👁🗨 Binoy Kampmark - Mike Pompeo & les méthodes voyou : châtier les lanceurs d'alerte et éliminer Assange.
"Il ne s'agit pas de la loi. Il s'agit d'intimider le journalisme, il s'agit de supprimer la liberté de la presse, il s'agit de protéger l'immunité des représentants de l'État."
👁🗨 Méthodes voyou : Mike Pompeo & les méthodes voyou : châtier les lanceurs d'alerte et éliminer Assange.
📰 Par Binoy Kampmark, le novembre 2020
Pauvre, stupide et proéminent Mike Pompeo. Pompeo, qui a dirigé à différents reprises la CIA et le département d'État américain, est plutôt contrarié que ceux qui ont travaillé sous ses ordres aient osé moufter à propos de Julian Assange. Il se trouve que ces propos concernaient des projets d'enlèvement et d'assassinat, ce que l'exécutif américain interdit formellement, tout en l'autorisant par divers mécanismes détournés.
Ce n'est pas tous les jours que des responsables de la Central Intelligence Agency s'ouvrent publiquement de leurs opérations, mais à l'occasion du reportage de Yahoo ! News, il était clair qu'Assange en avait distrait plus d'un. Ces spécialistes de la sécurité avaient-ils attrapé le virus de la transparence ? Peu probable, mais il pourrait s'agir d'un léger agacement qui se propage dans la communauté souterraine.
Après avoir désigné WikiLeaks comme un "service de renseignement non étatique hostile" en avril 2017, M. Pompeo a manifestement cru que les lois de l'engagement devaient changer. La plateforme d'édition devrait faire l'objet d'un "contre-espionnage offensif", tandis qu'Assange lui-même bénéficierait d'un traitement spécial
Les suggestions varient, Pompeo menant le bal sur la nécessité de capturer l'éditeur à l'ambassade d'Équateur à Londres et de le transférer dans un pays tiers où il serait soumis à un interrogatoire. Ainsi, la guerre contre le terrorisme pourrait se réincarner, mais cette fois contre le fondateur d'une maison d'édition.
Tout au long de son mandat de chef de la CIA, M. Pompeo a manifesté une irritation croissante contre la propension des services de renseignement à divulguer des informations. Quelques mois après sa déclaration de guerre ouverte contre WikiLeaks, il s'est plaint à MSNBC qu'un phénomène avait pris racine, "le culte d'Edward Snowden et de ceux qui volent des secrets américains dans un but de valorisation personnelle, ou par appât du gain, ou quelle que soit leur motivation".
N'étant plus sous les feux de la rampe, M. Pompeo a modestement tenté de s'y replonger en apparaissant dans le podcast de Megyn Kelly, où on lui a demandé de répondre aux témoignages recueillis par Yahoo ! News. Sa cible à cette occasion : la trentaine de responsables de la communauté du renseignement incapables de fermer leur clapet sur l'affaire Assange. "Je ne peux pas dire grand-chose à ce sujet, si ce n'est que les 30 personnes qui ont prétendument parlé à l'un de ces journalistes [Yahoo ! News] - quelles qu'elles soient - devraient toutes être poursuivies pour avoir mentionné une activité classifiée au sein de la Central Intelligence Agency."
Les gouvernements américains de tous bords ont fait preuve d'un zèle fanatique dans la traque des lanceurs d'alerte et des fuites dans le contexte de la sécurité nationale. Les avocats du ministère de la Justice ont même estimé que le lanceur de fuites fait plus de dégâts qu'un espion étranger. Dans le cadre des poursuites engagées en 2019 contre Daniel Hale, un analyste du renseignement qui a divulgué des documents classifiés sur le programme de drones des États-Unis, ce point de vue a été exprimé sans ambages : "Alors que les espions transmettent généralement des informations classifiées de défense nationale à un gouvernement étranger spécifique, les fuites, par le biais d'Internet, distribuent ces informations sans autorisation au monde entier."
Les avocats du gouvernement poursuivent en affirmant qu'une telle "diffusion à grande échelle de divulgations non autorisées peut en fait amplifier les atteintes potentielles à la sécurité nationale dans la mesure où chaque pays a accès aux informations ainsi compromises".
Les auteurs de ces révélations bénéficient également de différents niveaux de protection, souvent en fonction de leur grade et de la nature des informations divulguées. On pourrait penser que plus le grade et la position sont élevés, plus la peine est lourde. Il s'ensuit que toutes les fuites devraient être traitées avec la même équité et le même jugement. Mais nous savons que ce n'est pas le cas.
Les confidences sur l'oreiller du général David Petraeus à sa biographe et ancienne maîtresse Paula Broadwell ont conduit à une accusation de délit de négligence dans la manipulation de documents classifiés, à une amende de 100 000 dollars et à une période de probation de deux ans. Cette sanction était particulièrement lourde, compte tenu de son statut de général en temps de guerre et de son propre passage à la direction de la CIA.
La sénatrice Dianne Feinstein, alors vice-présidente de la commission du renseignement du Sénat, et l'une des premières à préconiser des poursuites contre Assange en vertu de l'Espionage Act de 1917, a publiquement exhorté le gouvernement à ne pas inculper Petraeus. Il avait "commis une erreur" et avait "suffisamment souffert à mon avis".
Un point de vue moins charitable a été réservé à l'ancien agent de la CIA Jeffrey Sterling, inculpé de sept chefs d'accusation en vertu de la loi sur l'espionnage et de trois chefs d'accusation connexes. Les procureurs ont fait valoir que Sterling avait fourni des détails classifiés sur un programme de l'Agence destiné à perturber les plans nucléaires de l'Iran au journaliste du New York Times James Risen pour un chapitre de son livre de 2006, State of War. Là encore, l'accusation a fait valoir que de telles divulgations "peuvent être considérées comme plus pernicieuses que le cas typique d'espionnage où un espion vend des informations classifiées pour de l'argent". Sterling a été reconnu coupable et condamné à 42 mois de prison.
Tout cela était conforme à l'évaluation faite par le sénateur Daniel Patrick Moynihan dans une lettre adressée au président Bill Clinton en septembre 1998 : "Des poursuites impartiales des auteurs de fuites mettrait en péril toute une administration."
Quant à la question de l'exactitude du contenu de l'article de Yahoo ! News, M. Pompeo a confirmé que certains éléments étaient "exacts", notamment les efforts déployés par la CIA pour cibler WikiLeaks à la suite de la publication de Vault 7, qui détaille les outils et méthodes de piratage utilisés par l'organisation. Il s'agit d'un discours assez différent de celui qui avait été prononcé initialement, à savoir que l'histoire constituait "une assez bonne fiction".
Pour M. Pompeo, l'objectif était clair. "Lorsque les mauvaises personnes volent ces secrets, il nous incombe de les poursuivre, afin d'empêcher que [cela] ne se reproduise." Lui et d'autres responsables "voulaient à tout prix que les personnes qui avaient violé la loi américaine, qui avaient enfreint les exigences de protection des informations et qui avaient essayé de les voler, rendent des comptes."
Il a également réaffirmé que la CIA n'était pas autorisée à commettre d'assassinats. "Nous n'avons jamais agi en contradiction avec cela". Il n'y avait jamais eu de "planification pour violer la loi américaine - pas une seule fois de mon temps".
D'autres constats semblent suggérer un voyou en action, un justicier décidé à briser des crânes et à se soustraire à la loi. Sauf que, pour M. Pompeo, poursuivre des personnes comme Assange s'inscrivait dans "un cadre juridique solide", où des "actions" étaient engagées "conformément à la loi américaine pour tenter d'atteindre cet objectif".
Ce point de vue singulier ne peut que choquer les personnes les plus soucieuses de légalité. Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, l'a déclaré avec une extrême précision. "Il ne s'agit pas de la loi. Il s'agit d'intimider le journalisme ; il s'agit de supprimer la liberté de la presse ; il s'agit de protéger l'immunité des représentants de l'État."
Les trente fonctionnaires des services de renseignement et de la sécurité nationale ne méritent guère de médailles ou de distinctions honorifiques, mais leurs informations font la lumière sur certaines zones d'ombre et révèlent la mentalité de voyou qui règne au sein de l'État de sécurité nationale. Bien que les révélations ne soient pas d'une fraîcheur renversante, elles ont permis d'étayer les comptes rendus de surveillance, de projets d'enlèvement et de violence déjà fournis dans le cadre du procès d'extradition d'Assange.
Quant à l'état actuel des informations concernant Pompeo, d'autres éléments promettent de faire la lumière sur cette affaire. Le 29 octobre, cet innocent personnage a été assigné par des plaignants comprenant des sommités juridiques telles que Margaret Ratner Kunstler, spécialiste des droits de l'homme. L'action en justice, qui cite la CIA, M. Pompeo, David Morales Guillen et Undercover Global, S.L. comme défendeurs, vise à obtenir une réparation du préjudice subi et une injonction pour violation du Quatrième Amendement - le droit de ne pas faire l'objet de perquisitions et de saisies abusives.
Étant donné que l'affaire implique une surveillance ciblée des plaignants à l'ambassade d'Équateur, y compris pendant les consultations juridiques avec Assange, et la remise forcée d'appareils électroniques à l'entrée de l'ambassade, les lacunes du récit de M. Pompeo pourraient bien être comblées.
https://intpolicydigest.org/thuggish-ways-mike-pompeo-punishing-leakers-and-getting-assange/