đâđš Apologie du terrorisme : le Maccarthysme Ă la française
Appeler au cessez-le-feu & Ă lâarrĂȘt des livraisons dâarmes Ă IsraĂ«l ? Criminel ! Non. Rectification. âApologie de terrorismeâ ! On y est. Soutenir les Palestiniens est un dĂ©lit dâopinion en France.
đâđš Apologie du terrorisme : le Maccarthysme Ă la française
Par François Boulo, le 15 mai 2024
Il y a comme un air nausĂ©abond qui flotte dans lâair. Câest quâil faudrait ĂȘtre sacrĂ©ment aveugle pour ne pas sâinquiĂ©ter de la folie autoritaire dans laquelle sombre le pays. Si cette dynamique nâest pas nouvelle, les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 et la rĂ©plique sanguinaire dâIsraĂ«l Ă Gaza ont produit un franchissement de seuil dans la restriction des libertĂ©s publiques en France. Disons les termes. Câest une vĂ©ritable chasse aux sorciĂšres !
Elle nâest pas si lointaine lâĂ©poque oĂč chacun pouvait (relativement) librement exprimer son opinion sur le conflit israĂ©lo-palestinien, oĂč, suivant une tradition historique, les personnes attachĂ©es au respect des droits de lâHomme pouvaient protester contre le traitement inhumain infligĂ© aux Palestiniens. Ce temps est dĂ©sormais rĂ©volu.
« Est-ce que vous condamnez le Hamas » ?
Aujourdâhui, câest toute une classe dominante qui, comme un seul homme, sâest mise en tĂȘte dâexcommunier toute parole qui sâĂ©carterait mĂȘme minimalement des seuls mots dâordre autorisĂ©s â « soutien inconditionnel Ă IsraĂ«l » ou « droit dâIsraĂ«l Ă se dĂ©fendre » â ou toute personne qui refuserait de rĂ©pondre par lâaffirmative Ă la seule question qui vaille, semble-t-il, dâĂȘtre posĂ©e : « Est-ce que vous condamnez le Hamas ? ».
MalgrĂ© ce climat dâinquisition, de nombreuses voix se sont courageusement Ă©levĂ©es dans le pays pour dĂ©noncer la violation par IsraĂ«l du droit international, ainsi que le risque gĂ©nocidaire Ă Gaza (actuellement soumis Ă lâapprĂ©ciation de la Cour internationale de Justice des Nations Unies). Sauf erreur, aucune de ces personnalitĂ©s nâa justifiĂ© les ignobles exactions commises par le Hamas le 7 octobre 2023, chacune a reconnu quâil sâagissait dâactes barbares touchant principalement des civils, femmes et enfants, et chacune a exprimĂ© sa solidaritĂ© avec toutes les victimes et leurs proches.
Mais (oui, il y a un « mais »), la lĂ©gitime compassion envers les victimes israĂ©liennes ne saurait valoir blanc-seing Ă la riposte du gouvernement de Netanyahou pour massacrer impunĂ©ment et par dizaines de milliers les habitants de Gaza, tout aussi innocents. Ils ne sont pas des « dommages collatĂ©raux », mais des ĂȘtres humains faits de chair et de sang Ă qui on ĂŽte tout aussi sauvagement la vie. Il nây a pas de tri Ă faire dans lâhorreur.
Deux poids, deux mesures
Câest au nom de lâhumanisme et du principe (simple) selon lequel toutes les vies se valent â quâelles soient israĂ©liennes ou palestiniennes â que des militants et responsables politiques ont dĂ©noncĂ© les crimes de guerre commis par IsraĂ«l. Et, câest pourtant contre eux que la meute de loups a Ă©tĂ© lĂąchĂ©e. Pas contre tel dĂ©putĂ© (1) qui nie publiquement le caractĂšre illĂ©gal des colonies israĂ©liennes en Cisjordanie ou qui qualifie de « cancer » la population palestinienne, pas contre tel polĂ©miste (2) qui entend distinguer la mort des enfants israĂ©liens, Ă©pouvantable celle-lĂ , de celle des enfants palestiniens, plus acceptable, car « ces enfants ne mourront pas en ayant l'impression qu'en face d'eux l'humanitĂ© a trahi tout ce qu'ils Ă©taient en droit d'attendre » (sic). Il y aurait donc pour certains une maniĂšre plus «humaine » quâune autre de tuer des enfantsâŠ
Certains esprits chagrins pourraient ĂȘtre tentĂ©s de dĂ©celer dans ces prises de position une forme de xĂ©nophobie, voire de racisme. Mais pas du tout ! En tout cas, celles-ci nâont valu Ă leurs auteurs ni disqualification publique ni poursuites judiciaires. Les gens dangereux, ce sont les autres parait-il !
Analyser, sans nullement justifier, le contexte historique et les motivations des crimes commis par le Hamas ? Odieux, Ă tout le moins « ambigu ». DĂ©noncer la rĂ©ponse sanguinaire et aveugle du gouvernement Netanyahou Ă Gaza ? Interdit, surtout que les chiffres ne sont « pas fiables » puisquâils proviennent du ministĂšre de la SantĂ© du Hamas. Appeler Ă un cessez-le-feu immĂ©diat et Ă lâarrĂȘt de la livraison dâarmes par la France Ă IsraĂ«l ? Criminel ! Non. Rectification. « Apologie de terrorisme » !
Ăa y est, on y est. Soutenir les Palestiniens dans leur martyre constitue dĂ©sormais un dĂ©lit dâopinion en France.
Le dĂ©lit dâopinion : nouvelle arme contre les opposants politiques
LĂ est le point de rupture. Que le systĂšme mĂ©diatique tout entier se soit mobilisĂ© pour disqualifier les voix rĂ©sistantes en dĂ©formant leurs propos nâest pas une surprise. Que toute critique envers la politique du gouvernement israĂ©lien dâextrĂȘme droite soit qualifiĂ©e dâantisĂ©mite non plus. Cela fait un moment que les grands mĂ©dias ont fait de lâinversion accusatoire leur spĂ©cialitĂ©, en donnant le bon rĂŽle aux va-tâen-guerre et le mauvais aux pacifistes.
Ce qui est plus inattendu est que cette fois-ci, le droit a Ă©tĂ© largement instrumentalisĂ© pour empĂȘcher toute expression publique dissonante. En pleine campagne Ă©lectorale pour les Ă©lections europĂ©ennes, des opposants politiques ont subi des poursuites judiciaires. Des militants syndicaux ont eu droit au mĂȘme traitement. Au total, câest plus de 600 procĂ©dures pĂ©nales qui ont Ă©tĂ© engagĂ©es par les procureurs de la RĂ©publique, et cela sur instruction expresse du ministre de la Justice, qui semble avoir perdu le souvenir quâil fut par le passĂ© un avocat de la dĂ©fense soucieux du respect des libertĂ©s.
Câest la libertĂ© dâexpression qui est assassinĂ©e sous nos yeux, cette fois avec la complicitĂ© active dâune partie du corps de la magistrature. Car mĂȘme sâils ne sont pas indĂ©pendants â cela a Ă©tĂ© jugĂ© par la Cour EuropĂ©enne des Droits de lâHomme (CEDH) en 2010 (3) â, les magistrats du parquet disposent nĂ©anmoins dâune certaine marge dâapprĂ©ciation pour qualifier ou non des propos comme relevant du dĂ©lit dâapologie de terrorisme. Il semble quâils aient dĂ©cidĂ© dâen faire une apprĂ©ciation particuliĂšrement extensive, et â faut-il sâen Ă©tonner ? â cette cabale touche surtout les organisations de gauche.
Quant Ă ceux qui relativiseraient la gravitĂ© de ces actes en nây voyant lĂ que des manĆuvres dâintimidation, mais sans aucun risque de condamnation, le Tribunal correctionnel de Lille vient de faire la dĂ©monstration que tout est dĂ©sormais possible au pays des LumiĂšres puisquâil a condamnĂ© en premiĂšre instance Jean-Paul Delescaut, SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâUnion DĂ©partementale CGT du Nord, Ă une peine de prison dâun an avec sursis pour la publication dâun tract qui, pourtant, dĂ©nonçait tous les crimes commis contre les victimes civiles sans distinction. Et ce militant syndical avait prĂ©alablement fait lâobjet au petit matin dâune arrestation Ă son domicile suivie dâune mesure de garde Ă vue, soit la procĂ©dure rĂ©servĂ©e aux grands dĂ©linquants et aux terroristes !
Le dĂ©tournement de la notion dâapologie du terrorisme : un abus de droit manifeste !
Il est dâailleurs fort Ă©tonnant quâune condamnation ait Ă©tĂ© prononcĂ©e sur le fondement de lâarticle 421-2-5 du Code pĂ©nal (4), car lâesprit du texte vise manifestement Ă empĂȘcher la commission dâactes terroristes sur le territoire français et/ou contre les institutions françaises. Or, en lâespĂšce, les propos incriminĂ©s concernent un conflit entre deux entitĂ©s Ă©trangĂšres Ă la France, de sorte quâils nâincitent nullement Ă lâaccomplissement dâactes terroristes sur le sol français.
Exclure ce critĂšre de rattachement Ă la France revient Ă ouvrir la boĂźte de pandore, car les tribunaux devraient alors se faire juge de toute prise de position en matiĂšre de terrorisme international. Or, la notion de terrorisme dĂ©pend intrinsĂšquement du point de vue selon lequel on se place : faut-il rappeler que les rĂ©sistants français Ă©taient des « terroristes » pour les nazis et le rĂ©gime de Vichy ? Pour prendre un autre exemple bien plus proche de nous, imagine-t-on un instant des poursuites judiciaires contre ceux qui nâauraient pas expressĂ©ment condamnĂ© lâassaut meurtrier commis au Crocus City Hall Ă Moscou le 22 mars 2024 ? Ă lâĂ©vidence, non. Car la France soutient officiellement lâUkraine dans la guerre que la Russie lui a dĂ©clarĂ©e.
Autrement dit, lâapplication par le juge français dâun texte de droit pĂ©nal, dont lâinterprĂ©tation doit toujours ĂȘtre stricte, ne saurait dĂ©pendre aussi Ă©troitement du contexte gĂ©opolitique international et des positions diplomatiques de la France. En somme, utiliser le dĂ©lit dâapologie du terrorisme au titre des opinions exprimĂ©es sur le conflit israĂ©lo-palestinien ne se justifie nullement et constitue un abus de droit.
Câest Ă©ventuellement sur le fondement de lâarticle 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse (5) qui rĂ©prime notamment lâapologie des crimes de guerre et des crimes contre lâhumanitĂ© que des poursuites judiciaires pourraient ĂȘtre envisagĂ©es. Mais, on aurait alors quelques difficultĂ©s Ă comprendre que tous ceux qui cautionnent les crimes de guerre actuellement commis par « lâarmĂ©e la plus morale du monde » ne fassent pas aussi lâobjet de poursuites judiciaires. Lâautre ironie est que lâopposition sĂ©mantique entre « crime de guerre » et « terrorisme » â le premier terme Ă©tant bien plus appropriĂ© que le second du point de vue du droit â est prĂ©cisĂ©ment ce qui a valu initialement Ă la France insoumise dâĂȘtre clouĂ©e au pilori par le tribunal mĂ©diatiqueâŠ
Un pas de plus vers le totalitarismeâŠ
Cette dĂ©rive liberticide ne sâarrĂȘte pas lĂ puisque plusieurs confĂ©rences organisĂ©es par le principal parti politique dâopposition de gauche ont Ă©tĂ© annulĂ©es par les autoritĂ©s administratives. Ă cette occasion, Jean-Luc MĂ©lenchon a protestĂ© contre ces dĂ©cisions quâil a jugĂ©es arbitraires. Et il lâa fait en convoquant les travaux dâHannah Arendt menĂ©s Ă lâoccasion du procĂšs dâAdolf Eichmann et le concept de « banalitĂ© du mal » pour dĂ©noncer la lĂąchetĂ© de ceux qui obĂ©issent aux ordres sans se soucier des consĂ©quences de leurs actes.
Quoi quâon pense du leader de la France insoumise, cette analyse sâinscrit ostensiblement dans le champ de la dĂ©fense de la libertĂ© dâopinion et dâexpression. Pourtant, la ministre de lâEnseignement supĂ©rieur a annoncĂ© dĂ©poser une plainte contre lui pour « injure publique » considĂ©rant quâil avait « traitĂ© de nazi le prĂ©sident de lâuniversitĂ© de Lille ». Au-delĂ de sa mauvaise foi patentĂ©e, le gouvernement poursuit sa stratĂ©gie consistant Ă instrumentaliser la justice pour museler la libertĂ© dâexpression de lâopposition. Câest gravissime.
Pour une blague qualifiant Benjamin Netanyahou de « sorte de nazi sans prĂ©puce » sur les ondes de France Inter, lâhumoriste Guillaume Meurice a fait lâobjet de plusieurs plaintes pour injure publique et a Ă©tĂ© auditionnĂ© par les services de police ! Certes, ces plaintes ont finalement Ă©tĂ© classĂ©es sans suite, mais la direction de Radio France vient dâengager Ă son encontre une procĂ©dure de licenciement pour faute grave avec mise Ă pied Ă titre conservatoire. Quand la justice innocente, câest le service public audiovisuel qui prend le relaiâŠ
Il ne sâagit que de quelques exemples, car chaque jour apporte son lot de censures, de sanctions et de disqualifications en tous genres. Le fait est que toute une caste sâest mise en mouvement pour faire taire par tous les moyens la contestation qui pourtant ne fait que soutenir la position diplomatique historiquement dĂ©fendue par la France.
Que le pouvoir exĂ©cutif, les grands mĂ©dias, et dĂ©sormais la justice, avancent main dans la main pour rĂ©primer la libertĂ© dâexpression, en criminalisant toute voix discordante, constitue une Ă©tape dĂ©cisive dans la disparition de la dĂ©mocratie. Il nây aura pas de retour en arriĂšre. Les mauvaises habitudes sâinstallent vite et tous ces gens ont manifestement renoncĂ© Ă entretenir ne serait-ce que lâillusion dâun dĂ©bat public contradictoire. La fin du mythe dĂ©mocratique est proche.
Le non-respect du rĂ©sultat du rĂ©fĂ©rendum sur le traitĂ© constitutionnel europĂ©en de 2005 aura entĂ©rinĂ© lâidĂ©e que le destin de la France ne pouvait se faire contre les traitĂ©s de lâUnion europĂ©enne et que les « élites » gouverneraient dĂ©sormais sans le peuple. Le mouvement des gilets jaunes nĂ© en novembre 2018 aura signĂ© la fin de la libertĂ© de manifestation par une rĂ©pression policiĂšre et judiciaire dâune brutalitĂ© sans prĂ©cĂ©dent. Les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 resteront en France comme le moment charniĂšre oĂč les dominants auront dĂ©cidĂ© de ne mĂȘme plus faire semblant : la libertĂ© dâopinion est officiellement morte.
Notes
(1) Meyer Habib, député de la 8e circonscription des Français établis hors de France.
(2) CĂ©line Pina sur Cnews â citation complĂšte : « Il y a sans doute de la pĂ©dagogie Ă faire sur le fait que le crime contre l'humanitĂ© et le crime de guerre, ce n'est pas une question de degrĂ©, mais une question de nature. Autrement dit, une bombe qui explose, qui va dĂ©truire et qui va faire des dĂ©gĂąts collatĂ©raux tuera sans doute des enfants, mais ces enfants ne mourront pas en ayant l'impression qu'en face d'eux l'humanitĂ© a trahi tout ce qu'ils Ă©taient en droit d'attendre ».
(3) CEDH 23 nov. 2010, Moulin c. France, n° 37104/06
(4) Article 421-2-5 du Code pĂ©nal : « Le fait de provoquer directement Ă des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75â000 ⏠d'amende ».
(5) Article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse : « (âŠ) Seront punis de la mĂȘme peine ceux qui, par l'un des moyens Ă©noncĂ©s en l'article 23, auront fait l'apologie des crimes visĂ©s au premier alinĂ©a, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanitĂ©, des crimes de rĂ©duction en esclavage ou d'exploitation d'une personne rĂ©duite en esclavage ou des crimes et dĂ©lits de collaboration avec l'ennemi, y compris si ces crimes n'ont pas donnĂ© lieu Ă la condamnation de leurs auteurs ».
https://elucid.media/democratie/apologie-terrorisme-maccarthysme-francaise-francois-boulo