👁🗨 Biden, ou la mort silencieuse du Premier Amendement
Au-delà de la vie d'un homme, le Premier Amendement & la liberté de la presse sont en jeu, et si le gouvernement atteint son but, aucun éditeur, diseur de vérité ni journaliste ne sera plus à l'abri.
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👁🗨 Biden, ou la mort silencieuse du Premier Amendement
Par Yanis Varoufakis, Lina Attalah & John Kiriakou, le 8 décembre 2023
En poursuivant la persécution de Julian Assange, le gouvernement américain montre le peu de cas qu'il fait de la liberté de la presse.
Au début de l'année 2024, un nouveau chapitre noir pourrait s'écrire dans les annales de l'histoire du journalisme. Julian Assange, l'éditeur de Wikileaks, pourrait être mis dans un avion et être extradé vers les États-Unis, où il risque jusqu'à 175 ans de prison pour espionnage, au motif qu'il a publié des informations dignes d'intérêt.
La persécution d'Assange est la preuve manifeste que l'administration Biden sonne le glas du Premier Amendement, avec des conséquences à l'échelle mondiale.
Les révélations de Bob Woodward et Carl Bernstein lors du scandale du Watergate sont considérées comme le triomphe de la vérité sur le pouvoir. Leur enquête a conduit à la chute du président Nixon, consolidant leur statut de champions de la liberté de la presse. Mais que se serait-il passé si cette histoire avait pris une sombre tournure, les journalistes étant poursuivis pour espionnage et réduits au silence, sous prétexte de sécurité nationale ? S'il ne s'agit là que d'une simple fiction, mais le sort d'Assange, lui, n'est que trop réel.
M. Assange, porte-drapeau du journalisme d'investigation de notre époque, lutte contre son extradition dans une cellule britannique de la prison de Belmarsh, un sort qui pourrait éteindre le phare de la transparence qu'il représente. À l'heure où le monde est confronté à l'érosion de la liberté de la presse, où des journalistes sont emprisonnés et tués, le cas d'Assange soulève de profondes questions sur les conséquences de la contestation du pouvoir et de la révélation de réalités inconfortables.
L'héritage de WikiLeaks ne se limite pas à la diffusion de malversations commises par les gouvernements ; il perce aussi le voile du secret qui nimbe les affaires mondiales. La publication de Collateral Murder, les images obsédantes d'une attaque d'hélicoptères Apache à Bagdad en 2007 montrant le meurtre de plusieurs civils, dont deux journalistes de l'agence Reuters, a choqué le monde entier. Comme nous l'avons vu ces deux derniers mois, les meurtres de civils et de journalistes en temps de guerre se poursuivent. Depuis octobre, les bombardements israéliens sur Gaza ont tué des dizaines de journalistes, selon le Comité pour la protection des journalistes. Jeudi, des groupes de défense des droits de l'homme ont établi qu'Israël avait délibérément tiré sur un journaliste de l'agence Reuters dans le sud du Liban, un crime de guerre flagrant.
Cibler des journalistes a pour objectif de maintenir l’informations là où les gouvernements souhaitent la voir, c'est-à-dire sous clé. C'est pourquoi Wikileaks représente une telle menace, car, depuis sa création, la plateforme s'efforce sans relâche d'arracher ces informations des mains des puissants pour les mettre entre celles des citoyens.
Wikileaks a non seulement dénoncé les massacres de civils, la torture et d'autres violations des droits de l'homme dans le cadre de projets tels que les Journaux de guerre d'Irak, mais a également publié des documents qui offrent un aperçu inestimable des conflits qui font encore rage aujourd'hui. Par exemple, les câbles publiés par Wikileaks dans le cadre du “Cablegate” de 2010 éclairent la politique d'Israël à l'égard de Gaza dans les années qui ont suivi la victoire électorale du Hamas en 2006, et l’élection du groupe dans la bande de Gaza en 2007. Selon ce câble, Israël a estimé que la montée en puissance du Hamas à Gaza lui profiterait, car elle permettrait à l'armée israélienne de “traiter Gaza comme un État hostile”, et a donc rejeté une demande d'aide de l'Autorité palestinienne pour vaincre le Hamas. La politique israélienne à l'égard de la bande de Gaza sous blocus consistait à “maintenir l'économie gazaouie au niveau le plus bas possible afin d'éviter une crise humanitaire”.
Ces informations sont essentielles et nous avons besoin de plus d'informations. C'est pourquoi nous trois, en tant que membres du Belmarsh Tribunal - un groupe d'experts qui se réunit à intervalles réguliers pour présenter des preuves de la persécution d'Assange - élevons nos voix ensemble pour libérer la vérité et libérer Assange.
L'affaire d'extradition contre Assange entre à présent dans sa phase finale, sa dernière audience devant le tribunal britannique étant prévue pour le début de l'année 2024. Il pourrait alors être emmené aux États-Unis pour y être inculpé en vertu de l’Espionage Act. On ne saurait trop insister sur les conséquences potentielles pour le journalisme défiant le pouvoir et en recherche de vérité.
L'application de la loi sur l'espionnage aux États-Unis crée un précédent effrayant qui se répercute bien au-delà du sort d'Assange. Réduire au silence un diseur de vérité envoie un signal dangereux, marquant le déclin de la résistance d'une presse libre face aux forces de l'autoritarisme.
La dernière réunion du tribunal a eu lieu samedi à Washington, D.C. (The Nation co-parrainant l'événement). L'une d'entre nous, Lina Attalah, rédactrice en chef de la publication égyptienne Mada Masr, n'est pas en mesure d'y assister en personne. Les reportages de sa publication sur l'assaut en cours contre Gaza ont soulevé l'ire de l'État égyptien, allié des États-Unis. Si les États-Unis peuvent emprisonner ceux qui révèlent des actes de torture, et persécuter les journalistes qui révèlent des vérités, qui serait en mesure de refréner les alliés autoritaires du gouvernement américain ?
En défendant Assange, nous défendons le droit de savoir, de questionner et de défier le pouvoir. Les résonances de l'histoire nous rappellent que la lutte pour la liberté de la presse se poursuit et que le sort de Julian Assange est un test décisif de la capacité de résistance de la vérité face à l'oppression. Le monde a besoin d'un journalisme toujours plus exigeant pour affronter sans crainte le pouvoir.
La pression monte pour que l'administration Biden libère Julian Assange. Au-delà de la vie d'un homme, c'est le Premier Amendement et la liberté de la presse elle-même qui sont en jeu. Tant que la loi sur l'espionnage sera utilisée pour emprisonner ceux qui ont exposé des crimes de guerre, aucun éditeur ni aucun journaliste ne sera à l'abri.
* Yanis Varoufakis est l'ancien ministre des finances de la Grèce et cofondateur du Mouvement pour la démocratie en Europe 2025.
* Lina Attalah est cofondatrice et rédactrice en chef de Mada Masr, un journal égyptien indépendant en ligne.
* John Kiriakou est un ancien officier de la CIA qui a dénoncé l'utilisation de la torture par l'agence.
https://www.thenation.com/article/politics/julian-assange-belmarsh-tribunal/