đâđš AprĂšs avoir Ă©chouĂ© Ă annuler ses concerts, la police berlinoise enquĂȘte dĂ©sormais sur Roger Waters pour incitation Ă la haine.
Waters perturbe l'image que l'Occident se fait de lui-mĂȘme en tant que superpuissance morale. L'art atteint la plus haute consĂ©cration lorsqu'il ne se contente pas de rattraper, mais la dĂ©passe.
đâđš Quand l'artiste dĂ©range, il est vite cataloguĂ© d'extrĂȘme droite
Par Milosz Matuschek, le 3 juin 2023
VoilĂ ce qui se passe actuellement en Allemagne, oĂč l'on fait tout pour interdire les concerts de Roger Waters, l'un des fondateurs de Pink Floyd, ou pour apposer des Ă©tiquettes diffamatoires sur Waters. On a d'abord essayĂ© de qualifier Waters d'antisĂ©mite parce qu'il dĂ©fend des positions critiques Ă l'Ă©gard d'IsraĂ«l, et qu'il s'engage pour la cause palestinienne. Waters a obtenu gain de cause au tribunal et a pu honorer tous les concerts prĂ©vus. La police berlinoise enquĂȘte dĂ©sormais sur lui pour incitation Ă la haine : il aurait glorifiĂ© sur scĂšne le rĂ©gime nazi dans son spectacle. Difficile de faire plus abracadabrant : quiconque met en garde contre la haine et le totalitarisme se retrouve avec la police sur le dos. L'Etat peut difficilement se montrer plus totalitaire.
Apparemment, la police berlinoise a besoin d'une mise Ă jour urgente en matiĂšre de libertĂ© artistique et de spectacles sur scĂšne. Avec un peu de recherche, il aurait Ă©tĂ© facile de dĂ©couvrir que Pink Floyd a sorti en 1979 un album intitulĂ© "The Wall", dans lequel le groupe met notamment en garde contre la montĂ©e de dictateurs totalitaires. Il existe Ă©galement un film Ă©ponyme de 1982 avec le militant politique Bob Geldof dans le rĂŽle du dictateur. Depuis des annĂ©es, Waters se glisse dans le rĂŽle de ce dictateur dans son spectacle sur scĂšne, portant un long manteau en cuir, un brassard avec deux marteaux croisĂ©s, tirant sur le public avec une fausse mitraillette. Le tout accompagnĂ© de la chanson emblĂ©matique "Run like Hell", dont les paroles, appliquĂ©es Ă l'Allemagne, doivent dĂ©sormais ĂȘtre comprises comme une invitation Ă fuir la RĂ©publique.
Ceux qui ont compris comment lire entre les lignes savent que, comme souvent en Allemagne, il ne s'agit pas le moins du monde de lutter contre l'antisĂ©mitisme, ou de protĂ©ger la paix publique. La vĂ©ritable symbolique nazie chez les soldats et les commandants ukrainiens, jusqu'au prĂ©sident Zelensky, n'a pas encore suscitĂ© l'intervention d'un censeur, d'un procureur ou mĂȘme d'un rapporteur critique dans la "meilleure Allemagne de tous les temps", mais bien au contraire celle de nombreux laudateurs et encenseurs. Non, il s'agit trĂšs clairement des messages politiques de Waters. Lorsque l'art devient gĂȘnant, l'artiste est vite cataloguĂ© Ă l'extrĂȘme droite. Waters perturbe l'image que l'Occident se fait de lui-mĂȘme en tant que superpuissance morale, comme aucun autre artiste. Son crime est que son art semble toucher toujours plus efficacement les points sensibles de notre Ă©poque avec des contenus d'il y a 40 ans, et l'art ne se contente donc pas de rattraper la rĂ©alitĂ©, mais la dĂ©passe.
Depuis plus de 50 ans, Waters est une Ă©pine dans le pied ("In the Flesh ?") de l'establishment. Partout oĂč il est question de corruption, de concentration du pouvoir, d'aspirations totalitaires, de crimes de guerre ou de violation des droits de l'homme, il fait entendre sa voix. Dans son spectacle sur scĂšne, il est plus que clair : rares sont les prĂ©sidents amĂ©ricains qui n'ont pas Ă©tĂ© des criminels de guerre, Waters montre des extraits de la vidĂ©o "Collateral Murder" publiĂ©e par Wikileaks, qui montre le meurtre de civils et de journalistes par des soldats amĂ©ricains en Irak, et exige sans Ă©quivoque : Free Assange ! La derniĂšre accusation d'incitation Ă la haine est une tentative transparente d'Ă©loigner le porteur de ces messages de l'opinion publique. Waters atteint finalement un public de plusieurs millions de personnes avec ses spectacles, la tournĂ©e est quasiment complĂšte, bien que les billets ne soient pas exactement au rabais.
Combien de temps encore l'Allemagne veut-elle ĂȘtre la risĂ©e du monde ? Les autoritĂ©s violent la libertĂ© artistique et desservent la lutte contre l'antisĂ©mitisme lorsque le droit pĂ©nal est utilisĂ© pour censurer les artistes dĂ©rangeants. Steven Spielberg sera-t-il bientĂŽt dĂ©noncĂ© ? AprĂšs tout, dans "La liste de Schindler", de nombreux SS dĂ©filent Ă l'image avec des manteaux de cuir et de vĂ©ritables brassards Ă croix gammĂ©e. Il est temps que l'appareil judiciaire se dĂ©fende contre une instrumentalisation politique aussi Ă©vidente. Tout cela a au moins un avantage : de plus en plus de gens vont dĂ©sormais connaĂźtre Roger Waters, assisteront Ă ses concerts, et entendront sa mise en garde parodique contre le totalitarisme.
Merci, la police berlinoise !