đâđš Ce que Julian Assange nous a appris sur l'empire
Contrairement à la majorité des médias grand public qui ont largement répété ces mensonges et ces manipulations, M. Assange a dit la vérité, et il en paie le prix fort. Il mérite tout notre soutien.
đâđš Ce que Julian Assange nous a appris sur l'empire
Par Chloe Rafferty, le 18 mars 2024
La vérité ne vous libÚre pas : avec le capitalisme, elle peut vous faire enfermer. C'est ce qu'a découvert Julian Assange en disant la vérité au pouvoir.
Aujourd'hui, le fondateur de Wikileaks dĂ©pĂ©rit dans la tristement cĂ©lĂšbre prison britannique de Belmarsh, dans l'attente de son extradition vers les Ătats-Unis pour rĂ©pondre Ă des accusations qui pourraient lui valoir une peine d'emprisonnement de 175 ans. Il est accusĂ© de 18 crimes, dont dix-sept chefs d'accusation d'espionnage, pour la publication de centaines de milliers de documents classifiĂ©s en 2010. S'il est condamnĂ©, il rejoindra des personnalitĂ©s comme le socialiste Eugene Debs, l'anarchiste Emma Goldmann et la lanceuse d'alerte de Wikileaks, Chelsea Manning, tous tombĂ©s sous le coup de la loi sur l'espionnage de 1917 en raison de leur opposition Ă la guerre.
Selon son Ă©pouse, l'avocate Stella Assange, l'extradition signifierait une condamnation Ă mort. M. Assange est physiquement et mentalement dĂ©truit. Il a passĂ© cinq ans dans la prison de haute sĂ©curitĂ© de Belmarsh, souvent dĂ©crite comme le Guantanamo britannique, oĂč de nombreux dĂ©tenus passent jusqu'Ă 22 heures par jour Ă l'isolement.
Son crime est le journalisme. Assange et Wikileaks ont fait plus pour exposer les mensonges et les crimes de guerre des Ătats-Unis et de leurs alliĂ©s pendant la guerre contre le terrorisme que tous les autres mĂ©dias rĂ©unis. Ils ont notamment divulguĂ© des milliers de cĂąbles diplomatiques, des manuels sur la torture, des rapports militaires classifiĂ©s, et des images de civils assassinĂ©s dans des zones de guerre.
La vidĂ©o âCollateral Murderâ est l'une des publications de Wikileaks les plus consultĂ©es. Les images proviennent de l'intĂ©rieur d'un hĂ©licoptĂšre Apache survolant Bagdad, en Irak, en 2007. Elle montre un Ă©change entre deux militaires amĂ©ricains qui ont reçu l'autorisation d'ouvrir le feu sur un groupe d'Irakiens :
âAllumez-les tousâ.
âContinuez Ă tirer. Continuez Ă tirer.â
âOh oui, matez-moi ces bĂątards morts.â
âJoli coup.â
L'assaut aĂ©rien s'est soldĂ© par le meurtre de plusieurs civils, dont deux journalistes de l'agence Reuters. Lorsque les secours sont arrivĂ©s pour aider les blessĂ©s, les soldats ont de nouveau reçu l'autorisation de tirer. Cette fois, deux civils qui s'Ă©taient arrĂȘtĂ©s pour aider les blessĂ©s ont Ă©tĂ© tuĂ©s, et deux enfants gravement blessĂ©s.
Ce âMeurtre collatĂ©ralâ n'Ă©tait que la partie Ă©mergĂ©e de l'iceberg, dĂ©montrant Ă quel point les meurtres de civils Ă©taient monnaie courante lors de l'occupation de l'Irak.
En 2010, Wikileaks a publié des centaines de documents révélant que des détenus avaient été battus, brûlés et fouettés par leurs geÎliers irakiens sous tutelle américaine. Un rapport rédigé par des soldats américains en juin 2007 indique qu'une victime
â... a reçu des soins mĂ©dicaux intensifs Ă l'hĂŽpital gĂ©nĂ©ral de Mossoul, avec des blessures entraĂźnant l'amputation de sa jambe droite sous le genou, de plusieurs orteils du pied gauche, ainsi que l'amputation de plusieurs doigts des deux mains. Les brĂ»lures chimiques/acides ont laissĂ© des cicatrices Ă©tendues et ont Ă©tĂ© diagnostiquĂ©es comme des brĂ»lures chimiques du troisiĂšme degrĂ© accompagnĂ©es d'une dĂ©composition de la peau.â
Dans une autre publication, la fuite du manuel de la prison de Guantanamo Bay a montré que l'armée américaine avait pour politique de cacher certains prisonniers aux inspecteurs de la Croix-Rouge, et de maintenir les nouveaux prisonniers en isolement pendant deux semaines afin de les rendre plus dociles pour les interrogateurs.
Les Carnets de guerre afghans, publiĂ©s par Wikileaks en 2010, comprennent 91 000 documents classifiĂ©s qui rĂ©vĂšlent un nombre de victimes civiles nettement supĂ©rieur Ă celui annoncĂ© par l'armĂ©e amĂ©ricaine. Par exemple, en 2007, les forces spĂ©ciales amĂ©ricaines ont larguĂ© 1 000 tonnes de bombes sur un complexe oĂč se serait rĂ©fugiĂ© un âindividu trĂšs importantâ. Alors que le commandant en chef amĂ©ricain a dĂ©clarĂ© que l'incident avait causĂ© la mort de 150 combattants talibans, le document de Wikileaks a rĂ©vĂ©lĂ© que le bilan comprenait au moins 300 civils. Comme l'a soulignĂ© M. Assange, les âAfghan Filesâ constituent âl'histoire la plus complĂšte d'une guerre jamais publiĂ©e avant son termeâ.
Wikileaks a Ă©galement Ă©tĂ© l'un des premiers organismes Ă rĂ©vĂ©ler le soutien financier et militaire apportĂ© par les Ătats-Unis Ă l'intervention menĂ©e par l'Arabie saoudite au YĂ©men. Les dossiers sur le YĂ©men ont rĂ©vĂ©lĂ© l'ampleur rĂ©elle de l'implication militaire secrĂšte des Ătats-Unis dans le pays le plus pauvre du Moyen-Orient. Dans un cĂąble, le prĂ©sident du YĂ©men, Ali Abdullah Saleh, aurait dĂ©clarĂ© Ă l'ambassadeur amĂ©ricain :
âNous continuerons Ă dire que les bombes sont les nĂŽtres, pas les vĂŽtresâ.
Des annĂ©es avant que cela ne devienne public, Wikileaks a rĂ©vĂ©lĂ© que les Ătats-Unis expĂ©diaient des armes Ă l'Arabie saoudite pour qu'elle les utilise au YĂ©men, alors que les Ătats-Unis continuaient Ă nier tout rĂŽle dans le conflit.
AprĂšs avoir abondamment tirĂ© profit des rĂ©vĂ©lations de Wikileaks, la plupart des mĂ©dias grand public ont nĂ©anmoins laissĂ© tomber Assange, affirmant sans fondement que son journalisme aurait mis en danger des agents et collaborateurs amĂ©ricains. L'annĂ©e derniĂšre encore, un Ă©ditorial du Sydney Morning Herald Ă©crivait que l'âimprudenceâ de Julian l'avait jetĂ© âdans des oubliettes qu'il se serait lui-mĂȘme prĂ©parĂ©esâ.
Avec le temps, la plupart des mĂ©dias australiens se sont prononcĂ©s en faveur de son retour en Australie. Les puissants qu'il a dĂ©noncĂ©s ne sont eux-mĂȘmes plus au pouvoir. Mais la plupart des mĂ©dias ne considĂšrent toujours pas M. Assange comme l'un des leurs, plutĂŽt comme un pirate informatique en proie Ă une vendetta que comme journaliste. D'une certaine maniĂšre, ils ont raison. Assange et ses sources Wikileaks, comme Chelsea Manning, ont fait ce qu'aucun journal libĂ©ral disposant de ressources suffisantes, comme le Guardian ou le Washington Post, n'Ă©tait prĂȘt Ă faire. Ils ont publiĂ© les secrets de l'impĂ©rialisme amĂ©ricain sans se soucier des prĂ©judices causĂ©s Ă la crĂ©dibilitĂ© de l'armĂ©e amĂ©ricaine, ni des rĂ©percussions personnelles que cela aurait sur leur carriĂšre et leur capacitĂ© Ă accĂ©der Ă des postes haut placĂ©s.
Ă l'heure oĂč des prĂ©sentateurs de la radio ABC sont licenciĂ©s pour avoir tweetĂ© sur les actions d'IsraĂ«l Ă Gaza, il serait bon de se rappeler le bilan de l'establishment mĂ©diatique lors de la derniĂšre grande guerre amĂ©ricaine au Moyen-Orient.
Selon un rapport de l'université Brown publié l'année derniÚre, la guerre contre le terrorisme a fait entre 4,5 et 4,6 millions de morts. Au début de la guerre, l'empire américain et ses partenaires juniors comme l'Australie pouvaient compter sur des médias largement dociles et loyaux pour les aider à s'en tirer malgré cette atrocité.
L'une des premiĂšres innovations de cette guerre a Ă©tĂ© le âjournalisme embarquĂ©â. Cette pratique consiste Ă rattacher des correspondants de guerre Ă des unitĂ©s militaires spĂ©cifiques - un service interne en quelque sorte. En 2003, au dĂ©but de la guerre contre l'Irak, 775 reporters et photographes voyageaient en tant que journalistes intĂ©grĂ©s. Lorsqu'on lui a demandĂ© pourquoi l'armĂ©e amĂ©ricaine avait instaurĂ© cette pratique, le lieutenant-colonel Rick Long, du corps des Marines, a fait preuve d'une honnĂȘtetĂ© surprenante.
âPour ĂȘtre franc, notre travail consiste Ă gagner la guerreâ, a-t-il dĂ©clarĂ©. âLa guerre de l'information en fait partie. Nous allons donc tenter de maĂźtriser l'environnement de l'informationâ.
Le reportage d'Assange et la persĂ©cution qui s'est ensuivie mettent en Ă©vidence le manque de transparence au cĆur des dĂ©mocraties occidentales. Ils montrent que les valeurs que nos dirigeants prĂ©tendent dĂ©fendre - dĂ©mocratie, transparence, responsabilitĂ©, libertĂ© d'expression et droits de l'homme - sont hautement conditionnelles et subordonnĂ©es Ă l'avancement de l'empire et des intĂ©rĂȘts politiques et commerciaux qui le sous-tendent.
Ainsi, alors que l'Occident coopĂšre pour Ă©craser la dissidence et faire des exemples de ceux qui s'y engagent, il n'a aucun scrupule Ă critiquer ses rivaux qui s'adonnent aux mĂȘmes pratiques. Lorsque Alexei Navalny, critique de Poutine, a Ă©tĂ© retrouvĂ© mort dans une prison de l'Arctique aprĂšs avoir souffert de ce que les autoritĂ©s russes ont appelĂ© le âsyndrome de la mort subiteâ, Joe Biden s'est empressĂ© d'exprimer son indignation morale et de dĂ©clarer Poutine responsable. Il a mĂȘme invitĂ© la veuve de Navalny Ă son discours sur l'Ă©tat de l'Union, ce qu'elle a refusĂ© Ă juste titre.
L'hypocrisie de M. Biden est Ă couper le souffle. Les Ătats-Unis affament et anĂ©antissent actuellement les enfants de Gaza, ce qui leur ĂŽte toute crĂ©dibilitĂ© pour sâexprimer sur les droits de l'homme. En 2021, un ancien conseiller Ă la sĂ©curitĂ© nationale a rĂ©vĂ©lĂ© que de hauts responsables de la CIA avaient envisagĂ© des options pour assassiner Assange s'ils ne parvenaient pas Ă faire pression sur le gouvernement Ă©quatorien pour qu'il lâexpulse de son ambassade Ă Londres - exactement ce pour quoi les Ătats-Unis sont censĂ©s s'indigner au nom de la morale lorsqu'un autre rĂ©gime le fait.
La classe politique australienne est Ă©galement responsable du sort d'Assange. Sa citoyennetĂ© australienne ne fait pas le poids face Ă l'importance de l'alliance avec les Ătats-Unis. Le parlement fĂ©dĂ©ral a rĂ©cemment adoptĂ© une motion bancale et destinĂ©e Ă sauver la face, appelant le Royaume-Uni et les Ătats-Unis Ă âmettre un terme Ă cette affaire afin que M. Assange puisse rentrer chez luiâ. Hormis ces motions pĂąlichonnes, M. Albanese a refusĂ© d'exercer une quelconque pression publique sur l'administration Biden.
Lorsqu'on lui a demandĂ©, dans le cadre de l'Ă©mission Insiders de la chaĂźne ABC, s'il Ă©tait temps pour M. Biden d'intervenir dans l'affaire afin d'abandonner les poursuites contre M. Assange, M. Albanese a rĂ©pondu ânonâ.
La classe dirigeante australienne joue les absents, laissant les Ătats-Unis faire un exemple d'Assange. AprĂšs tout, le parlement australien a adoptĂ© une lĂ©gislation anti-lanceurs d'alerte et de surveillance qui rivalise avec le Patriot Act de l'Ăšre Bush. L'Ătat australien tient Ă dissimuler ses propres crimes en Irak et en Afghanistan, et Ă prĂ©parer la prochaine guerre. La police fĂ©dĂ©rale australienne n'a pas hĂ©sitĂ© Ă faire des descentes chez les journalistes dâABC pour poursuivre ceux qui ont divulguĂ© les âAfghan Filesâ, des documents qui ont rĂ©vĂ©lĂ© les crimes de guerre de Ben Roberts-Smith et de ses acolytes du SAS.
Le secret et les mensonges sont essentiels au fonctionnement du capitalisme, un systĂšme qui dĂ©pend de la violence Ă grande Ă©chelle dans le cadre de la lutte concurrentielle pour le profit et l'accĂšs aux marchĂ©s par diffĂ©rents Ătats. La guerre contre l'Irak a Ă©tĂ© lancĂ©e sur la base d'un mensonge prĂ©tendant que Saddam Hussein possĂ©dait des armes de destruction massive, mensonge promu par l'administration Bush et repris par ses alliĂ©s au Royaume-Uni et en Australie. La guerre a Ă©tĂ© menĂ©e avec ses euphĂ©mismes orwelliens : enlĂšvements et torture sont devenus des ârestitutions extraordinairesâ, les meurtres de masse ont permis de âgagner les cĆurs et les espritsâ, l'invasion et l'occupation ont Ă©tĂ© qualifiĂ©es de âchangement de rĂ©gimeâ, de âlibĂ©rationâ et d'ârĂ©tablissement de la dĂ©mocratieâ. Contrairement Ă la majoritĂ© des mĂ©dias grand public qui ont largement rĂ©pĂ©tĂ© ces mensonges et ces manipulations, M. Assange a dit la vĂ©ritĂ©, et il en paie le prix fort. Il mĂ©rite tout notre soutien.
https://redflag.org.au/article/what-julian-assange-taught-us-about-empire