đâđš Assange, la surveillance de la CIA et l'Audencia Nacional espagnole
âToute enquĂȘte factuelle mettrait en jeu des informations classifiĂ©es, car elle obligerait la CIA Ă rĂ©vĂ©ler les activitĂ©s de collecte de renseignements auxquelles elle s'est livrĂ©e, entre autresâ .
đâđš Assange, la surveillance de la CIA et l'Audencia Nacional espagnole
Par Binoy Kampmark, le 2 aout 2024
L'histoire sordide de l'opĂ©ration soutenue par la CIA contre l'Ă©diteur de WikiLeaks, Julian Assange, alors qu'il Ă©tait confinĂ© dans l'ambassade d'Ăquateur Ă Londres, continue de s'envenimer et de s'Ă©paissir. Les responsables amĂ©ricains ont persistĂ© dans leur attitude frileuse, refusant de coopĂ©rer avec la haute cour nationale espagnole, l'Audiencia Nacional, concernant son enquĂȘte sur les opĂ©rations d'espionnage de l'Agence contre l'Ă©diteur, dont un des principaux protagonistes est la sociĂ©tĂ© de sĂ©curitĂ© espagnole Undercover (UC) Global.
Depuis 2019, les juges José de la Mata et Santiago Pedraz ont adressé aux autorités américaines des demandes d'assistance concernant cette affaire, notamment en ce qui concerne les déclarations publiques de l'ancien directeur de la CIA, Mike Pompeo, et de l'ancien chef du contre-espionnage, William Evanina, ainsi que les informations rassemblées par la commission du renseignement du Sénat concernée. Ils ont été accueillis par un silence glacial.
Le 12 dĂ©cembre 2023, la sous-direction gĂ©nĂ©rale de la coopĂ©ration juridique internationale a fourni aux autoritĂ©s amĂ©ricaines âune annonce expresseâ concernant le refus de cette assistance judiciaire.
La magistrate de liaison espagnole aux Ătats-Unis, MarĂa de las Heras GarcĂa, a dĂ»ment rĂ©vĂ©lĂ© que ce retard Ă©tait dĂ» Ă une procĂ©dure judiciaire en cours devant le tribunal du district sud de New York. Comme l'a expliquĂ© Courtney E. Lee, avocat au bureau des affaires internationales du ministĂšre de la Justice des Ătats-Unis, fournir de telles informations Ă la Haute Cour d'Espagne âinterfĂ©reraitâ avec âun litige en cours aux Ătats-Unisâ. Cette rĂ©ponse n'est guĂšre satisfaisante, compte tenu des demandes formulĂ©es avant le litige en question.
Le litige en question concerne une action en justice intentée devant le tribunal du district sud de New York par Margaret Ratner Kunstler, avocate spécialisée dans les droits civils, Deborah Hrbek, avocate spécialisée dans les médias, et John Goetz et Charles Glass, journalistes.
Dans leur action intentĂ©e en aoĂ»t 2022, les plaignants affirment qu'ils ont fait l'objet d'une surveillance lors de visites Ă M. Assange pendant son sĂ©jour Ă l'ambassade, en violation du QuatriĂšme Amendement. Les plaignants ont donc fait valoir que cela leur donnait droit Ă des dommages-intĂ©rĂȘts et Ă une injonction contre l'ancien directeur de la CIA, Mike Pompeo, le directeur de la sociĂ©tĂ© de sĂ©curitĂ© espagnole Undercover (UC) Global, David Morales, et UC Global elle-mĂȘme.
Le 19 dĂ©cembre 2023, le juge de district John G. Koeltl a acceptĂ©, en partie, la requĂȘte en irrecevabilitĂ© du gouvernement amĂ©ricain, tout en rejetant d'autres parties de la requĂȘte. Le juge a acceptĂ© le bilan de l'hostilitĂ© manifestĂ©e par Pompeo Ă l'Ă©gard de WikiLeaks, ouvertement exprimĂ©e dans son discours d'avril 2017, et a reconnu que
âMorales a Ă©tĂ© recrutĂ© pour mener une surveillance sur Assange et ses visiteurs au nom de la CIA et que ce recrutement a eu lieu lors d'une convention de l'industrie de la sĂ©curitĂ© privĂ©e en janvier 2017 Ă l'hĂŽtel Las Vegas Sands Ă Las Vegas, dans le Nevada.â
Les plaignants estiment qu'ils sont en bonne position pour poursuivre l'organisation de renseignement, et Koeltl leur donne raison.
âDans ce cas, les plaignants n'ont pas besoin d'allĂ©guer, comme le fait le gouvernement, que ce dernier utilisera de maniĂšre imminente les informations recueillies Ă l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londresâ. Les plaignants auraient âsubi un prĂ©judice concret et particulier pouvant ĂȘtre rattachĂ© au programme contestĂ© et rĂ©parĂ© par une dĂ©cision favorableâ
si la perquisition des conversations et des appareils électroniques ainsi que la saisie du contenu des appareils électroniques s'avéraient illégales.
Les plaignants ont Ă©galement convaincu le juge qu'ils avaient
âsuffisamment d'allĂ©gations selon lesquelles la CIA et Pompeo, par l'intermĂ©diaire de Morales et d'UC Global, ont violĂ© leur attente raisonnable en matiĂšre de vie privĂ©e en ce qui concerne le contenu de leurs appareils Ă©lectroniquesâ.
Mais ils n'ont pas rĂ©ussi Ă convaincre M. Koeltl qu'ils attendaient raisonnablement le respect de leur vie privĂ©e concernant leurs conversations avec M. Assange, Ă©tant donnĂ© qu'ils savaient que l'Ă©diteur Ă©tait dĂ©jĂ âsurveillĂ© avant mĂȘme l'implication prĂ©sumĂ©e de la CIAâ, argument plutĂŽt Ă©trange. Une telle attente ne pouvait pas non plus ĂȘtre fondĂ©e Ă©tant donnĂ© l'acceptation de la vidĂ©osurveillance des bĂątiments gouvernementaux. Le juge a Ă©galement estimĂ© que les personnes qui remettaient leurs appareils et leurs passeports Ă la rĂ©ception de l'ambassade âassumaient le risque que les informations soient transmises au gouvernementâ.
Malheureusement, Pompeo a Ă©tĂ© Ă©pargnĂ© par les poursuites judiciaires et n'a pas pu ĂȘtre tenu personnellement responsable de la violation des droits constitutionnels des citoyens amĂ©ricains.
âEn tant que personne nommĂ©e par le prĂ©sident et confirmĂ©e par le CongrĂšs [...] le dĂ©fendeur Pompeo appartient Ă une catĂ©gorie de dĂ©fendeurs diffĂ©rente de celle d'un agent du Bureau fĂ©dĂ©ral des stupĂ©fiants chargĂ© de l'application de la loi.â
En février de cette année, le procureur américain Damian Williams et le procureur adjoint Jean-David Barnea ont clarifié la ligne de réponse de l'Agence dans un document adressé au juge Koeltl.
âToute enquĂȘte factuelle sur ces allĂ©gations - qu'elles soient vraies ou non - mettrait en jeu des informations classifiĂ©es, car elle obligerait la CIA Ă rĂ©vĂ©ler les activitĂ©s de collecte de renseignements auxquelles elle s'est livrĂ©e ou non, entre autres choses.â L'agence ne pouvant ârĂ©vĂ©ler publiquement les faits mĂȘmes pour lesquels elle demande l'autorisation d'invoquer le privilĂšge des secrets d'Ătat, elle n'est pas en mesure de rĂ©pondre aux allĂ©gations pertinentes de la plainte ni de rĂ©pondre aux demandes de communication de piĂšces relatives Ă ces allĂ©gationsâ.
Richard Roth, un avocat représentant les quatre parties au litige, a trouvé ce raisonnement déconcertant dans des remarques faites à The Dissenter.
âDe notre point de vue, nous ne pouvons pas imaginer qu'il existe un quelconque privilĂšge liĂ© Ă des informations confidentielles concernant des citoyens amĂ©ricains qui se sont rendus Ă l'ambassade d'Ăquateur.â
En avril, le directeur de la CIA, William J. Burns, a tentĂ© de lever le voile en soumettant une âdĂ©claration classifiĂ©eâ dĂ©finissant âl'Ă©tendue des informationsâ concernant l'affaire, affirmant qu'elle expliquait de maniĂšre satisfaisante
âle prĂ©judice qui pourrait raisonnablement rĂ©sulter de la divulgation non autorisĂ©e d'informations classifiĂ©esâ.
Selon les experts, le préjudice allégué n'a ni quantum, ni caractÚre proportionnel.
Une fois de plus, M. Roth ne s'est pas montré convaincu et a rappelé que cette affaire n'a rien à voir avec des
âmenaces terroristes visant Ă dĂ©truire l'AmĂ©rique et dĂ©couvertes grĂące Ă une technologie ou Ă un programme qui ne doit jamais ĂȘtre divulguĂ©, sous peine de voir la menace aboutirâ.
L'affaire concerne la perquisition et la saisie par la CIA de téléphones et d'ordinateurs portables en possession
âd'avocats et de journalistes amĂ©ricains respectĂ©s, qui n'ont commis aucun crime et qui se sont Ă©levĂ©s contre la privation de libertĂ©s et l'intrusion du gouvernement dans leur vie privĂ©e en copiant le contenu de leurs tĂ©lĂ©phones et de leurs ordinateurs portablesâ.
Tant que l'Agence Ă©touffera et fera traĂźner les procĂ©dures au motif de ce privilĂšge dĂ©tournĂ©, le ministĂšre de la Justice ne peut que sâabstenir de rĂ©agir aux investigations espagnoles.
https://www.counterpunch.org/2024/08/02/assange-cia-surveillance-and-spains-audencia-nacional/