🚩 Binoy Kampmark: Affronter les bellicistes : le point sur l'affaire Assange
Dans ce monde, les types excités par le goût du sang comme Bolton se délectent d'opinions peu recommandables exprimées au grand jour. Ceux qui exposent la faillite de ces opinions doivent être punis.
🚩 Affronter les bellicistes: le point sur l'affaire Assange
📰 Par Binoy Kampmark*, le 11 octobre 2022
Sur le dernier chemin glissant que Julian Assange a été amené à parcourir, quelques faits se sont produits. L'épée de Damoclès rouillée est peut-être suspendue au-dessus de sa tête ( on nous informe qu'il a contracté le COVID-19), mais il y a ceux qui, en attendant, sont prêts à le défendre avec une conviction décente contre son envoi aux États-Unis, où il est assuré d'y trouver la mort.
Côté conviction décente et fermeté, des milliers de personnes ont participé aux manifestations du 8 octobre dans plusieurs villes. Une chaîne humaine de quelque 7 000 personnes s'est formée autour des Chambres du Parlement à Londres pour demander la libération de l'éditeur de WikiLeaks de la prison de Belmarsh.
Puis, il y a eu la performance digne de Boadicea, pour laquelle son épouse est devenue célèbre. Dans le cadre de l'émission "Uncensored" de Piers Morgan, un avant-goût de cette vengeance dont la justice américaine est réputée a pu être recueilli lors d'une rencontre entre Stella et le belliciste claironnant et conseiller raté de Trump, John Bolton.
Bolton, il faut s'en souvenir, était la seule preuve que le président George W. Bush, dyslexique et alcoolique repenti, avait un léger sens de l'humour. Envoyer cet homme aux Nations unies en tant qu'ambassadeur américain équivalait à nommer un renard excité et meurtrier pour garder des poulets inconscients. Cette nomination avait tout pour plaire: ressentiment, masochisme et dégoût pour ce concept plus connu sous l'appellation droit international.
Il y a beaucoup à dire sur le fait que l'ancien président Donald Trump, malgré tous ses insupportables travers, ses perversions insolubles et sa mesquinerie lancinante, ne s'est jamais engagé dans le destin meurtrier eschatologique dont Bolton pense que les États-Unis sont promis. Les types messianiques trouvent toujours une signification plus grande à la mort et au sacrifice, tant qu'ils ne sont pas ceux qui les accomplissent. La différence entre l'auteur d'un attentat-suicide et le scribouillard avide de meurtre est une question de pratique, et non de conviction. Les deux croient qu'il existe un sens supérieur inscrit dans le sang, dans le babillage de la pertinence post-vie et de la vertu invisible. Pour nous, humbles citoyens, la vie est suffisamment belle pour être préservée.
Selon Bolton, les 175 années que risque Assange pour avoir exposé l'abondant linge sale qu'est la politique étrangère et la violence impériale des États-Unis sont à peine suffisantes. Il obtiendrait naturellement un "procès équitable" aux États-Unis (ne jamais expliquer l'évidence idéologique), bien que l'équité absolue dépende d'une peine de 176 ans. "Eh bien, je pense que c'est une petite partie de la peine qu'il mérite". Avec un tel flair fabuleux pour la justice, Bolton partage un terrain d'entente avec ses commissaires et geôliers.
Comme on pouvait s'y attendre, Stella Assange avait un point de vue diamétralement opposé à une telle évaluation. Son mari était poursuivi "pour avoir reçu des informations d'une source et les avoir publiées, et dans l'intérêt public. Il s'agissait de crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan, et il a révélé des dizaines de milliers de morts civiles qui n'avaient pas été reconnues auparavant."
Morgan, tel l’incarnation de ce cancre, ce démon suceur d'égouts pratiquement inégalé dans les médias britanniques modernes, a essayé de paraître cérébral et moral à certains moments. WikiLeaks a-t-il expurgé le matériel de Chelsea Manning, l'une des principales sources des révélations? Ou bien WikiLeaks a-t-elle été cavalière et enivrée, exposant tout et n'importe quoi à la face du monde? Mieux vaut ignorer la lecture des transcriptions de procès, Piers. Le récit des faits, pavé de vérité, est forcément rude.
Pour ceux qui connaissent bien WikiLeaks, ses pratiques et, en fait, le procès à Old Bailey concernant l'extradition d'Assange, de telles affirmations ne peuvent être considérées que comme décidément peu convaincantes. Stella a expliqué que WikiLeaks a "expurgé tous les documents remis par Manning à WikiLeaks, et que c'était en fait en coopération avec des journaux". Le procès lui-même a clairement montré que le diffuseur de secrets, comme Assange a souvent été accusé de l'être, n'était autre que le Guardian lui-même, dont les journalistes avaient laissé, sous forme de promesse alléchante, la clé de décryptage dans leur livre WikiLeaks: Inside Julian Assange's war on secrecy.
Stella, enflammée par son objectif et consciente de sa mission, a également rappelé au public à qui elle s'adressait. Bolton, a-t-elle lancé avec une fureur acerbe, "a cherché à saper le système juridique international, à faire en sorte que les États-Unis ne soient pas sous la juridiction de la Cour pénale internationale".
Puis vint la bonne vieille grenade dégoupillée: "Et dans ce cas, M. Bolton devrait en fait être poursuivi par la CPI [Cour pénale internationale]. Il était l'un des principaux promoteurs de la guerre en Irak, que Julian a ensuite exposée par ces fuites, il y a donc un conflit d'intérêts."
Il y a eu d'autres épisodes inquiétants qui ne peuvent que préoccuper Assange et sa famille. On vient d'apprendre que des responsables de la sécurité, au Parlement australien, ont subi des "pressions importantes" pour saisir des livres de la délégation d'Assange lors de sa visite à Canberra en août. Dans une lettre adressée au sénateur des Verts David Shoebridge, le département des services parlementaires a expliqué que tout cela était lié à une manifestation.
La caractéristique du ton du bureaucrate est de se moquer de ce qui est pertinent, et de déprécier ce qui a de la valeur. Selon l'opinion réfléchie du secrétaire du département des services parlementaires, Rob Stefanic, "je comprends que la famille d'Assange n'ait peut-être pas vu la procédure de filtrage d'un bon œil, mais après avoir examiné les processus appliqués par le personnel de sécurité, je suis convaincu qu'ils ont accompli leurs tâches avec respect et diligence." Un tel raisonnement suffirait dans la plupart des États policiers, où les bureaucrates sont assis à la même table que les responsables de la sécurité.
Or, il s'avère que le ministère a fait un faux pas. L'allégation concernant la manifestation était inexacte, car ni le père d'Assange, John Shipton, ni son frère, Gabriel, ne s'étaient rendus à de telles actions. "Il est évident qu'il y a des inexactitudes factuelles dans la lettre au sénateur Shoebridge, et le secrétaire fera le nécessaire pour corriger le dossier."
Le monde a changé de dimension. Ceux qui ouvrent le cabinet des secrets sont considérés comme les méchants faiseurs d'histoires, qui ont simplement révélé que papa jouait du violon et que maman buvait. Dans ce monde, les types excités par le goût du sang comme Bolton se délectent d'exprimer des opinions peu recommandables au grand jour; ceux qui exposent la faillite de ces opinions doivent être punis. C'est avec un dégoût résolu que nous attendons la prochaine mascarade.
* Binoy Kampmark a été boursier du Commonwealth au Selwyn College, à Cambridge. Il enseigne à l'université RMIT de Melbourne. Courriel : bkampmark@gmail.com
https://www.eurasiareview.com/11102022-facing-the-warmongers-an-assange-update-oped/