đâđš Chercher nos morts, et peut-ĂȘtre survivre
Ă Rafah, on peut voir sur le mur d'une maison :âOmar & Oussama sont toujours sous les dĂ©combresâ. Ont-ils appelĂ© Ă l'aide? Ont-ils survĂ©cu & sont morts coincĂ©s sous les dĂ©combres pendant des jours ?
đâđš Chercher nos morts, et peut-ĂȘtre survivre
Par Ghada Abed*, le 1er décembre 2023
Ă Rafah, on peut lire sur le mur d'une maison :âOmar et Oussama sont toujours sous les dĂ©combresâ. Ont-ils appelĂ© Ă l'aide ? Ont-ils survĂ©cu, et sont morts coincĂ©s sous les dĂ©combres pendant des jours?
En parcourant les actualités, je suis tombé sur un reportage concernant 41 mineurs indiens secourus aprÚs avoir été piégés dans un tunnel pendant plus de deux semaines.
J'ai Ă©prouvĂ© un sentiment de soulagement pour eux, m'incitant Ă comparer leur situation Ă celle que nous vivons ici, Ă Gaza. Ces derniers jours, Ă la faveur de la trĂȘve de quatre jours prolongĂ©e, les habitants se sont attelĂ©s Ă la douloureuse tĂąche de rechercher les corps des ĂȘtres chers.
Ici, Ă Rafah, oĂč je cherche actuellement un abri, il y a une maison sur le mur de laquelle est Ă©crit un message poignant : âOmar et Oussama sont toujours sous les dĂ©combresâ.
Je me suis arrĂȘtĂ©e un instant, et j'ai rĂ©flĂ©chi. Ont-ils connu une fin brutale ou ont-ils endurĂ© des souffrances inimaginables ? Ont-ils appelĂ© Ă l'aide ? Est-ce qu'ils ont pu survivre, et sont morts aprĂšs ĂȘtre restĂ©s coincĂ©s sous les dĂ©combres pendant plus d'une semaine ?
Une de mes camarades de classe, Aya Juaidi, ĂągĂ©e de 29 ans, a tragiquement perdu son mari lors du massacre par IsraĂ«l de la tour Al Taj III Ă Gaza, le 25 octobre. Malheureusement, le corps de son mari est restĂ© coincĂ© dans le bĂątiment mĂȘme une fois cet horrible bombardement passĂ©. MĂȘme si les services de la protection civile avaient eu du carburant, ils n'auraient pas eu les moyens nĂ©cessaires pour extraire les corps des dĂ©combres.
Mohammed Sawwaf, un autre collÚgue, est un cinéaste visionnaire de Gaza. Il a produit plusieurs documentaires remarquables qui mettent en lumiÚre la vie à Gaza, notamment The Palestinian Prison Break et Eleven Days in May. Je lui demande souvent son avis, et des conseils pour mon propre travail.
Pendant la guerre, Mohammed a été blessé à deux reprises. Le premier incident a eu lieu à la mi-novembre. Le second a impliqué sa famille élargie, tuant ses parents, ses deux frÚres, leurs familles et 46 autres membres de sa famille. Mohammed a dû faire face à la réalité déchirante de ne pas pouvoir sortir des décombres les membres de sa famille.
âDepuis le premier jour du massacre israĂ©lien de ma familleâ, explique Mohammed, âles survivants se retrouvent tous les jour pour fouiller eux-mĂȘmes les ruines de leur maison avec le peu d'outils dont ils disposent. Ils sont dĂ©terminĂ©s Ă retrouver et Ă enterrer les corps de leurs parentsâ.
Mais malgré leurs efforts, la tante de Mohammed et son cousin de 9 ans sont toujours portés disparus, deux semaines aprÚs le bombardement.
Pas d'espace sécurisé
Avant l'annonce de la trĂȘve, mon fil d'actualitĂ© Facebook Ă©tait et est toujours rempli de demandes de gens exhortant le ComitĂ© international de la Croix-Rouge, la dĂ©fense civile palestinienne et les services ambulanciers Ă secourir les membres de leur famille pris au piĂšge.
Beaucoup ont exprimĂ© leur frustration, affirmant que le CICR avait Ă©tĂ© complice, n'offrant pas d'assistance aux Palestiniens piĂ©gĂ©s sous les dĂ©combres. Ils se sont demandĂ©s pourquoi on nâa pas fat attention Ă eux, comme pour les otages et les prisonniers israĂ©liens pendant la trĂȘve.
Ce mois-ci, trois Ă©tudiants palestiniens ont Ă©tĂ© sauvagement abattus dans le Vermont. Câest dĂ©courageant de se dire que les Palestiniens Ă l'Ă©tranger, malgrĂ© leur profonde prĂ©occupation pour notre situation, peuvent Ă©galement se sentir menacĂ©s dans leur droit Ă dĂ©fendre activement les nĂŽtres.
Nous savons bien que notre pays nâest pas sĂ»r du fait de l'occupation. Mais apparemment, mĂȘme si en Ă©tudiant ou travaillant Ă l'Ă©tranger, on n'est pas en sĂ©curitĂ© non plus.
La fusillade a eu lieu Ă Thanksgiving. Quand j'Ă©tais aux Ătats-Unis, jâaimais bien cette fĂȘte, mĂȘme si je n'apprĂ©cie pas la dinde. C'Ă©tait plutĂŽt pour moi l'Ă©poque des tartes Ă la citrouille, et des veillĂ©es avec les amis et les professeurs
Je me souviens avoir Ă©tĂ© invitĂ©e Ă dĂźner par mes amis amĂ©ricains, et j'en ai profitĂ© pour leur parler de nos traditions communautaires. Nous dĂ©jeunions souvent en notre famille, surtout le vendredi. Nous partagieons rires, repas, conversations et boissons sirotĂ©es comme le thĂ© Ă la menthe lâĂ©tĂ©, et le maramiyeh lâhiver.
Maintenant, rien de tout cela n'est plus possible. Je ne peux pas aller voir ma famille, ni mĂȘme Ă©changer virtuellement. Nous sommes confrontĂ©s Ă de graves difficultĂ©s. Nous manquons d'Ă©lectricitĂ©, d'accĂšs Ă internet, et notre infrastructure de tĂ©lĂ©communications a Ă©tĂ© partiellement dĂ©truite par les bombardements. Chaque fois que j'ai besoin d'appeler mon frĂšre, je dois mây reprendre d'innombrables fois avant que l'appel aboutisse, car le rĂ©seau Paltel a Ă©tĂ© endommagĂ©.
L'Ăąme de mon Ăąme
Le mois de novembre marque le dĂ©but annuel des â16 jours d'activismeâ, une campagne internationale qui dĂ©bute le 25 novembre (JournĂ©e internationale de prĂ©vention des violences faites aux femmes) et se termine le 10 dĂ©cembre (JournĂ©e des droits de l'homme).
L'objectif premier de cette campagne est de sensibiliser l'opinion publique et promouvoir des actions pour lutter contre la violence faite aux des femmes et jeunes filles à l'échelle mondiale. Tout au long de ces 16 jours, diverses organisations internationales non gouvernementales à Gaza s'engagent dans des activités et des initiatives visant à défendre l'égalité des sexes, à lutter contre la violence à l'égard des femmes et à donner des moyens d'action aux survivantes.
Bien que cette campagne soit importante à bien des égards, je tiens à exprimer mon inquiétude quant à la représentation des hommes et des pÚres comme seules sources de brutalité. Les pÚres, sont aussi, trÚs angoissés par la souffrance de leurs femmes et de leurs filles.
Jâai vu une vidĂ©o montrant des images d'un homme tenant le corps de sa fille sans vie m'ont profondĂ©ment Ă©mue, alors qu'il rĂ©pĂ©tait les mots suivants : âElle Ă©tait l'Ăąme de mon Ăąmeâ.
Il est évident que les femmes sont confrontées à une myriade de défis, en particulier lorsqu'il s'agit d'un manque de protection, en grande partie, à l'occupation israélienne.
Au cours de cette guerre, de nombreuses femmes ont été déplacées de force. Plus d'un demi-million de femmes sont actuellement confrontées à de graves lacunes en matiÚre de soins de santé, notamment en ce qui concerne leurs rÚgles, leur grossesse, leur allaitement et leurs besoins en matiÚre de protection de la sphÚre sexuelle.
Les femmes sont confrontées à une pénurie de produits de santé menstruelle, à un accÚs limité à l'eau potable, à des ressources médicales inadéquates en cas de douleurs ou d'infections, à de longues files d'attente pour les toilettes et à un manque d'intimité. Tous ces facteurs ont un impact indéniable sur la santé des femmes à long terme.
En outre, plus de 160 femmes de Gaza accouchent chaque jour sans soins hospitaliers appropriés, sans médicaments essentiels et sans électricité. Voilà certains des défis auxquels sont confrontées les femmes dans la bande de Gaza aujourd'hui.
Une de mes amies, qui a trouvé refuge dans une école du camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza, et a toujours défendu les droits des femmes, m'a récemment contactée. J'ai d'abord craint le pire, car elle ne répondait pas à mes messages. Puis elle m'a fait part des conditions désastreuses dans lesquelles ils vivaient, notamment le manque d'eau potable.
âGhada, je ne me souviens mĂȘme pas de la derniĂšre fois oĂč j'ai pu prendre une douche.â
Mon amie, qui lutte contre un cancer de l'utérus, m'a expliqué qu'elle n'avait pas de séance de chimiothérapie prévue pour ce mois-ci, et qu'elle ne pouvait pas non plus se procurer les médicaments dont elle a besoin.
âLe pharmacien m'a fourni un mĂ©dicament de substitution, mais sous ma seule responsabilitĂ©. J'ai peur des effets secondaires indĂ©sirablesâ.
* Ghada Abed est une journaliste basée à Gaza.
https://electronicintifada.net/content/looking-dead-while-trying-survive/41946