👁🗨 Alors que tous les regards sont tournés vers Gaza, les colons israéliens oeuvrent à une seconde Nakba en Cisjordanie.
Le “Plan final” de Bezalel Smotrich conclut que “la victoire par la colonisation imprimera dans la conscience des Arabes et du monde l'idée qu'un État arabe ne verra jamais le jour sur cette terre”.
👁🗨 Alors que tous les regards sont tournés vers Gaza, les colons israéliens oeuvrent à une seconde Nakba en Cisjordanie.
Par Peter Oborne & Angelo Calianno, le 13 janvier 2024
Sous le contrôle de l'armée, les colons israéliens tuent des Palestiniens et en chassent d'autres de leurs terres, alors que le bain de sang se poursuit à Gaza.
Peu de villes au monde sont aussi belles que Naplouse, surnommée la “Reine sans couronne de Palestine”.
Fondée par l'empereur Vespasien, deux ans après la destruction du temple de Jérusalem en 70 avant J.-C., cette ancienne ville palestinienne aux collines douces et pavée de grès est riche en histoires de l'antiquité.
Le soir, lorsque le soleil commence à baisser et que les ombres s'allongent, il est facile d'imaginer les légionnaires arpentant ces rues labyrinthiques. Le canal romain coule toujours sous la ville et longe l'amphithéâtre.
Pendant la majeure partie de son histoire, Naplouse, qui se trouvait sur la route marchande entre Damas, Jérusalem et Le Caire, a été un important centre de commerce et de manufacture. La bourse palestinienne était basée à Naplouse.
Aujourd'hui, cependant, sa situation a radicalement changé.
Aujourd'hui, c'est une ville en état de siège.
Cernées de toutes parts par des colonies israéliennes illégales et des bases militaires, les routes menant à Naplouse et en provenance de la ville révèlent le scandale sur lequel la communauté internationale est restée largement silencieuse.
La route menant à Ramallah traverse Huwwara, un village palestinien occupé qui, pendant des années, bien avant les attentats du 7 octobre, a été en proie à la violence des colons.
En février de l'année dernière, les colons ont dévasté ce village, brûlant des voitures, incendiant des terres agricoles et vandalisant des maisons, dans un acte largement qualifié de pogrom.
Mais depuis, la situation de nombreux Palestiniens a empiré.
Les Palestiniens qui tentent de se rendre à Naplouse ou d'en sortir doivent souvent faire des détours pour éviter de croiser des soldats israéliens. Plus grave encore, ils risquent de tomber sur des colons israéliens armés.
Depuis l'attaque du 7 octobre, les colons, qui ont reçu ces dernières années des centaines de millions de dollars de financement public, ont perpétré plus de 200 attaques contre des Palestiniens, selon B'Tselem et Yesh Din, deux groupes de défense des droits de l'homme qui documentent les attaques perpétrées en Cisjordanie.
Dans le même temps, les forces israéliennes ont tué plus de 200 personnes, dont plus de 25 % d'enfants, selon les Nations unies.
Depuis la signature des accords d'Oslo en 1993, dont l'objectif était d'établir un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza, le nombre de colons israéliens en Cisjordanie est passé d'environ 260 000 à près de 700 000, selon les chiffres du groupe de pression israélien Peace Now.
Les colonies sont considérées comme illégales au regard du droit international, mais les gouvernements israéliens successifs ont continué à les multiplier en violation du droit international et des accords d'Oslo.
Les Palestiniens de Cisjordanie craignent que l'augmentation des colonies et des avant-postes ne menace non seulement la viabilité de leur futur État, mais aussi leurs moyens de subsistance.
En novembre dernier, la multiplication des attaques de colons a contraint de nombreux Palestiniens à annuler la récolte des olives, période traditionnellement heureuse où les familles se rendent dans les collines pour cueillir les fruits des anciens oliviers aux troncs noueux.
Depuis des années, les colons descendent de leurs résidences fortifiées au sommet des collines et viennent détruire les précieux oliviers, en les brûlant, en les abattant ou en les empoisonnant avec des produits chimiques.
Mais avec la guerre contre Gaza, ils sont nombreux à avoir redoublé d'audace dans leurs agressions.
Nous avons appris que des agriculteurs ont été la cible de tirs de mitrailleuses pour les forcer à quitter leurs terres afin que les colons puissent récolter eux-mêmes les olives.
Ces attaques ont sonné le glas de l'économie rurale, qui dépend de l'agriculture depuis des siècles.
“Ils veulent nous faire peur, nous humilier”
Des familles de Cisjordanie, déjà hantées par les déplacements de population antérieurs, ont déclaré à Middle East Eye qu'elles craignaient que de tels crimes, sur lesquels le système judiciaire israélien ne mène pas d'enquêtes appropriées, n'ouvrent une nouvelle période de spoliation forcée.
À Balata, l'un des camps de réfugiés les plus densément peuplés de Palestine, de nombreuses personnes ont déclaré à MEE qu'après l'attaque du 7 octobre, elles craignaient une réédition de la Nakba, ou “catastrophe” comme on dit en français, lorsque plus de 700 000 Palestiniens ont été chassés de chez eux par les forces sionistes pour ne plus jamais y revenir.
Les signes de la destruction causée par les incessants raids militaires israéliens sont visibles.
“La nuit dernière, nous avons été bombardés par un avion [israélien]. Puis les drones, les tireurs d'élite et les bulldozers sont arrivés”,
a déclaré à MEE un Palestinien qui a souhaité garder l'anonymat.
Sur le site du raid, les pluies hivernales et la boue ont rendu la scène encore plus apocalyptique.
“Les soldats israéliens l'ont frappé [mon frère] tant et tant au visage qu'il a perdu connaissance. Malgré cela, un soldat lui a ordonné de lécher le sang sur sa botte”. — Adhan, habitant de Balata
Parmi les ruines encore fumantes se trouvaient les restes d'une grenade et d'une roquette non explosée.
Un autre Palestinien décrit ce qui reste de sa chambre à coucher : un tas de décombres dont les murs extérieurs sont criblés de balles.
Non loin de là, un groupe de garçons a montré à MEE ce qui est arrivé à leur maison. Les forces israéliennes ont mis à sac la maison, éparpillant des jouets et des vêtements.
“Ils ont enfoncé notre mur à coups de masse, ils ont dit qu'ils cherchaient des armes à l'intérieur, mais il n'y a rien de tout ça ici”, a déclaré l'un des garçons.
“Ils ont cassé nos appareils électroménagers juste pour nous faire peur. Ils ont également déchiré des livres et des cahiers d'enfants. C'est ce qu'ils font, ils veulent nous faire peur, nous humilier”.
C'est alors qu'un autre homme intervient :
“Ils nous ont mis face au mur avec des fusils pointés sur nos têtes. Ils nous ont dit : ‘Vous êtes contents de ce que vous avez fait le 7 octobre ? Avez-vous vu Gaza maintenant ? Vous serez les prochains’”.
Battu pour ne pas avoir léché sa botte
Plusieurs Palestiniens libérés ont raconté des histoires terribles lorsqu'ils ont été arrêtés par des soldats israéliens à Balata.
Anas, un jeune homme de 27 ans, a reçu un coup de pied au visage lors de sa dernière arrestation et un soldat israélien lui a ordonné de lécher ses bottes tachées de son sang.
Nous avons parlé à sa famille, Anas étant toujours en convalescence à l'hôpital. Ils ont dénoncé les tactiques musclées d'Israël en Cisjordanie.
Adhan, son frère cadet, a déclaré à MEE que lors du raid sur leur propriété, sa sœur, qui berçait un bébé, avait également été frappée et maltraitée par des soldats israéliens.
“Nous avons crié aux soldats : ‘Comment pouvez-vous frapper une femme avec un bébé ?’” Ils ont alors rassemblé tous les hommes, nous ont emmenés dans la rue, nous ont menottés et nous ont mis face contre terre.
“Ils ont commencé à nous battre, mon frère Anas a été le plus durement touché. Ils lui ont donné tellement de coups de pied au visage qu'il a perdu connaissance. Malgré cela, un soldat lui a ordonné de lécher le sang de sa botte. Mais mon frère ne réagissait plus, il était inconscient. Nous avons appelé une ambulance, mais ils l'ont bloquée, empêchant toute aide de venir.
Tous ces sévices et humiliations ont eu lieu en présence d'enfants qui, terrifiés, criaient en regardant la scène.
L'un des enfants, Ahmad, a eu du mal à retenir ses larmes en racontant ce qui s'est passé.
“Il y avait des soldats, ils frappaient très fort ces hommes”, a-t-il déclaré, alors qu'il peinait à terminer sa phrase.
Sa mère est intervenue :
“Pendant ce temps-là, ils nous disaient, à nous les femmes, des choses que je ne peux pas répéter, des insultes horribles qui nous font beaucoup de mal. Je ne suis pas à l'aise pour raconter ces choses publiquement, mais je sais qu'il est important que les gens sachent. Le monde doit savoir.”
Un autre homme a déclaré :
“Les soldats [israéliens] savent très bien ce qui offense les femmes musulmanes. Les insultes qu'ils leur lancent sont si atroces qu'aucune femme ne les répétera jamais, tant elles sont humiliantes”.
Tous les regards sont tournés vers Gaza
En marchant dans les rues de Balata, on entend presque tous les postes de télévision branchés sur des chaînes diffusant les dernières nouvelles de Gaza.
De nombreux Palestiniens de Cisjordanie ont fermé leurs commerces pour protester contre les bombardements incessants d'Israël sur Gaza, où la quasi-totalité des 2,3 millions d'habitants de l'enclave ont été déplacés en trois mois de guerre.
Ces dernières semaines, Israël a fait l'objet de pressions croissantes de la part des pays du Sud pour mettre fin à son assaut sur Gaza, où le nombre de morts a dépassé les 23 000, dont environ 70 % de femmes et d'enfants.
Mais avec la répression répétée par Israël des actes de solidarité avec Gaza, les manifestations publiques de protestation ont été rares.
L'atmosphère du camp de réfugiés de Balata a rapidement changé en l'espace de quelques minutes, lorsque de jeunes hommes armés ont envahi l'une des rues principales, avertissant les habitants qu'Israël préparait un nouveau raid.
Des dizaines de personnes se sont précipitées pour bloquer l'entrée principale du camp afin de ralentir l'arrivée des soldats israéliens, à l'aide de pierres, de rochers, de morceaux de tôle et de tout ce qu'ils pouvaient rassembler.
Lors de ce raid israélien, au moins un Palestinien a été tué.
Où est donc passée l'Autorité palestinienne ?
Balata et d'autres régions voisines de Cisjordanie étaient traditionnellement des bastions du Fatah, mais après des années d'impasse politique et d'inaction face à Israël, le parti autrefois dominant a vu sa popularité chuter à un niveau record.
Le bloc de l'Allégeance islamique, lié au Hamas, a battu de justesse le Mouvement de la jeunesse étudiante, affilié au Fatah, lors des élections du conseil étudiant à l'université nationale An-Najah de Naplouse en mai dernier.
Les analystes estiment que ces résultats reflètent la colère croissante contre les dirigeants du Fatah, dirigés par Mahmoud Abbas, 88 ans, président de l'Autorité palestinienne (AP).
De nombreux Palestiniens ordinaires ont déclaré que l'organisation était devenue inutile, compromise et dépassée. Depuis l'attentat du 7 octobre, la sympathie pour le Hamas a explosé dans l'ensemble de la Cisjordanie.
Lors des récents échanges de prisonniers, les drapeaux du Hamas sont apparus de plus en plus fréquemment. Et lors de presque toutes les manifestations ou marches, on pouvait entendre des chants faisant l'éloge du mouvement palestinien.
“Pour les Palestiniens, la politique est particulièrement importante. Tout le monde ici, d'une manière ou d'une autre, fait de la politique “,
a déclaré un homme à MEE lors de la veillée funèbre d'un combattant récemment tué.
“Je suis membre du Fatah ; je suis né avec ce parti et je mourrai avec lui. Cependant, ce que le Hamas a fait, pour la première fois, a renversé la situation. Beaucoup accusent le Fatah de ne pas avoir fait grand-chose pour la cause palestinienne au cours des 25 dernières années.
“Certains membres du parti ont favorisé leurs propres intérêts en concluant des accords avec Israël, tout cela sur le dos du peuple palestinien. Le Hamas, quant à lui, a attiré l'attention du monde sur ce qui se passe ici. C'est pourquoi on voit souvent des drapeaux du Hamas et on entend des chants en leur honneur, même de la part de ceux qui ne les soutenaient pas.”
Les personnes avec lesquelles MEE s'est entretenu ont identifié un autre problème : l'Autorité Palestinienne s'est montrée incapable ou peu désireuse de résister aux incursions quotidiennes des forces israéliennes à Naplouse, et n'a pas essayé de protéger les villageois palestiniens des assauts des colons dans les villages avoisinants.
Face à ce schéma qui se reproduit dans toute la Cisjordanie, nombreux sont ceux qui commencent à s'interroger sur l'utilité de l'Autorité palestinienne si elle n'est pas en mesure de défendre les Palestiniens.
Les colons profitent de la guerre
Contrairement aux zones urbaines de Cisjordanie, où les Palestiniens sont nombreux à pouvoir résister aux attaques des colons, les villages isolés sont souvent à la merci de colons déchaînés soutenus par l'armée israélienne.
Cette situation n'est nulle part plus criante que dans les collines du sud de l'Hébron.
Dans le village de Tuwani, situé dans la zone C, sous contrôle total de l'armée et des autorités civiles israéliennes, les villageois n'ont pas le droit de posséder d'armes.
Selon les Nations unies, en 2023, il y a eu en moyenne trois épisodes de violence commis par des colons par jour en Cisjordanie. Depuis le 7 octobre, ce chiffre a plus que doublé, passant à sept par jour en moyenne, plus d'un tiers d'entre eux impliquant des armes à feu.
Le patriarche Hafez Hureini a expliqué à MEE que les colons armés avaient fait régner la terreur en s'emparant du bétail, détruisant les réservoirs d'eau, brisant les panneaux solaires, rasant les dépendances au bulldozer et saccageant les oliveraies.
“Ils ont rasé au bulldozer toutes nos terres avec les oliviers et les terrasses, détruisant tout. Nous n'osons même pas nous approcher à 20 mètres de nos terres”, a déclaré Hureini.
“Les colons profitent de la guerre [à Gaza] pour s'emparer des terres. Aujourd'hui, ils contrôlent tout ce qui se passe ici. Ils bloquent l'entrée de nos villages. Ils volent nos biens. Ils brisent nos panneaux solaires et détruisent au bulldozer les bâtiments agricoles, les arbres et les murs de pierre.
Son fils Mohammed montre à qui veut la voir la vidéo des colons en treillis militaire qui envahissent sa propriété. Lorsqu'on lui a demandé s'il s'agissait de soldats de l'armée israélienne, il a répondu qu'il n'en était pas sûr.
“Nous n'avons pas le droit de faire appliquer la loi. Nous ne sommes pas en sécurité. Nos vies sont réellement en danger.”
Il a ajouté que la situation était pire dans les villages les plus isolés, où les gens ont déjà commencé à fuir les violences.
Les colons sont clairs sur leurs intentions. Ils disent aux villageois palestiniens :
“Allez en ville. Allez à Yatta. Dans 24 heures, si vous êtes encore là, nous vous tuerons”, a-t-il ajouté.
MEE a précédemment rapporté que des colons israéliens avaient distribué des tracts menaçants et laissé des poupées ensanglantées dans des écoles, avertissant les Palestiniens de partir ou d'être tués.
Les habitants d'un village de Cisjordanie ont déclaré avoir reçu des lettres d'avertissement sur lesquelles on pouvait lire :
“Vous vouliez la guerre - attendez la grande Nakba.”
Selon les informations fournies par le West Bank Protection Consortium (WBPC) et le groupe israélien de défense des droits de l'homme Yesh Din, environ 545 Palestiniens ont été déplacés de force d'au moins 13 communautés depuis le 7 octobre dans la zone C, une partie de la Cisjordanie occupée placée sous le contrôle des forces de sécurité et de la police civile israéliennes.
Des Bédouins contraints de vivre dans des grottes
En arrivant au village de Halaweh, à quelques kilomètres d'Hébron, plusieurs familles bédouines ont déclaré que leur situation était passée sous silence alors que des colons armés et des soldats ont fait disparaître des villages bédouins entiers en Cisjordanie.
“Les soldats [israéliens] ont exproprié une grande partie de nos terres”, a déclaré un Bédouin à MEE.
“Souvent, les colons nous tirent dessus pour nous empêcher d'apporter de l'aide et des soins médicaux aux villages.” — Un médecin
“Comme vous pouvez le voir, il n'y a plus de routes, plus de pâturages pour nos animaux. Cette zone est [maintenant] utilisée pour les exercices militaires. Ils [les soldats israéliens] viennent, ils démolissent les tentes et les bâtiments que nous avons construits. Nous avons donc creusé des trous dans la terre, nous en avons fait des grottes et nous y vivons.
“Ainsi, au moins, ils ne peuvent plus faire sauter nos maisons”.
La violence a contraint des communautés entières à quitter leurs terres. Près de 1 000 Palestiniens appartenant à au moins 15 communautés d'éleveurs ont dû fuir leurs maisons.
Une équipe de médecins apportant des médicaments dans les zones les plus rurales a déploré la situation désastreuse et le soutien apporté par le gouvernement israélien aux groupes de colons.
“Nous nous déplaçons aujourd'hui, samedi, parce que c'est shabbat, la situation devrait être plus calme parce qu'ils [les Israéliens] sont occupés à prier”, a déclaré un médecin à MEE.
“Souvent, les colons nous tirent dessus pour nous empêcher d'aller aider les villageois et de leur apporter des soins médicaux. Parfois, les soldats le font aussi. Ils ferment les routes avec des points de contrôle mobiles, si bien que nous devons faire demi-tour, privant ainsi de nombreuses familles de soins médicaux”, a-t-il ajouté.
Les données de Yesh-Din ont montré qu'entre 2005 et 2022, au moins 93 % de toutes les enquêtes sur des crimes à motivation idéologique en Cisjordanie ont été closes sans inculpation.
MEE a contacté l'armée israélienne pour obtenir des commentaires, mais n'a pas reçu de réponse à l'heure de la publication.
Une “ville fantôme”
Hébron est l'une des villes les plus peuplées de Cisjordanie, mais les tensions entre colons israéliens et Palestiniens sont montées en flèche depuis les attentats du 7 octobre.
Située à quelque 32 km de Jérusalem-Est occupée, Hébron a été divisée en deux en 1997 : la zone H1 est placée sous le contrôle administratif et la sécurité de l'Autorité palestinienne (AP) ; la zone H2 est gérée administrativement par l'AP mais contrôlée par l'armée israélienne, qui décide en dernier ressort de l'entrée et de la sortie de la zone.
La vieille ville historique d'Hébron abritait autrefois l'un des plus beaux marchés de tout le Moyen-Orient.
Aujourd'hui, on dirait une ville fantôme.
Intensivement surveillée par les forces israéliennes et la police, des caméras de surveillance sont installées tous les 90 mètres dans H2, la zone administrée par l'Autorité palestinienne.
Des soldats israéliens et des colons armés patrouillent désormais en uniforme militaire, alors que les rues sont pratiquement vides des 35 000 résidents palestiniens de la zone.
La situation est devenue si grave que beaucoup n'osent pas sortir de chez eux, les restrictions empêchant les musulmans de prier dans leur propre mosquée, la Masjid-E-Khalil.
Les soldats israéliens ont construit un portail équipé d'un détecteur de métaux et surveillé par des gardes armés. Lorsque nous arrivons, ils nous demandent notre religion ; l'entrée n'est autorisée que si les soldats le veulent bien.
Fawaz est l'un des derniers vendeurs de la vieille ville. Nous lui demandons ce qu'il ressent aujourd'hui en voyant Hébron réduite à cet état.
“Vous le voyez de vos propres yeux. Bien que nous ayons mis en place des dispositifs de protection, ils continuent à nous jeter tout ce qu'ils veulent par les fenêtres : des pierres, des bouteilles, des ordures et parfois même des excréments. La situation est devenue intolérable. Nous ne sommes plus que très peu à tenir encore un magasin ouvert”, a-t-il déclaré à MEE.
“Aujourd'hui, cependant, tout est moins important que ce qui se passe à Gaza. Tout ce qui se passe ici n'est rien comparé au massacre que subit notre peuple à Gaza.”
Le directeur d'une organisation de politique sociale à Naplouse s'est fait l'écho de ce point de vue :
“Nous ne pouvons pas crier que nous ne pouvons pas manger alors que des gens sont massacrés à Gaza”, a-t-il déclaré.
Quand la guerre cessera
De nombreux Palestiniens de Cisjordanie croient fermement qu'après la fin de la guerre à Gaza, le gouvernement israélien s'en prendra probablement à eux.
Les dirigeants et les hommes politiques israéliens, tout comme les colons, ont à maintes reprises mis en garde contre une “seconde Nakba” et contre leur ambition de chasser les Palestiniens de leurs maisons ancestrales.
Cette rhétorique s'est normalisée, un nombre croissant d'Israéliens appelant désormais à la “gazafication” de la Cisjordanie. Un tel scénario verrait Israël raser et occuper davantage de terres palestiniennes dans la zone C.
Pour beaucoup, la situation en Cisjordanie fait écho au plan élaboré par l'actuel ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich.
Il y a environ sept ans, alors qu'il était un jeune membre de la Knesset encore peu connu, M. Smotrich a publié un document rejetant la solution des deux États et proposant
“la pleine souveraineté israélienne sur les régions centrales de Judée et de Samarie”, ainsi que la création de “nouvelles villes et colonies à l'intérieur du territoire et l'installation de centaines de milliers de colons supplémentaires pour y vivre”.
Le “Plan final” de Smotrich concluait que “la victoire par la colonisation imprimera dans la conscience des Arabes et du monde l'idée qu'un État arabe ne verra jamais le jour sur cette terre”.
À l'époque de la publication du “Plan final”, Smotrich était souvent considéré comme un extrémiste. Aujourd'hui, il est chef du parti sioniste religieux et ministre des Finances dans le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Dans le cadre de l'accord de coalition, il a également obtenu le poste de chef de l'administration civile en Cisjordanie. Il est aujourd'hui en mesure de mettre en pratique sa conception de longue date. L'administration civile dirigée par Smotrich lui permet d'exercer un contrôle total sur presque tous les aspects de la vie des Palestiniens.
“Ceux qui souhaitent renoncer à leurs aspirations nationales peuvent rester ici et vivre en tant qu'individus dans l'État juif”,
stipule le plan final. Ils n'auraient toutefois pas le droit de vote.
Quant à ceux “qui choisissent de ne pas renoncer à leurs ambitions nationale”, ils “recevront une aide pour émigrer”. Ceux qui n'acceptent aucune de ces alternatives, mais choisissent de prendre les armes contre Israël seront traqués et tués en tant que terroristes.
Cette vision exclut explicitement l'idée d'une identité palestinienne, sans même parler d'un État, position qui constitue également l'élément central de la politique déclarée du gouvernement de M. Netanyahu.
Alors que la Cour internationale de justice a tenu cette semaine des audiences sur une affaire portée par l'Afrique du Sud, selon laquelle la campagne militaire israélienne à Gaza équivaut à un génocide, de nombreuses personnes en Cisjordanie ont admis que le jugement attendu ne mettra pas fin de sitôt à l'occupation israélienne, en cours depuis 75 ans.
“Les choses sont plus terrifiantes que jamais”,
a déclaré une jeune femme à MEE.
Pour elle, et pour d'innombrables autres personnes en Cisjordanie, les Palestiniens continueront d'être anéantis par la mort et le désespoir, sous le regard du monde.