đâđš AUKUS, Assange et les "pathologies exacerbĂ©es" de l'Ătat de sĂ©curitĂ© amĂ©ricain
"Faites-nous confiance sur cette affaire [Assange], il faut que vous y renonciez, nous ne pouvons pas nous permettre ce genre de situation. Vous devez, Ă tout prix, laisser tomber".
đâđš AUKUS, Assange et les "pathologies exacerbĂ©es" de l'Ătat de sĂ©curitĂ© amĂ©ricain
Par Bob Carr et Phillip Adams, le 12 mai 2023
L'architecture de l'Alliance ne nous permet pas d'avoir de caractĂšre propre. Cela signifie que nous avons acceptĂ© le statut d'une sorte d'Ătat client, ou de territoire amĂ©ricain. Je ne dirai pas le 51e Ătat. Cela signifie que nous avons encore moins d'indĂ©pendance qu'un gouverneur amĂ©ricain, dĂ©clare l'ancien ministre australien des affaires Ă©trangĂšres Bob Carr lors d'une conversation avec Phillip Adams, animateur de la chaĂźne ABC LNL.
Phillip Adams : Je voudrais vous poser une question simple : Pourquoi Julian Assange est-il toujours lĂ [Ă la prison de Belmarsh] ? Pourquoi les Ătats-Unis sont-ils si dĂ©terminĂ©s Ă le dĂ©tenir ?
Bob Carr : Il s'agit quasiment du dĂ©goĂ»t de soi d'une partie de l'Ătat sĂ©curitaire amĂ©ricain. Ă une Ă©poque oĂč la domination, le leadership et la primautĂ© des Ătats-Unis sont remis en question, notamment en raison de leurs propres pathologies, et oĂč l'AmĂ©rique prĂ©sente les manifestations d'un Ătat en dĂ©liquescence, il n'est pas Ă©tonnant qu'Assange soit en mauvaise posture en rĂ©vĂ©lant une affaire de corruption qui n'a pas Ă©tĂ© rĂ©solue. Pour avoir dĂ©noncĂ© un crime de guerre amĂ©ricain. Un crime de guerre amĂ©ricain incontestable. Vous pouvez le voir en vidĂ©o en tapant "Collateral Murder". Des militaires amĂ©ricains Ă bord d'un hĂ©licoptĂšre Apache tuant des civils, tirant sur douze civils au sol pendant l'Ă©pouvantable guerre en Irak. C'est un dĂ©fi Ă la psychologie amĂ©ricaine. Et Pompeo, qui Ă©tait le deuxiĂšme secrĂ©taire d'Ătat de Trump, a Ă©tĂ© mandatĂ© pour soulever cette question, et la suivre. Il y a une pathologie du jusquâau-boutisme du caractĂšre amĂ©ricain qui ne lĂąche rien. Et la fin est trĂšs sombre, elle signifie que quelqu'un sera condamnĂ© Ă 175 ans de prison, et mourra dans une prison trĂšs isolĂ©e dans les plaines de l'Oklahoma.
Le lanceur dâalerte qui a fourni les documents Ă Assange, la trĂšs courageuse et tout Ă fait admirable Chelsea Manning est libre aujourd'hui grĂące Ă une commutation de peine accordĂ©e par le prĂ©sident Barak Obama. L'AmĂ©ricaine qui a transmis les informations Ă l'Australien est donc libre. Mais l'Australien qui a publiĂ© ces informations est poursuivi avec toute la fureur vengeresse de l'Ătat sĂ©curitaire amĂ©ricain. C'est cet argument qui permet Ă un Premier ministre australien de dire Ă son homologue amĂ©ricain : "Ăcoutez, je ne peux pas dĂ©fendre cela devant l'opinion publique de mon propre pays". Et c'est un argument trĂšs puissant. C'est l'argument ultime et dĂ©cisif Ă utiliser avec les AmĂ©ricains. Votre homme est libre, vous poursuivez le nĂŽtre...
Pensez Ă cette analogie. Pensez Ă un Australien basĂ© Ă Oxford qui a dĂ©noncĂ© les mauvais traitements infligĂ©s par le gouvernement indien aux musulmans du Cachemire, ou par l'Ătat chinois Ă la minoritĂ© ouĂŻghoure de la province du Xinjiang.
Et imaginez que l'Inde ou la Chine, dans ces cas-lĂ , disent "une minute", vous avez publiĂ© en ligne nos secrets d'Ătat. Des notes de discussion du politburo ou du cabinet indien. Nous avons conclu un accord d'extradition avec Londres et nous allons vous ramener Ă PĂ©kin, ou Ă Delhi, pour vous juger, parce que vous avez enfreint les lois sur la sĂ©curitĂ© nationale de l'Inde ou, dans l'autre Ă©tude de cas, de la Chine. Nous considĂ©rerions cela comme tout Ă fait intolĂ©rable. Pourtant, c'est prĂ©cisĂ©ment l'analogie qui s'applique Ă Assange - qui n'est pas citoyen amĂ©ricain - mais qui peut se voir arrachĂ© de Londres pour ĂȘtre jugĂ© en Virginie. Personne ne pense qu'il est un espion. Mais il est jugĂ© en vertu de la loi amĂ©ricaine sur l'espionnage. Si l'on y rĂ©flĂ©chit bien, cette loi constitue une menace pour toute personne, oĂč qu'elle se trouve dans le monde, qui publie des informations considĂ©rĂ©es comme secrĂštes par l'Ătat amĂ©ricain. Ils peuvent ĂȘtre poursuivis en vertu de la loi amĂ©ricaine de 1917 sur l'espionnage, et ĂȘtre livrĂ©s aux pratiques du systĂšme judiciaire amĂ©ricain, notoirement cruel.
Des arguments sur l'AmĂ©rique qui rĂ©sonnent. La libertĂ© des mĂ©dias est tout aussi importante que ce que vous avez explorĂ© Ă plusieurs reprises dans votre Ă©mission, les principes consacrĂ©s par la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis - une dĂ©cision prise par une Cour suprĂȘme des Ătats-Unis bien diffĂ©rente - au sujet de Daniel Ellsberg et des "Pentagon Papers". Je le dis comme suit, Phillip : personne ne peut prĂ©tendre que le peuple amĂ©ricain et le monde n'avaient pas le droit de connaĂźtre toutes ces informations compilĂ©es par le ministĂšre amĂ©ricain de la dĂ©fense sur l'histoire de l'engagement amĂ©ricain au ViĂȘt Nam.
Quelqu'un pourrait-il dire [aujourd'hui] que le monde n'avait pas le droit de savoir? Que des troupes américaines à bord d'un hélicoptÚre Apache ont assassiné des gens au sol ?
Phillip Adams : Et qu'ils s'en réjouissaient !
Bob Carr : Ils s'en réjouissaient. Ils étaient plutÎt en forme, et riaient de ce qu'ils faisaient. Dans l'enregistrement que vous pouvez consulter en cliquant sur Collateral Murder dans votre moteur de recherche, on les voit assis derriÚre la caméra de visée, tournant autour d'une rue de Bagdad, et gazouillant joyeusement entre eux pendant qu'ils choisissent leur victime et tirent des balles sur douze civils non armés, y compris un homme blessé gisant dans le caniveau.
Le monde a le droit de savoir cela.
Il s'agit d'un crime de guerre. Nous le savons parce que Chelsea Manning, aujourd'hui en liberté, a communiqué ces informations à un Australien qui les a publiées.
Phillip Adams : Bob, cela touche Ă la nature mĂȘme de notre Alliance, n'est-ce pas ?
Bob Carr : C'est vrai. Si nous n'avons pas la confiance et la maturitĂ© nĂ©cessaires pour dire Ă nos partenaires, les AmĂ©ricains, "Monsieur le PrĂ©sident, je ne pense pas que vous compreniez l'importance que cela revĂȘt pour l'opinion australienne", alors nous ne nous permettons aucun avis propre dans le cadre de l'architecture de l'Alliance. Cela signifie que nous avons acceptĂ© le statut d'une sorte d'Ătat client ou de territoire amĂ©ricain. Je ne dirai pas le 51e Ătat. Cela signifie que nous avons encore moins d'indĂ©pendance qu'un gouverneur amĂ©ricain.
En fait, nous sommes comme Porto Rico ou Guam, face Ă la puissance de Washington. Nous avons perdu l'habitude d'avoir des discussions fructueuses avec les AmĂ©ricains. Nous sommes maintenant trop lĂąches pour nous y risquer. Nous sommes fidĂšles Ă l'obligation de l'Alliance jusqu'Ă l'excĂšs. Au point mĂȘme que, dans le cadre d'AUKUS, nous procĂ©dons au plus grand transfert de richesses hors de ce pays, qui ait jamais eu lieu dans notre histoire.
Et dans ce contexte de subventions massives à la construction navale américaine, si nous n'avons pas la confiance nécessaire pour dire "Monsieur le Président, je reviens sur cette affaire, je vais continuer à en parler, le public australien veut que je vous dise, si je peux m'exprimer franchement, en tant qu'amis, en tant que collÚgues, en tant que camarades : laissez tomber l'affaire Assange, et faites-le maintenant, parce que j'ai peur de ce qui peut lui arriver dans la prison de Belmarsh".
Phillip Adams : Je me réjouis que vous ayez parlé d'AUKUS. Parce que dans ce contexte, Julian ressemble à une toute, toute petite piÚce d'échecs.
Bob Carr : Dans ce contexte, il vaut moins de 5 minutes du temps du Président. Il s'agit d'un allié américain qui devient une cible nucléaire en hébergeant plusieurs installations de communication américaines. Nous nous sommes engagés, semble-t-il implicitement, si tel est le sens réel d'AUKUS, à entrer en guerre contre la Chine dÚs le premier jour du conflit. Nous ferions mieux de prier, prier, prier avec ferveur la déesse de la fortune pour que ce conflit, cette guerre n'ait pas lieu. Ce serait un désastre pour nous, nous serions une cible de substitution. Dans ce contexte, si nous ne sommes pas suffisamment sûrs de nous pour dire aux Américains : "Faites-nous confiance sur cette affaire, il faut que vous y renonciez, nous ne pouvons pas nous permettre ce genre de situation. Vous devez, à tout prix, laisser tomber".
Sinon, comment pourrons-nous dialoguer en toute confiance avec les Américains en cas de conflit avec la Chine ?
Ceci est un extrait édité de l'interview de Bob Carr avec Philip Adams sur Late Night Live, "Bob Carr on the case to free Julian Assange", 8 mai 2023 et transcrit de l'audio par Pearls and Irritations
Bob Carr est un ancien Premier ministre de Nouvelle-Galles du Sud (1995-2005), un ancien ministre australien des Affaires étrangÚres (2012-2013) et l'ancien directeur de l'Institut des relations Australie-Chine de l'Université de technologie de Sydney (2014-2019).
Phillip Adams est un animateur, Ă©crivain et rĂ©alisateur prolifique et parfois controversĂ©. En tant que prĂ©sentateur de Late Night Live, il a interviewĂ© des milliers d'hommes politiques, d'historiens, d'archĂ©ologues, de romanciers, de thĂ©ologiens, d'Ă©conomistes, de philosophes et d'autres interlocuteurs parmi les plus influents au monde. C'est un privilĂšge de prĂ©senter Late Night Live", dĂ©clare-t-il. Aucune Ă©mission de radio, oĂč que ce soit dans le monde, ne couvre un champ plus large". L'approche dĂ©contractĂ©e de Phillip est devenue la marque de fabrique de Late Night Live, tout comme son humour, sa curiositĂ©, sa capacitĂ© Ă Ă©toffer les idĂ©es rares de ses invitĂ©s et son incroyable rĂ©servoir de connaissances anecdotiques.
https://johnmenadue.com/julian-assange-and-the-seething-pathologies-of-the-american-security-state/