👁🗨 Blitz propagande : comment les médias dominants diffusent des fake news sur la Palestine.
Pour ceux qui souhaitent maintenir une situation d'inégalité qui voit un gouvernement d'apartheid expulser ou emprisonner sa population autochtone, la plume compte autant que le glaive.
👁🗨 Blitz propagande : comment les médias dominants diffusent des fake news sur la Palestine.
Par Alan MaCleod / MintPress News, le 14 octobre 2023
Après que le Hamas ait lancé une attaque surprise sur Israël, les forces de l'IDF ont répondu par des frappes aériennes, rasant les bâtiments de Gaza. Jusqu'à présent, les violences ont coûté la vie à plus de 2 500 personnes. Les médias occidentaux, cependant, montrent beaucoup plus d'intérêt et de sympathie pour les morts israéliens que pour les morts palestiniens, et ont joué leur rôle habituel de porte-parole officieux des Forces de défense israéliennes (FDI).
DES AFFIRMATIONS EXTRAVAGANTES, SANS AUCUNE PREUVE
L'affirmation selon laquelle, au cours de leur incursion dans le sud d'Israël, les combattants du Hamas se sont arrêtés pour rassembler, tuer et mutiler 40 bébés israéliens, en les décapitant et en laissant leurs corps derrière eux, en est un exemple.
Cette affirmation incroyable a été rapportée à l'origine par la chaîne israélienne i24 News, qui s'est appuyée sur des sources militaires israéliennes anonymes. Malgré l'absence de toute preuve, cette affirmation hautement provocatrice sur l'ennemi, faite par un participant actif au conflit, a été reprise dans le monde entier par de nombreux médias (par exemple, aux États-Unis par Fox News, CNN, MSN, Business Insider et le New York Post).
Pendant ce temps, les premières pages des plus grands journaux britanniques étaient consacrées à l'affaire, la presse s'indignant de cette atrocité et invitant ses lecteurs à en faire de même.
Les affirmations surprenantes doivent être étayées par des preuves convaincantes, et une telle histoire aurait dû être accueillie avec un grand scepticisme, compte tenu de l'identité de l’auteur. La première question que tout journaliste aurait dû poser était : “Où sont les preuves ?” L'armée israélienne, qui a eu maintes fois l'occasion de s'exprimer, n'a cessé de prendre ses distances par rapport à ces affirmations. Néanmoins, l'histoire était tout simplement trop belle pour ne pas être publiée.
Les médias du monde occidental se sont empressés de publier des titres suscitant l'indignation face à ces allégations non fondées.
L'histoire des bébés décapités a été si populaire que même le président Biden y a fait référence, affirmant avoir vu des images “authentifiées” d'enfants tués par le Hamas. Cette affirmation a toutefois été rétractée à la hâte par les responsables de la Maison Blanche, qui ont fait remarquer que M. Biden faisait simplement référence au rapport d'i24 News.
L'histoire a viré à la propagande glauque lorsqu'il a été révélé que la source principale de l'affirmation était le soldat israélien David Ben Zion, un colon extrémiste qui avait incité à des émeutes raciales contre les Palestiniens au début de l'année, les qualifiant d'“animaux” sans cœur “devant être exterminés”.
La manipulation de l'opinion publique américaine en faveur d’un soutien à la guerre en la nourrissant d'une propagande atroce sur les mutilations de bébés ne date pas d'hier. En 1990, par exemple, une jeune fille prétendant être une infirmière locale a été présentée au Congrès, où elle a témoigné que les hommes du dictateur irakien Saddam Hussein avaient arraché des centaines de bébés koweïtiens de leurs couveuses et les avaient laissés mourir. L'histoire a contribué à galvaniser l'opinion publique américaine et à la rendre favorable à la guerre. Il a été révélé par la suite qu'il s'agissait d'un véritable canular imaginé par une société de relations publiques.
LA JEUNE FILLE ASSASSINÉE RESSUSCITÉE
Le cas de Shani Louk est une autre fake news flagrante. Louk participait au festival Supernova, où le Hamas lui a tendu une embuscade. Il a été largement rapporté que le Hamas l'avait assassinée (par exemple le Daily Mail, Marca, Yahoo ! News, TMZ, Business Insider), l'avait déshabillée et avait exhibé son corps nu à l'arrière d'un camion, tel un trophée, à travers les rues. L'affaire Louk a suscité la colère du monde entier et des appels à une réponse militaire israélienne massive.
Il n'y avait qu'un hic : il a été confirmé par la suite que Louk était en vie et se trouvait à l'hôpital, ce qui laisse penser que les vidéos la montrant à l'arrière d'un camion étaient en fait des images de personnes lui sauvant la vie en la transportant pour qu'elle bénéficie d'une assistance médicale.
Peu d'organes de presse ayant publié de manière irresponsable ces articles incendiaires ont présenté des excuses ou se sont même rétractés. Le Los Angeles Times a fait exception : après avoir publié un article affirmant que des Palestiniens avaient violé des civils israéliens, il a ensuite informé ses lecteurs que “de telles informations n'ont pas été corroborées”.
LEADERSHIP D'ISRAËL, DÉSHUMANISATION DES PALESTINIENS
Cependant, rares sont les lecteurs qui ont connaissance de ces rétractations. Au lieu de cela, ne subsistent que des sentiments viscéraux de colère et de dégoût à l'égard du Hamas, qui les incitent à soutenir l'action militaire occidentale contre la Palestine ou la zone dans son ensemble.
Au cas où leur public n'aurait pas compris le message, les articles d'opinion et les éditoriaux des principaux journaux ont martelé cette idée. Le Wall Street Journal a publié un article d'opinion intitulé “Le devoir moral de détruire le Hamas”, qui insistait auprès des lecteurs sur le fait qu'“Israël a le droit de faire tout ce qu'il faut pour déraciner cette culture diabolique et dépravée sur son territoire”. Ainsi, le média a implicitement donné à Israël un blanc-seing pour commettre tous les crimes de guerre qu'il souhaite sur la population civile, qu'il s'agisse d'utiliser des armes chimiques interdites, de couper l'électricité et l'eau, ou de prendre pour cible des ambulances ou des fonctionnaires des Nations unies.
Le comité éditorial de la National Review a adopté un point de vue similaire, déclarant qu'“Israël a besoin de beaucoup de moyens pour détruire le Hamas”. Cela signifie qu'il faut donner à Israël davantage de temps pour mener à bien l'opération d'anéantissement de Gaza. Les dirigeants occidentaux devraient s'abstenir de critiquer Israël ou d'appeler au calme et à la paix.
Le message était clair : l'unité internationale est primordiale dans ce contexte. De simples broutilles tels que les crimes de guerre ne doivent pas être évoqués. Et tandis qu'Israël et son peuple étaient traités avec une compassion toute particulière (par exemple par le Washington Post), l'autre camp était considéré comme un groupe de radicaux assoiffés de sang. Alors qu'on retrouve l'expression “terroristes palestiniens” dans tous les médias (Fox News, New York Post, New York Times, etc.), son contraire, “terroristes israéliens”, est totalement absent des médias conventionnels. Et ce, bien que le nombre de victimes du côté palestinien soit supérieur à celui des Israéliens.
Pour bien faire comprendre que les vies israéliennes sont jugées comme étant plus précieuses, il suffit de regarder la façon dont les morts de chaque camp sont rapportés. La BBC, par exemple, a indiqué à ses lecteurs que des Israéliens avaient été “assassinés” alors que les habitants de Gaza étaient simplement “morts”, ce qui a eu pour effet d'ôter toute responsabilité à leurs auteurs et de suggérer presque que leur mort était naturelle.
UNE VIOLENCE PRÉSENTÉE HORS CONTEXTE
Dans la plupart des articles, le contexte factuel de l'attaque n'a pas été abordé. Peu d'articles mentionnent qu'Israël a été construit sur la base d'un État palestinien existant, et que la plupart des habitants de Gaza descendent de réfugiés ayant subi un nettoyage ethnique dans le sud d'Israël pour faire place à un État juif. On oublie également de mentionner qu'Israël contrôle presque tous les aspects de la vie des habitants de Gaza. Il décide notamment qui peut entrer ou sortir de cette zone densément peuplée et limite l'importation de nourriture, de médicaments et d'autres denrées de première nécessité. Les organisations humanitaires ont qualifié Gaza de “plus grande prison à ciel ouvert du monde”. Les Nations unies ont déclaré que les conditions de vie à Gaza étaient si dégradées qu'elles en devenaient invivables.
L'une des principales raisons pour lesquelles ce contexte fondamental n'est pas évoqué est qu'il pourrait inciter le public occidental à sympathiser avec les Palestiniens ou à soutenir la libération de la Palestine. Les grands groupes médiatiques appartiennent en grande partie à de riches oligarques ou à des sociétés multinationales, ayant tous deux intérêt à préserver le statu quo et ne pas voir se manifester de mouvements de libération des peuples.
Certains médias l'expriment explicitement. Axel Springer, le gigantesque radiodiffuseur allemand qui détient Politico, exige de ses employés qu'ils signent sa charte approuvant “l'alliance transatlantique et Israël”, et a demandé à tous les membres du personnel qui soutiennent la Palestine de quitter leurs fonctions.
D'autres chaînes sont un peu moins explicites, mais ont néanmoins fixé des lignes rouges à ne pas franchir concernant Israël. CNN a licencié le présentateur Marc Lamont Hill pour avoir appelé à une Palestine libre. Katie Halper a été renvoyée de The Hill pour avoir qualifié (à juste titre) Israël d'État d'apartheid. L'Associated Press a licencié Emily Wilder après avoir appris qu'elle avait été une militante pro-palestinienne pendant ses années d'études. Et The Guardian a licencié Nathan J. Robinson après qu'il ait fait une blague raillant l'aide militaire américaine à Israël. Ces cas servent d'exemples au reste du monde journalistique. Le message est que l'on ne critique pas le système d'apartheid brutal du gouvernement israélien, ou qu’on ne montre pas solidaire de la Palestine sans risquer de perdre son emploi.
En fin de compte, les médias mainstream jouent donc un rôle clé dans le maintien de l'occupation en manipulant l'opinion publique. Si le peuple américain était au courant de l'histoire et de la réalité d'Israël et de la Palestine, la situation serait intenable. Pour ceux qui souhaitent maintenir une situation d'inégalité qui voit un gouvernement d'apartheid expulser ou emprisonner sa population autochtone, la plume compte autant que le glaive.
* Alan MacLeod est rédacteur principal pour MintPress News. Après avoir obtenu son doctorat en 2017, il a publié deux livres : Bad News From Venezuela : Twenty Years of Fake News and Misreporting et Propaganda in the Information Age : Still Manufacturing Consent, ainsi qu'un certain nombre d'articles universitaires. Il a également contribué à FAIR.org, The Guardian, Salon, The Grayzone, Jacobin Magazine et Common Dreams.