đâđš Au-delĂ du Niger : comment la CEDEAO* est devenue un outil de l'impĂ©rialisme occidental
Un monde multipolaire commence à voir le jour. La situation au Niger menace de dégénérer en conflit international attirant le regard du monde entier sur l'une des régions les plus négligées du monde.
đâđš Au-delĂ du Niger : comment la CEDEAO* est devenue un outil de l'impĂ©rialisme occidental
Par Alan MaCleod / MintPress News, le 12 août 2023
Un monde multipolaire commence à voir le jour. La situation au Niger menace de dégénérer en une guerre internationale qui attirera l'attention du monde entier sur l'une des régions les plus négligées de la planÚte.
Le Niger est en passe de devenir la surprenante ligne de front de la nouvelle guerre froide. Hier, la * CommunautĂ© Ă©conomique des Ătats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), composĂ©e de 15 membres, a ordonnĂ© l'"activation" et le "dĂ©ploiement" de forces militaires "en attente" dans le pays, une action qui menace de dĂ©clencher une guerre internationale majeure qui pourrait rendre la Syrie mineure en comparaison.
La CEDEAO a Ă©tĂ© pleinement soutenue par les Ătats-Unis et l'Europe dans cette initiative, incitant bon nombre de citoyens Ă la soupçonner d'ĂȘtre un vecteur de l'impĂ©rialisme pour Ă©liminer les projets anticoloniaux en Afrique de l'Ouest.
Le 26 juillet, un groupe d'officiers nigĂ©riens a renversĂ© le gouvernement corrompu de Mohamed Bazoum. Cette action, que la junte prĂ©sente comme un soulĂšvement patriotique contre une marionnette occidentale, est largement populaire dans le pays, et de nombreux voisins du Niger ont dĂ©clarĂ© que toute attaque contre ce pays serait considĂ©rĂ©e comme une attaque contre leur souverainetĂ© Ă tous. Les Ătats-Unis et la France envisagent Ă©galement une action militaire, tandis que de nombreux NigĂ©riens rĂ©clament l'aide de la Russie.
En conséquence, le monde attend de voir si la région sera embrasée par une guerre qui promet d'attirer de nombreuses grandes puissances mondiales.
Mais qu'est-ce que la CEDEAO ? Et pourquoi tant d'Africains considÚrent-ils cette organisation comme un outil du néocolonialisme occidental ?
"La composante d'une cabale corrompue"
Avant mĂȘme que la poussiĂšre ne retombe au Niger, la CEDEAO est entrĂ©e en action, imposant une zone d'exclusion aĂ©rienne et des sanctions Ă©conomiques sĂ©vĂšres, y compris le gel des avoirs nationaux nigĂ©riens et l'arrĂȘt de toutes les sanctions financiĂšres. Le Nigeria a suspendu l'approvisionnement en Ă©lectricitĂ© de son voisin du nord. Le bloc rĂ©gional a Ă©galement pris immĂ©diatement la dĂ©fense de Bazoum, publiant une dĂ©claration de mauvais augure selon laquelle il prendrait "toutes les mesures nĂ©cessaires", y compris "l'usage de la force", pour rĂ©tablir l'ordre constitutionnel. La CEDEAO a Ă©galement donnĂ© au nouveau gouvernement militaire un dĂ©lai pour se retirer ou en subir les consĂ©quences. Ce dĂ©lai est dĂ©jĂ dĂ©passĂ© et les troupes de la CEDEAO se prĂ©parent Ă intervenir.
Les Ătats membres de la CEDEAO pourraient donc ĂȘtre contraints d'envoyer leurs troupes au Niger. Pourtant, de nombreux pays sont rĂ©ticents Ă cette perspective. NĂ©anmoins, le bloc semble toujours convaincu qu'une action militaire peut survenir Ă tout moment.
"Nous sommes dĂ©terminĂ©s Ă y mettre fin, mais la CEDEAO ne va pas dire aux putschistes quand et oĂč nous allons frapper. C'est une dĂ©cision opĂ©rationnelle qui sera prise par les chefs d'Ătat",
a expliqué Abdel-Fatau Musah, commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité.
MĂȘme si elle n'a pas encore Ă©tĂ© concrĂ©tisĂ©e, la menace d'une invasion est loin d'ĂȘtre anodine. Depuis 1990, la CEDEAO a lancĂ© des interventions militaires dans sept pays d'Afrique de l'Ouest, la derniĂšre en date ayant eu lieu en Gambie en 2017.
Cette réaction a déçu de nombreux observateurs. Le journaliste Eugene Puryear, par exemple, a décrit le bloc comme "faisant partie d'une cabale corrompue qui est directement liée aux puissances impériales occidentales pour maintenir les Africains dans la pauvreté."
Ces puissances occidentales se sont immédiatement ralliées à la position de la CEDEAO.
"Les Ătats-Unis saluent et fĂ©licitent le leadership fort des chefs d'Ătat et de gouvernement de la CEDEAO pour dĂ©fendre l'ordre constitutionnel au Niger, des actions qui respectent la volontĂ© du peuple nigĂ©rien et s'alignent sur les principes consacrĂ©s de la CEDEAO et de l'Union africaine de 'tolĂ©rance zĂ©ro pour les changements anticonstitutionnels'", peut-on lire dans un communiquĂ© de presse du dĂ©partement d'Ătat.
Jugeant le coup d'Ătat "totalement illĂ©gitime", le gouvernement français a Ă©galement dĂ©clarĂ© qu'il "soutenait avec fermetĂ© et dĂ©termination les efforts de la CEDEAO pour faire Ă©chouer cette tentative de putsch". "L'UE s'est Ă©galement associĂ©e Ă la premiĂšre rĂ©action de la CEDEAO Ă ce sujet", a dĂ©clarĂ© Josep Borrell, haut reprĂ©sentant de l'Union europĂ©enne pour les affaires Ă©trangĂšres, donnant ainsi le feu vert Ă une intervention.
La vice-secrĂ©taire d'Ătat amĂ©ricaine par intĂ©rim, Victoria Nuland, a Ă©galement laissĂ© entendre que les Ătats-Unis envisageaient d'envahir le Niger. "Ce n'est pas notre souhait d'y aller, mais ils [la nouvelle junte militaire] pourraient nous y inciter", a dĂ©clarĂ© Mme Nuland Ă propos de son rĂ©cent voyage au Niger, oĂč elle a eu, selon elle, une rĂ©union "extrĂȘmement honnĂȘte et parfois trĂšs difficile" avec les nouveaux dirigeants.
La proximitĂ© de la CEDEAO avec les Ătats-Unis se mesure au soutien constant que Washington apporte Ă l'organisation. Tout au long de l'annĂ©e 2022, le dĂ©partement d'Ătat a publiĂ© des dĂ©clarations soutenant la position de la CEDEAO sur le Mali (un autre pays oĂč l'armĂ©e a dĂ©posĂ© un gouvernement impopulaire soutenu par l'Occident). "Les Ătats-Unis saluent les mesures Ă©nergiques prises par la CEDEAO pour dĂ©fendre la dĂ©mocratie et la stabilitĂ© au Mali", a Ă©crit le dĂ©partement d'Ătat. Il a Ă©galement publiĂ© des notes similaires rĂ©affirmant son soutien indĂ©fectible aux actions de la CEDEAO contre les coups d'Ătat militaires en GuinĂ©e et au Burkina Faso. Cette situation a conduit de nombreux dĂ©tracteurs Ă considĂ©rer la CEDEAO comme un simple pion des Ătats-Unis.
Alors que Washington a prĂ©sentĂ© la situation comme la CEDEAO dĂ©fendant la dĂ©mocratie contre l'autoritarisme, la rĂ©alitĂ© est plus complexe. Tout d'abord, les gouvernements de nombreux Ătats membres de la CEDEAO ont des rĂ©fĂ©rences dĂ©mocratiques trĂšs douteuses. Le prĂ©sident Alassane Ouattara de la CĂŽte d'Ivoire, par exemple, a violĂ© la loi sur la limitation des mandats, et a Ă©tĂ© assermentĂ© de maniĂšre controversĂ©e pour un troisiĂšme mandat l'annĂ©e derniĂšre. Les manifestations contre sa prise de pouvoir ont Ă©tĂ© rĂ©primĂ©es, faisant des dizaines de morts. Pendant ce temps, le gouvernement du prĂ©sident sĂ©nĂ©galais Macky Sall a interdit le principal parti d'opposition, et emprisonnĂ© son chef.
En outre, la rĂ©action de la CEDEAO aux coups d'Ătat est loin d'ĂȘtre unitaire. Lorsque Paul-Henri Sandaogo Damiba a pris le pouvoir au Burkina Faso en 2022, la CEDEAO a refusĂ© d'imposer des sanctions, et encore moins d'envisager une invasion. Elle s'est contentĂ©e de demander Ă Damiba de prĂ©senter un calendrier de "retour raisonnable Ă l'ordre constitutionnel". Leur indiffĂ©rence Ă l'Ă©gard des Ă©vĂ©nements peut s'expliquer par l'attitude rĂ©solument pro-occidentale de Damiba et, parce qu'il a Ă©tĂ© formĂ© par l'armĂ©e amĂ©ricaine et le DĂ©partement d'Ătat.
Les dirigeants de la CEDEAO sont Ă©galement profondĂ©ment liĂ©s au pouvoir amĂ©ricain. Comme l'ont notĂ© les journalistes Alex Rubinstein et Kit Klarenberg, le prĂ©sident de la CEDEAO, Bola Tinbu, "a passĂ© des annĂ©es Ă blanchir des millions pour des trafiquants d'hĂ©roĂŻne Ă Chicago" et est devenu par la suite une source clĂ© du dĂ©partement d'Ătat pour l'analyse de l'Afrique de l'Ouest. Le prĂ©cĂ©dent prĂ©sident de la CEDEAO, Mahamadou Issoufou, Ă©tait Ă©galement un "alliĂ© fidĂšle de l'Occident", selon les termes du magazine The Economist, bien que de nombreuses personnes en Afrique utilisent un langage moins neutre pour le dĂ©crire.
En ce sens, on pourrait comparer la CEDEAO Ă d'autres organismes rĂ©gionaux dominĂ©s par les Ătats-Unis, tels que l'Organisation des Ătats amĂ©ricains (OEA). Bien que l'OEA soit formellement indĂ©pendante, elle s'est constamment alignĂ©e sur Washington, et a attaquĂ© des pays ennemis comme le Venezuela et Cuba. Un document de l'USAID (une organisation gouvernementale amĂ©ricaine) prĂ©cise que l'OEA est un outil crucial pour "promouvoir les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains dans l'hĂ©misphĂšre occidental en contrant l'influence des pays anti-amĂ©ricains" comme Cuba et le Venezuela.
Domination Ă©conomique
La CEDEAO fait remonter son propre projet d'intégration africaine à 1945 et la création du franc CFA, une mesure qui a réuni les colonies africaines de la France au sein d'une union monétaire unique. La monnaie, toujours utilisée par 14 pays africains aujourd'hui, était artificiellement rattachée au franc français et plus tard à l'euro, ce qui implique des importations et exportations vers la France (et plus tard vers la zone euro) trÚs bon marché, celles vers le reste du monde étant hors de prix.
Par consĂ©quent, mĂȘme aprĂšs l'indĂ©pendance formelle, le franc CFA a enfermĂ© les pays africains dans une soumission Ă©conomique Ă Paris. Par consĂ©quent, de nombreux gouvernements africains sont toujours impuissants Ă mettre en Ćuvre des changements politiques et Ă©conomiques sĂ©rieux, le contrĂŽle de leur propre politique monĂ©taire leur Ă©chappant de ce fait.
Sur le plan Ă©conomique, câest une aubaine pour la France, qui bĂ©nĂ©ficie d'une Ă©norme base de ressources d'oĂč elle peut extraire des matiĂšres premiĂšres Ă des prix artificiellement bas, ainsi que d'un marchĂ© d'exportation captif. Cela a Ă©galement permis Ă la France de maintenir un bon niveau de contrĂŽle sur ses anciennes colonies. "Sans l'Afrique", a dĂ©clarĂ© l'ancien prĂ©sident français François Mitterrand, "la France n'aura pas d'histoire au XXIe siĂšcle".
Mais ce systÚme économique injuste a également profité aux élites africaines, qui peuvent importer des produits de luxe français et européens à un taux de change anormal. Il leur a également permis de détourner l'argent africain vers les banques européennes, les autorités françaises fermant volontiers les yeux sur cette pratique. La France détient toujours la moitié des réserves d'or des pays du franc CFA.
Il en rĂ©sulte une stagnation et un sous-dĂ©veloppement dans toute l'Afrique francophone. Le PIB rĂ©el par habitant du Niger est aujourd'hui nettement infĂ©rieur Ă ce qu'il Ă©tait au moment de son indĂ©pendance officielle de la France en 1960. La France reste de loin son principal partenaire commercial, l'Ă©conomie nigĂ©rienne tournant autour de l'exportation d'uranium vers Paris, oĂč il est utilisĂ© pour alimenter le pays en Ă©nergie nuclĂ©aire bon marchĂ©. Pourtant, les NigĂ©riens ordinaires ne voient que peu ou pas d'avantages Ă cet arrangement. Comme l'a dĂ©clarĂ© Oxfam en 2013 : "En France, une ampoule sur trois sâallume grĂące Ă l'uranium nigĂ©rien. Au Niger, prĂšs de 90 % de la population n'a pas accĂšs Ă l'Ă©lectricitĂ©. Cette situation ne peut plus durer." Ainsi, dans une large mesure, la prospĂ©ritĂ© de la France s'est construite sur les souffrances de l'Afrique, et vice versa.
C'est ce qui explique le sentiment anticolonial largement rĂ©pandu en Afrique de l'Ouest. Le coup d'Ătat militaire de juillet a Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ© par des manifestations publiques contre la dĂ©cision du gouvernement Bazoum d'accueillir les troupes françaises dans le pays, alors que leur prĂ©sence au Mali a prĂ©cipitĂ© un coup d'Ătat l'annĂ©e derniĂšre. La nouvelle junte nigĂ©rienne a suspendu les exportations d'or et d'uranium vers la France. Le cri de ralliement des manifestants qui sont descendus dans les rues de la capitale, Niamey, et d'autres villes du pays Ă©tait : "A bas la France, les bases Ă©trangĂšres, dehors !".
Bazoum, cependant, est resté fermement fidÚle à la France. Dans une interview accordée au Financial Times en mai, il a défendu Paris, affirmant que "la France est une cible facile pour le discours populiste de certains, en particulier sur les médias sociaux parmi la jeunesse africaine". Ainsi, avec le départ de Bazoum, le Niger pourrait passer du statut d'allié numéro un de l'Occident dans la zone à celui d'adversaire.
Intégrations et guerres régionales
La CEDEAO impose Ă ses Ătats membres des mesures Ă©conomiques strictes, approuvĂ©es par l'Occident, les contraignant Ă obĂ©ir Ă des lois Ă©conomiques nĂ©olibĂ©rales rendant plus difficile la sortie du cercle de la dette et du sous-dĂ©veloppement, et contribuant Ă rendre plus difficiles les changements pacifiques et dĂ©mocratiques, qui, ironiquement, ont contribuĂ© Ă dĂ©clencher une sĂ©rie d'insurrections militaires dans toute la rĂ©gion.
Le coup d'Ătat au Niger fait suite Ă des actions similaires au Mali en 2020 et 2021, au Burkina Faso (deux en 2022) et en GuinĂ©e (2021), soulĂšvements progressistes, patriotiques et anti-impĂ©rialistes contre un ordre Ă©conomique crĂ©Ă© par l'Occident. Ces quatre pays ont actuellement Ă©tĂ© exclus de la CEDEAO.
Un grand nombre d'Ătats se sont opposĂ©s Ă la position de l'Occident et de la CEDEAO. "Les autoritĂ©s de la RĂ©publique de GuinĂ©e se dissocient des sanctions imposĂ©es par la CEDEAO", a Ă©crit le gouvernement guinĂ©en, les qualifiant d'"illĂ©gitimes et inhumaines" et "exhortant la CEDEAO Ă revenir Ă de meilleurs sentiments".
Les gouvernements du Mali et du Burkina Faso sont allés beaucoup plus loin. Dans un communiqué conjoint, ces pays ont salué l'éviction de Bazoum, décrivant l'événement comme la prise en main par le Niger de son destin et sa volonté de répondre devant l'histoire de sa pleine souveraineté. Ensemble, ils ont dénoncé les "organisations régionales" [c'est-à -dire la CEDEAO] pour avoir imposé des sanctions qui "augmentent les souffrances des populations et mettent en péril l'esprit du panafricanisme". Mais surtout, ils ont déclaré sans ambages qu'ils viendraient militairement en aide au Niger en cas d'invasion de la CEDEAO. "Toute intervention militaire contre le Niger signifierait une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali", ont-ils écrit. L'Algérie, qui partage une longue frontiÚre avec le Niger, a également averti qu'elle ne resterait pas inactive si l'Occident ou ses marionnettes attaquaient le Niger.
Le panafricanisme, projet anti-impĂ©rialiste visant Ă crĂ©er une fraternitĂ© de nations Ă travers l'Afrique afin de se dĂ©velopper de maniĂšre indĂ©pendante, a rĂ©cemment connu une renaissance en Afrique de l'Ouest. Le Burkina Faso et le Mali, voisins du Niger Ă l'ouest, sont Ă un stade avancĂ© de fusion en fĂ©dĂ©ration. "Le processus est en cours", a dĂ©clarĂ© Ibrahim TraorĂ©, le chef militaire charismatique du Burkina Faso, rĂ©vĂ©lant que leurs armĂ©es ont dĂ©sormais appliquĂ© de telles mesures dâinteractions que "c'est littĂ©ralement la mĂȘme armĂ©e". Il a Ă©galement laissĂ© entendre qu'il souhaitait que le Niger rejoigne la fĂ©dĂ©ration :
âNous ne pouvons pas exclure l'idĂ©e qu'un autre Ătat nous rejoigne... Si' d'autres Ătats sont intĂ©ressĂ©s (il est certain que nous nous rapprocherons de la GuinĂ©e), nous devons nous unir. C'est ce que les plus jeunes rĂ©clamentâ.
La CEDEAO s'est fermement opposĂ©e Ă cette idĂ©e, mais M. TraorĂ© est restĂ© sur ses gardes. âNous allons nous battre, mais l'Afrique doit s'unir. Lâunion fait la forceâ, a-t-il dĂ©clarĂ©.
M. Traoré s'est présenté comme un leader radical dans la lignée de Thomas Sankara, le leader révolutionnaire marxiste du Burkina Faso entre 1983 et 1987. Arborant un béret rouge comme Sankara, Traoré pose des questions telles que "Pourquoi l'Afrique, riche en ressources, reste-t-elle la région la plus pauvre du monde ?" et décrit nombre de ses collÚgues dirigeants africains comme des "marionnettes aux mains des impérialistes". Il aime citer le leader cubain Che Guevara, et a allié son pays au Nicaragua et au Venezuela.
Un avant-poste colonial
Les NigĂ©riens, qu'ils soutiennent ou non le coup d'Ătat, en ont assez d'ĂȘtre traitĂ©s comme un avant-poste colonial. M. Bazoum, qui est arrivĂ© au pouvoir lors d'une Ă©lection controversĂ©e et contestĂ©e en 2021, a vu sa cote de popularitĂ© chuter aprĂšs l'annonce que le Niger accueillerait des milliers de soldats français Ă©jectĂ©s du Mali et du Burkina Faso. La prĂ©sence de ces soldats a prĂ©cipitĂ© des coups d'Ătat dans ces deux pays, et a immĂ©diatement dĂ©clenchĂ© des manifestations de colĂšre au Niger. Bazoum, que la BBC dĂ©crit comme un "alliĂ© occidental clĂ©", n'a pas su analyser la situation et a saluĂ© l'arrivĂ©e des troupes. Aujourd'hui, le Niger accueille prĂšs de 1500 soldats français, ainsi que de nombreux autres militaires allemands, italiens et amĂ©ricains. Le nouveau gouvernement militaire a enjoint Ă la France de retirer ses troupes.
Le Niger est la pierre angulaire de l'opĂ©ration militaire amĂ©ricaine en Afrique, accueillant environ 1 100 personnes rĂ©parties sur six bases. En 2019, les Ătats-Unis ont inaugurĂ© la Base aĂ©rienne 201, un immense terrain d'aviation d'une valeur de 110 millions de dollars utilisĂ© pour mener des opĂ©rations de drones dans la rĂ©gion du Sahel. La raison dĂ©clarĂ©e de l'envoi de troupes Ă©trangĂšres est d'aider la rĂ©gion Ă lutter contre le terrorisme islamiste. Mais la menace du terrorisme islamiste n'est apparue qu'aprĂšs la destruction de la Libye par l'OTAN en 2011 (un autre pays avec lequel le Niger partage une frontiĂšre). L'attaque de l'alliance militaire a transformĂ© la Libye, qui avait l'un des niveaux de vie les plus Ă©levĂ©s d'Afrique, en un Ătat failli dirigĂ© par des djihadistes, avec des marchĂ©s d'esclaves Ă ciel ouvert.
Le coup d'Ătat bĂ©nĂ©ficie donc d'un large soutien Ă l'intĂ©rieur du pays. Un sondage publiĂ© par "The Economist" en dĂ©but de semaine a rĂ©vĂ©lĂ© que 73 % des NigĂ©riens souhaitent que la junte militaire reste au pouvoir, 27 % seulement souhaitant le retour de Bazoum.
Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans le stade Seyni Kountché de Niamey pour exprimer leur souhait d'indépendance et dénoncer les menaces d'intervention américaine ou française.
"Si les forces de la CEDEAO décident d'attaquer notre pays, elles devront, avant d'atteindre le palais présidentiel, marcher sur nos corps et verser notre sang. Nous le ferons avec fierté parce que nous n'avons pas d'autre pays, nous n'avons que le Niger. Depuis le 26 juillet, notre pays a décidé d'assumer son indépendance et sa souveraineté", a déclaré le manifestant Ibrahim Bana.
Le rĂŽle de la Russie
Alors que la Russie est largement perçue en Occident comme un rĂ©gime autoritaire et nĂ©faste qui s'ingĂšre dans les affaires des pays tiers, une grande partie de l'Afrique voit Moscou d'un bon Ćil. L'Union soviĂ©tique a gĂ©nĂ©ralement soutenu les luttes d'indĂ©pendance africaines, et la FĂ©dĂ©ration de Russie n'a envahi aucun pays africain. Presque tous les Ătats africains ont participĂ© au sommet Russie-Afrique en juillet, alors que seuls quatre dirigeants africains ont participĂ© Ă une rĂ©union officielle avec le prĂ©sident ukrainien Volodymyr Zelensky l'annĂ©e derniĂšre. Le mĂȘme sondage dans "The Economist" a demandĂ© aux NigĂ©riens en quelle puissance Ă©trangĂšre ils avaient le plus confiance. 60 % d'entre eux ont choisi la Russie. Seul un nigĂ©rien sur dix a choisi les Ătats-Unis, un nombre encore plus rĂ©duit la France, et aucun n'a choisi la Grande-Bretagne.
Les drapeaux russes sont dĂ©sormais monnaie courante Ă Niamey, beaucoup espĂ©rant une aide de Moscou. Le prĂ©sident dĂ©chu Bazoum a cependant requis l'aide des Ătats-Unis dans les pages du "Washington Post", avertissant que "toute la rĂ©gion centrale du Sahel pourrait tomber sous l'influence de la Russie par le biais du groupe Wagner". Wagner a en effet Ă©tĂ© invitĂ© par plusieurs gouvernements africains, dont celui du Mali, qui voient dans la force mercenaire russe un contrepoids aux troupes occidentales. Le chef de Wagner, Evgeny Prigozhin, a rĂ©cemment approuvĂ© le coup d'Ătat, bien que Moscou ait Ă©tĂ© beaucoup plus rĂ©ticent Ă prendre parti.
La grande inquiĂ©tude de beaucoup est que le conflit au Niger dĂ©clenche une guerre plus large entre les pays d'Afrique de l'Ouest, qui ne manqueront pas de demander l'aide de l'Europe et des Ătats-Unis. Si cela se produit, les gouvernements militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger demanderont sans aucun doute l'aide de la Russie, transformant la situation ressemblant Ă la guerre civile syrienne, mais Ă une bien plus grande Ă©chelle.
à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la France a interrompu ses importations d'énergie en provenance de ce pays, rendant plus crucial l'approvisionnement en uranium nigérien de ses centrales nucléaires vieillissantes. Pourtant, toute tentative de changement de régime au Niger pour relancer l'approvisionnement en uranium suscitera la colÚre de l'Algérie, avec laquelle la France a récemment signé un accord d'importation de gaz naturel. La position française est donc pleine de contradictions et de complexités.
Alors que la puissance occidentale diminue, un monde multipolaire commence Ă voir le jour. Dans ce contexte, les peuples d'Afrique de l'Ouest rĂȘvent d'un avenir diffĂ©rent. L'avenir nous dira si les coups d'Ătat militaires s'avĂ©reront ĂȘtre une force libĂ©ratrice ou des actions qui n'aident en rien les peuples opprimĂ©s de la rĂ©gion. Une chose est claire, cependant : les Ătats-Unis et la France ne sont pas satisfaits des changements en cours, et se battront pour maintenir leur contrĂŽle sur l'Afrique. Ă cette fin, la CEDEAO s'est rĂ©vĂ©lĂ©e ĂȘtre un outil important Ă leur disposition. Cependant, avec tant d'intĂ©rĂȘts contradictoires et de forces bloquant tout compromis, la situation au Niger menace de dĂ©gĂ©nĂ©rer en une guerre internationale qui attirera l'attention du monde entier sur l'une des rĂ©gions les plus nĂ©gligĂ©es de la planĂšte.
* Alan MacLeod est rédacteur principal pour MintPress News. AprÚs avoir obtenu son doctorat en 2017, il a publié deux livres : Bad News From Venezuela : Twenty Years of Fake News and Misreporting et Propaganda in the Information Age : Still Manufacturing Consent, ainsi qu'un certain nombre d'articles universitaires. Il a également contribué à FAIR.org, The Guardian, Salon, The Grayzone, Jacobin Magazine et Common Dreams.
https://scheerpost.com/2023/08/12/beyond-niger-how-ecowas-became-a-tool-for-western-imperialism/