👁🗨 Assange sur ses gardes : les dangers d'un accord de plaidoyer aux États-Unis
Les poursuites contre Assange émanent d’une volonté de vengeance & les suggestions selon lesquelles le ministère de la justice serait indulgent doivent être accueillies avec un grand scepticisme.
👁🗨 Assange sur ses gardes : les dangers d'un accord de plaidoyer aux États-Unis
Par Binoy Kampmark, Global Research, le 15 août 2023
Les poursuites contre Assange sont empreintes d’une volonté de vengeance, et les suggestions selon lesquelles le ministère de la justice se montrerait indulgent doivent être accueillies avec un grand scepticisme.
À chaque étape de la procédure engagée contre Julian Assange, l'imperium américain n'a guère fait preuve de modération dans ses pulsions vengeresses. L'éditeur de WikiLeaks, en dévoilant les détails opérationnels sordides d'une puissance militaire mondiale, finira toujours par payer. Compte tenu des 18 chefs d'accusation retenus contre lui, dont 17 sont inspirés de l'instrument le plus répressif qui soit, la loi américaine sur l'espionnage de 1917, toute peine appliquée sera nécessairement lourde. S'il devait être extradé du Royaume-Uni vers les États-Unis, M. Assange disparaîtrait dans une dystopie carcérale qui mettrait fin à ses jours.
Tout au long de cette saga d'agressions et de persécutions incessantes, le pays qui a régulièrement fait l'objet de commentaires, mais qui a le moins agi est l'Australie. Assange a beau être un ressortissant australien, cela n'a généralement servi à rien. Les gouvernements successifs ont eu tendance à s'effacer devant la puissance intimidante de Washington. Avec la signature du pacte AUKUS et l'abandon inéluctable des fonctions militaires et diplomatiques de Canberra à Washington, toute tentative de consultation indépendante et équitable sera accueillie avec une réserve empreinte de mépris.
Le gouvernement Albanese a prétendu, à plusieurs reprises, poursuivre l'affaire avec ses homologues américains avec une ferme détermination. Le Premier ministre Anthony Albanese a même exprimé publiquement sa frustration face à l'absence de progrès dans la recherche d'une "solution diplomatique" au problème d'Assange. Mais ces frustrations ont été tempérées par un consensus sur la nécessité de laisser les procédures judiciaires suivre leur cours.
Le contenu d'une telle solution diplomatique reste vague. Mais le 14 août, le Sydney Morning Herald, citant l'ambassadrice des États-Unis en Australie Caroline Kennedy comme source principale, a rapporté qu'une "résolution" de la situation d'Assange pourrait être en vue. "Il est vraiment possible de résoudre ce problème", a déclaré l'ambassadrice au journal. Il pourrait s'agir d'une réduction des charges en faveur d'un plaidoyer de culpabilité, dont les détails seraient définis par le ministère américain de la justice. Lors de son intervention, Mme Kennedy a précisé que cette question relevait davantage du ministère de la justice que du département d'État ou de tout autre département. "Il ne s'agit donc pas vraiment d'une question diplomatique, mais je suis certaine qu'une solution pourrait être trouvée.”
En mai, M. Kennedy a rencontré les membres du groupe parlementaire des "Amis de Julian Assange" afin de prendre connaissance de leurs inquiétudes. Le mois précédent, 48 députés et sénateurs australiens, dont 13 du parti travailliste au pouvoir, avaient adressé une lettre ouverte au procureur général des États-Unis, Merrick Garland, l'avertissant que les poursuites
"créeraient un dangereux précédent pour tous les citoyens du monde, journalistes, éditeurs, organisations de médias et la liberté de la presse. Elles seraient également préjudiciables aux États-Unis en tant que figure de proue mondiale de la liberté d'expression et de l'État de droit".
Dans une interview accordée à The Intercept, Gabriel Shipton, le frère d'Assange, a fait part de sa propre analyse des derniers développements.
"L'administration [Biden] semble être à la recherche d'une issue avant la première visite d'État [d'Albanese] à Washington en octobre". Au cas où aucun dispositif ne serait envisagé, "nous assisterions à une réédition de la rebuffade très publique infligée par [le secrétaire d'État américain] Tony Blinken au ministre australien des Affaires étrangères il y a deux semaines à Brisbane".
Cette humiliation a été particulièrement brutale, puisqu'elle a eu lieu à l'occasion des discussions AUSMIN entre les ministres des affaires étrangères et de la défense de l'Australie et des États-Unis. À cette occasion, la ministre des Affaires étrangères, Penny Wong, a fait remarquer que l'Australie avait clairement fait savoir à ses homologues américains
"que l'affaire de M. Assange traînait depuis bien trop longtemps, et que nous souhaitons qu'elle soit menée à terme ; nous l'avons dit publiquement et cela reflète aussi, on s'en doute, le point de vue favorable que nous exprimons en privé".
Dans sa réponse, le secrétaire d'État Blinken a affirmé "comprendre" ces points de vue et a admis que la question avait été soulevée auprès de lui-même et de divers services des États-Unis. Une fois ces politesses formulées , M. Blinken a poursuivi en disant à "nos amis" comment Washington souhaitait concrètement procéder. M. Assange a été
"accusé de délits très graves aux États-Unis en lien avec son rôle présumé dans l'une des plus grandes compromissions d'informations classifiées de l'histoire de notre pays. Les actes qu'il est supposé avoir commis risquent de porter gravement atteinte à notre sécurité nationale, au profit de nos adversaires, et font courir à des sources identifiées un risque grave - un risque sérieux - d'atteinte à leur intégrité physique, et un risque sérieux de détention".
Une telle analyse, mollement suggérée, maintes fois réfutée et constamment démentie, n'a pas été contestée par les parties en présence, y compris par les ministres australiens. Aucun membre de la presse n'a jugé bon de contester ce compte rendu. Le postulat non avoué ici est qu'Assange est déjà tenu pour coupable d'accusations absurdes, et qu'il est un homme condamné.
À ce stade, de tels accords relèvent de la manipulation et du fantasme. Les accusations d'espionnage ont été rédigées de manière à gonfler, plutôt qu'à diminuer, la peine encourue. Les suggestions selon lesquelles le ministère de la justice se montrerait indulgent doivent être accueillies avec un grand scepticisme. La poursuite d'Assange est empreinte de volonté de vengeance, visant à la fois à infliger un préjudice à l'éditeur, tout en dissuadant ceux qui souhaitent publier des informations relatives à la sécurité nationale des États-Unis. Comme l'observe l'universitaire australien Don Rothwell, spécialiste du droit international, l'accord de plaidoyer pourrait bien prendre en compte les quatre années passées en captivité au Royaume-Uni, mais il est peu probable qu'il se traduise par un abandon total des charges, ou qu'il dispense Assange de se rendre aux États-Unis pour admettre sa culpabilité.
"Il est impossible de conclure un accord de plaidoyer en dehors de la juridiction concernée, sauf dans les circonstances les plus exceptionnelles".
Si un tel marché est conclu et mis en œuvre avec succès, obligeant ainsi M. Assange à reconnaître sa culpabilité, les conditions de son retour en Australie, à supposer qu'il survive à un séjour sur le sol américain, seront très lourdes. En effet, les États-Unis se contenteraient alors de remplacer la prison en adaptant les conditions de détention. Les gardiens de prison britanniques seront remplacés par des superviseurs australiens probablement peu enclins à tolérer la publication d'informations relatives à la sécurité nationale.
* Binoy Kampmark a été boursier du Commonwealth au Selwyn College, à Cambridge. Il enseigne actuellement à l'université RMIT. Il contribue régulièrement à Global Research et à Asia-Pacific Research. Courriel : bkampmark@gmail.com
https://www.globalresearch.ca/assange-dangers-us-plea-deal/5828961