👁🗨 Au plus sombre de son calvaire, Assange de nouveau exclu de la liste des journalistes emprisonnés du CPJ
Le CPJ subit-il des pressions des USA, éclairant son refus d'admettre qu'Assange est un journaliste détenu. Si la Chine ou la Russie détenaient Assange, il figurerait à coup sûr dans leur classement.
👁🗨 Au plus sombre de son calvaire, Assange de nouveau exclu de la liste des journalistes emprisonnés du CPJ
Par Kevin Gosztola, le 20 janvier 2024
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a publié son recensement pour 2023. Trois cent vingt journalistes détenus ou emprisonnés ont été recensés par l'organisation de défense de la liberté de la presse, au 1er décembre 2023.
Ce chiffre n'est pas très loin du record de 360 journalistes emprisonnés établi en 2022.
Le recensement de 2023 prend une signification accrue compte tenu de la guerre menée par le gouvernement israélien contre Gaza et des attaques militaires et de la répression contre les journalistes palestiniens. Dix-sept journalistes ont été emprisonnés par Israël, le “nombre record d'arrestations” depuis que le CPJ a commencé à recenser les arrestations en 1992. C'est la première fois qu'Israël se classe parmi les six pires contrevenants.
En ce moment même, le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, et son équipe juridique se préparent à une audience majeure fixée au 20 février devant la High Court of the Justice à Londres, au Royaume-Uni. Ils considèrent cette audience comme la dernière chance de le préserver d'une extradition vers les États-Unis, où il a été accusé d'avoir violé l’Espionage Act en 2019.
Les organisations de défense de la liberté de la presse, en particulier celles dont le siège se trouve aux États-Unis, devraient contribuer à renforcer la position de M. Assange face aux accusations du ministère de la Justice. Cependant, une année de plus, le CPJ a exclu l'ancien rédacteur en chef de WikiLeaks de sa base de données des journalistes emprisonnés.
J'ai sollicité un commentaire par courriel au CPJ et demandé pourquoi M. Assange restait exclu du recensement annuel des journalistes emprisonnés de l'organisation, compte tenu notamment des méthodes appliquées par le CPJ. La réponse fournie par un responsable de la communication du CPJ a été décevante.
“Après de longues recherches et un examen approfondi, le CPJ a choisi de ne pas inscrire Assange sur la liste des journalistes, en partie parce que son rôle a souvent été celui de source et parce que WikiLeaks ne fonctionne généralement pas comme un organe d'information doté d'un processus éditorial”, m'a répondu le CPJ.
Cette déclaration est un copié-collé d'un article de 2019 publié par Robert Mahoney, alors rédacteur en chef du CPJ, dans lequel il justifie l'exclusion de M. Assange.
J'ai fait remarquer au CPJ que ces “recherches et examens approfondis” avaient été menés en 2019, parce qu'il est peut-être temps pour le CPJ de réévaluer sa décision. Le CPJ m'a répondu :
“Oui, notre position sur Assange a fait l'objet de nombreux articles. Vous êtes libre de ne pas être d'accord, mais notre position est claire, transparente et cohérente depuis des années”.
En effet, la position du CPJ est limpide. L'organisation a toujours exclu Assange de son recensement annuel.
On peut se demander si l'organisation a vraiment été si transparente. À ma connaissance, les “recherches et examens approfondis” effectués pour décider qu'Assange n'est pas un journaliste n'ont jamais été communiqués au public.
Par ailleurs, on peut se demander pourquoi une organisation de défense de la liberté de la presse dirigée principalement par des journalistes rompus à la collecte d'informations peut soutenir que M. Assange est une source. Il n'a jamais eu accès à une habilitation de sécurité ou à un poste au sein du gouvernement américain qui lui donnerait accès à des documents classifiés.
La source des documents visés par les poursuites engagées contre M. Assange en vertu de l'Espionage Act était une analyste du renseignement de l'armée américaine connue sous le nom de Chelsea Manning. Elle a eu accès à des documents militaires et gouvernementaux classifiés, a transmis plus de 700 000 fichiers à WikiLeaks, et Assange les a publiés en 2010 et 2011.
Ma requête de commentaire mentionnait la propre méthodologie du CPJ pour qualifier quelqu'un de journaliste, mais le CPJ a ignoré cet aspect de ma question.
Selon le CPJ, un journaliste est quelqu’un qui couvre l'actualité ou commente les affaires publiques par le biais de n'importe quel média, y compris la presse écrite, les photos, la radio, la télévision et l'Internet.
Entre 2010 et 2017, Assange est apparu à de nombreuses reprises sur des réseaux d'information, tels que CNN et Al Jazeera English, pour commenter les publications de WikiLeaks ainsi que les affaires publiques, comme celles du lanceur d'alerte de la National Security Agency (NSA) Edward Snowden, de la surveillance de la NSA et de la liberté sur Internet. Il est souvent apparu dans l'émission d'information indépendante “Democracy Now !” pour évoquer Google, la corruption au sein des agences de sécurité américaines et même le mouvement d'indépendance de la Catalogne en Espagne.
M. Assange est membre de la Fédération internationale des journalistes, la plus grande fédération de journalistes au monde. Vingt membres de la Fédération européenne des journalistes (FEJ), dont l'Allemagne, l'Espagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni, lui ont accordé le statut de membre honoraire.
Depuis 2010, M. Assange est également membre de l'Alliance des médias, du divertissement et des arts, un syndicat australien.
En décembre 2022, le CPJ s'est associé à diverses organisations de défense des libertés civiles, des droits de l'homme et de la liberté de la presse pour appeler dans une lettre le procureur général Merrick Garland, du ministère de la Justice, à abandonner les poursuites contre Assange.
Lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse en 2023, Jodie Ginsberg, directrice du CPJ, a pris la parole lors d'un événement organisé par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) au siège de l'ONU à New York.
Mme Ginsberg a condamné la répression à l'encontre des journalistes et a clairement déclaré :
“Les Etats-Unis pourraient notamment abandonner les poursuites à l'encontre de Julian Assange”. Elle a fait remarquer que si Julian Assange était jugé, les “journalistes du monde entier seraient criminalisés”.
Alors, pourquoi ce refus de qualifier Assange de journaliste ?
J'ai demandé au CPJ s'il avait subi des pressions de la part de représentants du gouvernement américain et si c'était la raison pour laquelle il refuse de reconnaître qu'Assange est un journaliste emprisonné. Après tout, si les gouvernements chinois ou russe détenaient quelqu'un comme Assange, il figurerait à coup sûr au classement du CPJ.
L'organisation de défense de la liberté de la presse n'a pas donné suite à cette partie de ma requête pour commentaire.
Tout au long de l'année 2023, le site web du CPJ n'a publié aucune information sur M. Assange. Le CPJ n'a pas non plus relevé le procès intenté à la CIA pour avoir copié le contenu des appareils électroniques des journalistes lorsqu'ils ont rendu visite à M. Assange).
En 2023, Jacob Weisberg est devenu président du conseil d'administration du CPJ. A-t-il joué un rôle dans la décision de ne pas inclure Assange dans leur liste ?
Weisberg est l'ancien rédacteur en chef du groupe Slate. Il s'est opposé à Assange et à WikiLeaks en 2015 lorsqu'ils ont publié des courriels de Sony Entertainment qui avaient été piratés. Il a publié un article d'opinion sur Slate sous le titre “Arrêtez de publier les piratages de Sony”.
“Les agences de presse devraient évidemment couvrir l'histoire du piratage en lui-même, ses conséquences pour Sony, la question de savoir comment c'est arrivé, et qui en est responsable. Il s'agit d'un sujet d'actualité sérieux et légitime”, a déclaré M. Weisberg. “Mais lorsqu'il s'agit d'exploiter les résultats d'une intrusion numérique, les journalistes devraient volontairement s'abstenir de publier”.
“Ils ne doivent pas s'abstenir parce qu'ils y sont légalement obligés - je ne pense pas qu'ils le soient - mais parce que rien ne justifie, d'un point de vue éthique, la publication de ce matériel volé compromettant”.
M. Weisberg n'a pas révélé qu'il était lié au directeur général de Sony Entertainment, Michael Lynton, et des courriels qu'il a transmis figurent dans les archives publiées par WikiLeaks.
Le chroniqueur du Washington Post, Erik Wemple, a soutenu que M. Weisberg aurait dû divulguer ces informations. Weisberg a nié l'existence d'un quelconque conflit d'intérêts et a rétorqué :
“Je continue de penser qu'écrire des articles basés sur ces courriels est une violation massive de la vie privée - y compris la mienne - sans aucune justification valable”.
Si le CPJ s'interroge sur sa décision d'exclure M. Assange, une autre organisation de défense de la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF), a inclus M. Assange dans son bilan de fin d'année sur les journalistes détenus pendant trois années consécutives.
Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, et Rebecca Vincent, directrice des opérations de RSF, avaient prévu de rendre visite à Assange à Belmarsh en avril 2023. Bien qu'ils aient reçu l'autorisation avant de se rendre à la prison, le directeur de l'établissement leur a refusé l'accès une fois sur place. (Pour une raison que j'ignore, RSF ne mentionne pas que des journalistes sont détenus par le Royaume-Uni ou les États-Unis).
Assange reste et restera toujours un journaliste détenu tant que le ministère de la Justice poursuivra cette affaire politique. Il est regrettable que l'équipe du CPJ ne soit pas capable d'aller au-delà de ses préjugés professionnels et de l'inclure dans son classement annuel. Une telle démarche renforcerait leur position d'opposition aux poursuites et clarifierait davantage leur engagement en faveur de la liberté d'expression.
https://thedissenter.org/assange-darkest-hour-cpj-yet-again-excludes-jailed-journalist-index/