đâđš âAssange risque une peine de mort vivant bouclĂ© dans du bĂ©ton avec une fenĂȘtre de quelques centimĂštres carrĂ© ... pour avoir dĂ©voilĂ© les sales âpetits secretsâ de l'AmĂ©riqueâ
Les Ătats-Unis veulent qu'un âsuper-mĂ©chantâ soit enfermĂ©. Mais Assange n'est pas celui qui a commis ces crimes, et il ne devrait pas risquer la perpĂ©tuitĂ© derriĂšre les barreaux.
đâđš âAssange risque une peine de mort vivant bouclĂ© dans du bĂ©ton avec une fenĂȘtre de quelques centimĂštres carrĂ© ... pour avoir dĂ©voilĂ© les sales âpetits secretsâ de l'AmĂ©riqueâ
Par Sarah Oliver, le 21 février 2024
Dans quelques jours, Julian Assange, le patron de Wikileaks, pourrait se trouver menottĂ© sur un tarmac britannique, et ĂȘtre embarquĂ© pour les Ătats-Unis. Une fois lĂ -bas, quand une une porte insonorisĂ©e de prison supermax sera refermĂ©e sur lui, celui qui s'est autoproclamĂ© lâhomme le plus recherchĂ© des Ătats-Unis sera rĂ©duit au silence.
Les avocats craignent que cet homme de 52 ans ne soit enfermĂ© seul dans un âcercueil de bĂ©tonâ, une cellule de 2,5 mĂštres sur 2,5, dotĂ© d'une fenĂȘtre de 2,5 mĂštres de haut mais de seulement 2,5 mĂštres de large, conçue pour que le dĂ©tenu n'ait pas d'autre perspective que le ciel, ou le mur. Ă l'intĂ©rieur, son lit, son bureau et son tabouret seront Ă©galement coulĂ©s en bĂ©ton.
Dans ces structures les repas passent par une fente mĂ©nagĂ©e dans la porte et lâĂ©vier, les toilettes et la douche sont faits dâacier inoxydable, pour que le dĂ©tenu nâait pas Ă sortir, que ce soit pour manger ou se laver.
Une fois par jour, les dĂ©tenus sont autorisĂ©s Ă sortir une heure pour faire de l'exercice dans des sortes de cages individuelles, souvent en dĂ©caissĂ©, comme des piscines vides, pour les empĂȘcher de se repĂ©rer dans le complexe pĂ©nitentiaire.
Un recours collectif intentĂ© en 2012 contre le Bureau fĂ©dĂ©ral des prisons des Ătats-Unis a rĂ©vĂ©lĂ© Ă quel point ce type de traitement met Ă l'Ă©preuve la santĂ© mentale des dĂ©tenus les plus endurcis.
Ils âgĂ©missent, crient et frappent les murs de leurs cellules sans cesse. Certains sâauto-mutilent avec des rasoirs, des morceaux de verre, des os de poulet taillĂ©s, des stylos, ou tout ce qui leur tombe sous la main. Certains avalent des lames de rasoir, des coupe-ongles, des piĂšces de radios et de tĂ©lĂ©visions, des du verre, et autres objets dangereuxâ.
La sĂ©curitĂ© est primordiale. Les dĂ©tenus et leurs cellules, constamment surveillĂ©s sur des moniteurs en circuit fermĂ©, sont frĂ©quemment fouillĂ©s. Dehors, des murs de 3,5 mĂštres de haut couronnĂ©s de barbelĂ©s, les tours de garde, les projecteurs, les dĂ©tecteurs de mouvement et les patrouilles canines rendent plus quâimprobable lâĂ©ventualitĂ© d'une Ă©vasion.
La plus cĂ©lĂšbre de ces prisons âsupermaxâ est ADX Florence, au Colorado surnommĂ©e l'Alcatraz des Rocheuses, dĂ©peinte de maniĂšre mĂ©morable par un ancien gardien comme âla version propre de l'enferâ.
Assange pourrait y ĂȘtre incarcĂ©rĂ©, dans le cadre de ce que l'on nomme les Mesures Administratives SpĂ©ciales (isolement et restrictions des plus sĂ©vĂšres).
Aujourd'hui, une nouvelle audience de deux jours se termine Ă la High Court de Londres cette semaine.
Deux juges, Dame Victoria Sharpe et Mr Justice Johnson, ont mis leur jugement en dĂ©libĂ©rĂ© hier, dans l'attente de nouvelles conclusions des deux parties. Ils devraient se prononcer le mois prochain pour trancher sur la question de savoir si l'extradition, initialement approuvĂ©e par l'ancienne ministre de l'IntĂ©rieur Priti Patel en 2022, peut ĂȘtre appliquĂ©e, ou si entendront le nouvel appel de M. Assange.
S'il perd, ses avocats pourraient tenter de porter l'affaire devant la Cour europĂ©enne des droits de l'homme (CEDH). Le gouvernement britannique peut toutefois exĂ©cuter son transfert vers les Ătats-Unis avant toute dĂ©cision de la Cour europĂ©enne des droits de l'homme.
M. Assange est recherchĂ© aux Ătats-Unis sur la base de 17 chefs d'accusation au titre de lâEspionage Act, et d'un chef d'accusation de conspiration en vue de commettre une intrusion informatique pour avoir publiĂ© des centaines de milliers de documents militaires confidentiels, et rĂ©vĂ©lĂ© de multiples crimes commis par lâarmĂ©e amĂ©ricaine au cours des guerres dâIrak et dâAfghanistan.
S'il est reconnu coupable, il risque jusqu'Ă 175 ans de prison, âune condamnation Ă mort vivantâ, selon sa femme Stella, mĂšre de ses deux plus jeunes enfants, Gabriel, six ans, et Max, cinq ans.
âCe serait catastrophiqueâ, a-t-elle dĂ©clarĂ© hier.
âNos enfants sont britanniques, ils vont Ă l'Ă©cole, leur leur vie est ici. Nos contacts avec Julian seraient sĂ©vĂšrement limitĂ©s, potentiellement Ă un appel de 15 minutes une fois par mois. Il serait soumis Ă des conditions barbares avant mĂȘme d'ĂȘtre jugĂ©. Il ne survivra pas Ă l'extradition avec ce type de tortureâ.
C'est la premiÚre fois que la loi de 1917 est utilisée contre un éditeur ou un journaliste, faisant de l'affaire Assange un test décisif pour la liberté de la presse au XXIe siÚcle.
Les soutiens de l'Ă©diteur estiment aussi que cette affaire pose sĂ©rieusement question sur la souverainetĂ© britannique. Selon eux, les poursuites engagĂ©es contre M. Assange sont motivĂ©es par des considĂ©rations politiques et ne doivent donc pas ĂȘtre soumises aux dispositions du traitĂ© d'extradition entre le Royaume-Uni et les Ătats-Unis.
La Grande-Bretagne joue aujourdâhui le rĂŽle de geĂŽlier pour les AmĂ©ricains, en dĂ©tenant M. Assange dans la prison de haute sĂ©curitĂ© de Londres, Ă Belmarsh. Il y a Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ© en 2019 aprĂšs avoir Ă©tĂ© reclus sept ans Ă l'ambassade d'Ăquateur, oĂč l'asile lui avait Ă©tĂ© accordĂ© par Rafael Correa, alors prĂ©sident de gauche du pays.
J'ai été la premiÚre journaliste autorisée à l'ambassade pour une interview à l'occasion de ses 100 premiers jours de réclusion. J'y suis retournée à plusieurs reprises au fil du temps et, lorsque Assange et Stella ont voulu révéler leurs liaison et l'existence de leurs deux fils secrets, ils m'ont demandé d'annoncer la nouvelle.
Le jour oĂč je l'ai rencontrĂ© en 2012, il portait une chemise Ă©quatorienne brodĂ©e et prenait un dĂ©jeuner de cĂ©lĂ©bration composĂ© de ceviche (poisson cru sĂ©chĂ© avec du jus de citron vert et du piment) avec le personnel de l'ambassade. Il comparait sa vie Ă celle d'une station spatiale et plaisantait sur le fait que Paddy Power [sociĂ©tĂ© irlandaise de paris en ligne] proposait une cote de 100 contre 1 sur son Ă©vasion en jetpack [base de code open-source], comme un mĂ©chant de Bond. Mais son monde se refermait dĂ©jĂ sur lui.
Lorsque je suis allée le voir avant le deuxiÚme anniversaire de sa demande d'asile en 2014, il trouvait manifestement la vie plus dure. Il s'était laissé pousser une barbe neigeuse pour mieux marquer le passage du temps, disait-il, mais sous sa barbe, il avait l'air pùle et fatigué.
Ă cette Ă©poque, sa vision de loin Ă©tait dĂ©faillante, il souffrait d'une maladie pulmonaire chronique exacerbĂ©e par la climatisation permanente, de problĂšmes cardiaques et d'une tension artĂ©rielle Ă©levĂ©e. Il avait branchĂ© une lampe bleue qui Ă©clairait son plafond et fonctionnait avec une minuterie. âComme un poulet de batterieâ, disait-il. Il aspirait Ă voir le soleil et Ă sentir l'herbe sous ses pieds, âmais je ne peux mĂȘme pas garder une plante en pot en vie, iciâ.
Lorsque les fonctionnaires de la police métropolitaine l'ont finalement traßné dehors en 2019, M. Assange avait les yeux fous, un air désespéré et débraillé. Les images télévisées extraordinaires qui ont capturé le moment ont profité à la Maison Blanche et à la CIA, car elles focalisaient le regard du monde sur un individu controversé, et non sur les principes de la liberté d'expression et de la souveraineté britannique.
Il ne ressemblait guĂšre Ă la superstar du cybermonde qui m'a un jour racontĂ© comment, pour ne plus paraĂźtre si pĂąle sous ses cheveux blancs lors de ses apparitions Ă la fenĂȘtre de l'ambassade, il avait essayĂ© prendre un peu de couleurs Ă l'aide d'une lampe UV. Il a dĂ©couvert la betterave et a dĂ» emprunter le maquillage d'une amie âpour ne pas ressembler Ă une victime de Tchernobylâ, avait-il dit en riant de lui-mĂȘme et de ses conditions de vie inĂ©dites et singuliĂšres.
Ă Belmarsh, il est enfermĂ© dans une cellule de 6 mĂštres carrĂ©s 23 heures par jour. Lors d'une vague de froid, il a dĂ» faire bouillir sa bouilloire en continu pour se rĂ©chauffer. Il a eu droit Ă un âordinateurâ, mais sans accĂšs Ă internet et avec la plupart des touches du clavier bloquĂ©es. Sa seule interaction avec la nature a consistĂ© Ă donner des miettes de pain Ă un couple de canards colverts nichant sous sa fenĂȘtre.
Durant sa détention, il a subi un accident vasculaire cérébral et s'est marié avec Stella. Il disait se sentait un peu comme si on lui avait administré un coup de taser, tant ses facultés étaient affaiblies.
Lors d'un de nos premiers entretiens Ă l'ambassade, je lui ai demandĂ© comment il aimerait que l'on se souvienne de lui. Il m'a rĂ©pondu : âJe ne voudrais pas. Il est plus important de faire les choses que de se souvenir de les avoir faitesâ.
Au cours des cinq derniĂšres annĂ©es, sa seule rĂ©ussite a Ă©tĂ© de survivre et aujourdâhui, Stella pense que la prochaine Ă©tape - l'extradition - le tuera.
Les Ătats-Unis ont Ă©cartĂ© l'idĂ©e d'un traitement inhumain infligĂ© Ă M. Assange en garantissant par voie diplomatique qu'il ne serait pas dĂ©tenu Ă ADX Florence et qu'il ne ferait pas l'objet de mesures administratives spĂ©ciales. Cependant, puisque les Ătats-Unis ont tempĂ©rĂ© cette affirmation en se rĂ©servant le droit de revenir sur ces garanties Ă l'avenir, le rapporteur spĂ©cial des Nations unies sur la torture, Alice Jill Edwards, s'est jointe Ă Stella pour lancer un cri d'alarme depuis GenĂšve.
La nĂ©cessitĂ© d'un traitĂ© d'extradition entre nations alliĂ©es et amies est incontestable. Mais cette affaire concerne l'hĂ©gĂ©monie amĂ©ricaine et la rĂ©vĂ©lation par Wikileaks de centaines de milliers de sales petits secrets amĂ©ricains. Comme l'a expliquĂ© Mark Summers KC Ă la Cour ce mardi, les Ătats-Unis ont toujours Ă©tĂ© prĂȘts Ă recourir aux poursuites pĂ©nales en guise de reprĂ©sailles.
C'est en 2010-2011 que Wikileaks a publiĂ© en ligne 700 000 documents fournis par Chelsea Manning, analyste du renseignement de la DĂ©fense amĂ©ricaine. Ces documents font Ă©tat de crimes de guerre, de tortures et d'assassinats, notamment des sĂ©quences filmĂ©es depuis le viseur de l'hĂ©licoptĂšre amĂ©ricain Apache Crazy Horse 1-8, qui a tuĂ© 11 personnes, des civils et des journalistes, Ă Bagdad en juillet 2007. L'ordre fatal entendu sur la camĂ©ra, âAllumez-les tousâ, a provoquĂ© un carnage et a suscitĂ© l'indignation mondiale.
Les Ătats-Unis veulent qu'un âsuper-mĂ©chantâ soit enfermĂ©. Mais Assange n'est pas celui qui a commis ces crimes, et il ne devrait pas risquer la perpĂ©tuitĂ© derriĂšre les barreaux.