đâđš Câest dĂ©sormais officiel : lâUkraine est bien la guerre de Trump
Les Ătats-Unis imposent Ă l'Europe le fardeau financier de la guerre par procuration, et propagent une image de dĂ©sengagement en conservant le contrĂŽle des opĂ©rations militaires en Ukraine.
đâđš Câest dĂ©sormais officiel : lâUkraine est bien la guerre de Trump
Par Roberto Iannuzi via Thomas Fazi, le 24 juillet 2025
Ceux qui croyaient encore à une résolution diplomatique du conflit ukrainien par Donald Trump ont probablement abandonné tout espoir ces derniers jours.
Une vĂ©ritable nĂ©gociation entre la Russie et l'Ukraine n'a jamais vu le jour et la tentative de mĂ©diation pour le moins Ă©trange de l'administration Trump (les Ătats-Unis se posant en cobelligĂ©rants plutĂŽt qu'en arbitres impartiaux) Ă©tait dâemblĂ©e vouĂ©e Ă l'Ă©chec. Mais les Ă©vĂ©nements de ces derniers jours marquent probablement un tournant dĂ©cisif.
AprÚs une brÚve pause dans les livraisons d'armes à Kiev, apparemment due à la diminution des stocks américains, Trump a annoncé, le 7 juillet, la reprise de l'aide militaire, justifiant cette décision par l'intensification des attaques russes et le besoin urgent de l'Ukraine en systÚmes de défense aérienne.
L'administration a donc décidé de puiser 300 millions de dollars d'armes dans les stocks du Pentagone, en vertu de la Presidential Drawdown Authority (PDA), pour les envoyer à Kiev.
C'est la premiÚre fois depuis le début de son second mandat que Trump recourt à la PDA, un mécanisme réguliÚrement utilisé par son prédécesseur, Joe Biden.
Cette dĂ©cision coĂŻncide avec le changement de ton du prĂ©sident amĂ©ricain, qui a pour la premiĂšre fois tenu des propos trĂšs durs Ă l'Ă©gard du prĂ©sident russe Vladimir Poutine, l'accusant d'âavoir tuĂ© beaucoup de gensâ et manquĂ© Ă ses engagements.
Trump & les ultras
Bien connu pour ses revirements soudains et ses sautes d'humeur, le président américain n'a pas cependant semblé improviser sa nouvelle approche envers Moscou ces derniers jours.
Ce revirement s'inscrit dans un contexte de pression intense des médias et de l'establishment politique pour ramener le président dans le droit chemin de l'administration Biden, à savoir fournir un soutien financier et militaire conséquent à l'Ukraine.
Les bellicistes rĂ©publicains et nĂ©oconservateurs, qui depuis le retour de Trump Ă la Maison Blanche ont ĆuvrĂ© Ă marginaliser les tendances âisolationnistesâ du mouvement MAGA, sont fermement dĂ©cidĂ©s, surfant sur la vague de la frappe militaire contre l'Iran qu'ils saluent comme un âsuccĂšsâ, Ă relancer la confrontation avec la Russie.
Les dirigeants du Royaume-Uni, de la France et de l'Allemagne, ainsi que les hauts responsables de l'UE, exercent Ă©galement des pressions considĂ©rables en faveur de l'intensification du conflit. Le chancelier allemand, Friedrich Merz, a dĂ©clarĂ© que les outils diplomatiques permettant de rĂ©soudre le conflit en Ukraine seraient dĂ©sormais âĂ©puisĂ©sâ.
Jusqu'Ă prĂ©sent, Trump a rĂ©sistĂ© Ă ces pressions. Convaincu que Kiev ne peut pas gagner, il a qualifiĂ© Ă plusieurs reprises le conflit de âguerre de Bidenâ pour se distancier de son prĂ©dĂ©cesseur et chercher Ă dĂ©sengager les Ătats-Unis d'Europe afin de recentrer leur attention sur le Pacifique et la montĂ©e en puissance de la Chine.
Cependant, ce rĂ©cent revirement suggĂšre que la guerre en Ukraine pourrait bientĂŽt devenir âla guerre de Trumpâ.
Quand l'OTAN entre en scĂšne
Le 14 juillet, lors d'une réunion à la Maison Blanche avec le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, le président américain a annoncé un accord avec l'Alliance atlantique pour fournir de grandes quantités d'armes à l'Ukraine. Il a également menacé Moscou de sanctions supplémentaires sévÚres concernant ses exportations de pétrole, si la Russie refuse un rÚglement négocié du conflit dans les 50 prochains jours.
Selon certaines sources américaines, l'accord avec l'OTAN s'élÚverait à environ 10 milliards de dollars, mais le calendrier reste flou.
Ce plan a dĂ©jĂ Ă©tĂ© discutĂ© lors du sommet de l'OTAN Ă La Haye, le mois dernier, mais ses origines remontent au lendemain de la victoire de Trump Ă l'Ă©lection prĂ©sidentielle, lorsque les dirigeants europĂ©ens ont commencĂ© Ă envisager un mĂ©canisme permettant de poursuivre les livraisons d'armes Ă Kiev, mĂȘme en cas de retrait de l'Ukraine.
ConformĂ©ment Ă l'accord, l'OTAN ne serait pas chargĂ©e de livrer les armes Ă Kiev. L'Alliance servirait plutĂŽt de centre logistique pour les armes fournies par les Ătats-Unis, coordonnant les livraisons des diffĂ©rents Ătats membres.
Le mĂ©canisme de transfert vers l'Ukraine pourrait concerner des armes achetĂ©es directement aux Ătats-Unis ou des armes dĂ©jĂ dĂ©tenues par des pays europĂ©ens, avec un rĂ©approvisionnement via de nouvelles commandes passĂ©es auprĂšs de fabricants amĂ©ricains.
En vendant des armes aux Européens plutÎt que de les livrer directement à Kiev, Trump espÚre détourner les accusations de sa base selon lesquelles il renierait sa promesse initiale de se retirer du conflit ukrainien.
De plus, la mise en Ćuvre de l'accord se traduira par de nouveaux profits pour l'industrie amĂ©ricaine de l'armement.
De la poudre aux yeux ?
On ignore toutefois quelles armes et munitions finiront réellement entre les mains de Kiev, et quels pays européens participeront effectivement à ce programme. La Hongrie a déjà déclaré son intention de ne pas s'y associer, et la France, l'Italie et la République tchÚque lui ont rapidement emboßté le pas.
De plus, aprĂšs trois ans de guerre, les Ătats-Unis et les pays europĂ©ens ont Ă©puisĂ© leurs stocks d'armes et de munitions. Ils ne peuvent acheter que des armes encore en cours de production, mais celles-ci mettront du temps Ă parvenir sur le champ de bataille ukrainien.
Ni l'industrie américaine ni l'industrie européenne de l'armement ne peuvent répondre à la demande de l'Ukraine et d'autres zones de guerre, et elles ne sont pas en mesure de rivaliser avec la capacité de production de la Russie.
Les batteries de dĂ©fense aĂ©rienne Patriot, de fabrication amĂ©ricaine, en sont un exemple typique. Il existe actuellement 18 batteries Patriot en Europe, qui ne peuvent ĂȘtre envoyĂ©es Ă Kiev sans exposer le reste du continent.
L'Allemagne, qui en compte actuellement six, a confirmĂ© son intention d'acquĂ©rir deux nouvelles batteries auprĂšs des Ătats-Unis pour les envoyer en Ukraine, mais ce processus prendra plusieurs mois.
Selon une enquĂȘte du Guardian, les Ătats-Unis ont mĂȘme vu leurs rĂ©serves de missiles Patriot tomber Ă un niveau critique, ne disposant actuellement que de 25 % des intercepteurs requis par la planification militaire du Pentagone.
Lockheed Martin, le fabricant des missiles, a annoncé son intention d'augmenter sa production de 500 à 600 unités en 2025. Cependant, selon certaines estimations, la Russie peut produire environ 750 missiles balistiques par an. Sachant qu'il faut plusieurs intercepteurs pour abattre un seul missile, il est évident que la production américaine est totalement insuffisante.
MalgrĂ© les dĂ©clarations fracassantes du sĂ©nateur rĂ©publicain Lindsey Graham, qui a affirmĂ© que âvous allez voir affluer des armes en Ukraine Ă un niveau recordâ, il est donc peu probable que les livraisons Ă Kiev permettent d'inverser le cours de la guerre.
La vaine menace des sanctions
Il est également douteux que la menace des taxes douaniÚres ou de sanctions supplémentaires influence les stratégies de la Russie.
Les droits de douane américains potentiels sur les exportations russes seraient en effet négligeables, car ces exportations ne dépassent pas 3 milliards de dollars. Quant aux éventuelles sanctions secondaires sur le pétrole russe et d'autres exportations, elles toucheraient principalement les partenaires commerciaux de Moscou, comme la Chine, l'Inde et l'Europe.
La Russie en ressentirait certainement les effets, mais les coûts seraient supportés par tous, en particulier par certains alliés de Washington, en raison des répercussions sur les marchés mondiaux de l'énergie.
Moscou a également prouvé sa grande habileté à échapper aux pressions économiques occidentales et l'économie russe a fait preuve d'une remarquable résilience face à ces sanctions.
La Bourse de Moscou a d'ailleurs augmenté de prÚs de 3 % aprÚs l'annonce par Trump de nouvelles sanctions possibles, signe que les investisseurs russes ne sont pas particuliÚrement inquiets.
Un processus de négociation bancal
Le durcissement du discours de Trump vis-Ă -vis de la Russie semble rĂ©sulter de sa âdĂ©ceptionâ face au refus de Moscou de nĂ©gocier selon les conditions occidentales, Ă savoir un cessez-le-feu comme condition prĂ©alable Ă tout dialogue.
Mais le Kremlin a toujours été clair : il refuse de s'asseoir à la table des négociations sans la moindre garantie que les causes profondes du conflit seront abordées, alors que l'Occident continue d'armer l'Ukraine.
Et la perspective d'un âconflit gelĂ©â, qui aurait permis Ă Kiev de se rĂ©organiser et se rĂ©armer en vue de nouvelles hostilitĂ©s, est inacceptable pour Moscou.
L'administration Trump a quant Ă elle nĂ©gligĂ© les Ă©tapes les plus Ă©lĂ©mentaires pour ânormaliserâ ses relations avec Moscou, comme la restitution des biens diplomatiques saisis, la reprise des vols entre les deux capitales ou mĂȘme la nomination d'un nouvel ambassadeur en Russie.
Alors, pourquoi Washington refuse-t-il de se désengager ?
Tout d'abord, considĂ©rer que les EuropĂ©ens pourraient remplacer les Ătats-Unis dans leur soutien Ă Kiev a toujours semblĂ© problĂ©matique.
L'Ukraine a en effet Ă©tĂ© dotĂ©e de l'ensemble des systĂšmes d'armes amĂ©ricains : des systĂšmes de dĂ©fense aĂ©rienne comme les Patriot, les NASAMS et les HAWK, des piĂšces d'artillerie telles que des obusiers, des mortiers et des HIMARS, des vĂ©hicules blindĂ©s comme les Bradley et les Stryker, et mĂȘme des chars Abrams.
Ces Ă©quipements militaires modernes sont trĂšs sophistiquĂ©s et complexes, et nĂ©cessitent des centaines de sous-composants et d'Ă©lĂ©ments logiciels. Ces systĂšmes dĂ©pendent des donnĂ©es fournies par les fabricants pour fonctionner ; ces donnĂ©es sont exclusives et ne peuvent ĂȘtre partagĂ©es avec des tiers.
De plus, l'Ukraine dĂ©pend des Ătats-Unis non seulement pour ses armes, mais aussi pour sa logistique et ses services du renseignement, notamment pour l'identification et la sĂ©lection des cibles. Selon The New York Times, les Ătats-Unis font âpartie intĂ©grante de la chaĂźne de destructionâ en Ukraine.
Les pays europĂ©ens ne sont pas en mesure de se substituer efficacement aux systĂšmes d'armement amĂ©ricains, ni de prendre le relais des Ătats-Unis dans les domaines de la logistique et du renseignement.
Ils ne disposent pas des capacités de surveillance par satellite, ni des avions-cargos et des cargos indispensables à l'acheminement du matériel militaire.
Pour toutes ces raisons, l'Europe dĂ©pend des Ătats-Unis, une dĂ©pendance activement encouragĂ©e par Washington au fil des ans, prĂ©cisĂ©ment pour entraver le dĂ©veloppement d'une plus grande autonomie stratĂ©gique du continent.
Les Ătats-Unis ne peuvent donc pas se dĂ©sengager du front europĂ©en (et en particulier ukrainien) Ă court et moyen terme, Ă moins d'ĂȘtre prĂȘts Ă renoncer au « nouveau rideau de fer » qu'ils ont si minutieusement Ă©laborĂ© en Europe ces derniĂšres annĂ©es.
D'oĂč l'idĂ©e de vendre du matĂ©riel militaire amĂ©ricain aux pays europĂ©ens pour qu'ils le transfĂšrent Ă l'Ukraine, un projet soutenu par Trump dĂšs le dĂ©but de sa prĂ©sidence.
Il permet aux Ătats-Unis de transfĂ©rer le fardeau financier de la guerre Ă l'Europe, tout en feignant de se dĂ©sengager, une posture de façade qui ne rĂ©sout en rien les problĂšmes sous-jacents de logistique et de coordination des services du renseignement.
Un risque accru de provocations
La livraison de nouvelles armes ne devrait pas modifier de maniÚre significative le cours de la guerre en Ukraine, en raison des limites de production des industries de l'armement américaines et européennes.
Cela ne signifie toutefois pas que le changement de politique de Trump soit sans risque, notamment celui d'une intensification du conflit ou de nouveaux actes d'agression contre Moscou.
Il ne faut pas non plus sous-estimer le risque d'une âescalade horizontaleâ, c'est-Ă -dire l'extension du conflit Ă d'autres fronts, de la mer Baltique au Caucase et Ă l'Asie centrale.
Ces derniers jours, le Financial Times et le Washington Post ont tous deux rapporté un entretien téléphonique entre Trump et le président ukrainien Volodymyr Zelensky au cours duquel Trump aurait demandé si l'Ukraine a la capacité de frapper Moscou, voire Saint-Pétersbourg.
Zelensky aurait rĂ©pondu que les forces armĂ©es ukrainiennes pouvaient effectivement frapper ces villes russes, Ă condition que les Ătats-Unis leur fournissent les armes nĂ©cessaires.
Selon le Financial Times, Trump n'aurait pas exclu de fournir Ă l'Ukraine des armes longue portĂ©e pour âleur faire comprendre leur douleur [aux Russes]â et les contraindre Ă revenir Ă la table des nĂ©gociations.
Des responsables amĂ©ricains auraient mĂȘme remis Ă Zelensky une liste d'armes longue portĂ©e que les Ătats-Unis seraient prĂȘts Ă fournir.
Dans des dĂ©clarations ultĂ©rieures, sans contester l'existence de l'appel tĂ©lĂ©phonique, Trump a affirmĂ© ne pas avoir l'intention de fournir d'armes longue portĂ©e Ă Kiev et a dĂ©clarĂ© que Zelensky âne doit pas frapper Moscouâ.
InterrogĂ© sur cet appel, un responsable de la Maison Blanche a dĂ©clarĂ© Ă la BBC que Trump âse contentait de poser une question, sans encourager de nouvelles tueriesâ, ajoutant que le prĂ©sident âĆuvre sans relĂąche Ă mettre fin au massacre et Ă cette guerreâ.
Le chroniqueur du Washington Post, David Ignatius, proche des services du renseignement américains, a toutefois cité des sources suggérant que le revirement de Trump pourrait autoriser l'Ukraine à utiliser les 18 missiles ATACMS dont elle dispose encore pour frapper en profondeur le territoire russe. Ces missiles ont une portée de 300 kilomÚtres.
La livraison de missiles supplémentaires de ce type à l'Ukraine n'est pas non plus exclue. Leur nombre serait toutefois probablement limité, car ces missiles sont rares, y compris dans les arsenaux américains.
De telles frappes lancĂ©es par Kiev, mĂȘme si elles ne sont pas susceptibles de modifier l'Ă©quilibre stratĂ©gique, pourraient toutefois ĂȘtre dĂ©vastatrices et hautement provocatrices.
Selon Ignatius, l'administration Trump aurait mĂȘme envisagĂ© d'envoyer des missiles de croisiĂšre Tomahawk (dont la portĂ©e dĂ©passe 1 000 km), du mĂȘme type que ceux utilisĂ©s lors de la frappe contre des installations nuclĂ©aires Ă Ispahan, en Iran. Cette idĂ©e aurait toutefois Ă©tĂ© Ă©cartĂ©e pour l'instant.
Il est difficile d'Ă©valuer la fiabilitĂ© de telles âfuitesâ. Rappelons qu'Ignatius et le Washington Post sont tous deux rĂ©solument pro-interventionnistes lorsqu'il s'agit de s'opposer Ă Moscou.
Ces allégations pourraient faire partie d'une campagne de propagande destinée à dissuader la Russie et à galvaniser la faction interventionniste à Washington.
Il ne faut toutefois pas sous-estimer le risque de provocations, comme l'opĂ©ration ukrainienne âSpider Webâ du 1er juin, dirigĂ©e contre les bombardiers stratĂ©giques russes stationnĂ©s sur territoire russe.
AprĂšs l'attaque contre l'Iran, un âparti bellicisteâ bipartite semble prendre de l'ampleur Ă Washington, dĂ©terminĂ© Ă privilĂ©gier la force pour rĂ©soudre les crises internationales.
Trump va inévitablement devoir composer avec l'aile isolationniste du mouvement qui le soutient.
Selon Ignatius, Trump aurait Ă©tĂ© impressionnĂ© par la performance des bombardiers B-2 lors de l'attaque contre les installations nuclĂ©aires iraniennes et serait dĂ©sormais convaincu qu'il faut exercer une âpression maximaleâ sur le prĂ©sident russe Vladimir Poutine.
Traduit par Spirit of Free Speech