đâđš Blanchir le gĂ©nocide, encore & encore. Comment lâONU blanchit les atrocitĂ©s Ă Gaza
Câest une trahison systĂ©mique, un blanchiment institutionnel occultant le gĂ©nocide derriĂšre un langage procĂ©dural. C'est de la lĂąchetĂ© dĂ©guisĂ©e en sollicitude, de la complicitĂ© voilĂ©e d'impartialitĂ©.
đâđš Blanchir le gĂ©nocide, encore & encore. Comment lâONU blanchit les atrocitĂ©s Ă Gaza
Par Story Ember LegaĂŻe, le 12 avril 2025
Le 11 avril 2025, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (HCDH) a publiĂ© un rapport[1]documentant la campagne militaire en cours d'IsraĂ«l Ă Gaza. Il dĂ©crit des centaines de frappes sur des bĂątiments rĂ©sidentiels et des abris de fortune, le massacre de femmes et d'enfants, et la famine d'une population assiĂ©gĂ©e. Il reconnaĂźt mĂȘme que les conditions Ă Gaza sont âde plus en plus incompatibles avec la survie [des Palestiniens] en tant que groupeâ.
Et pourtant, le terme âgĂ©nocideâ est introuvable.
On trouve plutĂŽt des expressions telles que âsoulĂšve de graves prĂ©occupationsâ, âpeut constituer une violationâ, et âordres d'Ă©vacuationâ. Bureaucratie Ă©vasive. Brouillard diplomatique. Inertie lĂ©galiste. Le langage du contrĂŽle des atrocitĂ©s, et non de la prĂ©vention des atrocitĂ©s.
Soyons clairs : il ne s'agit pas seulement d'un problĂšme de formulation. Câest une trahison systĂ©mique, une forme de blanchiment institutionnel qui dissimule la violence gĂ©nocidaire derriĂšre un langage procĂ©dural, masque les intentions et, en fin de compte, protĂšge les auteurs de leurs responsabilitĂ©s. C'est de la lĂąchetĂ© dĂ©guisĂ©e en sollicitude, de la complicitĂ© voilĂ©e d'impartialitĂ©.
Voici comment.
1. Du dĂ©placement forcĂ© aux âordres d'Ă©vacuationâ
âLa multiplication des âordres d'Ă©vacuationâ Ă©mis par les forces israĂ©liennes â qui sont en rĂ©alitĂ© des ordres de dĂ©placement â a entraĂźnĂ© le transfert forcĂ© de PalestiniensâŠâ
C'est ainsi que le HCDH dĂ©crit ce que le droit international qualifie de crime de guerre : le transfert forcĂ© de civils sous la contrainte militaire. Le rapport reprend le terme utilisĂ© par IsraĂ«l â âordres d'Ă©vacuationâ â comme s'il s'agissait d'un souci logistique plutĂŽt que d'une arme terroriste. Le terme âĂ©vacuationâ Ă©voque la sĂ©curitĂ©, la protection, la coordination. Mais il ne s'agit pas de dĂ©parts volontaires. Ce sont des expulsions, sous les tirs, sans eau, vers des zones qui seront ultĂ©rieurement bombardĂ©es de toute façon.
En privilĂ©giant l'euphĂ©misme, l'ONU reproduit le discours de l'occupant, permettant Ă la violence d'Ătat de passer pour une prĂ©occupation humanitaire. Il ne s'agit pas d'un rapport objectif, mais d'une collaboration linguistique avec un projet militaire de nettoyage ethnique.
Ce que dit la loi : l'article 49 de la quatriĂšme Convention de GenĂšve
interdit âles transferts forcĂ©s individuels ou massifs... quel qu'en soit le motifâ.
Ces déplacements ne sont pas juridiquement ambigus, ce sont des crimes.
2. Les âzones tamponsâ comme gĂ©nocide bureaucratique
â... soulĂšvent de sĂ©rieuses prĂ©occupations quant Ă l'intention d'IsraĂ«l d'Ă©vacuer dĂ©finitivement la population civile de ces zones afin de crĂ©er une âzone tamponââ.
Ici, le rapport reconnaĂźt l'expulsion permanente de civils, mais en attĂ©nue immĂ©diatement l'impact en dĂ©signant l'objectif comme une âzone tamponâ - une expression empruntĂ©e Ă la doctrine militaire qui transforme le crime de dĂ©peuplement en mesure de sĂ©curitĂ© lĂ©gitime.
Appelons un chat un chat : l'effacement délibéré d'un peuple de sa terre pour en faciliter le contrÎle. Il ne s'agit pas seulement d'un transfert forcé, mais d'un redéploiement colonial par des moyens militaires.
Ce que dit la loi : en vertu du Statut de Rome de la Cour pĂ©nale internationale, le transfert forcĂ© et le dĂ©placement de population âdans l'intention de dĂ©truireâ un groupe en tout ou en partie constituent un acte de gĂ©nocide (article 6). DĂ©crire cela comme une zone tampon n'est pas une analyse, c'est du rĂ©visionnisme gĂ©nocidaire par diversion.
3. Tuer des enfants, compter les victimes
âLors de quelque 36 frappes... les victimes enregistrĂ©es jusqu'Ă prĂ©sent n'Ă©taient que des femmes et des enfantsâ.
Que signifie dire que âseulsâ des femmes et des enfants sont morts, et le dire sans imputer de responsabilitĂ© ? C'est la grammaire de l'atrocitĂ© statistique : les civils sont transformĂ©s en chiffres fortuits, tandis que l'Ătat qui les tue se fond dans la voix passive.
C'est une dissociation structurelle, un Ă©chec face Ă l'horreur psychologique et politique de ce qui est dĂ©crit. En psychologie des traumatismes, on appelle cela l'engourdissement Ă©motionnel, un mĂ©canisme de dĂ©fense. Mais en politique internationale, cela devient mĂȘme pire : une stratĂ©gie discursive pour absoudre le pouvoir.
Ce que dit la loi : les attaques indiscriminées ou délibérées contre des civils sont des crimes de guerre. En vertu du droit international humanitaire coutumier, il n'est jamais permis de prendre pour cible des civils, en particulier des populations protégées comme les enfants. Ce n'est pas une erreur de calcul. C'est bien une méthode.
4. La famine comme stratĂ©gie, la âprĂ©occupationâ comme couverture
â⊠suscitant de sĂ©rieuses prĂ©occupations quant aux chĂątiments collectifs et au recours Ă la famine de la population civile comme mĂ©thode de guerreâŠâ
Ici, l'ONU s'approche dangereusement de la qualification du crime, puis se retranche dans l'ambiguĂŻtĂ© institutionnelle. Elle ne dit pas qu'IsraĂ«l utilise la famine comme arme. Elle parle seulement de âsĂ©rieuses prĂ©occupationsâ. Cette formulation n'est pas neutre, c'est un dĂ©ni plausible.
La réalité est claire : priver intentionnellement une population civile piégée de nourriture, d'eau, de carburant et de médicaments n'est pas le regrettable effet collatéral de la guerre, c'est une tactique de guerre. Et en vertu du droit international, cette tactique est illégale, immorale et génocidaire.
Ce que dit la loi : l'article 8(2)(b)(xxv) du Statut de Rome dĂ©finit âle recours Ă la famine contre des civils comme arme de guerreâ comme un crime de guerre. Aucun qualificatif. Aucune âprĂ©occupationâ. Juste des actes criminels.
5. Ăviter de qualifier les faits : le gĂ©nocide
â⊠infliger aux Palestiniens de Gaza des conditions de vie de plus en plus incompatibles avec leur survie en tant que groupeâŠâ
C'est la phrase la plus accablante du rapport, et aussi la plus lùche. Elle reprend exactement les termes de l'article II(c) de la Convention sur le génocide :
âimposer dĂ©libĂ©rĂ©ment des conditions d'existence devant entraĂźner la destruction physique totale ou partielle d'un groupeâ.
Mais l'ONU s'arrĂȘte lĂ . Elle enterre le gĂ©nocide sous une syntaxe passive et des formulations bureaucratiques.
Ce que la clarté morale exige :
âIsraĂ«l s'emploie dĂ©libĂ©rĂ©ment Ă dĂ©truire les conditions nĂ©cessaires Ă la vie des Palestiniens Ă Gaza : nourriture, eau, abris, mĂ©dicaments et sĂ©curitĂ©. Ces agissements, pris dans leur ensemble, constituent un gĂ©nocide au regard du droit internationalâ.
La psychologie du langage diplomatique : pourquoi cet Ă©chec de lâONU
Alors, pourquoi l'ONU s'exprime-t-elle en ces termes ?
Parce que l'ONU n'est pas une institution morale. C'est une bureaucratie politique, conçue pour maintenir l'équilibre des pouvoirs étatiques, et non pour libérer les peuples colonisés.
Son langage illustre bien cette fonction :
la voix passive occulte l'action.
Les âprĂ©occupationsâ remplacent la condamnation.
L'ambiguïté se substitue à l'action.
Telle est la psychologie coloniale du systÚme international : voir l'hécatombe non pas comme une horreur, mais comme une donnée, interpréter l'extermination comme un débat politique, retarder la dénonciation des atrocités jusqu'à ce que les morts soient déjà enterrés.
Décoloniser le discours
Une véritable décolonisation exige de rejeter l'idée que le langage de l'empire est le langage de la justice. L'ONU ne peut continuer à centrer le récit sur les puissants tout en prétendant défendre les sans-pouvoir.
Nous devons exiger une nouvelle norme, fondée non pas sur la neutralité institutionnelle, mais sur les vérités éthiques :
Les déplacements forcés sont un nettoyage ethnique.
La famine est un crime de guerre.
La destruction systématique des infrastructures vitales est un génocide.
Et l'incapacité de l'ONU à nommer ces actes n'est pas de l'impartialité, c'est de la dissimulation institutionnelle.
Mot de la fin
L'histoire ne se souviendra pas de la minutie avec laquelle l'ONU a analysé sa terminologie. Elle se souviendra du nombre d'enfants calcinés pendant que les diplomates ont débattu des définitions. Nous n'avons pas besoin d'une autre déclaration de préoccupation. Nous avons besoin de courage moral, et nous en avons besoin maintenant. Appelons un chat un chat. C'est un génocide.
Marginalia :
La politique Marginalia : La responsabilitĂ© de protĂ©ger2. n'est pas un idĂ©al rhĂ©torique, c'est un engagement international contraignant fondĂ© sur le principe que la souverainetĂ© n'accorde pas aux Ătats le droit d'anĂ©antir leurs populations. Lorsque la machine du droit international ne parvient pas Ă rĂ©agir face Ă des actes de gĂ©nocide avĂ©rĂ©s, la responsabilitĂ© de protĂ©ger devient plus qu'une doctrine, elle devient une mise en accusation de la faillite morale de l'ordre mondial. Gaza est devenu un terrain expĂ©rimental non seulement pour l'impunitĂ© militaire, mais aussi pour le consentement de la communautĂ© internationale Ă abandonner son obligation la plus fondamentale : intervenir lorsqu'une population est en train d'ĂȘtre exterminĂ©e. Si la R2P (ResponsabilitĂ© de ProtĂ©ger) a un sens, c'est bien celui-ci : pas demain, pas aprĂšs un procĂšs, mais ici et maintenant.
La R2P établit trois fondements de responsabilité
Premier fondement
Chaque Ătat a la responsabilitĂ© de protĂ©ger ses populations de quatre crimes d'atrocitĂ©s de masse : le gĂ©nocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanitĂ© et le nettoyage ethnique.
DeuxiĂšme fondement
La communautĂ© internationale au sens large a la responsabilitĂ© d'encourager et d'aider les Ătats Ă assumer cette responsabilitĂ©.
TroisiĂšme fondement
Si un Ătat manque manifestement Ă son devoir de protection de ses populations, la communautĂ© internationale doit ĂȘtre prĂȘte Ă prendre les mesures collectives qui s'imposent, en temps voulu et de maniĂšre dĂ©cisive, conformĂ©ment Ă la Charte des Nations Unies.
En outre, si la responsabilitĂ© de protĂ©ger Ă©tait mise en Ćuvre avec un vĂ©ritable engagement - non pas comme un geste symbolique mais comme un impĂ©ratif opĂ©rationnel - elle prendrait la forme d'une action internationale immĂ©diate et coordonnĂ©e pour mettre fin aux atrocitĂ©s de masse Ă Gaza. Cela inclurait le dĂ©ploiement d'une force de protection internationale indĂ©pendante pour garantir la sĂ©curitĂ© des civils, l'imposition de sanctions et d'embargos sur les armes Ă l'Ătat responsable, la mise en place de couloirs humanitaires d'urgence sous mandat international et le renvoi des responsables de l'Ătat devant la Cour pĂ©nale internationale sans dĂ©lai ni report. Cela impliquerait la suppression du droit de veto comme bouclier contre le gĂ©nocide, et considĂ©rer la vie des Palestiniens comme Ă©tant tout aussi digne de protection que n'importe quelle autre. La R2P, si elle est sĂ©rieuse, exige une intervention non pas aprĂšs un consensus, mais au seuil de l'anĂ©antissement.
Appel Ă l'action : Exiger la R2P pour Gaza
Exiger la mise en Ćuvre immĂ©diate de la R2P : La responsabilitĂ© de protĂ©ger doit ĂȘtre appliquĂ©e pour Gaza, oĂč la violence gĂ©nocidaire de masse est en cours et oĂč la famine est utilisĂ©e comme punition collective, et pour la Cisjordanie, oĂč la violence gĂ©nocidaire systĂ©mique se poursuit.
Placer Gaza au centre de toutes les exigences : donner la prioritĂ© Ă Gaza, oĂč plus de 600 000 personnes sont mortes ou meurent en raison d'un gĂ©nocide direct et indirect.
Inonder les responsables d'appels, de courriels et de pétitions : tenir les gouvernements responsables de leur mépris des obligations de la R2P.
Briser le silence : occuper tous les espaces qui revendiquent une autorité morale mais refusent d'agir (milieux universitaires, ONG, médias et institutions religieuses). Une action subversive est nécessaire.
Refuser les euphĂ©mismes : Il ne s'agit pas d'un âconflitâ, mais d'un gĂ©nocide. C'est pourquoi la responsabilitĂ© de protĂ©ger existe.
Faire entendre la voix des survivants : Mettre en avant les tĂ©moignages palestiniens, et non les discours Ă©dulcorĂ©s des ONG de sauvetage ou de âpaixâ.
Faire de la responsabilité de protéger une exigence non négociable : pas seulement un cessez-le-feu. Pas seulement de l'aide. Une protection.
Traduit par Spirit of Free Speech
1 - https://www.ohchr.org/en/press-briefing-notes/2025/04/gaza-increasing-israeli-evacuation-orders-lead-forcible-transfer