๐โ๐จ Attendre la mort ร Rafah
Ce que vous voyez sur les photos est vrai. Nous dormons dans des mares d'eau. Nous attendons que le soleil se lรจve pour avoir un peu plus chaud. Oui, nous vivons sous une tente, mais c'est ma patrie.
๐โ๐จ Attendre la mort ร Rafah
Par Hassan Ahmad Abu Sitta, le 19 fรฉvrier 2024
Il y a trois mois, ma famille et moi avons รฉtรฉ dรฉplacรฉs de force de notre maison de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. Les attaques israรฉliennes sur notre rรฉgion รฉtaient incessantes.
Je me prรฉparais ร entrer ร la facultรฉ de droit de l'universitรฉ d'Al-Azhar. Je voulais devenir avocat, et dรฉfendre la Palestine devant les tribunaux internationaux.
Mais mes projets ont รฉtรฉ suspendus quand nous avons dรป nous rรฉfugier dans une รฉcole de filles ร Khan Younis. J'ai dormi dans une salle de classe avec les autres hommes.
Nous dormions tous sur le carrelage froid, sans matelas. C'รฉtait dur, surtout pour les personnes รขgรฉes.
Puis, en dรฉcembre, l'armรฉe israรฉlienne a attaquรฉ la ville voisine de Hamad City. Notre bรขtiment a tremblรฉ pendant les explosions.
Nous รฉtions enfermรฉs dans la salle de classe, envahie par une รฉpaisse poussiรจre et de la fumรฉe.
Nous avions l'impression de suffoquer, de nous รฉtouffer ร cause des fumรฉes.
Les fenรชtres se sont brisรฉes lors des attaques, et cette fumรฉe toxique s'est rรฉpandue dans la piรจce. Nous รฉtions certains qu'il s'agissait de phosphore blanc.
J'ai ร peine senti ร ma propre rรฉaction ร la fumรฉe, car je pensais ร ma sลur.
Ma sลur Maryam
Lorsque ma sลur aรฎnรฉe Maryam avait 2 ans, on lui a diagnostiquรฉ de l'asthme. Son systรจme respiratoire est particuliรจrement sensible ร la poussiรจre et ร la fumรฉe, et ma mรจre a toujours veillรฉ ร l'en protรฉger.
Maryam a aujourd'hui 25 ans, mais son asthme est toujours un problรจme auquel elle doit faire face au quotidien. L'hiver est une pรฉriode particuliรจrement difficile pour elle.
Lorsqu'elle attrape un rhume, c'est plus grave que tout ce que j'aurais pu imaginer. Pendant la pandรฉmie de covid19, nous รฉtions terrifiรฉs ร l'idรฉe qu'elle puisse attraper le virus.
Nous savions que son systรจme immunitaire ne pourrait pas le supporter.
Aujourd'hui, dans notre salle d'รฉcole, je l'ai vue suffoquer ร cause des toxines prรฉsentes dans l'air. Elle s'est รฉvanouie du fait de l'essoufflement et nous nous sommes tous rassemblรฉs autour d'elle pour essayer de la rรฉveiller.
Nous lui avons jetรฉ de l'eau sur le visage et lui avons fait respirer des aromates. L'infirmiรจre de l'รฉcole est venue aider, mais elle n'a pas pu la rรฉveiller non plus.
Nous avons tous mis des masques pour รฉviter de respirer la fumรฉe. Nous avons รฉgalement humidifiรฉ des morceaux de tissu et les avons mis sur nos bouches.
Nous sommes allรฉs ร l'hรดpital. Maryam รฉtait toujours inconsciente et le mรฉdecin l'a emmenรฉe aux urgences.
Le mรฉdecin a dit que son taux d'oxygรจne รฉtait dangereusement bas et qu'elle souffrait รฉgalement d'une pneumonie.
Il l'a mise sous oxygรจne, et nous avons attendu qu'elle revienne ร elle.
La fuite vers Rafah
La douleur et la souffrance qui rรฉgnaient aux urgences sont indescriptibles. Il y avait des cadavres et des fragments de corps, et ceux qui avaient survรฉcu aux attaques israรฉliennes n'allaient pas beaucoup mieux.
C'est alors que j'ai vu un vรชtement que j'ai tout de suite reconnu sur l'un des corps. J'ai su qu'il s'agissait de mon amie de toujours, Baraa Magdy.
La veille encore, nous avions pris le thรฉ ensemble et รฉcoutรฉ les infos.
Je suis allรฉ m'agenouiller prรจs de son corps, et j'ai embrassรฉ sa tรชte. J'ai priรฉ pour que son รขme soit รฉpargnรฉe.
L'infirmiรจre nous a rejoints et nous a dit que l'รฉtat de Maryam s'amรฉliorait, que son taux d'oxygรจne revenait ร la normale. Elle n'a repris conscience que trois heures plus tard.
Le lendemain matin, nous sommes retournรฉs au refuge, avec une bouteille d'oxygรจne pour ma sลur, et nous nous sommes enfuis pour Rafah - la ville la plus mรฉridionale de Gaza, le plus vite possible.
Nous sommes maintenant ร Rafah, mais pas plus en sรฉcuritรฉ. Nous vivons dans une tente, dans la rue, et la fumรฉe des feux que nous utilisons pour cuisiner et survivre sature l'air.
Ce que vous voyez sur les photos est vrai. Nous dormons en effet entre des mares d'eau.
Nous attendons que le soleil se lรจve pour avoir un peu plus chaud.
Oui, nous vivons sous une tente, mais c'est ma patrie.
Les poumons de ma sลur sont dรฉjร dรฉtruits et, bien qu'elle soit forte, je ne sais pas ce que son organisme pourra encore supporter.
Nous prions pour que le monde nous vienne en aide avant qu'Israรซl ne dรฉtruise Rafah. Je crains que nous ne tombions tous en martyrs dans ce massacre.
* Hassan Ahmad Abu Sitta est un รฉcrivain basรฉ ร Gaza.
https://electronicintifada.net/content/waiting-die-rafah/44606