👁🗨 Assange, ce marqueur de la démocratie
Dans ce monde bipolaire, rappeler des fondements démocratiques est plus que jamais nécessaire, lorsque les frontières entre les bons et les méchants se brouillent de manière inquiétante.
👁🗨 Assange, ce marqueur de la démocratie
Par Philippe Bach, le 11 juillet 2023 - English version below
JULIAN ASSANGE - Le risque d’une prochaine extradition de Julian Assange est plus élevé que jamais. Le 6 juin dernier, la Haute Cour du Royaume-Uni a rejeté un appel déposé par les défenseur·euses du fondateur de Wikileaks.
Une ultime voie de droit est encore ouverte au niveau national. En cas de nouveau rejet par les juges, ne resterait alors plus qu’une saisine de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Avec une inconnue: la justice britannique accordera-t-elle un effet suspensif, comme la jurisprudence semble l’indiquer, ou, en fidèle laquais des Etats-Unis, livrera-t-elle sans autre son encombrant prisonnier?
L’affaire est gravissime. Au-delà de son état de santé dégradé par des années d’enfermement et de harcèlement, Julian Assange n’aura pas droit à un procès équitable outre-Altantique. Qu’attendre des Etats-Unis qui ont même monté une opération pour l’assassiner au sein de l’ambassade équatorienne où il avait trouvé refuge pendant sept ans?
L’Espionnage Act, sous le coup duquel les juges du pays de l’Oncle Sam ont décidé de le poursuivre, date de 1917, il est rédigé en termes généraux et vagues. Tout·e journaliste pourrait être poursuivi. Les médias qui se sont alimentés à partir des documents diffusés par Wikileaks pourraient tout autant être inculpés pour avoir révélé toute une série de crimes, comme l’assassinat par l’armée étasunienne de deux journalistes de l’agence Reuters.
Initialement, Julian Assange risquait la peine de mort; désormais il ne risque «plus que» 175 ans de prison. Lundi, le Club suisse de la presse et la fondation Courage ont fort heureusement organisé une opération de communication en ouvrant le micro à Stella Moris-Assange, l’avocate mais aussi l’épouse du lanceur d’alerte. Ceci après une mobilisation similaire il y a une année.
Le monde des médias réalise, un peu tard sans doute, qu’au-delà du cas Assange, c’est bien de liberté de la presse, de démocratie et de droits humains dont il est question. Et quand il s’agit de défendre ces valeurs fondamentales, il importe de ne pas céder d’un pouce le terrain face à un ennemi – les Etats-Unis, pour le coup – qui se place volontiers en défenseur autoproclamé du monde libre mais qui ne se gêne pas pour piétiner ces valeurs fondamentales lorsque ses intérêts sont lésés.
Un rappel qu’il est bon de garder à l’esprit à l’heure où une logique binaire qui semble héritée de la guerre froide prédomine. Dans ce monde bipolaire, rappeler des fondements démocratiques est plus que jamais nécessaire lorsque les frontières entre les bons et les méchants se brouillent de manière inquiétante.
Assange, that marker of democracy
By Philippe Bach, July 11, 2023
JULIAN ASSANGE - The risk of Julian Assange's extradition is higher than ever. On June 6, the UK High Court rejected an appeal lodged by the Wikileaks founder's defenders.
A final legal avenue is still open at national level. In the event of a further rejection by the judges, the only remaining option would be to refer the case to the European Court of Human Rights (ECHR).
There is one unknown factor: will the British justice system grant a suspensive effect, as case law seems to suggest, or, as a loyal lackey of the United States, will it hand over its cumbersome prisoner without further ado?
The case is extremely serious. Beyond the fact that his health has deteriorated as a result of years of imprisonment and harassment, Julian Assange will not be entitled to a fair trial on the other side of the Atlantic. What can we expect from the United States, which even mounted an operation to assassinate him in the Ecuadorian embassy where he had taken refuge for seven years?
The Espionage Act, under which judges in Uncle Sam's country decided to prosecute him, dates from 1917, and is drafted in general and vague terms. Any journalist could be prosecuted. The media that have drawn on the documents disseminated by Wikileaks could just as easily be indicted for revealing a whole series of crimes, such as the assassination by the US army of two Reuters journalists.
Initially, Julian Assange faced the death penalty; now he faces "only" 175 years in prison. On Monday, the Swiss Press Club and the Courage Foundation fortunately organized a communication operation, opening the microphone to Stella Moris-Assange, the whistleblower's lawyer and wife. This follows a similar mobilization a year ago.
The media world is realizing, a little belatedly no doubt, that beyond the Assange case, it is indeed freedom of the press, democracy and human rights that are at stake. And when it comes to defending these fundamental values, it's important not to give an inch in the face of an enemy - the United States, in this case - which readily positions itself as the self-proclaimed defender of the free world, but which has no qualms about trampling on these fundamental values when its interests are harmed.
A reminder worth keeping in mind at a time when a binary logic seemingly inherited from the Cold War prevails. In this bipolar world, a reminder of democratic foundations is more necessary than ever as the boundaries between good and bad become disturbingly blurred.
https://lecourrier.ch/2023/07/11/assange-ce-marqueur-de-la-democratie/