đâđš Appel final d'Assange : Votre homme dans la galerie du public - Part. 1
La loi sur ce point est trĂšs claire : en l'absence de garanties contre la peine de mort, l'extradition doit ĂȘtre empĂȘchĂ©e par le ministre de l'intĂ©rieur, et l'accusĂ© doit ĂȘtre libĂ©rĂ©.
đâđš Appel final d'Assange : Votre homme dans la galerie du public - Part. 1
Par Craig Murray, le 21 février 2024
Rendre compte des audiences d'extradition de Julian Assange est devenu une vocation qui s'Ă©tend maintenant sur plus de cinq ans. Depuis la toute premiĂšre audience, lorsque le juge Snow a qualifiĂ© Assange de ânarcissiqueâ avant quâil n'ait rien dit d'autre que de confirmer son nom, en passant par la derniĂšre, lorsque le juge Swift a simplement rejetĂ© avec 2,5 pages de A4 double interligne dĂ©sinvoltes un appel de 152 pages rĂ©digĂ© en termes concis par certains des meilleurs avocats de la planĂšte, il s'est agi d'une parodie et d'une mascarade marquĂ©es par une hostilitĂ© institutionnelle non dĂ©guisĂ©e.
Nous voici maintenant aux derniÚres heures du rendez-vous de la derniÚre chance, alors que nous attendons à l'extérieur des Royal Courts of Justice l'appel pour un droit d'appel final.
L'architecture des Royal Courts of Justice Ă©tait le dernier grand souffle du renouveau gothique : aprĂšs une exubĂ©rance qui nous a procurĂ© la splendeur de la gare de St Pancras et du palais de Westminster, le mouvement a dĂ©ployĂ© ses derniers mornes effets fantaisistes dans des tons gris et bruns, valorisant la taille au dĂ©triment de la proportion et confondant le massif avec le mĂ©diĂ©val. Tels qu'ils ont Ă©tĂ© conçus, les bĂątiments sont une manifestation du pouvoir de l'Ătat. Et tels qu'ils n'ont pas Ă©tĂ© pensĂ©s, ils sont aussi un indice de la stupiditĂ© d'un pouvoir Ă©tendu.
La salle numéro 5 a été choisie pour cette audience. Il s'agit de l'un des plus petits tribunaux du bùtiment. Sa principale caractéristique est sa hauteur. TrÚs haute, elle est éclairée par de lourds lustres médiévaux factices suspendus par de longues chaßnes d'acier à un plafond si haut qu'on peut à peine le voir. On s'attend à ce que Robin des Bois saute soudain de la galerie et se balance sur le lustre au-dessus de nous. La salle est vraiment lugubre, une trouble pénombre plane, menaçante sur les lustres, comme des miasmes de désespoir. Et sous les lustres, on ne distingue les personnages que dans une lumiÚre ténue.
Une immense estrade de noyer occupe une bonne moitié de la piÚce, avec les juges assis tout en haut, leurs greffiers juste en dessous, et des travées latérales plus basses qui s'étendent d'un cÎté pour abriter les journalistes et de l'autre un immense box pour le ou les prisonniers, avec une massive cage de métal qui semble tout droit sortie d'une production du Bossu de Notre-Dame.
Il s'agit en fait de la partie la plus moderne de la construction. La mise en cage des accusés dans un style médiéval est la maniÚre dont l'Úre Blair a introduit ce que l'on appelle le processus de la loi.
De maniÚre plutÎt incongrue, le niveau des greffiers est truffé de matériel informatique, l'un des deux greffiers travaillant derriÚre trois écrans différents et divers ordinateurs de bureau volumineux, avec de lourds cùbles se tordant dans tous les sens comme des serpents de mer en train de faire l'amour. Le systÚme informatique semble ramener le tribunal aux années 1980, et le greffier qui l'utilise ressemble étrangement à un musicien synthétiseur de l'époque, jusqu'à la coupe de cheveux dressée vers le haut.
Conformément à l'usage, l'alimentation par ordinateur d'une salle annexe n'a pas vraiment fonctionné, entraßnant un certain nombre d'interruptions dans le déroulement de la procédure.
Tous les murs sont garnis de hautes bibliothĂšques, abritant des milliers de volumes reliĂ©s en cuir issus d'affaires plus anciennes. Le sol de pierre apparaĂźt sur environ un mĂštre entre l'estrade des juges et les bancs de bois, avec six rangĂ©es de siĂšges de plus en plus Ă©troits. Les avocats occupent le premier niveau, les procureurs le second, et leurs clients respectifs le troisiĂšme. Jusqu'Ă dix personnes par rangĂ©e pouvaient se serrer, sans aucune sĂ©paration entre les parties adverses, de sorte que la famille Assange Ă©tait coincĂ©e contre les reprĂ©sentants de la CIA, du dĂ©partement d'Ătat et du ministĂšre de l'intĂ©rieur britannique.
Il restait donc trois niveaux pour les médias et le public, soit une trentaine de personnes. Une galerie en bois courait toutefois au-dessus et pouvait accueillir une vingtaine de personnes supplémentaires. Le personnel du tribunal - qui, à commencer par le greffier, était trÚs serviable et courtois - avait trié les centaines de personnes qui essayaient d'entrer, et le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, 16 membres du Parlement européen, des députés de plusieurs pays, des ONG, dont Reporter sans frontiÚres, la Haldane Society of Socialist Lawyers, et moi (je vérifie les notes), tout ce petit monde se trouvait à l'intérieur du tribunal.
Je dois prĂ©ciser que tout cela a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© en dĂ©pit de l'extrĂȘme inertie du ministĂšre de la justice, qui a rejetĂ© l'admission officielle et la reconnaissance de toutes les organisations susmentionnĂ©es, y compris les Nations unies. L'Ă©vĂ©nement a Ă©tĂ© organisĂ© ce jour-lĂ par la police, le personnel de la Cour et les formidables bĂ©nĂ©voles d'Assange dirigĂ©s par Jamie. Je dois Ă©galement remercier Jim qui, avec d'autres, m'a Ă©vitĂ© de faire la queue toute la nuit dans la rue, comme je l'avais fait Ă la Cour internationale de justice, en se portant volontaire pour attendre Ă ma place.
Ce croquis illustre brillamment la minuscule partie non juridictionnelle de la Cour. Des rĂšglements paranoĂŻaques et irrationnels interdisent la publication de photos ou de captures d'Ă©cran.
L'acoustique du tribunal est tout simplement épouvantable. Nous sommes tous placés derriÚre les avocats qui s'adressent aux juges, et leurs voix sont à la fois assourdies tout en résonnant sur les murs de pierre dépouillés.
Je ne suis pas entrĂ© plein d'espoir. Comme je l'ai expliquĂ© dans Le fonctionnement de l'establishment, les juges n'ont pas besoin qu'on leur dise la dĂ©cision attendue par l'establishment. Ils frĂ©quentent le mĂȘme milieu que les ministres, appartiennent aux mĂȘmes institutions, vont dans les mĂȘmes collĂšges, assistent aux mĂȘmes cĂ©rĂ©monies.
L'appel des Ătats-Unis contre la dĂ©cision initiale de bloquer l'extradition d'Assange a Ă©tĂ© accordĂ© par un Lord Chief Justice, ancien compagnon de chambrĂ©e - et toujours le meilleur ami - du ministre qui a organisĂ© l'expulsion de Julian de l'ambassade d'Ăquateur.
Le rejet de l'appel d'Assange a Ă©tĂ© prononcĂ© par le juge Swift, qui reprĂ©sentait les services de sĂ©curitĂ© et a dĂ©clarĂ© qu'il s'agissait de ses clients prĂ©fĂ©rĂ©s. Dans l'affaire Graham Phillips, oĂč M. Phillips poursuivait le Foreign Commonwealth and Development Office (FCDO) pour les sanctions qui lui avaient Ă©tĂ© imposĂ©es sans qu'aucune action en justice n'ait Ă©tĂ© intentĂ©e contre lui, le juge Swift a rencontrĂ© des reprĂ©sentants du FCDO - l'une des parties Ă l'affaire - et a discutĂ© en privĂ© avec eux de questions relatives Ă l'affaire avant de rendre son jugement. Il n'a pas dit Ă la dĂ©fense qu'il avait procĂ©dĂ© de la sorte. Ils l'ont dĂ©couvert et Swift a Ă©tĂ© contraint de se rĂ©cuser.
Personnellement, je suis surpris que Swift ne soit pas en prison, et encore moins qu'il soit encore juge Ă la High Court. Mais que sait-on vraiment sur la justice ?
Le lien politico-juridique de l'establishment s'est manifestĂ© de maniĂšre encore plus flagrante aujourd'hui. La prĂ©sidence Ă©tait assurĂ©e par Dame Victoria Sharp, dont le frĂšre Richard avait arrangĂ© un prĂȘt de 800 000 livres sterling pour Boris Johnson, alors Premier ministre, aussitĂŽt nommĂ© prĂ©sident de la BBC (l'organe de propagande de l'Ătat britannique). Elle Ă©tait assistĂ©e par le juge Jeremy Johnson, un autre ancien procureur reprĂ©sentant le MI6.
Par une coïncidence étonnante, le juge Johnson avait été amené à remplacer son collÚgue, le juge Swift, ancien employé du MI6 [Service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni] et à représenter le FCDO dans l'affaire Graham Phillips !
Et voilĂ que ces deux-lĂ devaient maintenant se prononcer sur le cas de Julian !
Quel coquet et charmant club que celui de l'Establishment ! Comme il est bien réglé et prévisible ! Nous devons nous incliner avec admiration devant sa Majesté et son fonctionnement quasi divin. Ou aller en prison.
Eh bien, Julian est en prison, et nous nous tenions prĂȘts pour sa derniĂšre tentative d'appel. Nous nous sommes tous levĂ©s et Dame Victoria a pris place. Dans le crĂ©puscule sombre et persistant de la salle d'audience, son visage Ă©tait baignĂ© par en-dessous dâune lumiĂšre relativement brillante, un Ă©cran d'ordinateur. Cela lui confĂ©rait une apparence grise et spectrale, et tant la texture que la couleur de ses cheveux se fondaient parfaitement avec la perruque de la Cour. Elle semblait planer au-dessus de nous comme un ĂȘtre Ă©thĂ©rĂ© et inquiĂ©tant.
Son collÚgue, le juge Johnson, s'est placé, pour une raison inconnue, le plus loin possible à sa droite. Lorsqu'ils souhaitaient s'entretenir, il devait se lever et se déplacer. L'éclairage ne tenait pas du tout compte de sa présence et se confondait par moments avec le mur situé derriÚre lui.
Dame Victoria a commencé par déclarer que la Cour avait autorisé Julian à assister en personne ou à suivre par vidéoconférence, mais qu'il n'était pas en état de faire l'un ou l'autre. AprÚs cette nouvelle troublante, Edward Fitzgerald KC s'est levé pour ouvrir le dossier de la défense et demander qu'elle soit autorisée à faire appel.
M. Fitzgerald dĂ©gage une certaine magnificence chiffonnĂ©e. Il parle avec beaucoup d'autoritĂ© et de certitude morale, qui force la conviction. En mĂȘme temps, il semble si grand et si bien intentionnĂ©, si dĂ©pourvu de vanitĂ© ou de prĂ©tention, que l'on a l'impression de voir l'ours Paddington en robe d'avocat. Il est une caricature ambulante d'Edward Fitzgerald.
Les perruques des avocats sont constituĂ©es de rouleaux serrĂ©s de crin de cheval collĂ©s Ă un maillage qui se dĂ©ploie sur la tĂȘte. Dans le cas de M. Fitzgerald, la maille doit ĂȘtre tellement Ă©tirĂ©e pour couvrir son Ă©norme cerveau que les rouleaux se dĂ©tachent et parsĂšment sa tĂȘte comme des bigoudis sur la tĂȘte d'une concierge.
Fitzgerald a commencĂ© par un bref rĂ©sumĂ© des arguments de la dĂ©fense, en identifiant les erreurs juridiques commises par le juge Swift et la magistrate Baraitser, signifiant que l'appel Ă©tait viable et devait ĂȘtre entendu.
Tout d'abord, l'extradition pour un dĂ©lit politique est explicitement exclue par le traitĂ© d'extradition entre le Royaume-Uni et les Ătats-Unis, fondement de l'extradition proposĂ©e. L'accusation d'espionnage est une infraction purement politique, reconnue comme telle par toutes les autoritĂ©s juridiques, et les publications de Wikileaks ont Ă©tĂ© faites Ă des fins politiques, et ont mĂȘme entraĂźnĂ© des bouleversements politiques, de sorte que ces publications sont considĂ©rĂ©es comme des actes d'expression protĂ©gĂ©s.
Baraitser et Swift ont eu tort de soutenir que le traitĂ© d'extradition n'Ă©tait pas inscrit dans le droit national britannique et qu'il n'Ă©tait donc pas âjusticiableâ, car l'extradition en violation de ses dispositions Ă©tait contraire Ă l'article V de la Convention europĂ©enne (sur les droits de l'homme concernant l'abus de procĂ©dure) et Ă l'article X (sur la libertĂ© d'expression).
Les rĂ©vĂ©lations de Wikileaks ont fait apparaĂźtre de graves irrĂ©gularitĂ©s commises par le gouvernement des Ătats-Unis, pouvant aller jusqu'Ă des crimes de guerre. Il s'agissait donc d'un discours lĂ©galement protĂ©gĂ©.
Les articles III et VII de la CEDH ont Ă©galement Ă©tĂ© invoquĂ©s parce qu'en 2010, M. Assange ne pouvait pas prĂ©voir les poursuites engagĂ©es en vertu de la loi sur l'espionnage (Espionage Act), puisque cela ne s'Ă©tait jamais produit auparavant, malgrĂ© la longue histoire des Ătats-Unis oĂč des journalistes publient des informations classifiĂ©es dans le cadre du journalisme sur la sĂ©curitĂ© nationale. L'âinfractionâ Ă©tait donc imprĂ©visible. M. Assange est
âpoursuivi pour s'ĂȘtre livrĂ© Ă la pratique journalistique normale consistant Ă obtenir et Ă publier des informations classifiĂ©esâ.
La sanction possible aux Ătats-Unis est totalement disproportionnĂ©e, avec une peine d'emprisonnement totale possible de 175 ans pour les âinfractionsâ incriminĂ©es jusqu'Ă prĂ©sent.
M. Assange est victime d'une discrimination fondĂ©e sur la nationalitĂ©, ce qui rendrait l'extradition illĂ©gale. Les autoritĂ©s amĂ©ricaines ont dĂ©clarĂ© qu'il n'aurait pas droit Ă la protection du Premier Amendement aux Ătats-Unis, parce que n'Ă©tant pas citoyen amĂ©ricain.
Rien ne garantit que d'autres accusations ne seront pas portĂ©es, plus graves que celles qui l'ont dĂ©jĂ Ă©tĂ©, notamment en ce qui concerne la publication de Vault 7, exposant des techniques secrĂštes d'espionnage technologique de la CIA. Ă cet Ă©gard, les Ătats-Unis n'ont pas donnĂ© de garantie que la peine de mort ne pourrait pas ĂȘtre invoquĂ©e.
La CIA avait prĂ©vu d'enlever, de droguer et mĂȘme de tuer M. Assange. Cela a Ă©tĂ© mis en Ă©vidence par le tĂ©moignage du tĂ©moin protĂ©gĂ© n° 2, et confirmĂ© par la publication Ă grande diffusion de Yahoo News. Par consĂ©quent, M. Assange serait livrĂ© Ă des autoritĂ©s dont personne ne peut pas garantir qu'elles ne prendront pas de mesures extrajudiciaires Ă son encontre.
Enfin, le ministre de l'intérieur n'a pas tenu compte de tous ces facteurs en approuvant l'extradition.
Fitzgerald a ensuite dĂ©veloppĂ© chacun de ces arguments, en commençant par le fait que le traitĂ© d'extradition entre Ătats-Unis et Royaume-Uni exclut spĂ©cifiquement l'extradition pour des dĂ©lits politiques, par l'article IV.
M. Fitzgerald a dĂ©clarĂ© que l'espionnage Ă©tait la âquintessenceâ du dĂ©lit politique, reconnu comme tel dans tous les manuels et prĂ©cĂ©dents. Le tribunal Ă©tait compĂ©tent sur ce point, car ignorer les dispositions du traitĂ© l'exposait Ă des accusations d'abus de procĂ©dure.
Il a notĂ© que ni Swift ni Baraitser ne s'Ă©taient prononcĂ©s sur le caractĂšre politique ou non des infractions reprochĂ©es, en invoquant l'argument selon lequel le traitĂ© ne s'appliquait pas quoiquâil en soit.
Mais l'ensemble de l'extradition dĂ©pend du traitĂ©. Elle a Ă©tĂ© instruite en vertu du traitĂ©. âOn ne peut pas s'appuyer sur le traitĂ©, et le rĂ©futer ensuiteâ.
Cette remarque a immédiatement fait mouche auprÚs des juges, qui se sont regardés sans mot dire de leur interprétation.
Fitzgerald a poursuivi en rappelant que lorsque la loi sur l'extradition de 2003, dont dépendait le traité, avait été présentée au Parlement, les ministres avaient assuré que personne ne serait extradé pour des délits politiques. Baraitser et Swift ont déclaré que la loi de 2003 n'avait délibérément pas prévu de clause interdisant l'extradition pour des délits politiques. M. Fitzgerald a déclaré qu'il était impossible de tirer cette conclusion à partir de l'absence d'une telle clause. Rien dans le texte ne permet l'extradition pour des délits politiques. La loi est muette sur ce point.
Rien dans la loi ne fait obstacle Ă ce que le tribunal dĂ©termine qu'une extradition contraire aux termes du traitĂ© en vertu duquel l'extradition a lieu, constituerait une violation de la procĂ©dure. Aux Ătats-Unis, il y a eu des cas oĂč l'extradition vers le Royaume-Uni en vertu du traitĂ© a Ă©tĂ© empĂȘchĂ©e par les tribunaux en raison de la clause âpas d'extradition pour motif politiqueâ. Cette clause doit s'appliquer des deux cĂŽtĂ©s.
Sur les 158 traitĂ©s d'extradition du Royaume-Uni, 156 interdisent l'extradition pour des dĂ©lits politiques. Il s'agit manifestement d'une pratique systĂ©matique et bien ancrĂ©e. Elle ne pouvait pas ĂȘtre sans signification dans tous ces traitĂ©s. En outre, il s'agit lĂ d'un argument qui n'a rien de nouveau. Il existe un grand nombre d'affaires faisant autoritĂ©, remontant Ă plusieurs siĂšcles, au Royaume-Uni, aux Ătats-Unis, en Irlande, au Canada, en Australie et dans de nombreux autres pays, dans lesquelles la jurisprudence âpas d'extradition pour des raisons politiquesâ est fermement Ă©tablie. Elle ne pouvait pas ĂȘtre soudainement ânon justiciableâ.
Elle est non seulement justiciable, mais elle a fait l'objet de décisions trÚs détaillées.
Tous les dĂ©lits reprochĂ©s relĂšvent de l'âespionnageâ, Ă l'exception d'un seul. Cette accusation de âpiratageâ, consistant Ă aider Chelsea Manning Ă recevoir des documents classifiĂ©s, mĂȘme si elle Ă©tait vraie, Ă©tait manifestement une allĂ©gation comparable Ă une forme d'activitĂ© d'espionnage.
L'acte d'accusation dĂ©crit Wikileaks comme une âagence de renseignement hostile non Ă©tatiqueâ. Il s'agit lĂ d'une accusation d'espionnage. Il s'agit manifestement de poursuites motivĂ©es par des considĂ©rations politiques pour un dĂ©lit politique.
Julian Assange est une personne en conflit politique avec le point de vue des Ătats-Unis, qui cherche Ă affecter les politiques et les agissements du gouvernement amĂ©ricain.
L'article 87 de la loi sur l'extradition de 2003 signifie que toutes les questions soulevĂ©es doivent ĂȘtre examinĂ©es Ă travers le prisme de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme (CEDH) et sous aucun autre angle.
Compter sur le traitĂ© tout en ignorant ses termes constitue un abus de procĂ©dure et est contraire Ă la CEDH. L'obligation en droit britannique de respecter les termes du traitĂ© d'extradition avec les Ătats-Unis tout en administrant une extradition dans le cadre de ce traitĂ© fait penser Ă l'obligation des tribunaux de suivre la Convention sur l'esclavage moderne et la Convention sur les rĂ©fugiĂ©s.
Mark Summers KC a ensuite pris la parole pour poursuivre la défense d'Assange. Personnage sombre et pugnace, il pourrait trÚs bien incarner Heathcliff [personnage du roman Les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë]. Summers est aussi franc et direct que Fitzgerald est courtois. Ses arguments ne sont pas tant martelés que pilonnés.
Ces poursuites, a commencĂ© M. Summers, avaient pour but âd'interdire et de punir l'exposition d'un crime de niveau nationalâ. Lors de l'audience d'extradition, de nombreux tĂ©moins ont apportĂ© des preuves incontestables de ce fait. Le discours en question est donc un discours protĂ©gĂ©. Cette extradition n'est Ă©tait pas seulement contraire au traitĂ© d'extradition entre les Ătats-Unis et le Royaume-Uni de 2007, elle est Ă©galement en contradiction flagrante avec l'article 81 de la loi sur l'extradition de 2003.
Ces poursuites ont Ă©tĂ© motivĂ©es par le dĂ©sir de punir et de rĂ©primer l'opinion politique, ce qui est contraire Ă la loi. Il a Ă©tĂ© clairement dĂ©montrĂ© qu'il s'agissait d'une poursuite politique. Elle n'a Ă©tĂ© engagĂ©e que des annĂ©es aprĂšs l'infraction proposĂ©e ; sa mise en Ćuvre a Ă©tĂ© motivĂ©e par la dĂ©claration de la Cour pĂ©nale internationale selon laquelle les publications de Wikileaks constituent des preuves de crimes de guerre. Cette dĂ©claration a Ă©tĂ© immĂ©diatement suivie par la condamnation de Wikileaks et d'Assange par le gouvernement amĂ©ricain, par la dĂ©signation de Wikileaks comme agence de renseignement hostile non Ă©tatique, et mĂȘme par le complot officiel visant Ă kidnapper, empoisonner, restituer ou assassiner Assange. Tout cela a Ă©tĂ© approuvĂ© par le prĂ©sident Trump.
Ces poursuites présentent donc manifestement toutes les caractéristiques d'une persécution politique.
Le tribunal de premiĂšre instance a entendu des tĂ©moignages incontestĂ©s selon lesquels les documents de Wikileaks provenant de Chelsea Manning contenaient des preuves d'assassinats, de restitutions, de tortures, de prisons secrĂštes et d'assassinats par drone commis par les Ătats-Unis. Les documents divulguĂ©s ont en fait Ă©tĂ© utilisĂ©s avec succĂšs dans le cadre d'actions en justice intentĂ©es devant de nombreux tribunaux Ă©trangers, y compris Ă Strasbourg.
Les divulgations sont politiques parce que l'intention avouĂ©e est de susciter un bouleversement politique. En effet, elles ont entraĂźnĂ© des bouleversements, par exemple en ce qui concerne les rĂšgles d'engagement des forces en Irak et en Afghanistan et l'arrĂȘt des assassinats par drone au Pakistan. Ă l'Ă©poque des publications, M. Assange jouissait d'une grande notoriĂ©tĂ© politique. Il a mĂȘme Ă©tĂ© invitĂ© Ă s'adresser Ă l'UE et Ă l'ONU.
Le gouvernement amĂ©ricain n'a rĂ©agi Ă aucune des nombreuses preuves de la criminalitĂ© au niveau de l'Ătat amĂ©ricain prĂ©sentĂ©es lors de l'audience. Pourtant, le juge Baraitser a totalement ignorĂ© ces preuves dans sa dĂ©cision. Elle n'a fait aucune rĂ©fĂ©rence Ă la criminalitĂ© des Ătats-Unis.
Le juge Sharp a alors interrompu l'audience pour demander oĂč l'on pouvait trouver des rĂ©fĂ©rences Ă ces actes criminels dans le dossier, et M. Summers a donnĂ© quelques indications trĂšs laconiques, les dents serrĂ©es.
Summers a poursuivi en disant qu'en droit, il est Ă©vident que l'exposition de la criminalitĂ© au niveau de l'Ătat est un acte politique. Il s'agit d'un discours protĂ©gĂ©. Il existe un trĂšs grand nombre d'affaires dans de nombreuses juridictions qui en attestent. La criminalitĂ© prĂ©sentĂ©e dans cet appel a Ă©tĂ© tolĂ©rĂ©e et mĂȘme approuvĂ©e par les plus hauts niveaux du gouvernement des Ătats-Unis. La publication de ces preuves par M. Assange, en l'absence de tout motif lucratif, est la dĂ©finition mĂȘme d'un acte politique. Il s'est impliquĂ©, de maniĂšre incontestable, dans une opposition Ă l'appareil gouvernemental des Ătats-Unis.
Cette extradition devait ĂȘtre interdite en vertu de l'article 81 de la loi sur l'extradition, car elle avait pour but de faire taire ces opinions politiques. LĂ encore, de nombreux cas ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s sur la maniĂšre dont les tribunaux doivent traiter, en vertu de la Convention europĂ©enne, les Ătats rĂ©agissant Ă ceux qui ont rĂ©vĂ©lĂ© des actes criminels officiels.
Dans le jugement faisant l'objet de l'appel, le juge Baraitser n'a pas du tout abordĂ© la question de la nature protĂ©gĂ©e du discours exposant la criminalitĂ© de l'Ătat. Il s'agit manifestement d'une erreur de droit.
Le juge Baraitser a Ă©galement commis une erreur de fait en dĂ©clarant que la rĂ©vĂ©lation des crimes de guerre amĂ©ricains avait donnĂ© lieu Ă des poursuites judiciaires, âpar pures conjecture et spĂ©culationâ. Cette affirmation ne tient pas compte de la quasi-totalitĂ© des preuves prĂ©sentĂ©es Ă la Cour.
La Cour a reçu des preuves de l'ingĂ©rence des Ătats-Unis dans les procĂ©dures judiciaires relatives aux crimes de guerre amĂ©ricains en Espagne, en Pologne, en Allemagne et en Italie. Les Ătats-Unis ont soustrait leurs propres fonctionnaires Ă la juridiction de la CPI. Ils ont activement menacĂ© les institutions et les employĂ©s de la CPI et des instances officielles d'autres Ătats. Tout cela a Ă©tĂ© expliquĂ© en dĂ©tail dans des tĂ©moignages d'experts et n'a pas Ă©tĂ© contestĂ©. Tout cela a Ă©tĂ© ignorĂ© par Baraitser.
AprÚs la publication des documents Manning, Assange n'a fait l'objet d'aucune poursuite pendant six ans. Pourquoi des poursuites ont-elles été engagées six ans plus tard ? Qu'est-ce qui avait changé ?
AprĂšs que la Cour pĂ©nale internationale a dĂ©clarĂ© qu'elle utiliserait les documents de Wikileaks pour enquĂȘter sur les crimes de guerre commis par des reprĂ©sentants du gouvernement amĂ©ricain, les autoritĂ©s amĂ©ricaines ont qualifiĂ© Assange d'âacteur politiqueâ. C'est Ă cette Ă©poque qu'est nĂ©e l'expression âagence de renseignement hostile non Ă©tatiqueâ. Assange a Ă©tĂ© accusĂ© de âtravailler avec la Russieâ et d'âessayer de faire tomber les Ătats-Unisâ.
Mme Baraitser a reconnu dans son jugement l'hostilitĂ© de la CIA, mais a dĂ©clarĂ© que âla CIA ne parle pas au nom de l'administration amĂ©ricaineâ.
Il faut souligner que c'est aprĂšs le jugement Baraitser que Yahoo News a publiĂ© son enquĂȘte sur le complot du gouvernement amĂ©ricain contre Assange.
Le tribunal a entendu parler de l'action de la CIA contre Assange par le tĂ©moin protĂ©gĂ© n° 2, mais uniquement de la surveillance illĂ©gale de l'ambassade d'Ăquateur ainsi que d'autres lieux. Il n'Ă©tait pas au courant du projet d'enlĂšvement et d'assassinat. Tout cela Ă©tait bien rĂ©el et faisait froid dans le dos. En effet, les poursuites et la demande d'extradition n'ont Ă©tĂ© engagĂ©es que dans le but de fournir un cadre Ă la tentative de restitution.
La persĂ©cution politique est Ă©galement Ă©vidente dans la poursuite trĂšs sĂ©lective de l'appelant. De nombreux journaux, ainsi que d'autres sites web, ont publiĂ© exactement les mĂȘmes informations. Pourtant, seul Assange a Ă©tĂ© poursuivi. Mme Baraitser a tout simplement ignorĂ© de nombreux faits cruciaux de l'affaire, et son jugement est donc manifestement erronĂ©.
La Cour europĂ©enne des droits de l'homme a statuĂ© qu'en vertu de l'article 7 de la Convention, les poursuites doivent ĂȘtre prĂ©visibles pour que l'acte commis soit criminel. Ces poursuites n'ont pas satisfait au critĂšre de prĂ©visibilitĂ© car aucun journaliste n'a jamais Ă©tĂ© poursuivi en vertu de la loi amĂ©ricaine de l'Espionage Act. Baraitser Ă©tait tenue de se prononcer sur ce point, mais s'est contentĂ©e de dire qu'il appartenait Ă la juridiction amĂ©ricaine de trancher.
La publication des fuites est routiniĂšre. Le journalisme de SĂ©curitĂ© nationale existe. Il s'agit d'un aspect bien Ă©tabli de la profession aux Ătats-Unis. Encourager les personnes en possession de documents classifiĂ©s Ă les rĂ©vĂ©ler est une pratique journalistique courante. Les lanceurs d'alerte eux-mĂȘmes ont souvent Ă©tĂ© poursuivis. Mais aucun Ă©diteur ou journaliste n'avait jamais Ă©tĂ© poursuivi pour avoir obtenu ou publiĂ© des documents classifiĂ©s de l'Ătat.
Baraitser avait entendu de nombreux témoignages incontestés sur ce point. On ne peut pas prévoir de poursuites jamais engagées auparavant.
A ce stade, le juge Johnson est intervenu pour demander si la publication d'un si grand nombre de noms d'informateurs non expurgés n'était pas également sans précédent, et si l'on pouvait s'attendre à ce que cela déclenche une réaction sans précédent ?
M. Summers a répondu qu'il y avait effectivement eu d'autres exemples de publication de noms.
Le tribunal s'est alors retiré pour la pause déjeuner.
La défense a trÚs bien commencé l'affaire. Les juges se sont montrés de plus en plus attentifs au fur et à mesure que les débats avançaient et ont parfois semblé surpris par certaines affirmations. La premiÚre question de fond posée par les juges, juste aprÚs la pause déjeuner, était manifestement hostile à Assange.
Nous avons quittĂ© la salle d'audience et nous sommes dirigĂ©s vers la cantine. Celle-ci ne comporte aucune fantaisie et nâoffre quâun choix trĂšs limitĂ©, conçu pour que les repas soient servis rapidement. J'Ă©tais avec John Shipton et la dĂ©putĂ©e allemande Sevim Dagdelen, qui a gentiment offert le dĂ©jeuner, se distinguant ainsi immĂ©diatement de tous les dĂ©putĂ©s britanniques de ma connaissance.
J'ai demandĂ© une pomme de terre au four avec du fromage, mais il s'est avĂ©rĂ© que les haricots au four et le fromage n'Ă©taient pas une option mais un âprĂ©-mixâ, et la pomme de terre a Ă©tĂ© recouverte d'un mĂ©lange orange vif. J'ai accidentellement appliquĂ© un peu de cette substance sur mon pouce qui, malgrĂ© 48 heures Ă©coulĂ©es et des lavages frĂ©quents, a conservĂ© la mĂȘme couleur que le visage de Donald Trump.
AprÚs le déjeuner, Mark Summers a pu revenir sur la question de la publication des noms d'agents et d'informateurs.
Il a indiquĂ© qu'il existait de nombreux exemples dans le passĂ© de publication de ces noms, y compris massivement, et que cela n'avait jamais donnĂ© lieu Ă l'application de l'Espionage Act ou Ă d'autres poursuites Ă l'encontre d'un Ă©diteur. Dans le cas de Philip Agee, la publication des noms a entraĂźnĂ© la rĂ©tractation de l'article, mais aucune poursuite n'a Ă©tĂ© engagĂ©e contre l'Ă©diteur. Daniel Ellsberg a d'ailleurs tĂ©moignĂ© dans cette mĂȘme affaire que la publication des Pentagon Papers avait rĂ©vĂ©lĂ© de nombreux noms, pour lesquels le New York Times n'avait pas Ă©tĂ© poursuivi.
Il a suggĂ©rĂ© qu'il Ă©tait Ă©galement utile de noter qu'aucune poursuite n'Ă©tait actuellement engagĂ©e contre le site Cryptome, qui a publiĂ© les documents non expurgĂ©s de Manning avant Wikileaks, et qui les diffuse encore aujourd'hui. Depuis ces Ă©vĂ©nements, une loi a Ă©tĂ© adoptĂ©e aux Ătats-Unis pour interdire spĂ©cifiquement la publication de noms d'agents des services secrets et de sources, mais cette lĂ©gislation se limite spĂ©cifiquement aux agents de l'Ătat et n'inclut pas les Ă©diteurs ou les journalistes.
Ces poursuites restent donc sans prĂ©cĂ©dent et imprĂ©visibles. Aucune affaire amĂ©ricaine n'a jamais cherchĂ© Ă poursuivre des Ă©diteurs ayant publiĂ© des secrets d'Ătat. Le principe directeur est restĂ© celui dĂ©fini par le juge Stewart :
âLa presse autonome peut publier ce qu'elle sait et chercher Ă apprendre ce qu'elle peutâ.
Face Ă ce vaste Ă©ventail de pratiques et de jurisprudences, a poursuivi M. Summers, tout ce que le gouvernement amĂ©ricain a rĂ©ussi Ă produire, c'est une affaire de premiĂšre instance nommĂ©e Rosen, dans laquelle le tribunal a âenvisagĂ© la possibilitĂ©â que la rĂ©ception et la transmission d'informations classifiĂ©es, indĂ©pendamment du lanceur d'alerte, puissent constituer un dĂ©lit. Mais cette affaire concernait des lobbyistes d'entreprise et non le journalisme ou l'Ă©dition, elle n'avait de toute façon jamais Ă©tĂ© jugĂ©e et Ă©manait d'un tribunal dont l'autoritĂ© Ă©tait comparable Ă celle de la Truro Magistrates Court.
C'était littéralement le seul argument que le gouvernement américain avait à offrir. Pourtant, Baraitser leur a donné raison.
Le juge Johnson s'est alors interrompu pour demander quel Ă©tait le lien avec l'aspect âvol d'informationsâ dans les charges retenues contre Assange, et avec l'aide apportĂ©e Ă Manning pour crĂ©er un mot-clĂ© (hashtag). Dans sa forme la plus extrĂȘme, ne s'agit-il pas d'un complot visant Ă s'emparer illĂ©galement de documents d'Ătat ?
Summers a répondu que c'était une pratique journalistique standard d'encourager et d'aider les lanceurs d'alerte à obtenir des documents pour la presse. Il existe un trÚs grand nombre de cas de ce type, mais en 2010, aucune poursuite n'a été engagée. Le gouvernement américain a cité deux exemples de telles poursuites, mais ils datent de 2012 et 2016 et ne sont pas pertinents pour déterminer si Julian Assange aurait pu anticiper de telles poursuites en 2010.
Ă ce stade, M. Summers a semblĂ© particuliĂšrement exaspĂ©rĂ©. Il s'est adressĂ© aux juges comme s'il Ă©tait un astrophysicien de renom qui, pour une raison quelconque, se retrouvait Ă enseigner les mathĂ©matiques Ă©lĂ©mentaires Ă une classe de rattrapage indisciplinĂ©e dans un Ă©tablissement pour jeunes dĂ©linquants. Il avait la mĂąchoire crispĂ©e, et ses mains se croisaient et se dĂ©croisaient nerveusement. Je n'aurais pas pariĂ© un kopeck sur une prochaine formule du genre âĂ©coute, pauvre imbĂ©cileâ. De temps en temps, un silence menaçant s'installait, tandis qu'il se penchait en avant et appuyait son poids sur ses poings posĂ©s sur le pupitre en face de lui, ce qui semblait l'aider Ă contrĂŽler sa colĂšre.
Se ressaisissant, il a poursuivi :
Il Ă©tait du devoir du juge Baraitser de s'assurer que l'extradition ne violait pas l'article VII de la CEDH relatif Ă l'Ătat de droit. Si les poursuites Ă©taient imprĂ©visibles, comme c'est le cas, il s'agissait d'une violation. Le jugement de Mme Baraitser a dĂ©cidĂ© que la dĂ©cision sur ce point devait ĂȘtre prise par le tribunal des Ătats-Unis. Mais elle ne pouvait se dĂ©charger de sa responsabilitĂ© de cette maniĂšre. Elle avait le devoir explicite d'offrir la protection de la CEDH et d'examiner ce point elle-mĂȘme. En ne le faisant pas, elle a commis une erreur de droit. La Cour ne peut s'exonĂ©rer de son devoir de traiter les droits de la Convention.
M. Summers a poursuivi en dĂ©clarant que la Cour avait le devoir d'examiner l'affaire de la maniĂšre dont Strasbourg la jugerait, en appliquant les âvaleurs europĂ©ennesâ. Le juge Johnson a demandĂ© si cela s'appliquait Ă tous les chefs d'accusation de l'acte d'accusation. M. Summers a rĂ©pondu sobrement : âtousâ. Dame Victoria a ensuite demandĂ© si le fait que Mme Manning ait eu connaissance des informations dans le cadre normal de son travail ou qu'elle les ait recherchĂ©es activement faisait une diffĂ©rence.
M. Summers a rĂ©pondu que ce que la Cour de Strasbourg dirait Ă ce sujet, c'est qu'il y avait un ârapport de proportionnalitĂ©â.
Mme Manning a rĂ©vĂ©lĂ© une criminalitĂ© massive au niveau de l'Ătat, qui touche au cĆur et Ă l'objectif mĂȘme de la structure pour laquelle elle travaillait. Bien entendu, elle avait le droit de rechercher activement des preuves de cette criminalitĂ©. Les rĂ©vĂ©lations de Mme Manning ont Ă©tĂ© motivĂ©es par sa conscience et n'ont obĂ©i Ă aucun autre motif. Il y avait manifestement un Ă©norme enjeu d'intĂ©rĂȘt public Ă la publication.
Sur la question de l'intĂ©rĂȘt public, la jurisprudence de Strasbourg diffĂšre radicalement de la lĂ©gislation nationale anglaise sur les secrets officiels, mais lorsqu'il s'agit d'examiner les droits de la Convention, la Cour est obligĂ©e de le faire Ă travers le prisme de Strasbourg.
La question Ă©tait la suivante : âLa divulgation prĂ©sente-t-elle un intĂ©rĂȘt public suffisant pour l'emporter sur l'obligation de confidentialitĂ© de cet employĂ© ?â
Les jugements de Strasbourg ont clairement montrĂ© qu'il ne suffisait pas de parler de âsĂ©curitĂ© nationaleâ. Les agissements des gouvernements, en particulier lorsqu'il s'agit de crimes d'Ătat, doivent ĂȘtre soumis Ă l'examen du public.
Le juge Johnson est alors intervenu pour demander quel était le lien avec le préjudice causé aux sources dont les noms ont été révélés dans la publication.
M. Summers a de nouveau pris sur lui et dĂ©clarĂ© qu'aucune preuve n'avait Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e, ni lors de ces audiences ni lors du procĂšs de Chelsea Manning, qu'un quelconque prĂ©judice ait Ă©tĂ© causĂ© Ă l'une des personnes citĂ©es. Il n'y a eu aucune allĂ©gation, dans toute l'affaire des Ătats-Unis, que quelqu'un ait subi un prĂ©judice. L'allĂ©gation portait sur le fait qu'ils avaient Ă©tĂ© mis en danger.
Ce qui a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©, c'est un crime d'Ătat Ă grande Ă©chelle, y compris des crimes de guerre gravissimes. En contrepartie, il y a eu un risque potentiel pour les personnes impliquĂ©es dans ces crimes. En examinant le bilan, Strasbourg prendrait en compte le fait qu'elle-mĂȘme, en tant que cour de justice, a fait usage des donnĂ©es de Manning dans plusieurs affaires juridiques trĂšs importantes. La Cour pĂ©nale internationale a Ă©galement utilisĂ© ces documents.
Mme Manning est une lanceuse d'alerte et ses documents revĂȘtent un intĂ©rĂȘt public considĂ©rable, le plus important qui soit. Cela pĂšserait trĂšs lourd dans le bilan de la proportionnalitĂ©, comparĂ© Ă la disproportion des peines amĂ©ricaines en cas de divulgation.
Plus fondamentalement, Manning Ă©tait une lanceuse d'alerte ayant rĂ©vĂ©lĂ© des actes criminels graves au niveau de l'Ătat. Les publications Ă©taient donc des discours protĂ©gĂ©s et Strasbourg aurait dĂ©cidĂ© de ne pas engager de poursuites. La rĂ©ponse Ă la question de Dame Victoria, a conclu M. Summer, est la suivante :
âSi le discours est protĂ©gĂ©, il ne peut pas ĂȘtre criminalisĂ©â.
L'intention d'Assange Ă©tait politique et les retombĂ©es l'Ă©taient aussi. Il s'agissait notamment de mettre fin aux assassinats par drone au Pakistan, de modifier les rĂšgles d'engagement des forces amĂ©ricaines en Afghanistan et mĂȘme de contribuer Ă mettre un terme Ă la guerre en Irak. Il ne fait aucun doute que l'intĂ©rĂȘt public Ă©clipse tous les autres arguments.
De plus, contrairement à Manning, Assange n'était soumis à aucune obligation de secret envers le gouvernement américain.
Dame Victoria l'a interrompue pour dire que le juge Baraitser avait traité tous ces arguments au paragraphe 110 de son jugement.
Summers l'a regardée d'un air navré.
âNon, elle ne le fait pasâ, a-t-il poursuivi, âelle s'est contentĂ©e d'examiner la loi sur les secrets officiels et l'arrĂȘt Shayler. Elle ne reconnaĂźt nulle part l'intĂ©rĂȘt public des divulgations. Elle se contente de reconnaĂźtre tout ce qui penche de l'autre cĂŽtĂ© de la balance. Elle ne procĂšde aucunement Ă l'exercice de mise en balance requis. Elle n'a jamais pris la mesure du critĂšre qu'elle doit appliquer et juger de l'intĂ©rĂȘt public sur la base des faits du dossierâ.
Pendant la pause dĂ©jeuner, les juges ont manifestement regagnĂ© leurs repaires habituels, oĂč on leur a dispensĂ© des senteurs odorantes, on les a aspergĂ©s d'eau et on leur a demandĂ© de faire preuve du plus grand sang-froid. Le juge Johnson a posĂ© la question avec une pointe de sarcasme : âDonc, rĂ©vĂ©ler l'identitĂ© des informateurs⊠Comment faire la part des choses ?â
Dame Victoria a dĂ©clarĂ© que le juge Baraitser avait notĂ© qu'il s'agissait d'un cas de âdivulgation aveugleâ condamnĂ©e par le New York Times, le Guardian et les autres partenaires mĂ©diatiques de M. Assange.
M. Summers a rĂ©pondu que le risque pour les personnes citĂ©es faisait simplement partie de l'exercice de mise en balance que le juge Baraitser ne sâĂ©tait pas donnĂ© la peine dâeffectuer. Ce risque doit ĂȘtre comparĂ© Ă la valeur de la divulgation des crimes de guerre commis. Et vous parlez d'un risque potentiel pour des informateurs amĂ©ricains susceptibles d'ĂȘtre mis en danger, par rapport Ă des crimes de guerre qui se sont rĂ©ellement produits. Des milliers de personnes ont Ă©tĂ© assassinĂ©es, torturĂ©es, dĂ©portĂ©es, etc.
L'incapacitĂ© de Mme Baraitser Ă mettre en balance l'intĂ©rĂȘt public et l'Ătat de droit au titre de l'article 7 de la Convention Ă©tait flagrante, mais ce qui l'est encore plus, c'est qu'elle n'a pas du tout tenu compte de l'article X - La libertĂ© d'expression. Elle a dĂ©clarĂ© qu'il appartenait au juge amĂ©ricain de dĂ©cider si M. Assange avait droit Ă la protection du Premier Amendement aux Ătats-Unis, mais elle a ignorĂ© son propre devoir d'examiner les mĂȘmes arguments relatifs Ă la libertĂ© d'expression en vertu de l'article X de la Convention.
La jurisprudence Ă©tablie Ă Strasbourg montre que l'activitĂ© de collecte d'informations fait autant partie de l'acte d'expression protĂ©gĂ© que la publication de l'information. L'allĂ©gation de l'acte d'accusation des Ătats-Unis selon laquelle M. Assange a aidĂ© M. Manning Ă pirater le hashtag peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de deux maniĂšres. Il s'agissait soit de recueillir des informations, soit de fournir une protection Ă la source. Les deux sont lĂ©gitimes.
La Cour a Ă©galement dĂ» prendre en compte l'Ă©normitĂ© de la peine encourue par Assange. Celle-ci est tellement disproportionnĂ©e, allant jusqu'Ă 175 ans selon les accusations actuelles, qu'elle devrait elle-mĂȘme tomber sous le coup de l'article III de la Convention europĂ©enne des droits de l'homme. S'y ajoutent les effets dissuasifs de ce type de poursuites et de condamnations sur les autres journalistes et Ă©diteurs. Cela aussi doit ĂȘtre examinĂ© dans la perspective de l'intĂ©rĂȘt public.
Summers a terminé et s'est assis. Nous avons regardé autour de nous et avons été plutÎt soulagés de constater qu'il semblait avoir terminé sa prestation sans que personne n'ait été blessé physiquement.
Mais Summers a clairement fait son effet. L'attitude et la gestuelle des juges avaient changĂ©. Il Ă©tait parfaitement clair qu'il leur avait prĂ©sentĂ© des faits sur l'affaire dont ils n'avaient jamais entendu parler auparavant, et des arguments qu'ils trouvaient convaincants. Leurs Ă©changes de regards sont devenus plus frĂ©quents et, Ă certains moments, Johnson s'est dĂ©placĂ© pour en discuter. Ils regardaient des choses, dĂ©plaçaient des papiers et fronçaient les sourcils. Il Ă©tait Ă©vident qu'ils accordaient un grand respect Ă Summers, mĂȘme si, dans la mesure oĂč c'Ă©tait rĂ©ciproque, il le cachait trĂšs bien.
Edward Fitzgerald s'est à nouveau levé et tout le tribunal s'est détendu. Les épaules de tous se sont affaissées d'un centimÚtre. Les deux juges l'ont regardé avec tendresse, comme un oncle bien-aimé qui se lÚve aprÚs un bon repas de Noël et va maintenant faire des tours de prestidigitation pour la famille, dont tout le monde sait qu'ils seront hilarants pendant, mais au final spectaculaires.
Pour une raison inconnue, Fitzgerald se tenait au pupitre du creux de son coude lorsqu'il a commencĂ© Ă s'adresser aux juges, triant progressivement ses papiers et dossiers au fur et Ă mesure qu'il progressait. Il a dĂ©clarĂ© que l'extradition devait ĂȘtre refusĂ©e parce qu'Assange est victime de discrimination en raison de sa nationalitĂ©. Dans son affidavit au nom de l'accusation, le procureur gĂ©nĂ©ral adjoint Kronberg a dĂ©clarĂ© qu'Assange pourrait ĂȘtre dĂ©clarĂ© non Ă©ligible aux droits du Premier Amendement et aux protections de la libertĂ© d'expression, Ă©tant donnĂ© qu'il Ă©tait un ressortissant Ă©tranger. C'est Ă©galement ce qu'a dĂ©clarĂ© Mike Pompeo, un haut fonctionnaire de l'administration.
Le juge Baraitser avait dĂ©clarĂ© que l'affaire USAID sur ce point n'Ă©tait pas pertinente car elle ne s'appliquait qu'aux entreprises situĂ©es en dehors des Ătats-Unis. Or, la dĂ©claration sous serment Ă l'origine de l'acte d'accusation indiquait que les Ătats-Unis pourraient appliquer ce principe Ă Assange, et Mike Pompeo l'avait Ă©galement dĂ©clarĂ©. M. Baraitser avait donc manifestement tort.
Dame Victoria a ajoutĂ© que le juge Baraitser avait Ă©galement dĂ©clarĂ© que la position du gouvernement amĂ©ricain Ă©tait que cette affaire ne relevait pas vraiment du Premier Amendement. Fitzgerald a rĂ©pondu qu'il s'agissait trĂšs certainement d'une affaire relative au Premier Amendement sur la libertĂ© d'expression, et que la dĂ©fense souhaitait faire valoir le Premier Amendement. L'accusation elle-mĂȘme a dĂ©clarĂ© que la possibilitĂ© de refuser cette dĂ©fense Ă Julian Assange pour des raisons discriminatoires liĂ©es Ă la nationalitĂ© Ă©tait une option a minima '(pour des raisons discriminatoires de nationalitĂ©).
Si la défense privilégiée du défendeur est bloquée pour des raisons de nationalité, cela suffit pour refuser l'extradition. La notion de procédure déloyale n'est pas tributaire de son résultat.
La question a Ă©tĂ© largement soulevĂ©e et les Ătats-Unis n'ont pas donnĂ© de garanties qu'ils ne traiteraient pas Assange de cette maniĂšre discriminatoire.
Sur ce point également, les juges se sont regardés l'un l'autre, manifestement perplexes. Cette affaire n'était pas aussi simple à rejeter qu'ils l'avaient prévu.
M. Fitzgerald a ensuite dĂ©clarĂ© que, contrairement aux articles VI et VII de la CEDH, il Ă©tait possible, aux Ătats-Unis, d'ĂȘtre condamnĂ© pour des faits dont on n'a pas Ă©tĂ© accusĂ© ou pour lesquels on a mĂȘme Ă©tĂ© acquittĂ©. Cela peut se produire lors d'un ârenforcement de la peineâ, lorsqu'un juge peut invoquer d'autres comportements prĂ©sumĂ©s ne figurant pas dans le procĂšs, afin d'influer sur la peine. Comme cela se dĂ©roule sur la base du principe de la âbalance des probabilitĂ©sâ, il y a mĂȘme eu de nombreux cas oĂč le juge a condamnĂ© des personnes pour des dĂ©lits dont elles avaient Ă©tĂ© acquittĂ©es par le jury sur la base du principe âau-delĂ de tout doute raisonnableâ.
M. Fitzgerald a donnĂ© l'exemple d'une personne accusĂ©e de trafic de cannabis qui avait Ă©tĂ© condamnĂ©e pour un meurtre au second degrĂ© qui n'avait jamais fait l'objet de poursuites. Il a dĂ©clarĂ© que dans l'affaire Assange, cette situation Ă©tait particuliĂšrement propice Ă l'ouverture de poursuites. Aucun des chefs d'accusation dont la Cour est saisie n'est liĂ© aux fuites de Vault 7, mais la dĂ©fense estime que ces fuites ont motivĂ© l'accusation. C'est Ă la suite de la publication de Vault 7 que Pompeo a dĂ©signĂ© Wikileaks comme une âagence de renseignement hostile non Ă©tatiqueâ. Il est trĂšs probable qu'Assange soit condamnĂ© pour les fuites de Vault 7, dont il n'a jamais Ă©tĂ© accusĂ©. Joshua Schulte, l'auteur prĂ©sumĂ© de la fuite Vault 7, vient d'ĂȘtre condamnĂ© Ă 40 ans de prison.
Ce type d'arrangements atteint certainement le seuil du âdĂ©ni de justice flagrantâ que les tribunaux ont dĂ©fini comme nĂ©cessaire pour empĂȘcher une extradition pour cause d'absence de procĂ©dure rĂ©guliĂšre.
Dame Victoria a demandĂ© si cela allait jusqu'Ă annuler l'extradition dans toutes les affaires pĂ©nales amĂ©ricaines. Fitzgerald rĂ©pond que non, que chaque cas doit ĂȘtre Ă©valuĂ© individuellement concernant l'importance du risque. Elle a demandĂ© si les rĂ©vĂ©lations de Vault 7 constituaient un risque dans ce cas, ce Ă quoi Fitzgerald a rĂ©pondu par l'affirmative, bien qu'il y ait eu d'autres facteurs.
M. Fitzgerald a ensuite abordĂ© le tĂ©moignage du tĂ©moin protĂ©gĂ© n° 2 et la question de la surveillance illĂ©gale d'Assange Ă l'ambassade, y compris de ses consultations juridiques, ainsi que le complot visant Ă l'enlever, voire Ă le tuer, par les autoritĂ©s de l'Ătat qui demandait son extradition. La rĂ©ponse de M. Baraitser a Ă©tĂ© de ne pas en tenir compte parce que ces faits font l'objet d'une procĂ©dure pĂ©nale en Espagne, mais (a dĂ©clarĂ© M. Fitzgerald) âce n'est pas une raison pour ne pas l'examinerâ.
Les rĂšgles strictes de la preuve juridique ne s'appliquent pas Ă l'examen d'un danger rĂ©el pour la vie lorsque des questions de droits de l'homme et de motivation politique sont en jeu. L'article de Yahoo News est considĂ©rĂ© comme une preuve acceptable lors de l'examen d'une demande d'asile dans le cadre de la Convention relative au statut des rĂ©fugiĂ©s, et il convient de lui accorder la mĂȘme importance aujourd'hui. M. Pompeo a lui-mĂȘme confirmĂ© qu'une bonne partie de l'article Ă©tait fondĂ©e.
S'il est extradĂ© vers les Ătats-Unis, il existe un rĂ©el danger que la vie d'Assange soit prise pour cible par les services de renseignement amĂ©ricains. La CIA joue notamment un rĂŽle majeur dans le placement en prison et l'imposition de mesures administratives spĂ©ciales, dĂ©finies par les Nations unies comme Ă©quivalant Ă de la torture.
Dame Sharp a indiquĂ© que l'accusation amĂ©ricaine avait dĂ©clarĂ© qu'Assange pourrait ĂȘtre transfĂ©rĂ© dans une prison en Australie. M. Fitzgerald a dĂ©clarĂ© qu'il s'agissait d'une suggestion trĂšs hypothĂ©tique. En tout Ă©tat de cause, M. Assange serait passible d'une dĂ©tention prĂ©ventive de deux ans ou plus aux Ătats-Unis, puis de plusieurs annĂ©es supplĂ©mentaires en cas d'appel. Les conditions du transfert entre les Ătats-Unis et l'Australie feraient l'objet de nĂ©gociations diplomatiques. Pendant tout ce temps, Assange serait soumis Ă la âpossibilitĂ© rĂ©elle d'une attaque extrajudiciaireâ, tout en Ă©tant dĂ©tenu aux Ătats-Unis.
Enfin, M. Fitzgerald s'est dĂ©tournĂ© des motifs pour lesquels l'appel devrait ĂȘtre autorisĂ© contre le jugement de M. Baraitser, pour s'intĂ©resser aux motifs pour lesquels le ministre de l'intĂ©rieur (Priti Patel, je crois - ils vont et viennent si vite) avait manquĂ© Ă son devoir en autorisant l'extradition.
M. Fitzgerald a dĂ©clarĂ© que le ministre de l'intĂ©rieur avait une obligation distincte de faire appliquer l'article 4 du traitĂ© d'extradition, Ă©tant donnĂ© qu'elle exĂ©cutait un protocole en vertu du traitĂ©. Elle n'a pas respectĂ© cette obligation. Elle n'a pas non plus exercĂ© son propre jugement, comme elle aurait dĂ» le faire dans le cas du prĂ©cĂ©dent Gary McKinnon. La secrĂ©taire d'Ătat doit Ă©galement agir Ă tout moment en conformitĂ© avec la CEDH.
Par ailleurs, la secrĂ©taire d'Ătat a manquĂ© Ă son obligation spĂ©cifique d'obtenir l'assurance que la peine de mort ne serait pas appliquĂ©e, avant d'accepter l'extradition. Les Ătats-Unis peuvent Ă tout moment ajouter d'autres charges Ă l'encontre d'Assange, y compris la complicitĂ© de trahison ou d'autres charges relevant de l'Espionage Act, passibles de la peine de mort. Dans ces circonstances, il est de coutume d'obtenir des garanties contre la peine de mort, et il est suspect qu'elles n'aient pas Ă©tĂ© fournies.
La loi sur ce point est trĂšs claire : en l'absence de garanties contre la peine de mort, l'extradition doit ĂȘtre empĂȘchĂ©e par le ministre de l'intĂ©rieur, et l'accusĂ© doit ĂȘtre libĂ©rĂ©.
Sur ce point plutĂŽt sinistre, le juge Sharp a conclu la journĂ©e, et nous sommes sortis en titubant dans une soirĂ©e londonienne humide. Pour ceux d'entre nous qui ont un cerveau plus petit que celui de M. Fitzgerald, la quantitĂ© d'informations Ă faire entrer dans nos tĂȘtes en une journĂ©e Ă©tait considĂ©rable, et la foule nombreuse qui a manifestĂ© avec force son soutien lorsque nous sommes sortis ne m'a pas du tout impressionnĂ©.
Tout s'est passé mieux que je ne l'avais imaginé.
Pour la premiÚre fois en cinq ans d'audiences d'extradition, j'ai eu l'impression que les juges écoutaient et s'impliquaient réellement. Il était évident qu'ils avaient été informés au préalable par les services de sécurité que le seul problÚme dans cette affaire était la mise en danger des informateurs américains dont les noms avaient été révélés. Il était également évident qu'ils n'avaient lu que trÚs peu de documents, puisqu'ils ont constamment demandé des références et semblaient ne pas connaßtre de nombreux faits fondamentaux de l'affaire. Mais au fil de la journée, ils ont découvert beaucoup d'autres éléments à prendre en compte, et ils ont semblé les prendre en compte.
Vous pouvez trouver cela Ă©trange, mais ces deux personnages se sont avĂ©rĂ©s ĂȘtre des personnes plutĂŽt sympathiques. Ils Ă©taient d'une politesse sans faille, sans aucune prĂ©tention. Ils ont tous deux trouvĂ© amusant le moment oĂč il Ă©tait naturel de le faire et se sont montrĂ©s comprĂ©hensifs Ă l'Ă©gard de l'Ă©quipe de la dĂ©fense tout au long du procĂšs. Bien sĂ»r, je ne prĂ©tends pas que tout cela soit plus efficace que le dĂ©sir de l'establishment de voir Julian anĂ©anti, et je suis bien conscient qu'ils appartiennent tous les deux Ă l'Ătat profond. Mais je suis sorti de lâantre avec un sentiment positif.
Julian, lui, est resté dans sa petite cellule froide. La réaction du gouvernement américain interviendra le lendemain.
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