đâđš BĂ©tharram, force dâĂąme
Ă France-Info on salit dĂ©jĂ du linge [âŠ] En vĂ©ritĂ©, câest la note de blanchisserie de toute la bourgeoisie mĂ©diatique qui sâannonce carabinĂ©e.
đâđš BĂ©tharram, force dâĂąme
Par Frédéric Lordon, le 11 mars 2025
On appelle âamphibologieâ une ambiguĂŻtĂ© dâorigine grammaticale, le plus souvent liĂ©e Ă une incertitude portant sur le dĂ©coupage syntagmatique. Par exemple : âJâai vu un chien en vĂ©loâ â quâon peut lire soit comme â[jâai vu un chien] + [en vĂ©lo]â, ou bien â[Jâai vu] + [un chien en vĂ©lo]â. Un autre exemple : âCes protagonistes, je ne les connais pas, ma femme non plusâ. Câest François Bayrou qui parle. Comment dĂ©couper ? Pour le chien en vĂ©lo, on tranchait assez rapidement. Ici, câest moins clair, câest du moins ce que suggĂšre un tweet aprĂšs que Bayrou a niĂ©, avec le talent quâon sait, avoir jamais entendu parler de quoi que ce soit Ă BĂ©tharram alors que sa femme y donnait des cours de catĂ©chisme : âJe ne connais pas cette Elisabeth Bayrou, je ne savais mĂȘme pas que jâĂ©tais mariĂ©â. On en est lĂ . Ă un stade oĂč âJe ne connais pas cette Elisabeth Bayrouâ est un prolongement cohĂ©rent de la kyrielle invraisemblable de mensonges qui prĂ©cĂšde.
Bayrou donc, et tous les autres Ă sa suite. Ă commencer par le petit personnel politique, chargĂ© dâaller dĂ©fendre lâindĂ©fendable, de nier ou de faire diversion, visiblement sans avoir le moindre scrupule Ă propos de ce dont ils divertissent. Une mention spĂ©ciale, comme dâhabitude, pour Elisabeth Borne, qui, sortie aprĂšs sortie, fait la dĂ©monstration dâune humanitĂ© Ă rĂ©conforter une porte de garage. Un accessit Ă©galement pour Juliette Meadel qui voit, elle, la marque indubitable de Trump et Musk dans toute cette affaire â avec probablement la bĂ©nĂ©diction de Conspiracy Watch. Tous les autres entonnent âlâinstrumentalisationâ. Les plus endurcis comme StĂ©phane Vojetta nâhĂ©sitent pas Ă parler de âpseudo-scandaleâ â en mĂȘme temps, câest la macronieâŠ
Vient ensuite la piĂ©taille journalistique. En rangs serrĂ©s. Comme un service intĂ©grĂ© de porte-parolat et dâavocat, mais dĂ©multipliĂ©. Pas un Ă©ditorialiste qui ne se mette en devoir de scrupuleusement rĂ©gurgiter la bouillie gouvernementale. Il nâest donc question que de LFI et de Mediapart. Il nây a pas dâaffaire Bayrou, juste un cas bien regrettable dâabus sur des enfants, et puis des menĂ©es oppositionnelles malveillantes â le vrai scandale si lâon y pense. Toutes les chaĂźnes dâinformation continue confirment leur vocation combinĂ©e dâofficines gouvernementales (tant que câest la droite au gouvernement, bien sĂ»r) et dâĂ©gout Ă ciel ouvert. Ă peine sortie de la riviera de Gaza, France Info, dĂ©cidĂ©ment trĂšs en vue en ce moment, se distingue Ă nouveau. Renaud DĂ©ly ne fait pas un âĂ©ditorialâ, il lit un communiquĂ© â mais avec sincĂ©ritĂ©. âSâil avait su, Bayrou nâaurait jamais placĂ© ses propres enfants Ă BĂ©tharramâ. Il doit ĂȘtre le quinziĂšme Ă rĂ©pĂ©ter le mĂȘme Ă©lĂ©ment. âEst-ce quâon peut dire quâil y a une affaire Bayrou ?â questionne le prĂ©posĂ© de service aux relances. âNon, non, Benjaminâ, bien sĂ»r que non. On ne pourra donc pas dire quâon ne savait pas que Bayrou ne savait pas.
Ni Renaud DĂ©ly, ni aucun de ceux qui avant lui avaient mĂąchonnĂ© Ă lâidentique lâargument supposĂ©ment dĂ©finitif de âses propres enfantsâ, nâaura sans doute Ă lâidĂ©e la facilitĂ© avec laquelle la âpreuve dâinnocenceâ peut se retourner en son exact contraire. Que Bayrou ait placĂ©, puis maintenu, sa progĂ©niture dans lâenfer de BĂ©tharram ne prouve rien dâautre que le traitement de faveur dont Ă©taient assurĂ©s les gosses de bourgeois. âLes enfants des familles aisĂ©es Ă©taient mis Ă part et protĂ©gĂ©sâ, tĂ©moigne un ancien Ă©lĂšve, qui parle de âtortures physiques et mentalesâ tout autant que de âviolences sexuellesâ â pour lui et les autres, qui nâen Ă©taient pas. Câest pourquoi, les enfants de la bourgeoisie protĂ©gĂ©s, la bourgeoisie peut dĂ©fendre inconditionnellement les institutions de la bourgeoisie.
De toute façon, ça nâest plus une simple enquĂȘte quâa produite Mediapart : câest une dĂ©monstration, accablante, et surtout irrĂ©futable. Dans nâimporte quel pays Ă minimum de prĂ©tention dĂ©mocratique, lâextravagante grossiĂšretĂ© du mensonge et du dĂ©ni de Bayrou aurait conduit Ă sa dĂ©mission au soir de la premiĂšre sĂ©ance des questions au gouvernement. Pourquoi Bayrou est-il encore lĂ ? Parce que la clique des Ă©ditorialistes, ambianceurs officiels du pays, en a dĂ©cidĂ© ainsi. Unanimes. Pas un des Ă©ditorialistes nâa Ă©ditorialisĂ© pour exiger lâĂ©vidence, pas un nâa Ă©ditorialisĂ© autrement que pour Ă©carter lâĂ©vidence. Quâil nâest pas admissible quâun notable politique ayant couvert en toute connaissance de cause un scandale, une honte, de ce calibre, demeure Ă son poste. Le Monde de Xavier Niel, nây est allĂ© de son bout dâenquĂȘte que pour lâabandonner dans les sables, sans en tirer la moindre consĂ©quence politique substantielle â sans doute au nom de la âstabilitĂ©â Ă prĂ©server, comme pour tout le reste. Une fois de plus, la bourgeoisie protĂšge la bourgeoisie.
Il y a moins dâun an, LibĂ©, pour une fois Ă la hauteur, avait Ă©galement publiĂ© une enquĂȘte, considĂ©rable, effarante elle aussi, sur âlâaffaire de la rue du Bacâ, terrifiant rĂ©cit dâInĂšs Chatin, offerte au viol de 4 Ă 13 ans par son beau-pĂšre Ă ses âamisâ â le gratin du VIIe arrondissement. On y retrouve Claude Imbert, fondateur et directeur du Point, Jean-François Revel, Ă©ditorialiste au mĂȘme, membre de lâAcadĂ©mie française. Quelle couverture cette affaire a-t-elle reçue ? Inexistante ou presque â pas un article dans Le Monde. La bourgeoisie protĂšge la bourgeoisie.
La classe qui sâautorise
Quel est le premier caractĂšre moral de la bourgeoisie ? Elle est la classe qui sâautorise. Et qui est prĂȘte Ă tout pour maintenir ses autorisations. Tout lui est permis. Y compris dâimposer le silence autour de ses autorisations. On ne comprend que par la socialisation des bourgeois de pouvoir entre eux ce mouvement spontanĂ©, quasiment rĂ©flexe, de leur protection mutuelle, protection dâune sorte de droit naturel, et naturellement intouchable. Quand lâĂ©ditorialisme indistinct France-Info/BFM/LCI/etc. exige quâil nây ait pas dâaffaire Bayrou, il signifie une solidaritĂ© de fer â une solidaritĂ© de classe.
Sans doute pas la classe au sens sociologique du terme, mais au moins sa restriction Ă la bourgeoisie de pouvoir, celle qui accapare tous les lieux institutionnels, politiques, Ă©conomiques, symboliques, depuis lesquels elle se tient prĂȘte Ă tout pour protĂ©ger un ordre auquel elle adhĂšre fanatiquement. Câest bien pourquoi il nâest pas une de ses interventions de police qui nâait pour filigrane la mission de dĂ©truire toute force politique identifiĂ©e comme une menace. Quiconque Ă©chappe Ă sa haine Ă©cumante sâidentifie par le fait comme un de ses collaborateurs objectifs â âsocialistesâ, âcommunistesâ, Ă©cologistes, ruffinistes : assurances de la tranquillitĂ© bourgeoise, qui sait de connaissance trĂšs sĂ»re nâavoir rien Ă craindre dâeux.
Câest pourquoi Ă©galement les menaces de mort explicites contre des dĂ©putĂ©s LFI, lâagression policiĂšre de lâun dâentre eux, tutoiement raciste Ă la bouche et taser Ă la main, les cris Ă la dĂ©chĂ©ance de la nationalitĂ© pour une dĂ©putĂ©e europĂ©enne qui rappelle le droit international dit par une rĂ©solution de lâONU, toutes ces choses dont le centiĂšme dĂ©clencherait une tempĂȘte Ă©ditoriale si elles touchaient un cheveu dâun bourgeois de pouvoir, ne connaissent aucune suite, aucun relais, aucune indignation : normales. Insignifiantes. Et puisquâon en est aux expĂ©riences de pensĂ©e, il faut imaginer BĂ©tharram avec, au hasard, Mathilde Panot premiĂšre ministre, et puis, tiens, un Ă©tablissement musulman. Il faut imaginer.
Racisme sans limite (une autorisation bourgeoise)
Un Ă©tablissement musulman. Dans un mĂ©lange paradoxal de sens stratĂ©gique trĂšs sĂ»r et de complĂšte irrĂ©flexion, la bourgeoisie de pouvoir sâest rĂ©organisĂ©e autour de sa nouvelle valeur directrice : le racisme anti-Arabe. Dont Gaza aura Ă©tĂ© un rĂ©vĂ©lateur surpuissant, le lieu oĂč se sera manifestĂ©e, acharnĂ©e comme nulle part ailleurs, lâintention de dĂ©truire â toute force politique osant exprimer sa rĂ©probation du crime contre lâhumanitĂ© et sa solidaritĂ© au peuple suppliciĂ©. Câest quâavec le signifiant âGazaâ vient aussitĂŽt son double, inarticulable : âArabeâ, et que, âArabeâ est devenu, comme jadis âJuifâ, lâInstrument de la conservation du pouvoir bourgeois. Alors, confluence du racisme viscĂ©ral et du racisme opportuniste, câest une folle exultation qui sâempare de la bourgeoisie de pouvoir, pour dire dâun seul ensemble toutes ses haines.
La passion raciste de la bourgeoisie est devenue si entiĂšre, si intransigeante que mĂȘme ses fils jadis talentueux, elle les reniera pour peu quâils ne consentent pas Ă sây adonner. Pour avoir rappelĂ© la simple vĂ©ritĂ© historique de la colonisation en AlgĂ©rie, Jean-Michel Apathie sâest mis au ban. Et câest comme un protocole expĂ©rimental, un dispositif Ă mesurer la rage. Quâest-ce que ça peut faire dire, jusquâoĂč ça peut aller, quel degrĂ© dâignorance volontaire ça peut atteindre, la rage raciste ? Car bien sĂ»r, toute lâhistoriographie confirme lâidĂ©e dâApathie. Mais en matiĂšre dâhistoire, la bourgeoisie est platiste â la rage raciste de la bourgeoisie est une rage de ne pas savoir. SolidaritĂ© avec Jean-Michel Apathie pour lâAlgĂ©rie, solidaritĂ© avec Dominique de Villepin pour la Palestine â dans quel univers parallĂšle faut-il ĂȘtre passĂ© pour se voir Ă©crire des choses pareilles (parce quâon nâoublie pas non plus lâhistorique des deux âhĂ©rosâ) ?
Si donc il fallait un indice de plus de lâeffondrement moral de la bourgeoisie, le voilĂ . Quâun point de racisme ouvert, dĂ©sormais parvenu au stade Ă©ructant, et mĂȘme dĂ©gueulant, soit ainsi devenu le principe de son remaniement stratĂ©gique est une donnĂ©e offerte au commentaire politique, ou plutĂŽt au commentaire politique futur de lâabsence de commentaire politique prĂ©sent. Qui a pourtant sous les yeux tous les Ă©lĂ©ments dâune ârĂ©cidiveâ fasciste, pour parler comme MichaĂ«l FĆssel, mais nâen nomme aucun, ni encore moins la totalitĂ© quâils composent. Câest que le commentaire politique prĂ©sent est devenu une partie du problĂšme quâil aurait normalement Ă commenter.
Les zones dâintĂ©rĂȘt
Il devrait aller sans dire (et mieux en le disant) quâattraper la bourgeoisie par son effondrement moral nâest pas livrer une explication morale de la situation prĂ©sente. Comme tous les autres faits sociaux, les faits de moralitĂ© sâoffrent Ă des explications non-moralistes. Que la classe dominante soit la classe qui sâautorise est une propriĂ©tĂ© attachĂ©e Ă sa position dans la structure sociale â dominante, prĂ©cisĂ©ment. Le degrĂ© (dâimpudence) auquel sâexpriment ses autorisations est rĂ©glĂ© par lâĂ©tat de cette structure, et par sa conjoncture. Quand la structure connait cette dĂ©formation vite rĂ©sumĂ©e par le mot âmondialisation nĂ©olibĂ©raleâ, par quoi le capital a acquis le pouvoir de tout sâautoriser, alors logiquement la bourgeoisie commence Ă tout sâautoriser. Et lorsque cette structure, Ćuvrant pour le pire, se rapproche elle-mĂȘme de ses points de crise, alors lâexaspĂ©ration des autorisations se double dâun dĂ©ni violent des autorisations. En consĂ©quence, BĂ©tharram nâexiste pas comme mise en cause directe de Bayrou, ni lâaffaire de la rue du Bac comme celle de grands bourgeois mĂ©diatiques â ni le tourbillon de corruptions quâest devenu le macronisme.
Que la bourgeoisie soit la classe qui sâautorise, câest La Zone dâintĂ©rĂȘt, le film de Jonathan Glazer, qui lâaura le mieux montrĂ© â Ă quel degrĂ© dâintentionnalitĂ©, câest une question qui demeure peut-ĂȘtre ouverte. Car sâil entre Ă lâĂ©vidence dans son propos de nous montrer le parallĂšle entre la forme du gĂ©nocide et celle du dĂ©ploiement capitaliste, forme de la rationalitĂ© instrumentale, mais aussi des conclaves oĂč sâorganise lâextermination, qui ressemblent furieusement Ă des conseils dâadministration, il est moins clair quâil ait eu lâintention de pousser plus loin la rĂ©sonance, jusquâĂ la vie bourgeoise comme vie de consommation en gĂ©nĂ©ral. Car la famille Höss, qui coule une vie bourgeoise Ă lâombre du mur, sans le moindre Ă©gard pour ce qui se passe de lâautre cĂŽtĂ©, et nâen voulant rien savoir, est Ă lâimage, mais bien sĂ»r tous curseurs mĂ©taphoriques poussĂ©s au maximum, de la vie bourgeoise en gĂ©nĂ©ral qui, prĂ©cisĂ©ment, partage formellement ce mĂȘme dĂ©sir de jouir sans rien en savoir : des consĂ©quences ou des contreparties.
Reprise dans la mĂ©taphore, une transposition dâĂ©poque dirait que, de lâautre cĂŽtĂ© du mur dâaujourdâhui, il y a lâĂ©cocide, dont il faudra rappeler quâil est par le fait un anthropocide â Ă©videmment tout autre chose que la mise Ă mort voulue, organisĂ©e et industrielle dâun peuple entier, mais une catastrophe annoncĂ©e dâampleur assez considĂ©rable tout de mĂȘme. DerriĂšre le mur de laquelle, opportunĂ©ment dressĂ© pour quâon ait le loisir de ne pas en connaĂźtre, on peut jouir en toute tranquillitĂ© dâĂąme. On repense Ă la tĂȘte littĂ©ralement ahurie de LĂ©a SalamĂ© Ă qui Jean-Marc Jancovici venait dâexpliquer que dĂ©sormais il faudrait rationner Ă 3 ou 4 le nombre des vols long courrier par tĂȘte pour toute la vie. La bourgeoisie, la classe qui jouit â et mĂȘme : qui jouit Ă tout prix. Ă lâombre de tous les murs.
LĂ©a SalamĂ©, scandalisĂ©e, est pourtant bien certaine de nâavoir rien de commun avec Mme Höss. Du point de vue de la mĂ©ditation historique, Mme Höss a pour avantage et pour inconvĂ©nient dâĂȘtre Ă la fois un personnage rĂ©el et une dĂ©formation monstrueuse. Personnage rĂ©el : a eu lieu, incontestable. DĂ©formation monstrueuse : aberrant, ne concerne âĂ©videmment plus personneâ. Il en faut si peu cependant : quand on lui parle de jacuzzi Ă Gaza, le journaliste de France Info, derriĂšre son mur, ne voit pas le problĂšme â et le spectre de Mme Höss rĂ©apparaĂźt. Thomas Sotto, le procureur dâApathie sur RTL (et de la FI partout oĂč il passe), lui, entretient les parterres du mur de la colonisation en AlgĂ©rie, dans un exercice mĂ©moriel paradoxal : se souvenir de ne pas se souvenir â pour que le mur passĂ© reste trĂšs prĂ©sent. On est trĂšs âmurâ dans les mĂ©dias.
Dans une Ă©poque oĂč les curseurs se poussent tout seuls, La Zone dâintĂ©rĂȘt nâest plus une simple Ă©vocation historique. On considĂšre la trajectoire sur laquelle le macronisme nous a bien installĂ©s et hardiment propulsĂ©s : le RN nâest mĂȘme pas encore au pouvoir et, de BĂ©tharram escamotĂ© 30 ans jusquâau racisme gĂ©nĂ©ral de lâappareil Ă©tatique et mĂ©diatique, nous avons dĂ©jĂ sous les yeux lâarc de lâeffondrement moral de la bourgeoisie. En attente de ses prolongements logiques. On aurait grand tort de prendre la Zone pour un point-limite aberrant qui ne nous concerne en rien. Ce qui se passe aux Etats-Unis en ce moment devrait assez convaincre de la vitesse foudroyante Ă laquelle lâinimaginable peut advenir.
Et la force dâĂąme surtout
En matiĂšre dâinimaginable, on doit reconnaĂźtre Ă lâĂ©poque dâavoir de la ressource. DâĂȘtre riche en providences Ă©galement. Pour la bourgeoisie. Qui a toujours fait des guerres un dissolvant universel : de ses impasses et de son illĂ©gitimitĂ©. De ses turpitudes Ă©galement. âHeureusement quâil y a lâUkraineâ : câest donc ce quâon pense au sommet de lâĂtat quand on considĂšre le bourbier BĂ©tharram, et câest ainsi quâon imagine se sauver du dĂ©sastre moral. Providence au carrĂ© dâailleurs, qui fait oublier dâun cĂŽtĂ© et transfigure de lâautre. Car voilĂ lâinfamie BĂ©tharram en un instant changĂ©e en âforce dâĂąmeâ. Et en esprit de âsacrificeâ. Sans doute une incertitude demeure-t-elle quant aux catĂ©gories de la population sur qui lâinjonction doit porter. Mais peu importe : la bourgeoisie qui Ă©met les impĂ©ratifs catĂ©goriques pour les autres trouve toujours Ă sây envelopper avantageusement. Ă France-Info on salit dĂ©jĂ du linge : car câest Ă©vident, âla force dâĂąmeâ, câest Lui. Dâailleurs âIl redevient une figure de rassemblementâ. En vĂ©ritĂ©, câest la note de blanchisserie de toute la bourgeoisie mĂ©diatique qui sâannonce carabinĂ©e.
On sait assez que ces providences-lĂ ne sont pas trĂšs providentielles. Faire dâune circonstance une providence, ça sâorganise. Par exemple on dit âmenace existentielleâ. Pour lui donner du crĂ©dit on excite un peu la partie dâen-face : elle est âimpĂ©rialiste et rĂ©visionnisteâ â on ne connaĂźt pas trĂšs bien le sens des mots quâon utilise mais on suppose quâils vont porter. Pendant ce temps tout se rĂ©organise au mieux. Dâun cĂŽtĂ© une solution de relance de lâaccumulation du capital sâimpose comme une bĂ©nĂ©diction. De lâautre, le service aprĂšs-vente est dĂ©jĂ en place. Nous sommes donc informĂ©s que lâheure nâest plus au âDoliprane pour sa mĂšreâ ou aux âloisirs des retraitĂ©sâ. Entre la tĂȘte de mort du Medef et le pitre de la BPI, on en fait des caisses sans souci du ridicule historique : car il sâen faut dâun cheveu quâils ne dĂ©noncent lâesprit de jouissance qui nous a fait tant de mal. Quand lâeffondrement moral continue de se croire au sommet de la moralitĂ©, la classe qui jouit fait la leçon Ă tous en matiĂšre de jouissance â au moment oĂč elle invente de se rĂ©tablir dans le sang des autres. Il faut admettre que le tableau dâensemble a de la gueule, on admire les audaces, on apprĂ©cie la composition. Ăventuellement une critique ou deux, marginales bien sĂ»r. Ă lâextrĂȘme rigueur une lĂ©gĂšre envie de tout casser dans la galerie.