👁🗨 Assange au cœur de l'hypocrisie américaine
Si l'administration Biden veut retrouver sa crédibilité, il doit enfin agir & annuler la procédure contre Assange, défendre les valeurs démocratiques & mettre un peu d'ordre dans sa propre boutique.
👁🗨 Assange au cœur de l'hypocrisie américaine
📰 Par Bernd Pickert, le 2 décembre 2022
Les médias internationaux demandent la fin de la procédure contre le fondateur de Wikileaks Julian Assange. Le président et le ministre de la Justice américains restent muets à ce sujet.
Le ministre américain de la Justice Merrick Garland s'y connaît en matière d'injustice et d'hypocrisie politique. Il a fait l'expérience des deux dans sa propre chair. Garland est l'homme nommé par le président de l'époque, Barack Obama, à la Cour suprême américaine en mars 2016 et que les républicains ont bloqué au Sénat. Leur argument: si peu de temps - huit mois - avant une élection, il n'était pas judicieux de pourvoir un poste aussi important. C'était injuste et hypocrite, car quatre ans plus tard, cinq semaines seulement avant les élections présidentielles de 2020, Donald Trump a nommé en urgence l'ultra-conservatrice Amy Coney Barrett - et le parti républicain ne s'y est pas opposé.
La duplicité devrait donc être quelque chose que Merrick Garland réprouve par principe. Mais dans le cas de Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, toujours emprisonné en Grande-Bretagne et qui lutte contre son extradition vers les Etats-Unis, Garland ne fait pas mieux. D'un trait de plume, lui et le président Joe Biden pourraient mettre fin aux procédures, Assange serait libre - après sept ans dans l'ambassade équatorienne à Londres et plus de trois ans dans la prison britannique. Mais ils ne le font pas.
Source: Manning
Cette semaine, les cinq médias internationaux le New York Times, le Guardian, Le Monde, El País et Der Spiegel ont publié un appel urgent au gouvernement américain pour qu'il mette fin à la procédure contre Assange et retire sa demande d'extradition. Il s'agissait des cinq médias qui avaient publié en 2010 une série de révélations sur les crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan, basées sur des documents secrets de Wikileaks, transmis par la lanceuse d'alerte Chelsea Manning.
Ni Garland ni Biden n'ont donné la moindre réponse à cet appel.
Pendant ce temps, Merrick Garland veut apparaître comme le protecteur de la liberté de la presse. Cette année, il a élaboré de nouvelles directives sur la manière dont ses autorités de poursuite pénale traitent les représentants des médias. Elles doivent garantir la protection des journalistes et de leurs sources contre les poursuites de l'Etat. La collecte d'informations par les journalistes doit être explicitement protégée, et cela inclut, selon le texte, "la réception, la possession ou la publication d'informations gouvernementales, y compris d'informations classifiées, ainsi que la mise en place de mécanismes pour obtenir de telles informations, y compris par des sources anonymes ou confidentielles".
Absurde accusation d'espionnage
C'est heureusement très clair. Et cela inclut clairement ce que Julian Assange et Wikileaks ont fait en 2010, lorsque Chelsea Manning leur a transmis les documents secrets. Manning elle-même a rappelé, tant dans son livre qui vient de paraître que dans différentes interviews, qu'elle n'avait pas été guidée dans le vol de données par Assange ou d'autres collaborateurs de Wikileaks, mais qu'elle avait agi de son propre chef. Elle aurait même d'abord essayé de remettre le matériel directement à l'un des grands médias américains. L'accusation d'"espionnage", de toute façon absurde - c'est en vertu de cette infraction pénale datant de 1917 que les Etats-Unis veulent poursuivre Assange - est donc dénuée de tout fondement.
La publication des documents de Manning remonte à l'époque de l'administration Obama, et c'est à juste titre que celle-ci a considéré à l'époque que si elle poursuivait Assange en justice, elle devrait logiquement agir contre les médias qui ont publié le matériel. C'était un non.
Cela n'a toutefois pas empêché les autorités américaines de continuer à collecter des preuves à charge contre Assange et de l'espionner même à l'ambassade équatorienne de Londres. Ce n'est que lorsqu'Assange a perdu son asile là-bas en 2019, qu'il a été arrêté par la police britannique et incarcéré pour un délit mineur de violation des règles de libération sous caution, que l'administration Trump a pris les devants - et les accusations ont fusé les unes après les autres.
Trump aurait pourtant eu toutes les raisons politiques d'être reconnaissant envers Wikileaks: la publication des e-mails du siège du parti démocrate, piratés par la Russie, avait clairement porté préjudice à sa concurrente Hillary Clinton lors de la campagne électorale de 2016. Mais d'une part, Trump ne voulait pas non plus souligner cette référence à l'aide électorale de la part de la Russie, et d'autre part, il était lui-même très en colère contre ceux qui perçaient constamment les informations confidentielles de la Maison Blanche. Tout cela s'est traduit par des accusations de plus en plus virulentes contre Assange.
La raison pour laquelle le nouveau gouvernement n'a pas annulé cette affaire demeure le secret de Joe Biden et de Merrick Garland. Le Congrès américain discute depuis 2021 de l'International Press Freedom Act, qui doit permettre aux journalistes menacés du monde entier de bénéficier d'un soutien et d'une protection aux Etats-Unis, l'Occident tout entier s'émeut de la répression de la liberté d'expression et de la liberté de la presse en Russie - et Assange est toujours en prison à Londres.
Si le gouvernement de Biden veut retrouver sa crédibilité sur ces questions, il doit enfin agir et abandonner les poursuites contre Assange. Mieux encore : traduire enfin en justice ceux dont les crimes de guerre ont été révélés dans les documents publiés par Wikileaks. Le monde entier doit - à juste titre ! - pour défendre les valeurs démocratiques, mettre un peu d'ordre dans sa propre boutique.
https://taz.de/Klage-gegen-Wikileaks/!5897267&s=Bernd+Pickert/