đ© Brad Wolf: Les mĂ©dias ont trouvĂ© leur guerre
C'est l'histoire d'une culture du militarisme et de la masculinitĂ© toxique qui perpĂ©tue l'idĂ©e que si nous trouvons une bonne guerre, sans ambiguĂŻtĂ© morale, notre sociĂ©tĂ© sâen portera bien.
Flickr : Des chiens cherchent de la nourriture prĂšs du cadavre d'un soldat russe Ă Bucha, en Ukraine, dimanche 3 avril 2022. (AP Photo/Rodrigo Abd)
đ© Les mĂ©dias ont trouvĂ© leur guerre
Rien de surprenant au fait que les médias dominants aiment une bonne guerre salutaire autant que l'Américain moyen. C'est trÚs vendeur.
đ° Par Brad Wolf, le 12 octobre 2022
Le dimanche 9 octobre, le New York Times a publiĂ© un article intitulĂ© "Un AmĂ©ricain en Ukraine trouve la guerre qu'il cherchait". Cet article pourrait tout aussi bien s'intituler "Les mĂ©dias trouvent la guerre qu'ils cherchaient". Il s'agit, malheureusement, d'une histoire de l'influence corruptrice de la guerre et des profits sur toute chose, y compris la presse, cette institution mĂȘme qui est censĂ©e exercer un contrĂŽle constant sur notre gouvernement, en particulier dans les affaires relatives Ă la guerre.
L'article décrit les exploits d'un soldat américain de 59 ans, retraité aprÚs 30 ans d'expérience au combat, qui travaille sur les champs de bataille d'Ukraine avec sa propre entreprise de formation militaire appelée le Mozart Group, une "réponse osée à un groupe de mercenaires russes" appelé le Wagner Group.
Tout au long de l'article, le langage est flatteur, sans nuances, glorifiant sans cesse le soldat et sa guerre. C'est de la propagande du Pentagone. La seule question que le journaliste soulÚve réellement est de savoir si le soldat et sa compagnie peuvent faire la différence en aidant les Ukrainiens.
L'invasion de l'Ukraine par les Russes et le massacre de civils sont immoraux et illĂ©gaux. L'influence des Ătats-Unis, qui s'immiscent dans cette affaire trĂšs dangereuse et qui couve depuis longtemps, est inexcusable. Un journalisme indĂ©pendant et sans peur est nĂ©cessaire pour rendre compte de tous les aspects de ce conflit horrible et complexe. Malheureusement, cet article rĂ©cent ne dĂ©montre que trop bien comment les mĂ©dias dominants se sont Ă©garĂ©s dans leur quĂȘte d'une guerre rentable.
L'article commence par une citation du soldat : "S'il vous plaßt, venez avec moi", dit-il, implorant une vieille femme au "visage buriné par d'innombrables chagrins" de quitter la zone avant l'arrivée des Russes. Le soldat a "de la fumée noire plein les narines, fixant la femme ukrainienne qu'il n'avait jamais rencontrée, la suppliant d'évacuer".
Des descriptions telles que "rĂ©ponse osĂ©e" et "fumĂ©e noire emplissant ses narines" attirent l'attention lorsqu'on lit ce qui est censĂ© ĂȘtre un journalisme indĂ©pendant et objectif. Le journaliste est-il devenu le soldat en respirant la fumĂ©e noire ? Le fait de qualifier le nom de la compagnie de mercenaires du soldat de "osĂ©e" ne romance-t-il pas le soldat et ses actions ?
Le journaliste écrit que le soldat esquive les bombes et les balles parce que cette guerre est, selon le soldat, "absolument sans ambiguïté." Le soldat pose alors la question suivante : "Combien de guerres des temps modernes sont moralement sans ambiguïté?" Malheureusement pour le lecteur, le journaliste ne parvient pas à approfondir la question d'importance vitale du soldat.
Remettre en question de telles dĂ©clarations de la part du sujet d'un article, ou Ă tout le moins les placer dans un certain contexte, semble ĂȘtre le moins qu'un journaliste puisse faire. Le fait que les Ătats-Unis mĂšnent une guerre par procuration contre la Russie avec l'Ukraine comme dernier pion n'est jamais prĂ©sentĂ© comme une ambiguĂŻtĂ© potentielle envahissant la clartĂ© de la "guerre moralement juste" de ce soldat, ou d'ailleurs, la clartĂ© de la comprĂ©hension de cette guerre par l'AmĂ©rique.
Le journaliste parle ensuite au nom des "Américains d'un certain ùge" en affirmant que cette guerre "ne comporte pas les ambiguïtés des guerres passées comme le Vietnam, l'Irak et l'Afghanistan". Cette guerre, semble dire le journaliste, est enfin La Bonne Guerre. Inutile de mentionner l'ingérence américaine dans les affaires internes de la politique ukrainienne, ou une OTAN dotée de l'arme nucléaire à la frontiÚre de la Russie. Cette guerre est une grande marche, insolente et sans ambiguïté, contre le mal.
Ă un moment donnĂ©, le soldat avoue qu'il est en Ukraine en partie pour la montĂ©e d'adrĂ©naline, parce que les soldats sont toujours "Ă la recherche de l'action, n'est-ce pas?". Ils veulent toujours ĂȘtre "lĂ oĂč il y a de lâaction". Il avoue Ă©galement se sentir coupable de ses actions passĂ©es Ă la guerre, ce qui explique pourquoi il travaille maintenant en Ukraine. En fait, le soldat semble plus honnĂȘte sur ses actions que le journaliste enamourĂ©.
L'histoire se termine par les propos d'une mĂšre ukrainienne "serrant dans ses bras deux miches de pain blanc" dans une rĂ©gion ravagĂ©e par la guerre, qui voit le soldat et dit le reconnaĂźtre. "Il est bon", dit-elle, soulagĂ©e, et l'article se termine sur ces mots d'adoration : Il est bon. Peut-ĂȘtre l'est-il. Mais cette histoire est-elle du bon journalisme ? Ou du chauvinisme ?
Il n'est pas surprenant que les médias dominants affectionnent une bonne et belle guerre autant que l'Américain moyen. C'est vendeur. Les guerres moralement ambiguës, ou pire, la paix, ne font pas vendre. Les gens s'en désintéressent. Cet article du NYT illustre bien les nombreux articles des médias dominants sur l'Ukraine et la guerre.
La vĂ©ritable histoire ici, Ă part le fait que les mĂ©dias d'entreprise sont un porte-voix pour le Pentagone, est celle d'un homme qui tente de racheter ses actes de violence passĂ©s en commettant de nouveaux actes de violence dans une autre guerre par procuration entre superpuissances. C'est l'histoire d'une culture du militarisme et de la masculinitĂ© toxique qui perpĂ©tue l'idĂ©e que si nous trouvons une bonne guerre, sans ambiguĂŻtĂ© morale, notre sociĂ©tĂ© sâen portera bien.
Malheureusement, pour les lecteurs du New York Times, et pour une grande partie de l'humanité, ces histoires sont rarement racontées.
* Brad Wolf, ancien avocat, professeur et doyen de collĂšge communautaire, est cofondateur du RĂ©seau d'action pour la paix de Lancaster, PA, et Ă©crit pour diverses publications.
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