đâđš âCe que jâai vu Ă Gaza dĂ©passe lâentendementâ : AurĂ©lie Godard, mĂ©decin dans lâenfer de Gaza
âL'enfer. Les gens qui ont besoin dâune cĂ©sarienne, dâune chimiothĂ©rapie nây ont plus accĂšs. Cela sâadditionne aux milliers et milliers de blessĂ©s dĂ©coupĂ©s en morceaux par les bombesâ.
đâđš âCe que jâai vu Ă Gaza dĂ©passe lâentendementâ : AurĂ©lie Godard, mĂ©decin dans lâenfer de Gaza
Par Vadim Kamenka, le 6 octobre 2024
Ă 42 ans, lâanesthĂ©siste et rĂ©animatrice Ă lâhĂŽpital dâAnnecy a dĂ©jĂ effectuĂ© deux missions dans lâenclave palestinienne avec MĂ©decins sans frontiĂšres. « Le futur des Gazaouis est soigneusement annihilé », affirme la professionnelle.
âLâenfer.â En douze ans et plusieurs missions humanitaires en Irak, au YĂ©men, AurĂ©lie Godard nâa jamais Ă©tĂ© confrontĂ©e Ă pareille situation.
âCe nâest malheureusement pas mon premier pays en guerre. En revanche, ce que jâai vu Ă Gaza dĂ©passe lâentendement, dĂ©passe ce Ă quoi jâĂ©tais prĂ©parĂ©e, ce quâon nous en dit, ce quâon en voit parfois de façon fugitive dans les mĂ©dias en Franceâ,
explique lâanesthĂ©siste et rĂ©animatrice Ă lâhĂŽpital dâAnnecy (Haute-Savoie). Lâengagement de cette mĂ©decin de 42 ans, originaire du FinistĂšre, au sein de MĂ©decins sans frontiĂšres remonte Ă 2012.
Depuis le 7 octobre 2023, AurĂ©lie Godard sâest rendue Ă deux reprises dans lâenclave palestinienne. Elle a prodiguĂ© des soins dans des centres de santĂ© Ă Â Rafah et Ă Khan YounĂšs.
âJe ne suis pas historienne, ni journaliste, ni juriste. La seule lĂ©gitimitĂ© de mon tĂ©moignage tient Ă ce que jâai vu sur place : un paysage apocalyptique avec des bĂątiments Ă©ventrĂ©s, en ruine, des villes sans rues, sans eau, sans Ă©lectricitĂ©.â
Des problĂšmes sanitaires colossaux
DÚs le 9 octobre, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, avait affirmé :
âJâai ordonnĂ© un siĂšge complet de la bande de Gaza. Il nây aura pas dâĂ©lectricitĂ©, pas de nourriture, pas de carburant, tout est verrouillĂ©. Nous combattons des animaux humains et agissons en consĂ©quence.â
Cette dĂ©claration sâĂ©tait accompagnĂ©e du premier ordre israĂ©lien dâĂ©vacuation du nord de Gaza, contraignant plus de 1 million de civils Ă fuir vers le sud.
Human Rights Watch avait dĂ©noncĂ© Ă lâĂ©poque âune invitation Ă commettre des crimes de guerreâ. Pour AurĂ©lie Godard, la stratĂ©gie israĂ©lienne est claire :
âLe futur des Gazaouis est soigneusement annihilĂ©. Les hĂŽpitaux, les Ă©coles et les structures publiques ont Ă©tĂ© dĂ©truits. Lâobjectif est de rendre la bande de Gaza inhabitable.â
Elle sâarrĂȘte un instant puis reprend.
âLes problĂšmes sanitaires sont colossaux. Ils sâadditionnent les uns aux autres dans un systĂšme de santĂ© qui est rĂ©duit en miettes de façon mĂ©thodique. Du coup, on tente de boucher tous les trous dâun bateau qui coule au fur et Ă mesure quâils apparaissent. Mais le bateau continue de coulerâ, constate-t-elle.
En janvier 2024, quand AurĂ©lie Godard part pour la bande de Gaza, tout fait dĂ©faut : lâeau manque, la nourriture se fait rare, ainsi que les mĂ©dicaments, les Ă©quipements et produits de santĂ©. AprĂšs trois mois de bombardements, dâopĂ©rations militaires, de dĂ©placements forcĂ©s de la population, la crise humanitaire est dĂ©jĂ flagrante.
Ă son arrivĂ©e, elle soigne dâabord des patients Ă Rafah, dans le sud de lâenclave, avant de parvenir Ă rejoindre le nord du territoire, une rĂ©gion dĂ©vastĂ©e Ă laquelle il est quasiment impossible dâaccĂ©der. Chaque jour, le ministĂšre de la SantĂ© Ă©grĂšne le nombre de morts. Une litanie de chiffres qui âsâempilentâ, dĂ©nonce AurĂ©lie Godard, mais restent abstraits.
Son travail sur place ?
âSoigner des plaies, des patients brĂ»lĂ©s, procĂ©der Ă des gestes chirurgicaux. Il faut Ă©galement dispenser de nombreux soins orthopĂ©diques et sâoccuper de blessures multiples sur lâensemble du corps.â
Khan YounĂšs, une ville fantĂŽme
MalgrĂ© lâhorreur de cette premiĂšre mission, elle dĂ©cide de retourner Ă Gaza du 7 avril au 23 mai. Aucune hĂ©sitation ou presque,
âpar solidaritĂ© avec les Ă©quipes palestiniennes, les mĂ©decins, les infirmiers, les sages-femmes avec qui on travaille et qui font preuve dâune rĂ©silience et dâun dĂ©vouement admirablesâ.
Elle raconte que parfois ses collĂšgues palestiniens ont des moments dâabsence et sâen excusent. Comme ce jour oĂč lâun dâentre eux lui a dit :
âDĂ©solĂ©, mais aujourdâhui je ne suis pas au mieux de mes capacitĂ©s. Ces quarante derniers jours, jâai perdu quatre de mes frĂšres.â
Avant de repartir soigner un autre malade. âCes gens-lĂ font lâhistoireâ, souffle-t-elle.
Lors de sa seconde mission, les services dâurgence de Gaza dĂ©couvrent un charnier dans le complexe mĂ©dical Nasser Ă Khan YounĂšs : 180 cadavres sont mis au jour. La citĂ© âĂ©tait devenue une ville fantĂŽmeâ , Ă lâexception de la âmultitude de tentes oĂč des familles tentent de survivre, dans des conditions dĂ©sastreusesâ qui ont conduit Ă la rĂ©apparition dâĂ©pidĂ©mies disparues telles que la polio, car il nây a aucune gestion des eaux usĂ©es, des dĂ©chets.
âHeureusement, nous Ă©tions entourĂ©s de 200 mĂ©decins, infirmiers, pharmaciens.â Depuis ces missions, elle affirme sans ciller
âque le nombre de morts nâest pas surestimĂ©. Il est mĂȘme quatre Ă dix fois plus importantâ, estime-t-elle. âLes gens qui ont besoin dâune cĂ©sarienne, dâune chimiothĂ©rapie nây ont plus accĂšs. Cela sâadditionne aux milliers et milliers de blessĂ©s dĂ©coupĂ©s en morceaux par les bombesâ.Â
AurĂ©lie Godard a repris son travail Ă lâhĂŽpital dâAnnecy en Haute-Savoie, mais assure que si lâopportunitĂ© se reprĂ©sente elle retournera Ă Gaza sans lâombre dâune hĂ©sitation.