đâđš Binoy Kampmark - Assange, loi & Ă©tat de droit: une caricature macabre de ce qui s'apparente Ă une forme de chĂątiment.
L'alliance amĂ©ricano-australienne: un sanctuaire qu'il faut considĂ©rer avec vĂ©nĂ©ration, et non le remettre en question avec un scepticisme Ă©clairĂ©. Assange & WikiLeaks, aprĂšs tout, ont gĂąchĂ© la fĂȘte.
đâđš Assange, loi & Ă©tat de droit: une caricature macabre de ce qui s'apparente Ă une forme de chĂątiment.
đ° Par Binoy Kampmark, le 24 octobre 2022
C'Ă©tait rĂ©vĂ©lateur. De la galerie de presse australienne grand public, seul David Crowe du Sydney Morning Herald s'est prĂ©sentĂ© pour Ă©couter Jennifer Robinson, avocate extraordinaire qui a passĂ© des annĂ©es Ă reprĂ©senter Julian Assange. Depuis 2019, cette dĂ©fense a revĂȘtu une dimension encore plus urgente: empĂȘcher l'extradition du fondateur de WikiLeaks vers les Ătats-Unis, oĂč il fait face Ă 18 chefs d'accusation, dont 17 sont issus de l'archaĂŻque Espionage Act de 1917.
S'adressant à l'Australian National Press Club, le discours de M. Robinson, intitulé "Julian Assange, liberté d'expression et démocratie", a été un récapitulatif complet du dossier politique contre le fondateur de WikiLeaks. Les observateurs de cette affaire qui ne cesse de s'assombrir n'y auraient rien trouvé de bien neuf. Ce qui les a choqués, c'est plutÎt le fait que beaucoup ignorent encore les étapes de ce scandaleux épisode de persécution.
Dans son discours, M. Robinson a rappelĂ© les dĂ©clarations accablantes d'organisations mĂ©diatiques et de gouvernements selon lesquelles Assange Ă©tait paranoĂŻaque et pouvait quitter Ă son grĂ© l'ambassade d'Ăquateur, son lieu de rĂ©sidence depuis sept ans. Beaucoup ont ensuite Ă©tĂ© "surpris lorsque Julian a Ă©tĂ© visĂ© par une demande d'extradition des Ătats-Unis". Mais il s'agissait exactement de ce contre quoi WikiLeaks mettait en garde depuis une dizaine d'annĂ©es.
Dans la prison de haute sĂ©curitĂ© de Belmarsh, oĂč il est incarcĂ©rĂ© depuis trois ans et demi, la santĂ© d'Assange a encore dĂ©clinĂ©. L'an dernier, lors d'une audience stressante en appel, Julian a eu un mini-AVC. Son Ă©tat de santĂ© n'a pas convaincu l'accusation vĂ©nale, chargĂ©e de "tourner en dĂ©rision les preuves mĂ©dicales de la grave dĂ©pression et des idĂ©es suicidaires de Julian".
La question de sa santĂ© est liĂ©e Ă l'interminable procĂ©dure. Si la Haute Cour n'accorde pas l'autorisation de faire appel de la dĂ©cision prise en juin par la ministre de l'IntĂ©rieur, Priti Patel, d'ordonner son extradition, des procĂ©dures devant la Cour suprĂȘme du Royaume-Uni, voire la Cour europĂ©enne des droits de l'homme, pourraient ĂȘtre engagĂ©es.
Ce dernier recours, s'il s'avĂ©rait nĂ©cessaire, dĂ©pendrait du maintien par le gouvernement en place du Royaume-Uni dans la juridiction de la CEDH. Si l'appel Ă©choue, Julian sera extradĂ© vers les Ătats-Unis, oĂč ses conditions de dĂ©tention seront soumises au bon vouloir des services de renseignements qui ont complotĂ© pour le supprimer. Un procĂšs inĂ©quitable s'ensuivrait, et toute procĂ©dure juridique invoquant le Premier Amendement et aboutissant Ă une audience devant la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis prendrait des annĂ©es.
Le discours de Robinson a eu le mérite de souligner l'urgence d'une action politique. Assange subit une forme d'assassinat juridique et bureaucratique, sa vie étant progressivement anéantie par des rapports, des examens, des procédures bureaucratiques et des protocoles:
âCette affaire nĂ©cessite une solution politique de toute urgence. Julian n'a pas dix ans de plus Ă attendre une issue juridique".
Reconnaissant que sa rĂ©fĂ©rence Ă la voie politique Ă©tait inhabituelle pour un avocat, Mme Robinson a fait remarquer que le langage de l'application rĂ©guliĂšre de la loi et de l'Ătat de droit Ă©tait devenu une caricature macabre de ce qui s'apparente Ă une forme de chĂątiment. La loi a Ă©tĂ© façonnĂ©e d'une maniĂšre abusive qui permet de poursuivre une personne pour son journalisme d'une maniĂšre abominablement novatrice. Bien que le traitĂ© d'extradition entre le Royaume-Uni et les Ătats-Unis interdise l'extradition pour des dĂ©lits politiques, l'accusation amĂ©ricaine s'est appuyĂ©e sur l'Espionage Act. Et l'espionnage, dĂ©clare Robinson, est un dĂ©lit politique.
La liste des abus de l'accusation est d'une longueur biblique. Robinson en a donné un résumé à son auditoire: la fabrication de preuves par l'intermédiaire de l'informateur islandais, Sigurdur "Siggi" Thordarson, condamné pour détournement de fonds et pédophilie, la déformation délibérée des faits, la surveillance illégale d'Assange et de son équipe juridique, les questions de traitement médical,
"et la saisie de matériau légalement confidentiel".
Une grande partie de la mĂ©connaissance de l'affaire Assange et des implications de sa persĂ©cution est sans aucun doute voulue. La rĂ©fĂ©rence de Robinson Ă Nils Melzer, le rapporteur spĂ©cial des Nations Unies sur la torture, Ă©tait judicieuse. Cet homme Ă©tait initialement sceptique quant Ă la plainte pour torture dĂ©posĂ©e par Assange et son Ă©quipe. Il avait Ă©tĂ© lui-mĂȘme confortĂ© par la diffamation contre la rĂ©putation de l'Ă©diteur. Mais en 2019, il a acceptĂ© de prendre connaissance de cette plainte. Et ce qu'il a lu l'a choquĂ© et l'a obligĂ© Ă se confronter Ă ses propres prĂ©jugĂ©s.'
Melzer observera par la suite qu'au cours de deux décennies de travail
"avec des victimes de la guerre, de la violence et de la persĂ©cution politique, je n'ai jamais vu un groupe d'Ătats dĂ©mocratiques se liguer pour isoler, diaboliser et tourmenter dĂ©libĂ©rĂ©ment un seul individu pendant si longtemps avec aussi peu de considĂ©ration pour la dignitĂ© humaine et l'Ătat de droit".
Ces jours-ci, les chouchous de la presse ne s'inquiĂštent pas des libertĂ©s de la presse prĂšs de chez eux, qu'il s'agisse de l'Australie elle-mĂȘme, ou de ses alliĂ©s. Ce qui prime, c'est l'inconduite flagrante des forces russes dans la guerre en Ukraine ou le bilan de la Chine en matiĂšre de droits de l'homme au Xinjiang. La malveillance est ailleurs.
La conduite obscĂšne des autoritĂ©s amĂ©ricaines, dont les responsables ont envisagĂ© d'enlever et d'assassiner un Ă©diteur, est une tache gĂȘnante de l'histoire qu'il vaut mieux nĂ©gliger pour les consommateurs d'informations aux Ătats-Unis. Le gouvernement Albanese, qui a continuĂ© Ă vanter la gloire du pacte de sĂ©curitĂ© AUKUS et Ă se pĂąmer devant la perspective d'une OTAN mondialisĂ©e, a mis de cĂŽtĂ© toute "solution politique" concernant Assange, du moins dans tout contexte public. L'alliance amĂ©ricano-australienne est un sanctuaire qu'il faut vĂ©nĂ©rer avec vĂ©nĂ©ration et dĂ©lice, plutĂŽt que de le remettre en question avec un scepticisme Ă©clairĂ©. Le fondateur de WikiLeaks a, aprĂšs tout, gĂąchĂ© la fĂȘte.
Sur une note plus gaie, ceux qui ont écouté le discours de M. Robinson ont fait preuve d'une saine prise de conscience politique des vicissitudes auxquelles est confronté un concitoyen australien. La députée fédérale du siÚge de Kooyong, Dr Monique Ryan, était présente, tout comme les sénateurs Peter Whish Wilson et David Shoebridge. Mme Ryan a ensuite tweeté:
"Un Australien puni par des Ătats Ă©trangers pour des actes de journalisme ? Il est temps pour notre gouvernement d'agir".
D'autres ont Ă©tĂ© ceux qui ont Ă©tĂ© ou continuent d'ĂȘtre les cibles de l'Ătat de sĂ©curitĂ© nationale. Bernard Collaery, figure et cible de longue date de l'establishment sĂ©curitaire australien, a fait une apparition, tout comme David McBride, en attente de son procĂšs pour avoir rĂ©vĂ©lĂ© les atrocitĂ©s prĂ©sumĂ©es du personnel des services spĂ©ciaux australiens en Afghanistan.
Ces personnes ont apportĂ© des contributions vitales et vivifiantes Ă la responsabilitĂ© dĂ©mocratique, ce dont WikiLeaks est fier. Mais tout journalisme qui, comme le dit Robinson, soumet "le pouvoir Ă un examen rigoureux et lui demande des comptes", ne peut que susciter la fureur de l'Ătat de sĂ©curitĂ© nationale. Dans le cas d'Assange, cette fureur l'emportera-t-elle ?
* Binoy Kampmark a été un boursier du Commonwealth au Selwyn College, à Cambridge. Il enseigne à l'université RMIT de Melbourne.