👁🗨 Assange & Rebecca Vincent (RSF) : "Il est temps que les Etats-Unis et le Royaume-Uni mettent un terme à cette affaire, ils doivent montrer l'exemple"
Un homme innocent attend son extradition vers les États-Unis, et l'opinion publique mondiale doit faire pression sur les responsables politiques américains & britanniques. La vie de Julian est en jeu.
👁🗨 Assange & Rebecca Vincent (RSF) : "Il est temps que les Etats-Unis et le Royaume-Uni mettent un terme à cette affaire, ils doivent montrer l'exemple"
Par Stefania Maurizi, le 11 Avril 2023
REPORTERS SANS FRONTIERES - Julian Assange a passé quatre ans à Belmarsh en tant que citoyen innocent. Sa santé décline sérieusement et il est isolé, les autorités britanniques faisant tout leur possible pour le faire disparaître des radars de l'opinion publique, afin de faciliter sa future extradition vers les Etats-Unis. La semaine dernière, Reporters sans frontières s'est vu refuser l'accès à M. Assange, alors qu'une visite avait été dûment autorisée par les autorités pénitentiaires.
Il a perdu sa liberté en 2010. Depuis qu'il a révélé des documents secrets américains exposant des crimes de guerre et des actes de torture, Julian Assange n'a plus connu la liberté, et il a passé les quatre dernières années, depuis le 11 avril 2019, incarcéré dans la prison la plus dure de Grande-Bretagne, le centre pénitentiaire de Belmarsh. C'est un homme innocent qui attend son extradition vers les États-Unis, où il risque d'être enfermé à jamais dans une prison de haute sécurité pour son travail journalistique, à moins que les tribunaux britanniques ou la Cour européenne des droits de l'homme ne se prononcent contre son extradition dans les mois à venir, ou que l'opinion publique mondiale n'y mette fin en faisant pression sur les responsables politiques américains et britanniques. La vie de Julian Assange est en jeu. La semaine dernière, le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, et sa directrice des campagnes, Rebecca Vincent, ont tenté de rendre visite à Julian Assange à Belmarsh, mais les autorités pénitentiaires ne les ont pas autorisés à entrer. Il Fatto Quotidiano s'est entretenu avec Rebecca Vincent.
🎙 Vous aviez demandé la permission avant de lui rendre visite, n'est-ce pas ?
Oui, nous avons suivi toute la procédure et nous sommes soumis à tous les contrôles, ce qui a pris beaucoup de temps. En fait, je voulais lui rendre visite en prison depuis longtemps, mais cela n'a pas été possible pendant deux ans à cause de la pandémie. Beaucoup de règles, les créneaux horaires, certains jours et pas d’autres. Nous nous sommes donc inscrits et nous avons reçu la confirmation le 21 mars qu’une visite serait possible le 4 avril, à 9 h 15. Nous nous sommes présentés tôt, avec tous nos documents, nous avions lu toute la règlementation. Nous sommes arrivés environ une heure avant la visite, nous sommes allés à la réception et, sans même vérifier nos documents, on nous a dit que non, nous ne serions pas autorisés à entrer.
Ils ont dit - c'est la partie que je préfère - qu'ils avaient "reçu des informations" selon lesquelles nous étions des journalistes et que, par conséquent, nous ne serions pas autorisés à entrer. Nous avons dit : "D'accord, il doit y avoir un malentendu. RSF est une ONG, nous sommes ici en tant qu'ONG, nous suivons les règles de la prison, nous lui rendons visite comme n'importe quel autre visiteur". Mais ils ont dit que la décision avait été prise par le directeur de la prison, et que la seule chose que nous pouvions faire était d'écrire une plainte à l'adresse électronique qu'ils nous ont donnée. J'ai demandé à plusieurs reprises si nous pouvions parler au directeur de la prison. “D’urgence, car nous aimerions résoudre ce problème, nous aimerions lui rendre visite". Nous étions d'ailleurs sur la liste avec Stella [la femme d'Assange], qui est venue, et qui est entrée, mais elle n'était pas là quand tout cela s'est passé, elle est arrivée un peu plus tard. Elle a été autorisée à entrer normalement, et nous étions censés entrer avec elle. Quoi qu'il en soit, nous avons tout tenté sur place pour résoudre la situation, mais impossible, ils n'ont pas voulu en parler davantage.
Nous avons écrit un courriel à l'adresse de la plainte, un courriel urgent. Nous avons appelé les avocats de Julian, nous avons tenté plusieurs choses. Mais il était tôt le matin, et personne ne pouvait joindre le directeur de la prison. À un moment donné, je suis retourné voir les fonctionnaires à la réception, et j'ai essayé de leur parler à nouveau, mais l'un d'eux m'a dit "Comment pouvez-vous dire que vous n'êtes pas un journaliste alors que vous sortez pour parler aux médias à l'extérieur", et j'ai répondu "Ça n’a rien à voir ! En effet, nous avions envoyé un communiqué aux médias ; nous avions organisé un rendez-vous avec les journalistes à l'extérieur de la prison à 11 h 15, parce que nous allions être la première ONG à rendre visite à Julian en prison, et nous allions ensuite faire des commentaires aux médias”. Peut-être ont-ils été effrayés par la présence de la presse à l'extérieur au moment notre visite. Mais d'autres personnes sont sorties de leur visite et ont parlé aux médias, ce n'est donc pas un motif pour nous interdire l'accès, en fait ce n'est pas légal. Le fait que nous parlions aux médias ne constitue pas non plus une preuve que nous sommes des journalistes.
🎙 Souhaitez-vous également évaluer son état de santé ?
Absolument, car nous sommes inquiets pour lui. Nous savons qu'il souffre de divers problèmes de santé mentale, et qu'il a également des problèmes de santé physique en prison. Donc oui, l'une des raisons pour lesquelles nous voulons le voir est d'évaluer son état de santé. N'oubliez pas qu'il n'est pas sorti de prison depuis l'audience de libération sous caution du 6 janvier 2021. J'étais au tribunal ce jour-là, je l'ai donc vu. Il était dans un box vitré de l'autre côté de la salle, mais c'est une petite salle d'audience, et je l'ai donc très bien vu ce jour-là. C'est la dernière fois qu'il a été autorisé à se rendre au tribunal. Après cela, il n'a pu y assister que par vidéoconférence depuis la prison. Et parfois, sur la liaison vidéo, il avait l'air très mal en point, notamment en octobre 2021, et nous savons maintenant qu'il a eu un mini accident vasculaire cérébral en prison en octobre 2021. Quoi qu'il en soit, personne ne l'a vu en dehors de ces murs depuis plus de deux ans, et il n’a reçu que très peu de visites. Elles étaient totalement interdites pendant le Covid. Stella dit qu'elle va généralement le voir deux fois par semaine, et qu'elle amène souvent les enfants. Parfois, d'autres membres de la famille lui rendent visite, et il a eu quelques autres visiteurs, mais très peu au cours des quatre années passées à Belmarsh. Ils l'ont donc complètement isolé. Nous nous inquiétons de son bien-être ; nous voulons le voir. Et nous voulons lui parler de son cas, et nous devrions pouvoir le faire.
🎙 Le but est de l'isoler, de le briser et de le faire disparaître du radar de l'opinion publique...
Il semblerait que ce soit le cas. Et je note aussi que de notre côté, dans tout le travail accompli à Reporters sans frontières sur cette affaire, au Royaume-Uni, nous nous heurtons toujours à ces barrières ridicules. Ce sont toutes des barrières mises en place par les autorités britanniques. Vous savez que nous avons eu du mal à entrer au tribunal tout au long de la procédure, n'est-ce pas ? Et c'est assez ironique, parce que les problèmes que j'ai eus pour entrer au tribunal étaient précisément dus au fait que je ne suis pas journaliste. Ils ne savaient pas vraiment comment traiter les observateurs des ONG, et le tribunal a estimé que nous n'étions pas différents du public, si bien que j'ai dû me battre pour obtenir une place dans la galerie publique. Le juge Baraitser a révoqué l'accès à la liaison vidéo pour les ONG, de sorte que le seul moyen pour moi d'obtenir des informations du tribunal était de me rendre en personne dans la galerie publique. Quoi qu'il en soit, il a fallu batailler à chaque étape de la procédure d'extradition ; c'était quelque chose de différent à chaque fois. Il était pratiquement impossible d'entrer au tribunal. Il en a été de même pour certaines pétitions "Free Assange" , nous en avons diffusées plusieurs au fil des ans, mais lorsque nous avons essayé de les remettre au gouvernement britannique, ils ne les ont pas acceptées. Nous avons essayé d'en apporter une à Stella en septembre 2020, lorsque les audiences consacrées aux preuves ont débuté. Nous avons essayé de remettre une pétition à Downing Street [siège du Premier ministre], mais ils n'ont pas voulu l'accepter. Puis, l'été dernier, nous avons essayé de remettre une pétition au ministère de l'Intérieur, qui n'a pas voulu la prendre. C'est comme si, à chaque fois que nous interagissons avec les autorités britanniques à quelque niveau que ce soit dans cette affaire, elles optent pour le secret, ne s'engagent pas, et nous empêchent de faire notre travail le plus banal de défenseurs de la liberté de la presse. Qu'y a-t-il donc dans cette affaire ? Qu'ont-ils donc à cacher ?
🎙 Avez-vous déjà rencontré ce genre de difficultés dans des États autoritaires, comme la Chine ou la Russie, lorsque vous suiviez le cas de journalistes arrêtés ?
Je ne pense pas que l'on puisse faire de comparaisons directes, parce que je n'ai pas essayé d'entrer dans une prison dans ces pays, pas en tant que Reporters sans frontières. J'ai déjà été dans des prisons, après tout je suis une ancien diplomate, mais en endossant un autre rôle. Je ne peux donc pas faire de comparaison directe sur la question des prisons, mais je dirai que, simplement en termes d'engagement dans l'affaire, l'audition de la procédure d'extradition a certainement été l'affaire la plus difficile à laquelle j'ai eu accès au cours de toute ma carrière. Bien sûr, cela s'explique en partie par les restrictions liées à la pandémie, mais même pendant la pandémie, j'ai voyagé et j'ai pu assister à des procès sans problème en Turquie et à Malte. Il ne s'agit pas exactement de la Russie ou de la Chine, mais la Turquie n'est pas connue pour obtenir d’excellents résultats en matière de liberté de la presse ou d'adhésion à l'État de droit, et pourtant elle nous a toujours permis, à nous les observateurs des ONG, de pénétrer dans divers tribunaux.
Je dirai également qu’il est crucial que nos démocraties donnent l'exemple, et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous faisons campagne pour que le cas de Julian soit une priorité mondiale. Les États-Unis et le Royaume-Uni doivent faire mieux.
Nous ne devrions pas nous contenter de respecter des normes communes, nous devrions avoir des exigences plus élevées que les pays qui ne respectent pas la liberté de la presse ou l'État de droit. Julian Assange est devenu le prisonnier politique le plus célèbre d'une démocratie dans le monde. Tant qu'il restera en prison, mais aussi tant que cette affaire contre lui se poursuivra, elle sera l'épine dans le pied du gouvernement américain et du Royaume-Uni qui le détiennent. Ils perdront ainsi toute légitimité pour défendre d'autres cas dans d'autres parties du monde. Nous ne pouvons pas défaire ce qui a déjà été fait, mais il est temps d'y mettre un terme maintenant, de prouver qu'ils pensent ce qu'ils disent à propos de la liberté des médias. Cela les aidera à défendre d'autres cas, notamment celui d'Evan Gershkovich à Moscou.