👁🗨 Chris Hedges: Arrêtez de vous inquiéter et réjouissez-vous, vous allez aimer la bombe !
Plus la guerre par procuration en Ukraine se poursuit, plus la confrontation directe avec la Russie est proche.. Et là, les Dr. Strangelove qui mènent le bal vont dégainer leurs armes nucléaires.
👁🗨 Arrêtez de vous inquiéter et réjouissez-vous, vous allez aimer la bombe !
📰 Par Chris Hedges 🐦@ChrisLynnHedges, le 23 avril 2022
Illustration : Bombs Away - par Mr. Fish
J'ai couvert suffisamment de guerres pour savoir qu'une fois la boîte de Pandore ouverte, les nombreux maux qui s'en échappent sont hors de tout contrôle. La guerre accélère le tourbillon de la tuerie industrielle. Plus une guerre se prolonge, plus chaque protagoniste se rapproche de son propre anéantissement. Si elle n'est pas enrayée, la guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie en Ukraine risque de provoquer une confrontation directe avec la Russie et, avec elle, la possibilité très réelle d'une guerre nucléaire.
Joe Biden, qui ne semble pas toujours savoir où il se trouve ni ce qu'il est censé dire, est encouragé dans son combat contre Vladimir Poutine par une brochette de bellicistes enragés qui ont orchestré plus de 20 ans de fiascos militaires. Ils salivent à l'idée d'affronter la Russie, puis, s'il reste encore des habitants sur le globe, la Chine. Piégés par la mentalité polarisante de la guerre froide - où tout effort de désescalade des conflits par la diplomatie est considéré comme un signe de clémence, un coupable épisode de Munich - ils propulsent avec suffisance l'espèce humaine de plus en plus près de l'anéantissement. Malheureusement pour nous, l'un de ces vrais fervents est le secrétaire d'État Antony Blinken.
"Poutine dit qu'il ne bluffe pas. Eh bien, il ne peut pas se permettre de bluffer, et il doit être clair que ceux qui soutiennent l'Ukraine, l'Union européenne et les États membres, ainsi que les États-Unis et l'OTAN, ne bluffent pas non plus", a averti Josep Borrell, chef de la politique étrangère de l'UE. "Toute attaque nucléaire contre l'Ukraine appellera une réponse, non pas nucléaire, mais tellement puissante sur le plan militaire que l'armée russe sera anéantie."
Anéantie. Ces gens sont-ils complètement dérangés ?
Vous savez à quel point nous sommes dans le pétrin quand Donald Trump incarne la voix de la raison.
"Nous devons exiger la négociation immédiate d'une fin pacifique à la guerre en Ukraine, ou nous finirons en troisième guerre mondiale", a déclaré l'ancien président. "Et il ne restera rien de notre planète - tout cela parce que des êtres stupides qui n'ont pas la moindre idée (...). Ils ne comprennent pas à quoi ils ont affaire, c'est la puissance du nucléaire."
J'ai eu affaire à nombre de ces idéologues - David Petraeus, Elliot Abrams, Robert Kagan, Victoria Nuland - en tant que correspondant étranger du New York Times. Une fois que vous mettez de côté leur plastron couvert de médailles ou de diplômes prestigieux, il ne reste que des hommes et des femmes superficiels, des carriéristes lâches obséquieusement au service d’une industrie de la guerre qui leur garantit des promotions, paie les budgets de leurs think tanks et les inonde d'argent en leur qualité de membres du conseil d'administration d'entreprises militaires. Ils sont les souteneurs de la guerre. Si vous faisiez un reportage sur eux, comme je l'ai fait, vous dormiriez mal la nuit. Ils sont suffisamment vaniteux et stupides pour faire exploser le monde bien avant notre extinction due à la crise climatique, qu'ils ont également consciencieusement accélérée.
Si, comme le dit Joe Biden, Poutine "ne plaisante pas" avec le recours aux armes nucléaires et que nous risquons un "Armageddon" nucléaire, pourquoi Biden n'est-il pas en train de téléphoner à Poutine ? Pourquoi ne suit-il pas l'exemple de John F. Kennedy, qui a parlé à plusieurs reprises avec Nikita Khrouchtchev pour négocier la fin de la crise des missiles cubains ? Kennedy, qui, contrairement à Biden, a servi dans l'armée, connaissait la stupidité des généraux. Il a eu le bon sens d'ignorer Curtis LeMay, chef d'état-major de l'armée de l'air, du Strategic Air Command, et modèle du général Jack D. Ripper dans "Dr. Strangelove" [Docteur Folamour], qui a exhorté Kennedy à bombarder les bases de missiles cubaines, acte qui aurait probablement déclenché une guerre nucléaire. Biden n'est pas fait de la même étoffe.
Pourquoi Washington envoie-t-il 50 milliards de dollars d'armes et d'assistance pour soutenir le conflit en Ukraine, et promet-il des milliards supplémentaires pour "le temps qu'il faudra" ? Pourquoi Washington et Whitehall ont-ils dissuadé Vladimir Zelensky, un ancien comique transformé comme par magie par ces amateurs de guerre en un nouveau Winston Churchill, de poursuivre les négociations avec Moscou, mises en place par la Turquie ? Pourquoi croient-ils qu'humilier militairement Poutine, qu'ils sont également déterminés à écarter du pouvoir, ne le conduira pas à faire l'impensable dans un ultime acte de désespoir ?
Moscou a fortement laissé entendre qu'elle aurait recours à l'arme nucléaire en réponse à une "menace" contre son "intégrité territoriale", et les souteneurs de la guerre ont rabroué tous ceux qui s'inquiétaient de la possibilité que nous nous envolions tous dans un champignon atomique, les qualifiant de traîtres affaiblissant la détermination des Ukrainiens et des Occidentaux. Grisés par les pertes subies par la Russie sur le champ de bataille, ils titillent l'ours russe avec toujours plus de virulence. Le Pentagone a participé à la planification de la dernière contre-offensive ukrainienne, et la CIA transmet des renseignements sur le champ de bataille. Nous passons, comme au Vietnam, du conseil, de l'armement, du financement au soutien de combat.
Zelensky n'arrange rien lorsqu'il suggère que, pour dissuader la Russie d'utiliser des armes nucléaires, l'OTAN devrait lancer des "frappes préventives".
"Attendre d'abord les frappes nucléaires pour ensuite se demander "ce qui va leur arriver". Non ! Il est nécessaire de revoir la manière dont la pression est exercée. Il va falloir réviser la procédure", a-t-il déclaré.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, a déclaré que ces remarques, que Zelensky a cherché à tempérer, n'étaient "rien d'autre qu'un appel à déclencher une guerre mondiale".
L'Occident provoque Moscou depuis des décennies. J'ai fait des reportages en Europe de l'Est à la fin de la guerre froide. J'ai vu ces militaristes se lancer dans la construction de ce qu'ils appelaient un monde unipolaire - un monde où ils seraient les seuls à régner. D'abord, ils ont trahi leur promesse de ne pas étendre l'OTAN au-delà des frontières de l'Allemagne unifiée. Ils ont ensuite trahi leur promesse de ne pas "positionner durablement des forces de combat conséquentes" dans les nouveaux pays membres de l'OTAN en Europe centrale et orientale. Ils ont ensuite trahi leur promesse de ne pas implanter de systèmes de missiles le long de la frontière russe. Puis ils ont trahi leurs promesses de ne pas interférer dans les affaires intérieures des États frontaliers tels que l'Ukraine, en orchestrant le coup d'État de 2014 qui a renversé le gouvernement élu de Victor Ianoukovitch, le remplaçant par un gouvernement anti-russe - aligné sur le fascisme - qui, à son tour, a conduit à une guerre civile de 8 ans, les régions peuplées de Russes à l'est cherchant à obtenir l'indépendance de Kiev. Ils ont équipé l'Ukraine d'armes de l'OTAN, et formé 100 000 soldats ukrainiens après le coup d'État. Puis ils ont fait adhérer la Finlande et la Suède, pays neutres, à l'OTAN. Maintenant, les États-Unis sont invités à envoyer des systèmes avancés de missiles longue portée en Ukraine, ce qui, selon la Russie, ferait des États-Unis "un acteur actif du conflit." Mais aveuglés par leur orgueil démesuré et incultes en géopolitique, ils nous poussent, comme les généraux infortunés de l'empire austro-hongrois, à la catastrophe.
Nous appelons à la victoire totale. La Russie annexe quatre provinces ukrainiennes. Nous aidons l'Ukraine à bombarder le pont de Kerch. La Russie fait pleuvoir des missiles sur les villes ukrainiennes. Nous donnons à l'Ukraine des systèmes de défense aérienne sophistiqués. Nous nous réjouissons des pertes russes. La Russie introduit la conscription. Maintenant, la Russie mène des attaques de drones et de missiles de croisière sur des centrales électriques, des stations d'épuration et des usines de traitement des eaux. Où allons-nous comme ça ?
"Les États-Unis essaient-ils, par exemple, d'aider à mettre un terme à ce conflit, par le biais d'un accord qui permette une Ukraine souveraine et une certaine forme de relation entre les États-Unis et la Russie ?", demande un éditorial du New York Times. "Ou bien les États-Unis essaient-ils maintenant d'affaiblir la Russie une fois pour toutes ? L'objectif de l'administration s'est-il déplacé vers la déstabilisation de Poutine, ou sa destitution ? Les États-Unis ont-ils l'intention de tenir Poutine pour responsable comme criminel de guerre ? Ou l'objectif est-il d'essayer d'éviter une guerre plus conséquente - et si c'est le cas, comment le fait de se vanter d'avoir fourni des renseignements américains pour tuer des Russes et couler l'un de leurs navires permet-il d'atteindre cet objectif ?"
Personne n'a la réponse.
L'éditorial du Times ridiculise la folie de vouloir reconquérir l'ensemble du territoire ukrainien, notamment les territoires peuplés de Russes ethniques.
"Une victoire militaire décisive de l'Ukraine sur la Russie, dans laquelle l'Ukraine récupère tout le territoire que la Russie a saisi depuis 2014, n'est pas un objectif réaliste", peut-on lire. "Bien que la planification et les combats de la Russie aient été étonnamment bâclés, la Russie reste bien trop forte, et M. Poutine a investi trop de son prestige personnel dans l'invasion pour faire marche arrière."
Mais le bon sens, ainsi que des objectifs militaires réalistes pour une paix équitable, sont balayés par l'ivresse de la guerre.
Le 17 octobre, les pays de l'OTAN ont entamé un exercice de deux semaines en Europe, appelé Steadfast Noon, au cours duquel 60 avions, dont des chasseurs et des bombardiers longue portée envoyés de la base aérienne de Minot, dans le Dakota du Nord, simulent le largage de bombes thermonucléaires sur des cibles européennes. Cet exercice a lieu tous les ans. Mais le moment choisi est néanmoins de mauvais augure. Les États-Unis disposent de quelque 150 ogives nucléaires "tactiques" stationnées en Belgique, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie.
L'Ukraine sera une guerre d'usure longue et coûteuse, qui laissera une grande partie de l'Ukraine en ruines et des centaines de milliers de familles traumatisées à vie. Si l'OTAN l'emporte et que Poutine sent que son autorité est menacée, qu'est-ce qui l'empêchera de se livrer à des actes désespérés ? La Russie possède le plus grand arsenal d'armes nucléaires tactiques au monde, des armes qui peuvent tuer des dizaines de milliers de personnes si elles sont utilisées sur une ville. Elle possède également près de 6 000 ogives nucléaires. Poutine ne veut pas finir, comme ses alliés serbes Slobodan Milošević et Ratko Mladić, comme un criminel de guerre condamné à La Haye. Il ne veut pas non plus suivre le chemin de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi. Qu'est-ce qui l'empêchera de faire monter les enchères s'il se sent acculé ?
Il y a quelque chose de sinistrement désinvolte dans la façon dont les chefs politiques, militaires et du renseignement, y compris le directeur de la CIA William Burns, ancien ambassadeur des États-Unis à Moscou, sont unanimes quant au danger d'humilier et de vaincre Poutine, et au spectre de la guerre nucléaire.
"Compte tenu de l'éventuel caractère désespéré des dirigeants russes et du président Poutine, des revers qu'ils ont essuyés jusqu'à présent sur le plan militaire, aucun d'entre nous ne peut prendre à la légère la menace que représente un éventuel recours à des armes nucléaires tactiques ou à des armes nucléaires à faible puissance", a déclaré M. Burns lors d'une allocution prononcée à Georgia Tech, à Atlanta.
L'ancien directeur de la CIA, Leon Panetta, qui a également occupé le poste de secrétaire à la défense sous la présidence de Barack Obama, a écrit ce mois-ci que les agences de renseignement américaines estiment que la probabilité que la guerre en Ukraine dégénère en une guerre nucléaire est de 1 sur 4.
La directrice du renseignement national, Avril Haines, s'est fait l'écho de cet avertissement, déclarant en mai à la commission des forces armées du Sénat que si Poutine pensait être confronté à une menace existentielle pour la Russie, il pourrait recourir aux armes nucléaires.
"Nous pensons que [la perception par Poutine d'une menace existentielle] pourrait se concrétiser s'il a l'impression de perdre la guerre en Ukraine et si l'OTAN intervient ou est sur le point d'intervenir dans ce contexte, ce qui contribuerait évidemment à lui donner l'impression qu'il est sur le point de perdre la guerre en Ukraine", a déclaré Avril Haines.
"Au fur et à mesure que cette guerre et ses répercussions affaiblissent lentement la force conventionnelle russe [...] la Russie s'appuiera probablement de plus en plus sur sa dissuasion nucléaire pour adresser un signal à l'Occident et faire valoir sa solidité auprès de ses publics intérieurs et extérieurs ", a écrit le lieutenant-général Scott Berrier dans l'évaluation de la menace réalisée par la Defense Intelligence Agency, communiquée à ce même comité des services armés à la fin du mois d'avril.
Compte tenu de ces évaluations, pourquoi Burns, Panetta, Haines et Berrier ne préconisent-ils pas d'urgence la diplomatie avec la Russie pour désamorcer la menace nucléaire ?
Cette guerre n'aurait jamais dû avoir lieu. Les États-Unis étaient parfaitement conscients qu'ils provoquaient la Russie. Mais ils étaient ivres de leur propre puissance, d'autant qu'ils étaient devenus la seule superpuissance mondiale à la fin de la guerre froide, et de surcroît, il y avait des milliards de bénéfices à réaliser dans la vente d'armements aux nouveaux membres de l'OTAN.
En 2008, alors que Burns occupait le poste d'ambassadeur à Moscou, il a écrit à la secrétaire d'État Condoleezza Rice: "L'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN est la plus lumineuse de toutes les lignes rouges pour l'élite russe (et pas seulement pour Poutine). En plus de deux ans et demi de dialogues avec des acteurs russes clés, des traîne-savates des recoins sombres du Kremlin aux critiques libéraux les plus tranchants de Poutine, je n'ai encore trouvé personne qui considère l'Ukraine dans l'OTAN comme autre chose qu'un défi direct aux intérêts russes."
Soixante-six membres de l'ONU, la plupart issus du Sud, ont appelé à la diplomatie pour mettre fin à la guerre en Ukraine, comme l'exige la Charte des Nations unies. Mais peu de grandes puissances les écoutent.
Si vous pensez qu'une guerre nucléaire ne peut pas se produire, allez faire un tour à Hiroshima et Nagasaki. Ces villes japonaises n'avaient aucune valeur militaire. Elles ont été anéanties parce que la plupart des autres centres urbains du Japon avaient déjà été détruits par des campagnes de bombardement par saturation dirigées par LeMay. Les États-Unis savaient que le Japon était paralysé et prêt à se rendre, mais ils voulaient faire comprendre à l'Union soviétique qu'avec leurs nouvelles armes atomiques, ils allaient dominer le monde.
Nous avons vu comment cela a tourné.