👁🗨 Anarchie levantine : vos rêves d'avenir ne seront que chaos
“Le plan américain, c'est l'anarchie”. En Asie de l'Ouest, où le coup de poignard dans le dos est un art, on peut s'attendre à un retour de bâton. La guerre des BRICS ne fait que commencer.
👁🗨 Anarchie levantine : vos rêves d'avenir ne seront que chaos
Par Pepe Escobar, le 19 décembre 2024
Téhéran et Moscou ne se font pas d'illusions et se préparent en conséquence. La guerre des BRICS ne fait que commencer.
La Syrie telle que nous la connaissions est éviscérée en temps réel - en termes géographiques, culturels, économiques et militaires - par une confluence effroyable de foules mercenaires ‘Jihadistes à louer’ et de génocidaires psychopathologiques vénérant l'autel d'Israël.
Le tout est pleinement soutenu par des hyènes enragées de l'OTAN - passées maîtres dans le contrôle narratif - et pleinement intriquées dans l'éradication de la Palestine.
Dans la Majorité Mondiale, le sentiment est que l'Axe de Résistance, momentanément épuisé, va devoir se mettre en mode turbo-Sisyphe pour réorganiser, réapprovisionner et réétalonner la défense de la Palestine.
Comme on pouvait s'y attendre, la sphère de l'OTAN ne pipe mot sur les bombardements sauvages et aveugles de Tel-Aviv et sur son appropriation du territoire souverain de la Syrie. Encore une illustration frappante de “l'ordre international fondé sur des règles” en action.
Le Think Tankland occidental collectif est en extase. Chatham House prêche une reconstruction de la Syrie en ce “moment décisif” sous la houlette des États-Unis, de l'UE, du Qatar, de l'Arabie saoudite et de la Turquie, afin de “forger un consensus autour de la Syrie” susceptible de “servir de fondement à un nouvel ordre régional”.
Le Center for a New American Security (CNAS), radicalement anti-BRICS, exige “l'expulsion de la présence militaire russe” de Syrie et “de fermer le pays à la progression de la puissance iranienne”.
On pleure l'Axe de la Résistance sur tous les fronts. Mais pas si vite. Le sens profond du “cessez-le-feu” entre Israël et le Hezbollah réside en ce que les psycho-pathologiques, dans les faits, ont été vaincus, même s'ils ont infligé de terribles ravages au Sud-Liban et dans la banlieue de Beyrouth.
Transformer le récit - et l'objectif - en offensive du Grand Idlibistan a conduit à une victoire tactique massive avérée, non seulement pour les voyous d'Israël, mais aussi pour le combo OTANstan/Turquie réunis. Pourtant, le véritable casse-tête commence maintenant, alors même que la partition de la Syrie est déjà effective.
La bande de rentiers djihadistes, en théorie sous la coupe de l'aspirant calife d'Al-Sham, le Saoudien al-Jolani, de son vrai nom Ahmad Ibrahim al-Sha'a, pourrait tôt ou tard se retourner contre le projet d'Israël, sachant qu'elle entretient des relations cordiales avec le Hamas à Gaza.
En tout cas, pour l'instant, tout va bien pour les projets d'Oded Yinon et/ou de Bernard Lewis de soumettre l'Asie occidentale par le biais de la bonne vieille formule “diviser pour régner”. Cela remonte non seulement à Sykes-Picot en 1917, mais aussi à 1906, alors que le Premier ministre britannique Henry Campbell-Bannerman affirmait la chose suivante :
“Il y a des gens [les Arabes] qui contrôlent de vastes territoires riches en ressources apparentes et invisibles. Ils contrôlent les carrefours des voies internationales. Leurs terres forment le berceau des civilisations et des religions de l'humanité.
“Si ces “peuples” s'unissaient, “le destin du monde serait entre leurs mains et l'Europe se trouverait coupée du reste du monde”.
“D'où la nécessité d'un “organe étranger” [constitué plus tard sous le nom d'Israël] à “ implanter au cœur de cette nation pour empêcher la convergence de ses ailés, de sorte qu'elle s'épuise dans des guerres sans fin. Cela pourrait également servir de base à l'Occident pour réaliser ses ambitions”.
Les pirates du Levant
L'hallucination d'Israël se marie mal avec le rêve néo-ottoman du sultan Erdogan, même s'ils coïncident dans la volonté plus générale de redessiner la carte de la Méditerranée orientale et de l'Asie de l'Ouest.
Quant aux Exceptionnalistes, ils n'en croient pas leurs yeux. D'un coup d'un seul, ils viennent de faire main basse sur le nœud stratégique clé d'un concept désormais enterré : l'arabisme, ou l'anti-impérialisme du Levant.
Depuis que Barack Obama, au début des années 2010, a déclaré la guerre à la Syrie sous les ordres de Tel-Aviv, l'Empire du Chaos s'est acharné sur Damas pendant au moins 13 ans : la campagne de renversement de régime la plus longue et la plus coûteuse de l'histoire des États-Unis, à grand renfort de sanctions délétères et de famine provoquée - jusqu'à ce que, soudain, le gros lot lui tombe dessus.
Cette récompense consiste - en théorie - à écraser un allié de trois grands pays des BRICS, la Russie, l'Iran et la Chine, avec pour bonus de le convertir en un trou noir géoéconomique tout en trafiquant le récit pour faire gober la “fin du dictateur” à la Majorité Mondiale comme préalable à l'avènement d'un nouveau Dubaï.
Nous ne savons toujours pas à quoi ressemblera la Syrie, ni même combien de temps elle sera gouvernée par une bande de salafistes-djihadistes néolibéraux à la barbe taillée et aux costumes neufs bon marché.
Le fait est que l'Hégémon contrôle déjà au moins un tiers du territoire syrien depuis au moins une décennie et qu'il continuera à voler le pétrole et le blé syriens en toute impunité : les Pirates du Levant en costume d'apparat.
Le MI6 britannique jouera le rôle de second couteau en continuant d'exceller dans les opérations de relations publiques, le lobbying tous azimuts et les opportunités de trafic d'armes pour la crédule brochette hétéroclite des mercenaires salafistes et djihadistes.
Quand à Tel Aviv, ils sont en train de démolir la plus grande opposition militaire arabe qui subsiste en Israël, de voler/annexer des terres sans relâche et de rêver d'une domination totale, aérienne et navale, au cas où la Russie perde ses bases de Tartous et de Hmeimim (un grand “au cas où”). Sans parler de leur contrôle indirect sur le nouveau calife, qui leur a docilement demandé de ne pas conquérir trop de terres syriennes, s'il vous plaît.
La partition se fera selon trois grands axes.
les terres et les bases militaires contrôlées par l'hégémon - pouvant servir de base pour attaquer l'Irak. Oubliez la Syrie faussement souveraine qui récupère ses champs de pétrole.
Des terres annexées par la Turquie qui vont inévitablement mener au rattachement complet d'Alep (déjà proclamé par le sultan).
Damas gérée par une émanation de l'État islamique directement manipulée par les services secrets turcs.
Tout ce qui précède pourrait se traduire, dès le premier trimestre 2025, par une sorte de dispositif de sionisation salafisto-djihadiste avec pour seul objectif l'allègement des sanctions imposées par les États-Unis et l'Union européenne.
Quant à al-Jolani, de son vrai nom Ahmad Ibrahim al-Sha'a, malgré tout son relookage woke, il a été le lieutenant d'Al-Zarkawi et l'émir de Ninive pendant le saccage d'Al-Qaïda en Irak (AQI, plus tard reconverti en État islamique) en Mésopotamie. Pas question pour Bagdad de nouer des relations politiques avec un salafiste-djihadiste qui figure sur la liste des personnes les plus recherchées d'Irak.
Les conditions posées par l'UE à la normalisation de la Syrie, telles qu'énoncées par l'Estonienne non élue et folle à lier responsable de la politique étrangère de l'UE (et représentant près de 500 millions de citoyens européens), constituent un casse-tête supplémentaire : Bruxelles ne lèvera les sanctions que si les bases russes et “l'influence russe” disparaissent du califat d'al-Cham.
Pendant ce temps, l'Empire du Chaos entend poursuivre son pillage - de concert avec Israël. Le pétrole syrien volé par les Américains est vendu par les Kurdes à Israël à Erbil avec un énorme rabais. Après tout, ce pétrole est “gratuit”, puisque volé. Au moins 40 % du pétrole d'Israël provient du racket d'Erbil.
Et ce n'est pas fini.
Israël a annexé le barrage Al-Wahda dans le bassin de la rivière Yarmouk, près de la ville d'Al-Qusayr dans le gouvernorat de Dara'a, et près de la frontière jordanienne. Ce barrage fournit au moins 30 % de l'eau de la Syrie et 40 % de l'eau de la Jordanie.
Tout est si prévisible : ce que le combo OTAN/Israël veut vraiment, c'est une Syrie amputée, éclatée, vulnérable.
L'empire du chaos passe à l'anarchie absolue
Pourtant, l'équation toxique est loin d'être figée. L'aspirant calife Jolani pourrait être tenté de permettre à la Russie de conserver ses bases - et de transporter ses équipements militaires hors du pays - intactes. Il est en contact étroit avec Moscou, et HTS protège de facto les actifs russes.
Parallèlement, le Hezbollah a fait savoir qu'il était prêt à “coopérer” avec HTS, qui, soit dit en passant, protège également l'ambassade iranienne à Damas.
Par ailleurs, rien ne permet d'affirmer que l'invasion du Grand Idlibistan est un cheval de Troie approuvé sur la table des négociations du - défunt - “processus d'Astana” avant même la fatidique réunion de Doha, le samedi 7 janvier.
Ce qui est certain, c'est que Moscou comme Pékin privilégient les scénarios globaux à long terme. Pour l'instant, les Chinois sont extrêmement circonspects sur le drame syrien, si ce n'est qu'ils se déclarent “prêts à jouer un rôle constructif”. Pékin et Moscou voient la Syrie comme un revers temporaire pour les BRICS, infligé par un empire en proie au désespoir, avec son allié Israël tout aussi désespéré et un sultan qui a les yeux plus gros que le ventre.
Le canard boiteux Biden n'a pas la moindre vision de l'émergence d'un - possible - vecteur hégémonique israélo-turc dans un nœud clé de l'Asie de l'Ouest. La seule chose qui compte pour les néo-conservateurs straussiens et leurs potes psycho-apocalyptiques de Tel-Aviv, concernant la désintégration de la Syrie, c'est la fenêtre d'opportunité qui s'ouvre à Israël pour attaquer l'Iran.
Le Times of Israël s'extasie : alors qu'auparavant
“l'IAF ne volait pas directement au-dessus de Damas lorsqu'elle effectuait des frappes sur des cibles associées à l'Iran dans la capitale, elle peut désormais se le permettre”.
La clé de l'énigme réside peut-être, une fois de plus, en Jolani. En Asie occidentale, tout est perpétuel changement. Quelques jours seulement après la chute de Damas, le sultan Erdogan ainsi que l'OTAN ont refusé d'aider Jolani à contrer l'assaut israélien en Syrie.
Question de “souveraineté” du califat en devenir.
Alors vers qui Jolani pourrait-il se tourner pour trouver d'éventuels alliés ? Et sur qui peut-il compter pour imposer un peu d'ordre dans une Syrie totalement éclatée - y compris une force aérienne pour combattre les foyers de l'État islamique à travers le désert ?
Sur Téhéran et Moscou. Les canaux de communication se sont donc mis à fonctionner à plein régime. Ils ne sourcillent même pas quand il s'agit de “coopérer” avec le califat naissant - tant que leurs intérêts nationaux ne sont pas menacés.
L'Empire du Chaos restera inégalé en termes de contrôle narratif, de tours de passe-passe en relations publiques, de domination des plateformes de réseaux sociaux et de guerre psychologique non-stop. Tous ces fronts hybrides. Mais ça s'arrête là.
L'Empire a été lamentablement vaincu en Afghanistan et en Irak. Et il continue d'être humilié par les Houthis en mer Rouge. Washington ne dispose d'aucun avantage sur la Russie dans le domaine militaire, à l'exception de la guerre électronique, du moins sur le théâtre ouest-asiatique, et de l'ISR - renseignement, surveillance et reconnaissance - (la Russie rattrape son retard), se traduisant instantanément par un accroissement de la terreur.
Quant à l'Iran, il est loin d'être plus faible aujourd'hui qu'avant la chute de Damas. Le récit est impérial, partie intégrante de la stratégie exceptionnaliste autosatisfaite. L'ayatollah Khamenei, fin stratège, ne mâche pas ses mots. Téhéran finira par développer des filières alternatives pour alimenter le Hezbollah et la Cisjordanie.
D'ailleurs, suivez l'argent. Le ministère des Affaires étrangères iranien a déjà relevé que “le nouveau gouvernement syrien assumera toutes les obligations financières de la Syrie envers l'Iran”. Cela représente beaucoup d'argent, que Jolani n'a pas.
Michael Hudson est catégorique : “Le plan américain, c'est l'anarchie”. En Asie de l'Ouest, où le coup de poignard dans le dos est un art, on peut s'attendre à un retour de bâton. Téhéran et Moscou ne se font pas d'illusions et se préparent en conséquence. La guerre des BRICS ne fait que commencer.
https://strategic-culture.su/news/2024/12/19/anarchy-in-levant-your-future-dream-is-chaos-scheme/
Pour l'instant, personne n'est dans le secret des dieux et même pas Thierry Meyssan qui ne cherche aucunement à faire des pronostics en ce moment. Ca promet d'être intéressant en 2025.