👁🗨 Aux États-Unis, un cloisonnement entre médias et État s'impose
Dans le monde des cerveaux libéraux, le plus grand journaliste au monde n'est donc pas considéré comme un journaliste, mais la doreuse d'image de Biden, oui parce qu'elle sait "expliquer les choses".
👁🗨 Aux États-Unis, un cloisonnement entre médias et État s'impose
Par Caitlin Johnstone, le 14 avril 2023
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Dans le monde des cerveaux libéraux, le plus grand journaliste du monde n'est donc en aucun cas considéré comme un journaliste, mais la doreuse d'image de Joe Biden, oui parce qu'elle sait "expliquer les choses".
Si on replaçait les médias à leur juste place d'observateurs critiques des agissements gouvernementaux, la dynamique qui sous-tend les maux de la nation ne serait plus dissimulée à l'opinion publique.
Le porte-parole du Département d'État américain, Ned Price, est remplacé par un homme nommé Matthew Miller. Comme Price, Miller a déjà eu de nombreux engagements antérieurs à la fois dans le gouvernement américain et dans les médias de masse ; Price est un ancien officier de la CIA et un membre du personnel du Conseil de sécurité nationale de l'administration Obama qui a travaillé pendant des années en tant qu'analyste de NBC News, tandis que Miller a déjà eu des rôles dans les administrations Obama et Biden et a passé des années en tant qu'analyste pour MSNBC.
Comme tout porte-parole de haut niveau d'un gouvernement, le travail de M. Miller consistera à présenter sous un jour favorable les actions néfastes de l'empire américain, et à détourner les questions gênantes par des non-réponses formulées en termes vagues. Il se trouve que c'est à peu de chose près le même rôle que celui des propagandistes des grands médias.
Dans les écoles de journalisme, on apprend à tracer une nette démarcation entre le gouvernement et la presse ; les journalistes sont censés demander des comptes au gouvernement, et il y a là un conflit d'intérêts évident s'ils copinent avec des représentants du gouvernement ou s'ils considèrent le gouvernement comme un futur employeur potentiel. Mais aux plus hauts niveaux du gouvernement le plus puissant du monde et des plateformes médiatiques les plus influentes, la ligne de démarcation entre les médias et l'État n'existe pas, en réalité ; on passe sans problème des missions au sein des médias aux missions pour le compte du gouvernement, selon le pouvoir en place.
Cette absence de distinction entre le gouvernement et les médias est encore plus évidente dans le cas des attachés de presse de la Maison Blanche. L'actuelle secrétaire de presse, Karine Jean-Pierre, est une ancienne analyste de NBC News et de MSNBC, et la dernière secrétaire de presse, Jen Psaki, a aujourd'hui sa propre émission sur MSNBC. Avant d'être secrétaire de presse de la Maison Blanche, Jen Psaki a travaillé comme analyste pour CNN, et auparavant, elle était porte-parole du département d'État, à l'instar de Price et Miller.
Lors d'un récent événement organisé par la startup Semafor, on a demandé à Mme Psaki si elle se considérait comme une journaliste. Elle a répondu par l'affirmative, ajoutant que "pour moi, le journalisme consiste à fournir des informations au public, à aider à clarifier les choses, à les expliquer". Ce qui est assez cocasse quand on sait que la faction politique de Psaki a passé les sept dernières années à insister furieusement sur le fait que Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, n'est pas un journaliste. Dans le monde des cerveaux libéraux, le plus grand journaliste du monde n'est donc en aucun cas considéré comme un journaliste, mais la doreuse d'image de Joe Biden l'est parce qu'elle a le don d'"expliquer les choses".
Pour vous épargner l'impression erronée que ce phénomène est propre aux démocrates et aux médias qui leur sont associés, il convient de noter que l'attachée de presse de Trump, Sarah Huckabee Sanders, a obtenu un poste de collaboratrice sur Fox News immédiatement après avoir démissionné de son poste, et qu'elle est aujourd'hui gouverneure de l'Arkansas. Une autre attachée de presse de l'administration Trump, Kayleigh McEnany, est aujourd'hui collaboratrice de Fox News, et travaillait auparavant pour CNN. Sean Spicer, le premier attaché de presse de Trump, aurait tenté d'obtenir des emplois auprès de CBS News, CNN, Fox News, ABC News et NBC News après son passage à la Maison-Blanche, mais il a été éconduit par tous, car personne ne l'aime.
En l'absence de frontière nette entre les médias et l'État, les médias américains ne sont pas vraiment différents de ceux des "régimes tyranniques" tels que la Russie et la Chine, que les Occidentaux critiquent à cor et à cri. L'unique différence est que dans les régimes tyranniques, le gouvernement contrôle les médias, alors que dans les démocraties libres, le gouvernement est le média.
Dans le même ordre d'idées, le journaliste Michael Tracey vient d'observer sur Twitter que toutes les questions posées lors de la conférence de presse du Pentagone sur les documents du ministère de la défense ayant fait l'objet d'une fuite en ligne portaient non pas sur les informations contenues dans ces documents, mais sur l'incapacité du Pentagone à empêcher leur divulgation au public. Au lieu d'essayer d'obtenir plus d'informations et de transparence de la part de leur gouvernement, comme tout journaliste se doit de le faire, ils harcèlent leur gouvernement pour qu'il fasse plus d'efforts pour empêcher que des informations importantes ne parviennent aux journalistes.
Voilà, je suppose, qui illustre une autre différence entre régimes totalitaires et démocraties libres : dans les régimes totalitaires, le gouvernement demande aux médias de taire les faits qui dérangent, tandis que dans les démocraties libres, ce sont les médias qui demandent au gouvernement de taire les faits qui dérangent.
Il se trouve que l'homme qui aurait divulgué les documents du Pentagone, un garde national de 21 ans nommé Jack Teixeira, a été retrouvé et cité par le New York Times avant même son arrestation par le FBI. Le New York Times a mobilisé une équipe d'une douzaine de journalistes pour traquer l'auteur de la fuite, en faisant même appel à l'entreprise de propagande Bellingcat, financée par l'empire. Ce travail habituellement confié aux seuls agents fédéraux a été mené dans un premier temps par des journalistes de la presse grand public ; nous ne sommes plus qu'à un ou deux clics de voir les journalistes du New York Times défoncer les portes des auteurs de fuites d'informations classifiées et abattre leurs chiens comme le feraient des fédéraux bien-pensants.
Pendant ce temps, l'organe de propagande étatique NPR [National Public Radio, abrégé en NPR, est le principal réseau de radiodiffusion non commercial et de service public des États-Unis. NPR est une organisation de droit privé, à but non lucratif, qui fédère des stations de radio locales] pique sa crise contre l'étiquette "Government Funded" (financé par le gouvernement) attribuée par Twitter à son compte, une amélioration par rapport à l'étiquette "US state-affiliated media" (média affilié à l'État américain), elle-même déjà exacte. La NPR a officiellement quitté Twitter pour protester contre cette étiquette au motif que "la plateforme prend des mesures qui sapent notre crédibilité en laissant entendre à tort que nous ne sommes pas indépendants sur le plan éditorial", ce qui est hilarant car la crédibilité de la NPR est nulle et non avenue.
Comme mentionné récemment, la NPR est financée par le gouvernement américain, soutient systématiquement les intérêts du gouvernement américain en matière d'information, et est administrée par l'ancien PDG du réseau de propagande étrangère du gouvernement américain, l'Agence américaine pour les médias mondiaux (US Agency for Global Media). Elle ne mérite même pas l'étiquette "financée par le gouvernement" ; elle devrait avoir exactement les mêmes étiquettes que les médias d'État russes et chinois, car elle ne diffère pas vraiment d'eux.
Ce constat s'est avéré d'autant plus drôle que Voice of America, le média d'État américain au sens littéral du terme, fait preuve d'une solidarité tout à fait inutile à l'égard de NPR en s'opposant également à l'étiquette "financé par le gouvernement", collée à son propre compte.
Voice of America écrit ce qui suit dans son propre rapport d'information sur la situation critique de NPR :
“Le service des relations publiques de VOA a également réagi lundi à la décision de Twitter, affirmant que l'étiquette donne l'impression que VOA n'est pas un média indépendant.”
Twitter n'a pas répondu à la demande de commentaire de VOA.
VOA est financée par le gouvernement américain par l'intermédiaire de la "U.S. Agency for Global Media", mais son indépendance éditoriale est préservée par des réglementations et un pare-feu.
Bridget Serchak, directrice des relations publiques de la VOA, a déclaré que "l'étiquette 'financé par le gouvernement' est potentiellement trompeuse et pourrait être interprétée comme 'contrôlé par le gouvernement' - ce que la VOA n'est certainement pas".
"Notre pare-feu éditorial, inscrit dans la loi, interdit toute interférence de la part de représentants du gouvernement, à quelque niveau que ce soit, dans la couverture de l'actualité et le processus de prise de décision éditoriale", a déclaré M. Serchak dans un courrier électronique. "La VOA continuera d'insister sur cette distinction dans ses discussions avec Twitter, car cette nouvelle étiquette apposée sur notre site suscite des inquiétudes injustifiées quant à l'exactitude et à l'objectivité de notre couverture de l'actualité".
Comme l'a souligné Branko Marcetic sur Twitter, ces affirmations sur l'"indépendance éditoriale" de VOA ont été catégoriquement réfutées par un collaborateur qui y a travaillé pendant 35 ans. Dans un article publié en 2017 dans la Columbia Journalism Review et intitulé " Épargnez-vous l'indignation : Voice of America n'a jamais été indépendante", Dan Robinson, ancien de la VOA, affirme que de tels organes sont radicalement différents des agences de presse normales et qu'ils sont censés favoriser les intérêts des États-Unis en matière d'information afin de recevoir des fonds du gouvernement :
“J'ai passé environ 35 ans à Voice of America, où j'ai occupé des postes allant de correspondant en chef à la Maison Blanche à chef de bureau à l'étranger, en passant par chef d'une division linguistique clé, et je peux vous dire que depuis bien longtemps, deux choses sont exactes. Premièrement, les médias financés par le gouvernement américain ont été extrêmement mal gérés, une réalité qui les a conduits à se prêter à des efforts de réforme bipartisans au Congrès, dont le point culminant a été atteint à la fin de l'année 2016 lorsque le président Obama a signé la loi de 2017 sur les autorisations en matière de défense nationale. Deuxièmement, le Congrès et d'autres instances s'accordent à dire qu'en échange d'un financement continu, ces diffuseurs gouvernementaux doivent faire davantage, dans le cadre de l'appareil de sécurité nationale, pour soutenir les efforts de lutte contre la désinformation de la Russie, d'ISIS et d'Al-Qaïda.”
Où qu'on regarde, on constate ces liens étroits entre le gouvernement américain et les médias vers lesquels les Occidentaux se tournent pour s'informer sur le monde, et ce avant même d'aborder la question de la classe ploutocratique qui possède et influence les médias américains, sans distanciation significative avec le gouvernement des États-Unis. Lorsque les entreprises font partie du gouvernement, les médias d'entreprise sont des médias d'État.
Il y a fort à parier que les États-Unis seraient une nation complètement différente si le principe de séparation des médias et de l'État, ainsi que celui de la séparation entre entreprises et État, étaient garantis au même titre que la séparation entre l'Église et l'État.
La seule raison pour laquelle les Américains consentent au statu quo bizarre de leur gouvernement qui appauvrit et opprime les gens dans leur propre pays tout en bombardant et en affamant les gens à l'étranger, réside justement en ce que leur consentement a été fabriqué par une classe médiatique que rien ne sépare de manière significative du gouvernement. Si l'on replaçait les médias à leur juste place, celle d'observateurs critiques du comportement du gouvernement, la dynamique qui sous-tend les maux de la nation ne serait plus dissimulée à l'opinion publique.
https://caitlinjohnstone.com/2023/04/14/the-us-could-use-some-separation-of-media-and-state/