đ© Binoy Kampmark - De l'OTAN Ă l'AUKUS: L'Occident a des armes nuclĂ©aires partout
Une faille ouvre la porte à l'approvisionnement de l'Australie en sous-marins capables d'utiliser des armes nucléaires, et la Chine n'aime pas ça.
đ© De l'OTAN Ă l'AUKUS : L'Occident a des armes nuclĂ©aires partout
đ° Par Binoy Kampmark / CounterPunch, le 21 septembre 2022
à Vienne, la mission permanente de la Chine auprÚs des Nations Unies a été plutÎt active ces derniers temps. Les membres de la mission ont été particuliÚrement irrités par l'Agence internationale de l'énergie atomique et son directeur général, Rafael Grossi, qui s'est adressé au Conseil des gouverneurs de l'AIEA [Agence internationale de l'énergie atomique] le 12 septembre.
Grossi s'appuyait sur un rapport confidentiel de l'AIEA qui avait Ă©tĂ© diffusĂ© la semaine prĂ©cĂ©dente concernant le rĂŽle de la technologie de propulsion nuclĂ©aire pour les sous-marins devant ĂȘtre fournis Ă l'Australie dans le cadre du pacte de sĂ©curitĂ© AUKUS [Alliance militaire tripartite formĂ©e par l'Australie, les Ătats-Unis et le Royaume-Uni et rendue publique le 15 septembre 2021, visant Ă contrer l'expansionnisme chinois dans l'Indo-Pacifique].
Lorsque l'annonce de l'AUKUS a été faite en septembre de l'année derniÚre, sa signification a ébranlé les établissements de sécurité dans l'Indo-Pacifique. Elle n'était pas moins remarquable, et troublante, car elle signalait le transfert d'une technologie nucléaire autrement rationnée à un pays tiers. Comme l'a fait remarquer à l'époque Ian Stewart, directeur exécutif du James Martin Center à Washington, cette
"coopĂ©ration peut ĂȘtre utilisĂ©e par les Ătats non nuclĂ©aires comme une munition supplĂ©mentaire pour soutenir l'idĂ©e que les Ătats dotĂ©s d'armes nuclĂ©aires manquent de bonne foi dans leurs engagements en matiĂšre de dĂ©sarmement".
AprĂšs cette remarque judicieuse, M. Stewart, rĂ©vĂ©lant son parti pris stratĂ©gique, a suggĂ©rĂ© que, dans la mesure oĂč cette coopĂ©ration n'impliquerait pas d'armes nuclĂ©aires de la part de l'Australie et serait accompagnĂ©e de garanties, peu de gens avaient des raisons de s'inquiĂ©ter. Tout cela n'Ă©tait qu'"une Ă©tape stratĂ©gique relativement simple".
James M. Acton, co-directeur du programme de politique nuclĂ©aire au Carnegie Endowment for International Peace, Ă©tait beaucoup moins optimiste. "Les implications en matiĂšre de non-prolifĂ©ration de l'accord sur les sous-marins AUKUS sont Ă la fois nĂ©gatives et sĂ©rieuses". L'exploitation par l'Australie de sous-marins Ă propulsion nuclĂ©aire en ferait le premier Ătat non dotĂ© d'armes nuclĂ©aires Ă manipuler une faille dans le systĂšme d'inspection de l'AIEA.
En créant ce "précédent préjudiciable", les aspirants "proliférateurs pourraient utiliser les programmes de réacteurs navals comme couverture pour le développement d'armes nucléaires - avec l'espoir raisonnable que, en raison du précédent australien, ils ne seraient pas confrontés à des coûts intolérables pour le faire". Peu importait, en ce sens, l'intention des membres de l'AUKUS; un exemple terrible qui minerait les garanties de l'AIEA était donné.
Quelques pays de la région ont été discrÚtement agacés par la marche de ce triumvirat de partage des technologies dans l'Indo-Pacifique. Dans un projet de soumission à la dixiÚme conférence d'examen des parties au traité de non-prolifération des armes nucléaires des Nations unies (NPT RevCon), qui a fait l'objet d'une fuite, l'Indonésie estime que le transfert de technologie nucléaire à des fins militaires est contraire à l'esprit et à l'objectif du TNP.
Selon les termes tranchants du projet, "l'IndonĂ©sie considĂšre que toute coopĂ©ration impliquant le transfert de matiĂšres et de technologies nuclĂ©aires Ă des fins militaires d'Ătats dotĂ©s d'armes nuclĂ©aires vers des Ătats non dotĂ©s d'armes nuclĂ©aires augmente les risques associĂ©s [de] consĂ©quences humanitaires et environnementales catastrophiques".
Lors de la confĂ©rence d'examen de la non-prolifĂ©ration nuclĂ©aire, les diplomates indonĂ©siens ont insistĂ© sur le fait que les matiĂšres nuclĂ©aires prĂ©sentes dans les sous-marins devaient ĂȘtre contrĂŽlĂ©es avec plus de rigueur. Le ministĂšre des affaires Ă©trangĂšres a fait valoir qu'il avait obtenu un certain succĂšs en proposant une plus grande transparence et un contrĂŽle plus strict de la distribution de cette technologie, affirmant avoir reçu le soutien des membres de l'AUKUS et de la Chine. "AprĂšs deux semaines de discussion Ă New York, toutes les parties ont finalement acceptĂ© de considĂ©rer la proposition comme une voie mĂ©diane", a annoncĂ© Tri Tharyat, directeur gĂ©nĂ©ral de la coopĂ©ration multilatĂ©rale au ministĂšre indonĂ©sien des affaires Ă©trangĂšres.
Tout en servant Ă bouleverser la sĂ©curitĂ© de la rĂ©gion, l'AUKUS, de l'avis de Jakarta, a Ă©galement servi Ă encourager une potentielle course aux armements dĂ©stabilisante, en plaçant les pays en position de suivre le rythme d'une poursuite toujours plus coĂ»teuse des armements. (Les choses n'Ă©taient pas jolies au dĂ©part, mĂȘme avant l'annonce de l'AUKUS, la Chine et les Ătats-Unis surveillant dĂ©jĂ le renforcement militaire de l'autre en Asie).
L'inquiĂ©tude suscitĂ©e par la poursuite de plus en plus vorace des armements est un point de vue que PĂ©kin a encouragĂ©, le porte-parole du ministĂšre chinois des affaires Ă©trangĂšres, Zhao Lijian, ayant fait remarquer que "la coopĂ©ration des Ătats-Unis, du Royaume-Uni et de l'Australie en matiĂšre de sous-marins nuclĂ©aires porte gravement atteinte Ă la paix et Ă la stabilitĂ© rĂ©gionales [et] intensifie la course aux armements."
Wang Qun, reprĂ©sentant permanent de la Chine, a dĂ©clarĂ© Ă M. Grossi le 13 septembre qu'il devait Ă©viter de tirer "les marrons du feu" en approuvant l'exercice de prolifĂ©ration nuclĂ©aire de l'Australie, des Ătats-Unis et du Royaume-Uni. Rossi, pour sa part, a dĂ©clarĂ© au Conseil des gouverneurs de l'AIEA que quatre "rĂ©unions techniques" avaient eu lieu avec les parties de l'AUKUS, ce qui avait satisfait l'organisation. "Je me fĂ©licite de l'engagement des parties de l'AUKUS avec l'Agence Ă ce jour et j'espĂšre qu'il se poursuivra afin qu'elles tiennent leur engagement commun de garantir le respect des normes les plus Ă©levĂ©es en matiĂšre de non-prolifĂ©ration et de sauvegarde."
Le rapport de l'AIEA a Ă©galement fait un clin d'Ćil Ă l'affirmation de Canberra selon laquelle les risques de prolifĂ©ration posĂ©s par l'accord AUKUS Ă©taient minimes, Ă©tant donnĂ© qu'il ne recevrait que des unitĂ©s de production d'Ă©nergie nuclĂ©aire "complĂštes et soudĂ©es", ce qui rendrait le retrait de matiĂšres nuclĂ©aires "extrĂȘmement difficile". En tout Ă©tat de cause, les matiĂšres utilisĂ©es dans les unitĂ©s, si elles devaient servir Ă la fabrication d'armes nuclĂ©aires, devaient ĂȘtre traitĂ©es chimiquement dans des installations dont l'Australie ne dispose pas et qu'elle ne chercherait pas Ă obtenir.
La porte-parole du ministÚre chinois des Affaires étrangÚres, Mao Ning, n'a pas été trÚs impressionnée.
"Ce rapport a citĂ© Ă tort et Ă travers le rĂ©cit des Ătats-Unis, du Royaume-Uni et de l'Australie pour expliquer ce qu'ils ont fait, mais n'a fait aucune mention des prĂ©occupations majeures de la communautĂ© internationale concernant le risque de prolifĂ©ration nuclĂ©aire qui pourrait dĂ©couler de la coopĂ©ration avec le sous-marin nuclĂ©aire AUKUS." Elle a "fermĂ© les yeux sur la position solennelle de nombreux pays selon laquelle la coopĂ©ration AUKUS viole l'objet et le but du TNP".
Il est difficile de rejeter les préoccupations de Pékin comme étant celles d'un esprit paranoïaque et dérangé. Malgré le renforcement militaire peu utile de la Chine, les tentatives des partenaires de l'AUKUS de rejeter le transfert de technologie nucléaire vers l'Australie comme étant techniquement bénin et conforme au TNP est un non-sens dangereux. Malgré les avancées vers une voie médiane prÎnée par Jakarta, le précédent de la prolifération nucléaire par des moyens détournés est en train de se créer.
* Binoy Kampmark a été boursier du Commonwealth au Selwyn College, à Cambridge. Il enseigne à l'université RMIT de Melbourne. Courriel : bkampmark@gmail.com
https://scheerpost.com/2022/09/21/from-nato-to-aukus-the-west-has-nukes-everywhere/