aurait tué Berg ne sont pas crédibles. Comme l’a rapporté à l'époque le Sydney Morning Herald, il existe des preuves que la vidéo de la décapitation n'était qu'une mise en scène, utilisant des images de l'interrogatoire de Berg par le FBI. Elle a été téléchargée sur internet non pas depuis l'Irak, mais depuis Londres, et est restée en ligne juste assez longtemps pour que CNN et Fox News puissent la télécharger.
Le brigadier général Mark Kimmitt a également menti sur les circonstances de la détention de Berg par l'armée américaine, affirmant au contraire qu'il n'avait été détenu que par la police irakienne à Mossoul.
Mais la vidéo a ancré dans l'esprit du public américain l'idée que Zarqawi et Al-Qaida représentaient une menace terroriste majeure.
L'impact a été tel aux États-Unis qu'après la diffusion de la vidéo, les termes “Nick Berg” et “guerre d'Irak” ont temporairement pris le pas sur la pornographie et les célébrités Paris Hilton et Britney Spears, en tête des recherches sur internet.
Le sectarisme, objectif clé des États-Unis et d'Israël
Une guerre civile de grande ampleur a éclaté après l'attentat à la bombe de février 2006 contre le sanctuaire chiite d'Al-Askari dans la ville sunnite de Samarra, dans le centre de l'Irak, mais son ampleur a été tempérée par les directives spirituelles émises par la plus haute et la plus influente autorité chiite du pays, le grand ayatollah Ali al-Sistani.
Al-Qaida n'a pas revendiqué l'attentat, mais le président Bush a affirmé plus tard que
“le bombardement du sanctuaire était un complot d'Al-Qaida, dont l'intention était de créer des tensions inter-communautaires”.
Zarqawi a finalement été tué par une frappe aérienne américaine quelques mois plus tard, le 7 juin 2006. Un législateur irakien, Wael Abdul-Latif, a déclaré que Zarqawi détenait les numéros de téléphone de hauts responsables irakiens dans son téléphone portable quand il est mort, démontrant une fois de plus que Zarqawi était utilisé par des membres du gouvernement irakien soutenu par les États-Unis.
Zarqawi détenait les numéros de téléphone de hauts responsables irakiens dans son téléphone portable quand il est mort, démontrant une fois de plus que Zarqawi était utilisé par des membres du gouvernement irakien soutenu par les États-Unis.
À la mort de Zarqawi, le scénario néoconservateur de division et d'affaiblissement de l'Irak en semant le chaos et en provoquant des conflits intercommunautaires avait atteint des sommets. L'émergence d'un groupe issu d'AQI - l'État islamique [EI]- a contribué, quelques années plus tard, à déstabiliser la Syrie voisine, à y attiser les rivalités et à justifier la reconduction du mandat de l'armée américaine en Irak.
https://thecradle.co/articles/abu-musab-al-zarqawi-notorious-terrorist-or-american-agent