đâđš Binoy Kampmark : Stella Assange en Australie
La libération d'Assange ne sera probablement possible que lorsque la peine déjà purgée sera jugée suffisante par rapport à ce qu'il risque si les allégations portées contre lui le faisaient condamner.
đâđš Stella Assange en Australie
Par Binoy Kampmark, le 25 mai 2023
Pour ceux qui connaissent les poursuites engagĂ©es par les Ătats-Unis contre Julian Assange, une entreprise carnavalesque et brutale qui continue de gangrener le systĂšme judiciaire, il n'y a pas grand-chose Ă dire. Assange est un prisonnier politique qui doit ĂȘtre libĂ©rĂ©. Et il ne reste plus quâĂ ceux qui, comme Stella Assange, tentent de convaincre les hommes politiques et les journalistes de s'engager dans cette voie.
En s'adressant au National Press Club de Canberra, Stella a tenu Ă rappeler Ă son auditoire que son mari est confrontĂ© Ă de sombres perspectives de l'autre cĂŽtĂ© de l'Atlantique pour avoir divulguĂ© des informations sur l'Ătat de sĂ©curitĂ© nationale amĂ©ricain. Une fois la porte ouverte Ă de telles poursuites sur le sol amĂ©ricain, les paris sont ouverts sur la question de la publication d'informations relatives Ă la sĂ©curitĂ© nationale dans l'intĂ©rĂȘt du public. Pour la premiĂšre fois dans l'histoire juridique des Ătats-Unis, un journaliste, diffamĂ© et harcelĂ©, sera expĂ©diĂ© dans les entrailles d'un Ătat carcĂ©ral si rĂ©voltant qu'il fait passer la prison de Belmarsh pour une paisible retraite.
La mĂ©thode, cependant, rĂ©side dans la touche personnelle, qui fait ressortir Assange comme un homme dĂ©vouĂ©, aimant et intellectuellement stimulĂ©. Il est question du "loriquet arc-en-ciel nouveau-nĂ©" que son mari a Ă©levĂ© lorsqu'il Ă©tait sur Magnetic Island, au large de la cĂŽte de Townsville, dans le Queensland. Elle se souvient de la "jument au pelage alezan qu'il montait lorsqu'il sĂ©journait dans les Northern Rivers". Il a Ă©galement fait du surf Ă Byron Bay pendant son adolescence et a pratiquĂ© l'apiculture dans les Dandenong Ranges, dans l'Ătat de Victoria.
Le programme de Stella est clair, direct et puissant. Elle ne s'embarrasse pas de fioritures. Elle sait que le royaume des idées n'a pas grand-chose à voir avec les journalistes qui déjeunent et dßnent à Canberra et qui offrent au reste de l'Australie des informations d'une qualité médiocre et embarrassante. Il était donc important de rester simple.
La stratégie adoptée est donc simple : se concentrer sur l'homme en prison, en captivité, et qui en souffre. "Je peux vous dire exactement ce que fait Julian en ce moment. Il est 3 heures du matin à Londres. Julian est allongé dans sa cellule, probablement éveillé, et luttant pour s'endormir. C'est là qu'il passe vingt-deux heures par jour, tous les jours".
Elle mentionne comment "les pieds de Julian ne peuvent sentir que le ciment dur, terne et uniforme du sol de la prison". Ni soulagement ni rĂ©pit dans la routine des exercices. "Lorsqu'il se rend dans la cour pour se dĂ©penser, il n'y a pas d'herbe, pas de sable. Il n'y a que le bitume cernĂ© par des camĂ©ras et des Ă©paisseurs de fil de fer barbelĂ© au-dessus de sa tĂȘte.â
La cellule qu'occupe Assange ne fait que trois mĂštres sur deux, une situation scandaleuse en l'absence de toute condamnation, a fortiori. Le courant d'air froid qui entre par la fenĂȘtre est en partie absorbĂ© par quelques livres, chose poignante compte tenu de la curiositĂ© intellectuelle de M. Assange. En ce sens, la littĂ©rature ne se contente pas de nourrir l'esprit, elle lui offre littĂ©ralement un bouclier contre les Ă©lĂ©ments.
Les murs de l'espace restreint sont Ă©galement couverts de photos de ses enfants et de ceux de Stella, et d'eux ensemble. Les sciences sont prĂ©sentes dans cet espace et ne sont jamais nĂ©gligĂ©es. "Un grand poster colorĂ© d'une nĂ©buleuse prise par le tĂ©lescope James Webb de la NASA" trouve Ă©galement sa place dans la cellule.â
En ce qui concerne les visites, Stella reste directe et impressionnante par son absence de sentimentalisme. "Lorsque les enfants et moi nous rendons Ă Belmarsh, gĂ©nĂ©ralement le week-end, nous laissons nos affaires dans un casier. Nous nous enregistrons auprĂšs des autoritĂ©s pĂ©nitentiaires dans le bĂątiment du centre des visiteurs, mon empreinte digitale est scannĂ©e et nous recevons un tampon sur le dos de la main." Ensuite, c'est l'entrĂ©e, les "files d'attente interminables". L'un des enfants fait l'amalgame entre la prison et la file d'attente, une parabole joliment sinistre qui pourrait s'appliquer Ă n'importe quel systĂšme pĂ©nal de la planĂšte, qui fusionne la procession avec la captivitĂ© elle-mĂȘme.
AprÚs avoir offert à son public des tranches de vie et des témoignages personnels, elle se livre à des réflexions encore plus sérieuses. "Il y a maintenant une reconnaissance quasi universelle des implications énormes de cette affaire pour la liberté de la presse et l'avenir de la démocratie".
Les efforts herculéens de Stella et du pÚre d'Assange, John Shipton, ont certainement attiré l'attention du Premier ministre australien, Anthony Albanese. Dans une interview accordée à la chaßne australienne ABC au début du mois, il a affirmé faire en privé ce qu'il disait en public, à savoir que "Trop c'est trop". Les voies diplomatiques ont été activées, mais le Premier ministre a déploré l'absence de retour jusqu'à présent. "Je sais que c'est frustrant, je partage cette frustration. Je ne peux rien faire de plus que d'expliquer clairement ma position."
Cette dimension de frustration devrait rĂ©vĂ©ler l'Ă©tendue et la valeur de l'influence de l'Australie et de son pouvoir d'attraction sur son brutal alliĂ©. Bien qu'elle ait essentiellement offert le pays au complexe militaro-industriel de Washington, la gratitude Ă l'Ă©gard des demandes australiennes est loin d'ĂȘtre acquise dans le cadre de l'affaire Assange. En refusant de rencontrer l'Ă©pouse d'Assange (il ne croit pas Ă la "dĂ©magogie"), Albanese continue d'affirmer que "l'incarcĂ©ration en cours" de l'Ă©diteur ne rime Ă rien. Il se rĂ©jouit Ă©galement que la position sur Assange soit dĂ©sormais bipartite - le chef de l'opposition, Peter Dutton, s'est Ă©galement ralliĂ© aux partisans de la libĂ©ration.
Pour autant, le premier ministre maintient une Ă©quation vouĂ©e Ă l'Ă©chec : la libĂ©ration d'Assange ne sera probablement possible que lorsque la peine qu'il a dĂ©jĂ purgĂ©e sera jugĂ©e suffisante par rapport Ă celle qu'il risque si les allĂ©gations portĂ©es contre lui le faisaient condamner. Ătant donnĂ© que les 18 chefs d'accusation retenus contre le prisonnier politique le plus cĂ©lĂšbre de Belmarsh entraĂźneraient des peines d'emprisonnement pouvant aller jusqu'Ă 175 ans, les attentes doivent ĂȘtre modĂ©rĂ©es. Pour autant, l'observation de Stella selon laquelle la vie de son mari Ă©tait "entre les mains du gouvernement australien" reste d'une grande pertinence. Si ce n'est pas maintenant, ce sera pour quand ?
Vous pouvez Ă©couter ici le discours de Stella Assange au National Press Club :
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