👁🗨 Antisémitisme vs critique d'Israël ? Lettre ouverte au député Julian Leeser*
Les discriminations choquantes subies par les Juifs dans le passé ne concèdent pas à Israël le droit de jouer perpétuellement la carte de la victime, et de faire des autres des victimes.
👁🗨 Antisémitisme vs critique d'Israël ? lettre ouverte au député Julian Leeser
Par George Browning, le 22 novembre 2023
Les discriminations choquantes subies par les Juifs dans le passé ne donnent pas à Israël le droit de faire des autres des victimes. Vous dites que l'antisionisme dissimule l'antisémitisme. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi votre point de vue est erroné.
Lettre ouverte au député Julian Leeser*
Permettez-moi tout d'abord d'exprimer mes sincères condoléances pour les vies israéliennes fauchées lors des événements bouleversants et douloureux du 7 octobre, et d'espérer que les otages israéliens rentreront bientôt sains et saufs dans leur pays d'origine. L'attaque du Hamas était inouïe et absurde.
Je vous écris cependant pour réagir à vos récentes déclarations sur l'antisémitisme publiées dans le Sydney Morning Herald du week-end, en particulier celles qui établissent un lien entre l'antisémitisme et les critiques à l'égard d'Israël. Je vous ai écrit récemment pour vous remercier du fond du cœur de la position de principe que vous avez adoptée en encourageant le vote en faveur du oui lors du récent référendum qui a échoué. C'était la bonne chose à faire, mais cela a demandé un courage considérable et, dans le domaine politique, vous avez payé un lourd tribut. Parmi ceux d'entre nous qui attachent de l'importance à l'intégrité, vous êtes resté debout.
C'est donc avec des sentiments mitigés que je vous réponds. Vous citez l'un de mes héros théologiques, feu le grand rabbin de Grande-Bretagne, Lord Jonathan Sacks, qui aurait déclaré :
“Les Juifs étaient détestés pour leur religion, puis ils ont été détestés pour leur race et aujourd'hui ils sont détestés pour leur État”.
Vous auriez poursuivi en disant :
“L'antisémitisme est la haine qui ne meurt jamais - elle mute simplement au fil des générations”.
Avec tout le respect que je vous dois, vous et Lord Sacks souffrez d'un aveuglement visiblement incurable. Les discriminations choquantes subies par les Juifs dans le passé ne donnent pas à Israël le droit de jouer perpétuellement la carte de la victime, ou de faire des autres des victimes. J'ai écrit à Lord Sacks à la suite de la publication de son livre, par ailleurs excellent, intitulé Not in God's Name, dans lequel il affirme que la violence ne devrait jamais être exercée au nom de la religion. Il a cité à juste titre les violences perpétrées par la plupart des religions du monde, y compris les violences honteuses perpétrées par les chrétiens, mais a omis de mentionner les violences perpétrées par Israël à l'encontre des Palestiniens depuis 1948.
Si vous estimez que cette déclaration est provocante, déséquilibrée ou “antisémite”, je ne peux que supposer que vous n'avez jamais marché dans la rue commerçante de fortune d'Hébron, protégée par une pauvre toile de jute qui recueille les ordures, mais qui laisse passer l'urine jetée par les colons sur les produits palestiniens, sous les rires des soldats israéliens. J’imagine que vous n'avez jamais assisté aux tribunaux militaires pour enfants, où de jeunes Palestiniens enchaînés, dont certains sont encore à l'école primaire, défilent devant des avocats qui leur remettent un document en hébreu, qu'ils ne savent pas lire, attendant d'eux qu'ils le signent. J'ai demandé aux parents de l'un de ces jeunes garçons ce qu'ils aimeraient que je dise à l'Australie, ils m'ont répondu : “Dites-leur que nous ne pouvons plus respirer”. La plupart sont là pour avoir jeté des pierres. Pourquoi jettent-ils des pierres ? À cause du harcèlement permanent que leurs parents et eux-mêmes subissent. Je ne peux que supposer que vous n'avez jamais essayé de vous frayer un chemin aux check-points humiliants que les Palestiniens doivent franchir tous les jours.
Vous ne vous êtes sans doute pas rendu dans le village de Nabi Saleh, dans la zone C de la Cisjordanie, où vit une branche de la famille Tamimi. Cette famille a été désignée comme étant terroriste, beaucoup ont passé du temps en prison, y compris la jeune Ahed. Pourquoi ? Parce qu'ils s'opposent à la destruction de leurs maisons et à la confiscation de leurs terres. En retour, détestent-ils les Juifs ou même l'État d'Israël ? Non, ils veulent simplement avoir la possibilité de vivre comme tout le monde, sans être contraints de vivre sous une répression où les droits sont inégaux et les vies constamment martyrisées.
Dans ces conditions, en quoi le mot “apartheid” est-il “antisémite” ? Le mot décrit précisément la situation dans laquelle un groupe de personnes dispose d'eau en quantité suffisante, et les autres non ; où un groupe est autorisé à voyager comme il le souhaite, et d’autres non ; où un groupe vit en vertu du droit civil, et un autre en vertu du code militaire ; où, sur les terres palestiniennes, des routes sont construites pour les colons illégaux et ne peuvent être empruntées par les Palestiniens locaux ; où les membres de la Knesset qualifient des citoyens d’“animaux”, et encouragent les autres à croire qu'ils sont en droit de s'approprier des biens qui ne leur appartiennent pas ; où un peuple construit des maisons et y vit, tandis que d'autres vivent en permanence sous la menace d'une démolition.
Vous dites que l'antisionisme dissimule l'antisémitisme. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi votre point de vue est erroné. Le désir constant d'Israël de s'étendre au-delà des frontières de 1967 semble être motivé par une idéologie politique et nationaliste que ses auteurs mêmes décrivent comme étant le sionisme. Yasser Arafat a accepté l'État d'Israël sur la base des frontières de 1967. L'actuel gouvernement Netanyahou ne cache pas que sa version du sionisme lui interdit de céder aux Palestiniens le droit à un pouce de terre entre le Jourdain et la Méditerranée. Si l'idéologie nationaliste et colonialiste du sionisme ne peut être dénoncée, l'alternative est tout à fait accablante. La seule autre conclusion est que l'État d'Israël ne peut exister sans perspective de répression permanente et d'anéantissement final du peuple palestinien. Ce n'est pas une conclusion que je souhaite personnellement tirer. J'aimerais pouvoir croire que l'État d'Israël est au cœur d'une véritable démocratie aux valeurs généreuses, et qu'il s'engage à vivre dans le respect du droit international. J'affirme que l'État d'Israël est corrompu par le sionisme, et qu'il est en train de devenir un État paria.
Israël a tout à fait le droit de défendre ses frontières internationalement reconnues de 1967, mais il n'a pas le droit de défendre l'annexion d'autres territoires, ni le blocus perpétuel de 2,3 millions de personnes.
Ce qui nous amène à la situation actuelle à Gaza.
Israël a essentiellement dit aux habitants de Gaza de partir, ou de mourir, un choix entre expulsion et extermination, entre nettoyage ethnique et génocide - et ce faisant, il a bloqué les routes et fait feu sur les convois de réfugiés, piégeant ainsi les habitants de Gaza. Que les autorités sanitaires des Nations unies émettent l'hypothèse que la famine est imminente témoigne de cette inhumanité choquante. Le président israélien et les premiers ministres israéliens précédents ont affirmé qu’à Gaza, il n’y a pas de civils.
On pourrait et on devrait dire bien d'autres choses encore. Le Hamas s'est rendu coupable d'une terrible brutalité, mais ces crimes choquants sont sans commune mesure avec la mort de plus de 10 000 Palestiniens, et ce n'est pas fini. Le plus grand défi de l'État d'Israël sera de prouver au monde que son existence n'est pas tributaire du massacre des Palestiniens, et que l'État d'Israël aspire à ce que chaque Palestinien ait les mêmes droits en matière de religion, de culture, d'emploi, de voyage, etc. que ceux dont jouissent les citoyens israéliens.
Ceci est une lettre ouverte, envoyée à l'Honorable Julian Leeser MP, en réponse à ses commentaires rapportés dans le Sydney Morning Herald du 17 novembre 2023.
* George Browning a été évêque anglican de Canberra Goulburn de 1993 à 2008. Il a été président de l'Australia Palestine Advocacy Network (Réseau australien de défense de la Palestine) de 2013 à 2022. Il en est aujourd'hui le président d'honneur. Il est également le parrain des chrétiens palestiniens d'Australie et du centre œcuménique palestinien de théologie de la libération -Sabeel.
* Julian Leeser est un homme politique australien, membre du Parti libéral et député depuis les élections fédérales de 2016. Il a été ministre fantôme de Peter Dutton de 2022 à 2023
https://johnmenadue.com/antisemitism-and-criticism-of-israel-open-letter-to-julian-leeser-mp/