đâđš Alfred de Zayas : Approche raisonnĂ©e de la mĂ©diation de paix.
Une mĂ©diation devra aussi sâadresser aux Ătats-Unis & aux pays de l'OTAN, & les persuader que la paix en Ukraine est un scĂ©nario gagnant-gagnant, pour le peuple ukrainien comme pour le reste du monde.
đâđš Approche raisonnĂ©e de la mĂ©diation de paix.
Par Alfred de Zayas, le 11 juillet 2023
La mĂ©diation est un art, pas une science, un exercice pragmatique de persuasion utilisant les outils simples du bon sens et de la logique, se concentrant sur les points communs plutĂŽt que sur les rivalitĂ©s, regardant vers l'avenir, tournant la page sur des erreurs irrĂ©parables, et essayant de construire un modus vivendi durable. En effet, nous, les humains, avons plus de points communs que d'incompatibilitĂ©s. Nous partageons beaucoup de choses, Ă commencer par notre dignitĂ© humaine innĂ©e, l'amour de la famille et des enfants, l'espoir en leur avenir, la capacitĂ© d'empathie, les valeurs humanitaires universelles, l'engagement en faveur de l'Ătat de droit, de la Charte des Nations unies et de ses mĂ©canismes.
Comme l'a dĂ©clarĂ© l'ancien prĂ©sident amĂ©ricain Jimmy Carter lors de la remise du prix Nobel de la paix Ă Oslo, le 10 dĂ©cembre 2002, Ă l'occasion de la JournĂ©e des droits de l'homme, "la guerre peut parfois ĂȘtre un mal nĂ©cessaire. Mais aussi nĂ©cessaire soit-elle, elle est toujours un mal, jamais un bien. Ce n'est pas en tuant les enfants des autres que nous apprendrons Ă vivre ensemble en paix." [1]
Si nous sommes d'accord sur des valeurs abstraites, nous ne semblons pas toujours avoir la mĂȘme boussole morale, les mĂȘmes prioritĂ©s, ou la mĂȘme comprĂ©hension des faits. Pour que la mĂ©diation porte ses fruits, il faut qu'il y ait - au minimum - un dĂ©sir naissant de la part des parties hostiles de sortir de l'impasse, d'Ă©liminer les obstacles Ă un compromis. Comme le dit le proverbe, âil faut ĂȘtre deux pour danser le tangoâ [2], et si l'une des parties refuse de danser, il est inutile de tenter une mĂ©diation.
La lassitude de la guerre est une condition préalable fréquente aux négociations de paix, mais il faut une volonté d'écouter et d'envisager des options pour mettre fin au massacre. Le principal obstacle à la négociation est souvent l'intransigeance du complexe militaro-industriel. Tant que la guerre rapportera de l'argent, il sera difficile d'y mettre fin. Les profiteurs de guerre existent depuis des temps immémoriaux, et ce fléau n'est pas prÚs de s'éteindre, malgré les nobles principes énoncés dans la Charte des Nations unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme, et les neuf principaux traités relatifs aux droits de l'homme.
Autorité et crédibilité
La guerre dĂ©truisant la confiance entre les parties belligĂ©rantes, celles-ci doivent s'en remettre Ă des tiers pour les aider. MalgrĂ© les doutes et les hĂ©sitations, elles doivent au moins accorder un minimum de confiance au mĂ©diateur. Dans un conflit bipartite, il est plus facile de trouver un mĂ©diateur dotĂ© d'une autoritĂ© morale suffisante pour ĂȘtre acceptĂ© par les parties en conflit. Ce fut le cas lors de la mĂ©diation rĂ©ussie menĂ©e par Nicolas de Flue en Suisse au XVe siĂšcle, qui a permis d'Ă©viter une guerre entre cantons suisses grĂące Ă un compromis de bon sens conclu Ă la DiĂšte de Stans en 1481 [3]. La mĂ©diation de FrĂšre Nicolas a Ă©tĂ© bien accueillie par les chefs de cantons en conflit, qui cherchaient sincĂšrement un compromis pacifique permettant de sauver les apparences.
L'une des fonctions du mĂ©diateur est de faciliter l'instauration d'un climat de confiance. Cela exige une stricte impartialitĂ© et objectivitĂ© de la part du mĂ©diateur, ainsi qu'une bonne dose de patience et de persĂ©vĂ©rance. Si les parties perçoivent le mĂ©diateur comme ayant ses propres prĂ©fĂ©rences et prĂ©jugĂ©s, la mĂ©diation Ă©chouera. C'est pourquoi, par exemple, les Palestiniens n'ont jamais acceptĂ© les Ătats-Unis comme mĂ©diateur dans la crise israĂ©lo-palestinienne, parce que les Ătats-Unis sont ouvertement du cĂŽtĂ© d'IsraĂ«l [4]. Il en va de mĂȘme pour l'hypocrite consommĂ© Tony Blair, devenu pour un temps l'envoyĂ© du Quartet pour les nĂ©gociations entre IsraĂ«l et l'AutoritĂ© palestinienne [5], ou pour le reprĂ©sentant spĂ©cial de l'Union europĂ©enne pour le processus de paix israĂ©lo-palestinien [6].
La mĂ©diation doit ĂȘtre confiĂ©e Ă ceux dont les intĂ©rĂȘts ne sont pas liĂ©s Ă l'issue de l'accord. Cela vaut pour le conflit Russie/Ukraine, un conflit qui oppose essentiellement les Ătats-Unis, l'Union europĂ©enne, l'OTAN, l'Ukraine et la Russie. Il est donc Ă©vident qu'un mĂ©diateur crĂ©dible ne peut ĂȘtre ni amĂ©ricain, ni britannique, ni français, ni allemand. Cependant, de nombreux plans de paix et de nombreux mĂ©diateurs qualifiĂ©s ont proposĂ© leurs bons offices, notamment le pape François [7], des dirigeants latino-amĂ©ricains [8], africains [9] et asiatiques [10].
Pour asseoir son autoritĂ© et sa crĂ©dibilitĂ©, le mĂ©diateur ne doit pas avoir dâintĂ©rĂȘt Ă la rĂ©ussite de la mĂ©diation. Non seulement l'impartialitĂ© doit ĂȘtre factuelle, mais le mĂ©diateur se doit Ă©galement de faire preuve de recul sur le plan Ă©motionnel. Le mĂ©diateur ne doit pas seulement savoir Ă©couter, il doit ĂȘtre capable de comprendre les Ă©motions de chaque protagoniste, et se montrer habile dans le maniement de la logique pour rassembler tous les faits et rĂ©cits contradictoires, afin qu'un compromis rationnel puisse voir le jour. Le mĂ©diateur n'a pas pour fonction de remettre en question ou de dĂ©manteler les mythes politiques qui, bien qu'objectivement faux, font l'objet d'une croyance subjective et sont dĂ©fendus avec acharnement. Le mĂ©diateur doit accepter les mythes comme un "factum" avec lequel il faut compter, mais les mythes ne doivent pas dicter l'issue de la mĂ©diation.
Les freins à la réussite
L'intransigeance constitue un obstacle majeur Ă tout dialogue sensĂ©. La haine de l'"ennemi", mais aussi la nĂ©cessitĂ© de rĂ©affirmer sa propre doctrine, la peur de perdre la face au niveau national et international, sont autant de facteurs qui font obstacle au dialogue. Je ne dis pas que les hommes politiques des deux camps sont nĂ©cessairement de mauvaise foi - bien que beaucoup le soient - je constate que de nombreux hommes politiques croient rĂ©ellement Ă leur propre doctrine et sont incapables d'envisager lâĂ©ventualitĂ© dâune erreur dans leur Ă©valuation des faits et de l'histoire prĂ©alable Ă un conflit donnĂ©. Il est Ă©vident que de nombreux hommes politiques, en particulier parmi les pays de l'OTAN, ont un sens de l'autocritique sous-dĂ©veloppĂ© et un sens aigu de l'autosatisfaction. En effet, la mentalitĂ© binaire qui prĂ©vaut dans l'Occident collectif et dans les mĂ©dias dominants divise le monde en bons et mauvais pays, en dĂ©mocraties et autocraties, bien que ces Ă©tiquettes ne s'appliquent pas, en toute objectivitĂ©.
Trois penseurs me viennent Ă l'esprit, qui ont compris la dimension psychologique de la politique de puissance. Comme l'a Ă©crit Saint Augustin d'Hippone dans Civitas Dei 4,4, " loin de la justice, que sont les grands royaumes sinon de grands pillages ?â Quant Ă l'Ă©valuation subjective/objective de la rĂ©alitĂ©, William Butler Yeats Ă©crivait dans The Second Coming [La Seconde Venue] : "Aux meilleurs manque toute conviction, tandis que les pires dĂ©bordent d'intensitĂ© passionnĂ©e" [11]. Plus simplement, Bertrand Russell a dit : "Les fous et les fanatiques sont toujours si sĂ»rs d'eux-mĂȘmes, et les gens plus sages tellement en proie au doute" [12].
Ce qu'aucun médiateur ne devrait suggérer
Les sanctions pénales pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité ne sauraient faire partie de la médiation et encore moins de l'accord de paix, car de telles exigences susciteraient invariablement l'indignation et le ressentiment des deux parties, voire de tiers.
Le droit pĂ©nal international s'est avĂ©rĂ© ĂȘtre une rĂ©gression en termes de droits de l'homme, parce qu'il a trop facilement dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en une guerre juridique contre les fonctionnaires et les militaires Ă©vincĂ©s. L'expĂ©rience montre que les tribunaux de droit pĂ©nal international ont Ă©tĂ© marquĂ©s par la sĂ©lectivitĂ© et la politique du deux poids, deux mesures. Il n'est pas difficile de comprendre que poursuivre certains criminels uniquement, et laisser les autres impunis ne relĂšve pas de la justice, mais d'un outrage Ă la justice. Cela corrompt l'ontologie de l'"Ătat de droit" et l'administration impartiale de la justice. La valeur ajoutĂ©e d'un tribunal pĂ©nal international aurait pu ĂȘtre assurĂ©e si son objectivitĂ© et son professionnalisme avaient pu ĂȘtre garantis de maniĂšre fiable. Le bilan du TPIY et du TPIR est trĂšs mitigĂ©. La Cour pĂ©nale internationale s'est rĂ©vĂ©lĂ©e ĂȘtre une aberration.
Les procĂšs de Nuremberg et de Tokyo, tant vantĂ©s, n'ont Ă©tĂ© possibles que grĂące Ă la capitulation inconditionnelle de l'Allemagne et du Japon, phĂ©nomĂšne qui ne risque pas de se rĂ©pĂ©ter, car toute puissance nuclĂ©aire aurait recours Ă l'arme atomique si son existence Ă©tait menacĂ©e. Il est inconcevable que la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni, les Ătats-Unis - ou mĂȘme IsraĂ«l, le Pakistan ou l'Inde - capitulent un jour sans condition. Dans le cas contraire, le monde tel que nous le connaissons disparaĂźtrait. Par consĂ©quent, n'envisageons mĂȘme pas le fantasme de mettre fin Ă la guerre en Ukraine grĂące Ă une reddition inconditionnelle et aux procĂšs pour crimes de guerre qui s'ensuivraient.
Les procĂšs de Nuremberg et Tokyo sont significatifs non pas en raison de leur valeur de prĂ©cĂ©dent - puisque aucun pays n'a respectĂ© leurs principes depuis leurs jugements respectifs de 1946 et 1947. Rien ne prouve qu'un homme politique quelconque ait Ă©tĂ© dissuadĂ© de s'engager dans un processus d'agression ou de commettre des crimes de guerre Ă la suite de ces jugements, que de nombreux juristes internationaux considĂšrent comme fondamentalement erronĂ©s, car dans les deux cas, nous avons assistĂ© Ă des "tribunaux de vainqueurs", et leurs dĂ©cisions constituaient un vae victis, autrement dit le âmalheur des vaincusâ. Pour ĂȘtre crĂ©dibles, les tribunaux auraient dĂ» poursuivre de la mĂȘme maniĂšre les crimes de guerre commis par les AlliĂ©s, dont beaucoup relevaient du crime contre l'humanitĂ©, notamment l'anĂ©antissement nuclĂ©aire de centres de population Ă Hiroshima et Nagasaki, le ciblage dĂ©libĂ©rĂ© de centaines de villes et de villages en Allemagne qui ont causĂ© la mort de 600 000 civils, ainsi que la mort d'un grand nombre d'entre eux dans des camps de rĂ©fugiĂ©s, l'expulsion raciste de quelque 15 millions d'Allemands de leurs foyers en Prusse orientale, PomĂ©ranie, Brandebourg oriental, Haute et Basse SilĂ©sie, BohĂȘme, Moravie, Hongrie et Yougoslavie, causant la mort de deux millions d'entre eux, ce qui constitue de loin le pire exemple de "nettoyage ethnique" du XXe siĂšcle [13]. Le meurtre d'au moins 15 000 prisonniers de guerre polonais Ă Katyn et ailleurs, sur ordre direct de Josef Staline. De tels mĂ©ga-crimes perpĂ©trĂ©s par les responsables politiques et militaires alliĂ©s restent impunis Ă ce jour.
Les procĂšs de Nuremberg et de Tokyo revĂȘtent une importance primordiale pour les historiens du comportement humain, car ils ont permis de recueillir et de cataloguer des preuves de crimes de guerre et de crimes contre l'humanitĂ©. Ils ont Ă©galement Ă©tĂ© trĂšs utiles Ă la propagande de nombreux pays, appliquĂ©s de maniĂšre sĂ©lective et opportuniste en fonction des besoins politiques des pays.
PlutĂŽt que de dĂ©fĂ©rer les criminels de tous bords du conflit ukrainien devant un tribunal pĂ©nal international ad hoc ou devant la trĂšs discrĂ©ditĂ©e Cour pĂ©nale internationale [14], il suffirait de rappeler aux parties qu'elles doivent s'acquitter de bonne foi des obligations qui leur incombent en vertu des articles 49 Ă 52 de la premiĂšre Convention de GenĂšve de 1949, des articles 50 Ă 52 de la deuxiĂšme Convention de GenĂšve, des articles 129 Ă 131 de la troisiĂšme Convention de GenĂšve et des articles 146 Ă 148 de la quatriĂšme Convention, qui oblige tous les Ătats parties Ă enquĂȘter sur leurs propres criminels, ainsi qu'Ă les poursuivre en justice.
Il suffit de citer l'article 49 de la premiĂšre convention :
âLes Hautes Parties contractantes s'engagent Ă adopter toute lĂ©gislation nĂ©cessaire pour garantir des sanctions pĂ©nales efficaces aux personnes qui commettent ou donnent l'ordre de commettre l'une des infractions graves Ă la prĂ©sente Convention dĂ©finies Ă l'article suivant .
Chaque Partie contractante a l'obligation de rechercher les personnes présumées avoir commis ou donné l'ordre de commettre ces infractions graves et de les traduire devant ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra également, si elle le préfÚre, et conformément aux dispositions de sa propre législation, livrer ces personnes pour qu'elles soient jugées par une autre Haute Partie contractante intéressée, à condition que cette Haute Partie contractante ait pu établir un "commencement de preuve.
Chaque Haute Partie contractante prendra les mesures nécessaires à la répression de tous actes contraires aux dispositions de la présente Convention, à l'exception des infractions graves définies à l'article suivant.
En toutes circonstances, les prévenus bénéficieront des garanties d'un procÚs et d'une défense réguliers, qui ne seront pas moins favorables que celles prévues par les articles 105 et suivants de la Convention de GenÚve relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949".
Ce que les médiateurs doivent proposer
Avant toute chose, le mĂ©diateur doit faire valoir que pour parvenir Ă une paix durable, il faut rĂ©tablir le respect mutuel, ce qui passe notamment par une architecture de sĂ©curitĂ© qui garantisse la souverainetĂ© des Ătats et l'autodĂ©termination des peuples. Ce n'est qu'en concevant des moyens de vivre ensemble en paix et en Ă©tablissant un mĂ©canisme de rĂšglement Ă©quitable des diffĂ©rends que de futurs conflits pourront ĂȘtre Ă©vitĂ©s.
Le médiateur doit persuader les belligérants que trop de sang a été versé et que, pour favoriser la réconciliation, ils ne doivent pas perpétuer la haine en instrumentalisant la justice à des fins de vengeance. La "guerre du droit" internationale s'est avérée contre-productive dans le passé et ne peut favoriser la réconciliation.
Un médiateur pourrait également promouvoir le concept de commissions de vérité et de réconciliation, comme cela a été tenté avec succÚs dans un certain nombre de pays d'Amérique latine et d'Afrique, apportant un certain degré de réparation aux victimes et aux survivants.
Toute proposition de paix doit comporter un engagement en faveur de la Charte des Nations unies et des principes de souverainetĂ© et de droit Ă l'autodĂ©termination des peuples. L'intĂ©gritĂ© territoriale de l'Ukraine dans ses frontiĂšres de 2014 ne pourra pas ĂȘtre rĂ©tablie, car cela violerait inĂ©vitablement le droit Ă l'autodĂ©termination des peuples du Donbass et de CrimĂ©e. En cas de doute sur la volontĂ© de la majoritĂ© des populations rĂ©sidant dans ces rĂ©gions, les Nations unies devraient organiser des rĂ©fĂ©rendums correctement organisĂ©s et contrĂŽlĂ©s.
En effet, la tension entre l'intĂ©gritĂ© territoriale et l'autodĂ©termination ne peut ĂȘtre rĂ©solue que pacifiquement et doit respecter les droits de l'homme de toutes les personnes concernĂ©es. Une paix durable n'est possible que si les populations acceptent de vivre sous un certain gouvernement. Comme l'a Ă©tabli la Cour internationale de justice dans son avis consultatif de 2010 sur le Kosovo, le principe d'intĂ©gritĂ© territoriale ne s'applique qu'Ă l'extĂ©rieur et ne peut ĂȘtre utilisĂ© Ă l'intĂ©rieur pour annuler le droit Ă l'autodĂ©termination des femmes et des hommes vivant dans les territoires en question [15]. De mĂȘme que la population albanaise majoritaire du Kosovo ne peut ĂȘtre forcĂ©e Ă retourner dans l'intĂ©gritĂ© territoriale de la Serbie, les populations russes majoritaires du Donbass et de la CrimĂ©e ne retourneront jamais en Ukraine, Ă moins qu'elles n'en dĂ©cident ainsi d'elles-mĂȘmes, sans contrainte. Mener une guerre contre le droit jus cogens Ă l'autodĂ©termination des peuples est contraire Ă la lettre et Ă l'esprit de la Charte des Nations unies et de tous les traitĂ©s des Nations unies relatifs aux droits de l'homme.
Conclusion
De nombreux plans de paix viables existent, et les dirigeants et penseurs latino-amĂ©ricains, africains, asiatiques et europĂ©ens ont formulĂ© de prĂ©cieuses propositions. Ce qui fait dĂ©faut, c'est la volontĂ© des responsables politiques des pays de l'OTAN d'envisager autre chose que "Poutine doit perdre" [16] ou "l'Ukraine doit gagner" [17]. Il est Ă©vident qu'il s'agit d'une guerre par procuration, et que ce n'est pas seulement le sort de l'Ukraine qui est en jeu, mais la viabilitĂ© d'un monde post-OTAN, c'est-Ă -dire un monde multipolaire sous l'Ă©gide des Nations unies et non sous celle des Ătats-Unis et de l'ancien "dollar tout-puissant".
Le conflit Ukraine-Russie aurait pu ĂȘtre Ă©vitĂ©, et mĂȘme aprĂšs l'invasion russe, il aurait pu ĂȘtre rĂ©solu en quelques semaines via une mĂ©diation bilatĂ©rale honnĂȘte. Mais la guerre en Ukraine est une guerre par procuration classique, oĂč les intĂ©rĂȘts gĂ©opolitiques de nombreux pays, notamment ceux de l'OTAN et de l'UE, jouent un rĂŽle dĂ©cisif. Ces intĂ©rĂȘts s'opposent Ă une paix nĂ©gociĂ©e et font courir au monde le risque d'une confrontation nuclĂ©aire. DĂšs la crise des missiles de Cuba en 1962, il Ă©tait Ă©vident que dans le monde post-nuclĂ©aire, tout conflit entre puissances nuclĂ©aires devait ĂȘtre Ă©vitĂ©, et toute tension dĂ©samorcĂ©e. Malheureusement, nos dirigeants ont oubliĂ© l'avertissement lancĂ© par le prĂ©sident John F. Kennedy le 10 juin 1963 [18] :
"Tout en dĂ©fendant leurs propres intĂ©rĂȘts vitaux, les puissances nuclĂ©aires doivent Ă©viter les confrontations qui placent l'adversaire devant le choix d'une retraite humiliante ou d'une guerre nuclĂ©aire. Adopter une telle attitude Ă l'Ăšre nuclĂ©aire ne serait que la preuve de la faillite de notre politique, ou d'un dĂ©sir collectif de mort du monde."
En consĂ©quence, le monde a besoin de mĂ©diateurs capables de proposer une contrepartie viable, comme ce fut le cas entre les Ătats-Unis et l'Union soviĂ©tique en octobre 1962.
Il est difficile de mettre fin aux guerres par procuration. Les Ătats-Unis ont menĂ© des guerres par procuration en Asie du Sud-Est (Vietnam, Laos, Cambodge), en Afghanistan et en Syrie, faisant des millions de morts, sans pour autant accomplir leur mission (si ce n'est gĂ©nĂ©rer des profits pour le complexe militaro-industriel). Lorsque les Ătats-Unis sont las d'une guerre, ils se retirent et tournent la page. EspĂ©rons que les Ătats-Unis se lassent de l'aventure ukrainienne et dĂ©cident d'y mettre fin unilatĂ©ralement, ou en acceptant une mĂ©diation qui permette de sauver la face.
Bien que la proposition chinoise en 12 points pour la paix [19] soit Ă©quilibrĂ©e et complĂšte, l'Occident collectif est tellement engluĂ© dans sa propre sinophobie politique que les Ătats-Unis et l'UE s'opposeront certainement Ă toute initiative de la Chine, parce qu'ils ne sont pas disposĂ©s Ă lui accorder un regain de prestige international qui rĂ©sulterait d'une mĂ©diation rĂ©ussie.
La proposition africaine en 10 points [20] offre de meilleures chances, car elle Ă©mane d'un continent qui n'est pas perçu par les Ătats-Unis et l'UE comme un "concurrent" ou un rival. Tout mĂ©diateur ferait bien de l'Ă©tudier. En voici les points clĂ©s :
La délégation africaine écoute et comprend les points de vue russe et ukrainien sur la guerre.
La guerre doit ĂȘtre rĂ©glĂ©e et clĂŽturĂ©e par des nĂ©gociations
Une désescalade du conflit des deux cÎtés
L'Afrique reconnaßt la souveraineté des pays et estime que toutes les parties doivent travailler selon des principes internationalement reconnus
Des garanties de sĂ©curitĂ© doivent ĂȘtre mises en place
Appel à la réouverture des transports de céréales à travers la Mer Noire et vers l'Afrique
Fournir une aide humanitaire Ă tous ceux qui souffrent de ce conflit
Libérer tous les prisonniers de guerre des deux camps
Rapatrier tous les enfants déplacés par la guerre
La reconstruction d'aprĂšs-guerre doit ĂȘtre mise en place, et
La poursuite des négociations pour mettre fin à la guerre, avec la contribution de l'Afrique.
Les Africains ont rappelĂ© aux belligĂ©rants que leur guerre constitue un grave danger pour l'ensemble de la planĂšte, et que des tiers non impliquĂ©s en AmĂ©rique latine, en Afrique et en Asie subissent les consĂ©quences de la guerre entre Ătats-Unis, OTAN, Ukraine et Russie. Les rĂ©centes initiatives africaines de mĂ©diation Ă Kiev et Ă Moscou constituent des Ă©tapes novatrices vers la rationalitĂ© dans les relations internationales. Mais les Africains devraient Ă©galement se tourner vers les Ătats-Unis et les pays de l'OTAN, et les persuader que la paix en Ukraine serait un scĂ©nario gagnant-gagnant, non seulement pour le peuple ukrainien, mais aussi pour le reste du monde.
Que la médiation de bon sens commence.
Notes.
[1] https://www.nobelprize.org/prizes/peace/2002/carter/lecture/
[2] Cette expression idiomatique trouve son origine dans la chanson Takes Two to Tango, écrite et composée en 1952 par Al Hoffman et popularisée par la chanteuse Pearl Bailey.
[3] Thomas Boos, Nicholas of Flue, 1417-1487, Swiss Hermit and Peacemaker, The Pentland Press, Edinburgh, 1999.
[4] https://www.nationalwarcouncil.org/2020/01/25/u-s-brokered-peace-attempts-between-israel-and-the-palestinians/
[5] https://www.palestine-studies.org/en/node/162560
[6] https://www.un.org/unispal/document/new-eu-special-representative-for-the-middle-east-peace-process-appointed-press-release/
[7] https://www.ukrinform.net/rubric-society/3729837-pope-war-in-ukraine-requires-creative-efforts-on-way-to-just-peace.html
https://edition.cnn.com/2023/04/30/europe/ukraine-pope-peace-mission-intl/index.html
[8] https://foreignpolicy.com/2023/05/02/brazil-russia-ukraine-war-lula-diplomacy-active-nonalignment/
[9] https://www.nytimes.com/2023/06/16/world/europe/ukraine-russia-african-peace-mission.html
[10] https://www.mfa.gov.cn/eng/zxxx_662805/202302/t20230224_11030713.html
[11] W.B.Yeats, "The Second Coming" httts://poets-org/poem/second-coming.
[12] Bertrand Russell, "The Triumph of Stupidity" 10 mai 1933, in Mortals and Others, Routledge, 2009, p. 204.
[13] Alfred de Zayas, Nemesis at Potsdam, Routledge 1977. De Zayas, A Terrible Revenge, Palgrave/Macmillan 1994.
[14] Voir le chapitre 4 de mon livre The Human Rights Industry, Clarity Press, Atlanta, 2023.
[15] https://www.icj-cij.org/case/141. Voir en particulier le paragraphe 80.
[16] https://www.msn.com/en-gb/news/world/von-der-leyen-says-putin-must-lose-the-war-and-calls-for-more-democracy-in-response-to-russia-and-china/ar-AA11ehzj
https://www.ndtv.com/world-news/russia-president-vladimir-putin-must-face-world-criminal-court-over-war-crimes-in-ukraine-eu-chief-3348751
[17] https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2022/09/ukraine-victory-russia-putin/671405/
https://time.com/6257285/ukraine-war-victory/
[18] https://time.com/6257285/ukraine-war-victory/
[19] https://www.mfa.gov.cn/eng/zxxx_662805/202302/t20230224_11030713.html
[20] https://www.globalresearch.ca/african-peace-mission-live-stream-broadcasting-russia-talks-cut-as-putin-interrupted-presentations/5822731
* Alfred de Zayas est professeur de droit Ă l'Ăcole de diplomatie de GenĂšve et a Ă©tĂ© expert indĂ©pendant de l'ONU sur l'ordre international de 2012 Ă 18. Il est l'auteur de dix ouvrages, dont "Building a Just World Order", Clarity Press, 2021.
https://www.counterpunch.org/2023/07/11/a-common-sense-approach-to-mediation-for-peace/