👁🗨 Assange, liberté de la presse & État de droit en danger
Trois issues sont envisageables lundi. La première est la validation de l’extradition, la seconde une nouvelle audience d'extradition, la troisième une remise en liberté, cas toutefois peu probable.
👁🗨 Assange, liberté de la presse & État de droit en danger
Par Paul Gregoire, le 17 mai 2024
Un dernier point presse concernant la procédure d'extradition de l'éditeur et journaliste australien Julian Assange s'est tenu à la Foreign Press Association à Londres mercredi, avant la décision de la High Court britannique de lundi, qui scellera le sort du fondateur de WikiLeaks.
Deux juges de la High Court ont présidé deux jours d'audiences d'extradition en février, au cours desquelles trois motifs d'appel présentés par les avocats de Julian Assange ont été retenus. Les États-Unis ont alors eu la possibilité de fournir des garanties pour répondre à ces objections, ce qui a été fait par le biais d'une note diplomatique datée du 16 avril.
Il est impossible de prévoir ce qui se passera lundi, a expliqué Stella Assange, l'épouse de Julian, le 15 mai. Et si l'avocate estime que la note diplomatique américaine n'apporte pas les garanties requises et doit être rejetée, elle est convaincue que son mari aurait dû obtenir gain de cause sur des points antérieurs depuis longtemps.
Stella n'a cependant pas perdu espoir. Selon elle, le soutien bipartite apporté par le gouvernement australien à une motion présentée par Andrew Wilkie appelant à l'abandon de l'affaire à la mi-février, qui a recueilli le vote favorable des deux tiers des membres du Parlement, a joué un rôle déterminant dans l'évolution des résultats potentiels.
Mais comme l'a déclaré Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de WikiLeaks, aux côtés de Stella, l'affaire d'extradition s'est déroulée au cours des cinq dernières années d'une manière telle qu'il est “tout à fait évident” que le Royaume-Uni est confronté à une “corruption institutionnelle au niveau judiciaire”, et que les procédures judiciaires engagées contre Julian ont été “truquées”.
La protection de la liberté d'expression sera probablement rejetée
“Avec cette affaire, les États-Unis créent un précédent en exerçant leur juridiction sur tout journaliste ou éditeur, où qu'il se trouve dans le monde, qui reçoit, possède et publie des informations américaines”, a déclaré Jennifer Robinson, l'avocate de Julian.
La Maison Blanche a traversé l'Atlantique pour arrêter Assange par procuration au Royaume-Uni le 11 avril 2019. Après avoir purgé une courte peine pour non-respect des termes de sa liberté sous caution, le journaliste a passé les cinq dernières années en détention provisoire dans la célèbre prison londonienne de Belmarsh, dans des conditions d'isolement prolongé.
M. Assange doit répondre de 18 chefs d'accusation contenus dans l'acte d'accusation complémentaire du 24 juin 2020, passibles d'une peine maximale combinée de 175 ans, et le document garantit que M. Assange sera jugé en Virginie orientale, siège des agences de la Défense et de l'espionnage des États-Unis, ce qui implique que le jury sera composé de personnes issues de ce milieu.
La Cour a accepté trois des neuf motifs d'appel présentés en février, à savoir que le droit de M. Assange à la liberté d'expression soit protégé par le Premier Amendement, que cette protection ne lui soit pas refusée en raison de sa nationalité et qu'il ne soit pas inculpé une fois aux États-Unis d'un délit passible de la peine de mort.
La note diplomatique numéro 601, fournie par l'ambassade des États-Unis à Londres en avril, précise qu'“Assange aura la possibilité de soulever et de chercher à invoquer” le Premier Amendement, et que “la peine de mort ne sera ni recherchée ni appliquée à Assange”.
Mais Mme Robinson rétorque que cette note ne garantit pas la protection du Premier Amendement, étant donné qu'il existe une longue jurisprudence selon laquelle les ressortissants étrangers ayant commis des délits en dehors des États-Unis se voient refuser cette protection. Elle assure donc que le tribunal ne doit pas s'appuyer sur cette promesse.
L'extradition limite le risque d'enlèvement
“En fait, chaque jour, depuis le 7 décembre 2010”, a déclaré Stella à la presse cette semaine, son mari “a été détenu sous une forme ou une autre”, car c'est à cette date que Scotland Yard l'a arrêté pour la première fois, et elle a ajouté que “cela faisait sept jours que WikiLeaks avait commencé à publier les câbles diplomatiques”.
M. Assange a publié cinq grandes fuites de renseignements américains, comprenant environ 70 000 dossiers classifiés, en 2010 et 2011. Cependant, il est largement admis aujourd'hui que c'est probablement l'administration Trump qui a décidé de poursuivre l'affaire en 2017, après que Julian a publié les détails des directives de piratage de la CIA (Vault 7).
“Les procédures judiciaires au Royaume-Uni sont corrompues”, a souligné M. Hrafnsson. Et il a ajouté que cette réalité ressort clairement de “toutes les occasions” qu'ont eues les États-Unis de “modifier leur dossier alors qu'il était sur le point de s'effondrer”. En effet, les États-Unis ont eu deux occasions de fournir des garanties.
Le rédacteur en chef de WikiLeaks a également cité le paragraphe 210 du jugement du tribunal relatif à l'appel de février, qui souligne qu'Assange ne peut faire appel de l'extradition sur la base des preuves nouvellement présentées selon lesquelles l'administration Trump a envisagé de le kidnapper ou de l'assassiner.
Le tribunal a également estimé que le raisonnement qui sous-tend les suggestions selon lesquelles M. Assange ne devrait pas être remis à un pays qui a déjà cherché à lui faire subir ces traitements, car, une fois extradé, il sera sous la garde des États-Unis, et les raisons de l'enlever ou de l'assassiner de la manière envisagée seront caduques.
“Pouvez-vous croire cela ?” a demandé M. Hrafnsson. “Ce n'est pas quelque chose que l'on lit dans les documents de la Cour royale de justice. C'est insensé. Le processus judiciaire est donc truqué”.
Des implications mondiales
Stella a expliqué que trois issues potentielles sont envisageables ce lundi. La Cour pourrait approuver l'extradition, et dans ce cas, a-t-elle ajouté, “d'autres cas relevant de la Sécurité nationale d'extradition” vers les États-Unis ont vu le défendeur “extradé dans les 24 heures suivant la décision”.
La seconde option est que la Cour se prononce en faveur de Julian, ce qui impliquerait une nouvelle audience d'extradition au Royaume-Uni, ou que la High Court décide de tenir une audience plénière lundi, avec pour conséquence une possible remise en liberté de son mari. Cette troisième option est toutefois assez peu envisageable.
De plus, l'avocate a souligné que si la Cour se prononce en faveur des États-Unis, une requête sera déposée auprès de la Cour européenne des droits de l'homme afin d'empêcher l'extradition par le biais d'une ordonnance. Toutefois, Mme Robinson a souligné que cette voie n'était en aucun cas garantie.
Rebecca Vincent, directrice de Reporters sans frontières, a déclaré à la presse que son organisation soutient M. Assange car la liberté de la presse est menacée dans le monde entier, le fondateur de WikiLeaks étant inculpé pour des “pratiques journalistiques courantes”.
“La publication des documents servait l'intérêt public : elle a alimenté des reportages d'intérêt public dans le monde entier”, a expliqué la militante américaine des droits de l'homme. “Nous voyons encore des articles publiés sur la base de ces documents”.
Et si Assange est poursuivi en vertu de l'Espionage Act américain, a souligné Mme Vincent,
“une jurisprudence sera alors établie pour que ce type de procédure puisse être appliqué à tout éditeur, tout journaliste, toute source ou toute organisation médiatique exploitant des informations classifiées ayant fait l'objet d'une fuite”.
* Paul Gregoire est un journaliste et écrivain basé à Sydney. Il est le lauréat du prix 2021 du Conseil des libertés civiles de la Nouvelle-Galles du Sud pour l'excellence dans le journalisme sur les libertés civiles. Avant de rejoindre Sydney Criminal Lawyers®, Paul a écrit pour VICE et a été rédacteur en chef du City Hub de Sydney.