👁🗨 Jonathan Cook: Bloquer les routes n'est pas une folie - C'est plutôt notre dernier espoir de voir le bon sens l'emporter.
Le leader "travailliste" Keir Starmer a laissé entendre qu'il légiférerait sur des sanctions plus sévères sur les actions en faveur du climat qu'il qualifie d'"arrogantes" et "nocives".
👁🗨 Bloquer les routes n'est pas une folie - C'est plutôt notre dernier espoir de voir le bon sens l'emporter.
📰 Par Jonathan Cook, le 8 novembre 2022
Le manque d'intérêt du public occidental pour la gestion de la catastrophe climatique imminente n'est pas accidentel. Il a été orchestré.
La COP27, la conférence annuelle des Nations unies sur le climat à laquelle participent les dirigeants du monde entier, a débuté en Égypte ce week-end, au milieu d'une vague d'actions de désobéissance civile au Royaume-Uni.
Les protestations ont été menées par des groupes environnementaux tels que Just Stop Oil et Extinction Rebellion, et surviennent alors que les géants du pétrole ont annoncé des profits massifs provenant de la flambée des prix de l'énergie causée par la guerre en Ukraine, et que de nouveaux rapports montrent que le changement climatique catastrophique va bientôt atteindre un point de bascule, devenant irréversible.
Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a prévenu à la veille du sommet que le monde serait "condamné" si les économies riches et fortement dépendantes du carbone ne parvenaient pas à un accord avec les pays plus pauvres. De nouveaux chiffres montrent que l'augmentation de la température en Europe est deux fois plus rapide que la moyenne mondiale, entraînant une instabilité climatique croissante.
Lors de récentes actions directes, des halls d'exposition de voitures, de grands magasins de luxe et des sièges de lobbyistes du pétrole ont été éclaboussés de peinture orange. Les personnages de cire de la famille royale chez Madame Tussauds ont été aspergées. Des œuvres d'art célèbres ont été la cible de jets de soupe et de purée de pommes de terre. Des scientifiques ont occupé une usine automobile. Des manifestants ont pris possession du hall du Parlement britannique. Et des activistes ont escaladé des ponts suspendus et bloqué des routes.
Certains signes montrent également que frustration et colère suscitées par le manque de mobilisation des dirigeants et des médias occidentaux face à la catastrophe climatique en cours se répandent. Aux États-Unis, des manifestants ont perturbé l'émission The View, diffusée sur ABC, accusant la chaîne de soutenir les négationnistes du climat et de n'avoir consacré que six heures à la crise climatique en 2021.
La plupart de ces actions ont été ignorées par les médias, ou considérées comme les postures antisociales d'individus coupés des préoccupations des simples citoyens.
C'est en tout cas ainsi qu'a été accueilli l'acte de désobéissance civile le plus médiatisé: deux militants ont jeté de la soupe à la tomate sur l'un des tableaux Tournesols de Van Gogh, avant de se coller leurs mains au mur à côté de l'œuvre.
Les manifestants ont été accusés de vandalisme sur une œuvre d'art (ils ne l'ont pas fait, elle était protégée par une vitre), de choisir la mauvaise cible (ils ont fait remarquer que leur protestation visait à souligner la façon dont la société valorise les représentations de la nature plutôt que la nature elle-même), et d'être des blancs privilégiés (leurs défenseurs ont fait remarquer qu'ils utilisaient leur privilège précisément parce que d'autres personnes qui se souciaient également de l'environnement n'avaient pas les moyens de le faire).
Des paroles en l'air
Mais la critique la plus répandue à l'encontre de ces diverses formes d'action directe est qu'elles seraient contre-productives, qu'elles contrarieraient les gens ordinaires et les empêcheraient de comprendre.
Just Stop Oil @JustStop_Oil 🦺 Louise, 24 ans : "Je suis ici parce que je n'ai pas d'avenir. Vous pouvez me détester pour ça, mais j'aimerais que vous dirigiez toute cette colère et cette haine vers notre gouvernement. Ils trahissent les jeunes comme moi - je n'aurais pas à être ici s'ils faisaient leur devoir." #FreeLouis #FreeJosh - 8:43 AM ∙ Nov 7, 2022
Une remarque évidente s'impose. Personne ne semblait écouter avant que les militants ne descendent dans la rue. Les interminables avertissements scientifiques ont eu peu d'impact sur le discours public. Les médias établis n'ont parlé que du bout des lèvres des dangers, même si les effets sur le climat sont devenus plus difficiles à ignorer. Et les gouvernements ont fait des déclarations apaisantes sans rien faire de significatif pour inverser la trajectoire de collision entre l'humanité et la planète.
C'est ce qu'a souligné la récente décision du gouvernement britannique de délivrer plus de 100 nouvelles licences de forage pétrolier et gazier en mer du Nord. Des fonctionnaires sont également en train de rédiger une législation visant à supprimer 570 protections environnementales issues de l'Union européenne.
Le nouveau premier ministre britannique, Rishi Sunak, a même annoncé son intention de se retirer de la COP27, arguant que les "défis intérieurs" liés à l'économie étaient plus urgents, avant que la pression internationale ne l'oblige à céder. Comme on pouvait s'y attendre, le discours qu'il a prononcé lors de la COP27 ne contenait pas de détails ni d'engagements précis.
Ce sont les réponses du Royaume-Uni, malgré le concert d'alarme croissant des organismes experts. Le mois dernier, les Nations unies ont prévenu que, même en supposant que les nations industrialisées respectent leurs engagements en matière de réduction des émissions, le monde se dirige vers une hausse des températures de 2,5°C, et une catastrophe climatique.
L'Organisation météorologique mondiale, quant à elle, a constaté que les trois gaz à effet de serre ont atteint des niveaux record, le méthane - le plus dangereux - enregistrant la plus forte hausse d'une année sur l'autre.
La nature contre-attaque
La désobéissance civile est un symptôme non pas de la crise climatique - la nature n'écoutera pas les manifestants - mais de l'inaction qui continue d'être la position par défaut des élites politiques au pouvoir, ainsi que des médias appartenant aux milliardaires, censés servir de chien de garde à leur pouvoir.
Pour cette raison, la critique des manifestations est passée à côté de l'essentiel. Les militants n'essaient pas de gagner des élections - ils ne sont pas engagés dans un concours de popularité.
Leur objectif est de perturber les récits, et de mobiliser la résistance. Pour ce faire, ils doivent sensibiliser les couches de la population les plus réceptives à leur message, grossir les rangs des militants prêts à prendre part à la désobéissance civile, empêcher de continuer à faire comme si de rien n'était.
Un tel programme ne pouvait que provoquer une réaction négative, surtout de la part des élites politiques et médiatiques, mais aussi d'une partie du public. C'est cette réaction - qui exige le respect des effigies de la famille royale ou des œuvres d'art plutôt que la survie de notre espèce - qui remet en question les normes sociales actuelles.
Les manifestants ont une tâche énorme à accomplir. Alors que le climat se dégrade, ils doivent attirer l'attention du public non seulement sur les causes, mais aussi sur les coûts réels d'un changement de cap, face à la désinformation incessante et à l'écoblanchiment des grandes entreprises et des gouvernements.
Les médias établis jouent un rôle crucial dans la déformation des priorités sociales et politiques. Chaque fois qu'ils mettent l'accent sur les désagréments causés par les manifestations pour le climat - ou sur le risque potentiel de décès d'une personne dans une ambulance prise dans un hold-up - ils minimisent les conséquences tangibles et mortelles de l'urgence climatique.
De grandes parties du globe souffrent déjà. Au Nigeria, plusieurs centaines de personnes ont été tuées par les récentes inondations et plus d'un million ont dû quitter leur foyer. Cet été, un tiers du Pakistan a été inondé par des précipitations d'une ampleur inattendue. Après avoir visité le Pakistan, António Guterres a observé : "Nous avons fait la guerre à la nature, et la nature riposte, et elle riposte de manière dévastatrice."
Répression des manifestations
Néanmoins, l'affirmation selon laquelle il existe une antipathie généralisée en Grande-Bretagne envers les actes de désobéissance civile sur le climat est largement exagérée - et par les mêmes médias déterminés à minimiser la crise climatique.
Un sondage d'opinion publié le mois dernier montre que deux tiers des Britanniques soutiennent en fait les protestations non violentes visant à protéger l'environnement - à une époque où les médias de masse suggèrent que les activistes climatiques sont devenus des parias.
Malgré cela, le gouvernement conservateur de droite à Londres a progressivement aboli le droit de manifester - précisément pour empêcher les actions visant à mettre en lumière ses crimes incessants contre la planète.
Une série de lois récentes ont été conçues pour criminaliser toute expression de dissidence. La dernière en date, le projet de loi sur l'ordre public (Public Order Bill), qui est en train d'être adopté à toute vitesse par le Parlement, rend illégale toute manifestation entraînant une "perturbation grave" à l'encontre de plus d'une personne. Le précédent projet de loi sur la police définissait les perturbations graves comme incluant les manifestations bruyantes.
Des actions telles que se coller à des rambardes, s'asseoir sur une route, faire obstruction à des machines de forage ou au percement de tunnels peuvent entraîner jusqu'à trois ans d'emprisonnement. "Toute personne ayant participé à une manifestation au cours des cinq dernières années peut faire l'objet d'une " injonction interdisant la participation aux manifestations" pendant deux ans. La liberté de mouvement des militants peut être limitée par des ordonnances les obligeant à porter un badge électronique ou leur interdisant l'accès à certaines zones.
La police métropolitaine de Londres a promis cette semaine d'augmenter le nombre d'"arrestations préventives" après que des manifestants ont réussi à fermer certaines parties de l'autoroute M25 autour de la capitale.
On aurait pu espérer qu'au moins le parti d'opposition britannique s'engage à revenir sur des mesures aussi draconiennes une fois au pouvoir. Mais le leader travailliste Keir Starmer a laissé entendre qu'il légiférerait sur des sanctions encore plus sévères pour ceux qui agissent en faveur du climat. Se pliant apparemment à ce qu'il suppose être le sentiment du public, Starmer a qualifié ces protestations d'"arrogantes" et de "malvenues".
Déconnexion des réalités
Ce que tout cela représente, c'est le passage, au cours de la dernière décennie, d'un type de folie politique - le déni, implicite ou explicite, de la crise climatique - à un autre type de folie, la reconnaissance officielle de l'imminence d'une catastrophe climatique, mais le refus de faire quoique que ce soit de significatif pour l'éviter.
Ce décrochage permanent de la réalité n'est pas accidentel. Il résulte de la manière dont les priorités politiques ont été ordonnées.
C’est particulièrement vrai pour ce que les Occidentaux considèrent de manière simpliste comme des guerres "défensives" ou "humanitaires". En réalité, il s'agit plus souvent de conflits entre grandes puissances se disputant les ressources énergétiques pour générer la croissance économique qui détruit la planète.
Les guerres ont des conséquences terribles pour les populations prises entre deux feux, ainsi que pour les communautés et l'environnement au sens large.
Mais ces mêmes guerres ont des conséquences très bénéfiques pour une minuscule élite fortunée. Elles augmentent les profits des grandes entreprises, des fabricants d'armes aux propriétaires de médias en passant par les sociétés gestionnaires d’énergies. Dans le même temps, les gouvernements peuvent exploiter les guerres pour justifier l'imposition de sacrifices au grand public, tels que des mesures d'austérité.
Ce qui est encore plus troublant, c'est que les guerres semblent être de plus en plus utiles pour faire diversion. Elles créent une situation d'urgence avec un objectif limité et apparemment réalisable - vaincre l'ennemi - qui requiert l'attention entière et immédiate des dirigeants occidentaux. Elles présentent un monde rassurant dans lequel nos gouvernements sont les gentils, cherchant à rendre le monde plus sûr, tandis que les autres sont les méchants, désireux de semer la mort et la destruction.
Ainsi, les guerres détournent utilement l'attention de la crise mondiale de l'environnement, bien plus grave, dans laquelle les dirigeants occidentaux ne peuvent se présenter comme les bons, car ils sont en fait les pires, les plus cupides et bien plus destructeurs des méchants.
L'interminable guerre contre le terrorisme n'a que trop bien servi cet objectif au cours des deux dernières décennies, alors que la crise climatique aurait dû être la première priorité au monde. Au lieu de cela, la région où se trouve la majeure partie du pétrole mondial a été plongée dans une série de guerres de ressources interminables.
Tant qu'il y a une guerre à craindre - même l'Armageddon nucléaire, ainsi une mise en garde récente du président Joe Biden - la menace d'un Armageddon environnemental peut être considérée comme moins urgente, moins effrayante, moins digne d'attention.
Anéantissement nucléaire
La guerre actuelle en Ukraine correspond de plus en plus à cette définition. Elle ressemble de moins en moins à une guerre visant à défendre la souveraineté nationale et davantage à la métamorphose de l'Ukraine en un autre champ de bataille par procuration entre les Etats-Unis et la Russie, cette fois pour la domination des marchés énergétiques européens et les avantages géostratégiques qui en découlent.
Les profits des fabricants d'armes et des entreprises énergétiques sont en plein boom. Les Européens sont confrontés à la récession et à de nouvelles mesures d'austérité. Les téléspectateurs sont gavés de nouvelles, encouragés à applaudir un camp comme s'ils regardaient le dernier film de Marvel. Étonnamment, l'anéantissement nucléaire mutuellement assuré n'est plus à l'ordre du jour.
Par contre, les discussions récurrentes dans les capitales occidentales, à la télévision et dans la presse, portent sur la manière de trouver de nouveaux moyens de produire du gaz et du pétrole pour la consommation publique afin de surmonter la crise énergétique, et non sur la manière de nous sevrer de ces combustibles qui détruisent le climat. Biden, par exemple, est sur le sentier de la guerre face au refus de l'OPEP+ d'augmenter sa production pour l'aider dans les élections de mi-mandat.
Et, comme cela s'est produit avec la pandémie, et avant elle avec la présidence de Trump et le krach financier, on se soucie à nouveau d'une question plus urgente - vaincre le "fou" président russe, Vladimir Poutine - que de la fin d'une planète habitable.
Mais dans un monde en effondrement auto-infligé, Poutine n'est pas plus fou que ses homologues occidentaux. En vérité, les seules personnes saines d'esprit sont celles qui tentent de réveiller tous les autres, que ce soit en se collant les mains sur la route, en escaladant des ponts ou en lançant de la soupe sur des tableaux.