đâđš Chris Hedges : Craig Murray sur "l'exĂ©cution au ralenti" de Julian Assange
Le plus incroyable est cette compĂ©tence universelle revendiquĂ©e par les USA qui sâarrogent le droit de placer Julian, citoyen australien, sous leur juridiction pour avoir publiĂ© des secrets US.

đâđš Craig Murray sur "l'exĂ©cution au ralenti" de Julian Assange
Craig Murray, ancien ambassadeur britannique et lanceur d'alerte, décrit le calvaire auquel Julian Assange a été soumis pendant plus d'une décennie.
Par Chris Hedges, le 15 septembre 2023
Alors que Julian Assange continue de lutter contre son extradition vers les Ătats-Unis pour y ĂȘtre poursuivi en vertu de lâEspionage Act, de plus en plus de voix s'Ă©lĂšvent pour demander qu'il soit mis fin Ă sa persĂ©cution. TraquĂ© par lâadministration amĂ©ricaine et ses alliĂ©s depuis plus de dix ans, Julian Assange a Ă©tĂ© privĂ© de toutes ses libertĂ©s personnelles et civiques pour avoir rĂ©vĂ©lĂ© l'ampleur des atrocitĂ©s commises par les Ătats-Unis pendant la guerre contre le terrorisme. Depuis, il est Ă©vident que l'intention du gouvernement amĂ©ricain n'est pas seulement de rĂ©duire Assange au silence, mais aussi d'envoyer un message aux lanceurs dâalerte et aux journalistes du monde entier sur les rĂ©percussions que risquent les potentiels diseurs de vĂ©ritĂ© sur le pouvoir. L'ancien ambassadeur britannique en OuzbĂ©kistan, Craig Murray, qui a Ă©tĂ© dĂ©mis de ses fonctions pour avoir dĂ©noncĂ© l'utilisation de la torture par la CIA dans ce pays, rejoint le Chris Hedges Report pour discuter de ce que le combat de Julian Assange signifie pour chacun d'entre nous.
Production studio : David Hebden, Adam Coley, Cameron Granadino - Post-production : Adam Coley
Transcription
Chris Hedges : Craig Murray, l'ancien ambassadeur britannique en OuzbĂ©kistan, a Ă©tĂ© dĂ©mis de ses fonctions aprĂšs avoir rendu publique l'utilisation gĂ©nĂ©ralisĂ©e de la torture par le gouvernement ouzbek et la CIA. Depuis, il est devenu l'un des plus importants avocats britanniques des droits de l'homme, un fervent dĂ©fenseur de Julian Assange et un partisan de l'indĂ©pendance de l'Ăcosse. Sa couverture du procĂšs de l'ancien premier ministre Ă©cossais Alex Salman, acquittĂ© dâaccusations d'agression sexuelle, lui a valu d'ĂȘtre accusĂ© d'outrage au tribunal et dâe^tre condamnĂ© Ă huit mois de prison. Cette condamnation trĂšs douteuse, dont Craig a purgĂ© la moitiĂ©, a bouleversĂ© la plupart des normes juridiques. Il a Ă©tĂ© condamnĂ©, selon ses partisans, pour l'empĂȘcher de tĂ©moigner dans l'affaire pĂ©nale espagnole contre le directeur mondial d'UC, David Morales, poursuivi pour avoir installĂ© un systĂšme de surveillance dans l'ambassade d'Ăquateur oĂč Julian Assange avait trouvĂ© refuge, systĂšme utilisĂ© pour enregistrer les communications privilĂ©giĂ©es entre Julian et ses avocats.
M. Morales est soupçonnĂ© d'avoir effectuĂ© cette surveillance pour le compte de la CIA. Murray a publiĂ© certains des rapports les plus prĂ©monitoires et les plus Ă©loquents sur les audiences d'extradition de Julian, et faisait partie de la demi-douzaine d'invitĂ©s, dont moi-mĂȘme, au mariage de Julian et Stella Ă la prison de Belmarsh en mars 2022. Les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires ont refusĂ© l'entrĂ©e Ă Craig, sur la base de ce que le ministĂšre britannique de la Justice a dĂ©clarĂ© ĂȘtre des problĂšmes de sĂ©curitĂ©, ainsi qu'Ă moi-mĂȘme, pour assister Ă la cĂ©rĂ©monie.
Craig Murray se joint à moi pour discuter de ce qui arrive à Julian Assange et de l'érosion rapide de nos droits démocratiques les plus fondamentaux. Pour commencer, Craig, j'ai lu tous vos reportages sur le procÚs, qui sont à la fois éloquents et brillants. C'est la meilleure couverture que nous ayons eue des audiences. Mais je voudrais que vous nous informiez de l'état d'avancement de l'affaire à l'heure actuelle.
Craig Murray : Oui. Les procĂ©dures juridiques ont Ă©tĂ© extraordinairement alambiquĂ©es aprĂšs les premiĂšres audiences du magistrat qui a dĂ©cidĂ© que Julian ne pouvait pas ĂȘtre extradĂ©, essentiellement pour des raisons de santĂ©, Ă cause des conditions de dĂ©tention dans les prisons amĂ©ricaines. Les Ătats-Unis ont fait appel de ce verdict. La High Court a acceptĂ© l'appel des Ătats-Unis sur des bases extraordinairement borderline, fondĂ©es sur une note diplomatique donnant certaines garanties soumises Ă condition, et basĂ©es sur le comportement futur de Julian. Et bien sĂ»r, le gouvernement amĂ©ricain a l'habitude de ne pas respecter ces garanties. De plus, ces garanties auraient pu ĂȘtre offertes au moment de l'audience initiale, ce qui nâa pas Ă©tĂ© le cas.
Chris Hedges : Je ne pense pas que ces garanties aient une quelconque valeur juridique.
Craig Murray : Elle n'ont aucune valeur juridique. Et, comme je l'ai dit, elle sont soumises Ă condition. Elles stipulent qu'elle peuvent ĂȘtre modifiĂ©e Ă l'avenir.
Chris Hedges : Sur la base de son comportementâŠ
Craig Murray : - Exactement, en fonction de son comportement, dont ils seront les seuls juges.
Chris Hedges : Bien sûr.
Craig Murray : Ce qui n'impliquera aucune autre procĂ©dure judiciaire. Ils dĂ©cideront qu'il va aller dans une prison supermax parce qu'ils n'aiment pas la façon dont il sâadresse aux gardiens ou un prĂ©texte de ce genre. C'est totalement dĂ©nuĂ© de sens. Les Ătats-Unis ayant gagnĂ© cet appel pour que Julian puisse ĂȘtre extradĂ©, c'Ă©tait au tour de Julian de faire appel sur tous les points qu'il avait perdus lors de l'extradition initiale. Il s'agit notamment du Premier Amendement, de la libertĂ© d'expression, Ă©videmment, et du fait que le traitĂ© d'extradition en vertu duquel il est extradĂ© stipule qu'il ne peut y avoir d'extradition politique et qu'il s'agit manifestement d'une affaire trĂšs politique, ainsi que de plusieurs autres motifs importants. Ce recours a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©. Il ne s'est rien passĂ© pendant un an. Ce recours est un document extraordinaire. Vous pouvez le trouver sur mon site web, CraigMurray.org.uk.
J'ai publiĂ© l'intĂ©gralitĂ© du document d'appel, et c'est un document extraordinaire. Il s'agit d'une argumentation juridique incroyable. Et certaines des choses exposĂ©es, comme le fait que le tĂ©moin clĂ© amĂ©ricain pour les accusations Ă©tait un Islandais payĂ© pour son tĂ©moignage. Il s'agit d'un pĂ©dophile et d'un fraudeur condamnĂ©. Depuis, il a dĂ©clarĂ© qu'il avait menti et qu'il l'avait fait uniquement pour l'argent. Et ce n'est qu'un exemple de ce quâon trouve dans le dossier. La documentation n'est pas du tout une documentation juridique technique et aride. Cela vaut la peine de consulter l'appel de Julian. Ce recours fait 150 pages, plus les documents annexes.
Et pendant un an, rien ne s'est passé. Puis, il y a deux ou trois mois, il a été rejeté en trois pages A4 à double interligne, dans lesquelles le juge Swift a déclaré qu'il n'y avait pas d'arguments juridiques, pas d'arguments juridiques cohérents dans ces 150 pages, et qu'il ne suivait aucune forme reconnue de plaidoirie, et il a été totalement rejeté. Cet appel a été rédigé par certains des plus grands avocats du monde. Il a été supervisé et rédigé par Gareth Pierce, qui est, selon moi, le plus grand avocat vivant spécialisé dans les droits de l'homme. Ils ont vu le film Au nom du pÚre, avec Daniel Day-Lewis.
Gareth est l'avocat, interprĂ©tĂ©e dans le film par Emma Thompson. Câest l'avocate qui a fait libĂ©rer toutes les personnes accusĂ©es par le gouvernement britannique d'ĂȘtre des membres de l'armĂ©e rĂ©publicaine irlandaise et des terroristes. Et ils ne l'Ă©taient pas, ils ont tous Ă©tĂ© piĂ©gĂ©s. C'est Gareth qui les a fait sortir. Elle a gagnĂ© de nombreuses affaires trĂšs mĂ©diatisĂ©es. Elle jouit d'un Ă©norme respect dans le monde entier et ce juge, qui n'est personne, affirme que ses plaidoiries, qui ne suivent aucune forme connue de plaidoirie, ne sont pas valables. C'est tout Ă fait incroyable.
Chris Hedges : Est-ce vrai que ce juge a Ă©tĂ© le procureur du ministĂšre de la DĂ©fense ? Il servait les intĂ©rĂȘts du gouvernement britannique et c'est essentiellement ce qui lui a permis d'obtenir son poste. Est-ce exact ?
Craig Murray : Exactement. Il était le procureur principal des services de sécurité, spécialisé dans les affaires des services de sécurité. Il a déclaré publiquement que les services de sécurité étaient ses clients préférés, parce qu'ils sont organisés, brillants et convaincants, il est un outil des services de sécurité, et que c'est pour cela qu'on lui a confié ce travail particulier. Il y a donc normalement un droit de recours.
Chris Hedges : Permettez-moi de vous interrompre parce que c'est un peu différent du systÚme américain et que j'ai essayé de me familiariser avec le systÚme juridique britannique. Il s'agit d'un appel auprÚs d'un panel de deux juges, un peu comme notre cour d'appel. L'appel stipule que le juge n'avait pas de motifs suffisants pour rendre cette décision. Est-ce correct, en gros ?
Craig Murray : C'est exact. Ă ce stade, l'appel sâadressait Ă la High Court, et maintenant il sâagit dâun appel en Cour d'appel C'est physiquement le mĂȘme lieu, mais le juge Swift ne sera pas concernĂ©. L'appel est maintenant interjetĂ© auprĂšs d'un panel de deux juges, il s'agit d'un appel pour le droit de poursuivre l'appel. Il ne s'agit pas d'un appel pour l'annulation de l'ensemble du jugement. Le juge Swift, dans son jugement, rejetant avec mĂ©pris l'ensemble de l'affaire et ne prenant mĂȘme pas la peine de rĂ©pondre Ă aucun des arguments, a dĂ©clarĂ© que cet appel devait ĂȘtre limitĂ© Ă 20 pages A4 et qu'il serait programmĂ© comme un appel de 30 minutes. Il ne s'agit pas de 30 minutes pour la dĂ©fense. Il s'agit de 30 minutes pour l'ensemble de l'audience. Il s'agit donc clairement d'une procĂ©dure sommaire visant Ă clĂŽturer la derniĂšre voie de recours.
Tout cela est tout Ă fait extraordinaire. Il n'y a pratiquement aucune caractĂ©ristique dâune procĂ©dure rĂ©guliĂšre, mais cela a Ă©tĂ© le cas tout au long de la procĂ©dure. L'une des choses dont j'ai Ă©tĂ© tĂ©moin au cours des premiĂšres audiences d'extradition, c'est que lorsque des motions de procĂ©dure Ă©taient dĂ©posĂ©es, par exemple pour dĂ©terminer si certaines preuves Ă©taient admissibles, la dĂ©fense se levait et expliquait pourquoi les preuves devaient lâĂȘtre. L'accusation prenait ensuite la parole et expliquait pourquoi les preuves ne devaient pas ĂȘtre admissibles, puis le juge rendait sa dĂ©cision. Mais le juge est entrĂ© dans le tribunal, et la galerie publique est situĂ©e au-dessus du juge : vous ĂȘtes donc placĂ©s au-dessus du juge, vous pouvez le voir dâen haut. Et j'ai vu, j'en suis sĂ»r Ă 100 %, que la juge est arrivĂ©e au tribunal avec sa dĂ©cision dĂ©jĂ rĂ©digĂ©e avant d'entendre les arguments, et qu'elle s'est assise lĂ en faisant presque semblant d'Ă©couter les arguments de la dĂ©fense et de l'accusation. Puis elle a simplement lu sa dĂ©cision.
Chris Hedges : Elle est comme la Reine de cĆur dans Alice au pays des merveilles, qui donne le verdict avant d'entendre la sentence.
Craig Murray : Exactement. Tout-à -fait. C'est tellement pratique. J'ai de fortes présomptions que ce n'est pas le juge qui a rédigé cette décision.
Chris Hedges : Et avant de poursuivre, vous et moi avons couvert ces audiences... Vous les avez couvertes plus largement que moi, mais je les ai couvertes aussi, et j'étais à Londres pour certaines des audiences. Au niveau le plus élémentaire, la violation du secret professionnel, UC Global ayant enregistré les réunions entre Julian et ses avocats, devant un tribunal britannique, comme devant un tribunal américain, devrait entraßner l'invalidation du procÚs...
Craig Murray : Dans n'importe quelle dĂ©mocratie du monde, si vos services de renseignement ont enregistrĂ© les consultations avocat-client, l'affaire serait rejetĂ©e. Ce que les AmĂ©ricains prĂ©tendent, devant le tribunal, et que le gouvernement et le juge britanniques ont acceptĂ©, c'est que la CIA, aprĂšs avoir enregistrĂ© tous les documents, n'en aurait rien fait. Elle ne les aurait transmis Ă personne, ni au ministĂšre de la Justice ou qui que ce soit d'autre au sein du gouvernement amĂ©ricain. Si c'Ă©tait vrai - et je n'y crois pas un instant - mais si j'Ă©tais un contribuable amĂ©ricain, je voudrais savoir pourquoi la CIA se donne tant de mal et dĂ©pense tant d'argent pour obtenir des enregistrements secrets et... et n'en fait rien. Comment cela peut-il ĂȘtre vrai ? Cela n'a absolument aucun sens et n'importe quel juge se moquerait Ă©perdument de cet argument.
C'est comme si je disais que, d'accord, j'ai volĂ© la banque au coin de la rue, mais que je ne vais pas dĂ©penser l'argent, que je le garde dans le placard. Ce n'est donc pas grave. C'est complĂštement ridicule. Le fait que cette dĂ©cision ait Ă©tĂ© acceptĂ©e est l'une des nombreuses dĂ©cisions extraordinaires rendues dans cette affaire et, pour ĂȘtre honnĂȘte, elle m'a déçu. Je croyais encore un peu au systĂšme judiciaire. Je croyais que dans les dĂ©mocraties occidentales, les procĂ©dures Ă©taient rĂ©guliĂšres et qu'il existait un certain degrĂ© d'Ă©quitĂ©. Aujourd'hui, je n'y crois plus du tout. J'en suis arrivĂ© Ă la conclusion qu'il s'agit d'une mascarade et d'un semblant de procĂ©dure, et que ce sont les grandes puissances en coulisses qui dictent ce qui se passe dans les grandes affaires du systĂšme judiciaire.
Chris Hedges : Et vous avez pris trois mois de prison pour vous convaincre de ce point.
Craig Murray : [Rires] Et il a fallu six mois de prison pour s'y habituer.
Chris Hedges : Mais cet appel est le dernier recours possible dans le cadre du systÚme juridique britannique. Si j'ai bien compris, il y a trois mois, n'y avait-il pas un délai de six semaines pour rendre une décision dans les six semaines ?
Craig Murray : Eh bien, la défense avait six semaines pour soumettre ses 20 pages. On pensait que cela signifiait que les choses seraient traitées trÚs rapidement, mais tout cela est terriblement arbitraire. AprÚs le dépÎt du premier appel, il s'est écoulé un an, plus d'un an, sans aucune justification. Et puis, une réponse de trois pages. Il ne faut pas un an pour rédiger une réponse de trois pages. Parfois, on a l'impression que la procédure est une punition et qu'ils sont trÚs heureux d'avoir enfermé Julian dans une prison de haute sécurité, dans des positions épouvantables, et qu'ils le tuent à petit feu. Ils ne sont donc pas pressés. Parfois, on a l'impression que tout est délibérément traité le plus lentement possible.
Chris Hedges : Eh bien, c'est ce que Nils Melzer, lâancien rapporteur spĂ©cial sur la torture des Nations Unies, a appelĂ© une exĂ©cution au ralenti, selon ses propres mots.
Craig Murray : Et comme vous le savez, ils m'ont mis en prison. Et je suis convaincu que cela n'avait rien à voir avec les articles que j'avais publiés sur le procÚs d'Alex Salman. C'était l'excuse.
Chris Hedges : Bien sûr.
Craig Murray : C'Ă©tait Ă cause de la dĂ©fense et de mon amitiĂ© avec Julian. C'est pour cela qu'ils m'ont mis en prison. J'Ă©tais en cellule, ma cellule mesurait 3,5 x 2,5 mĂštres, ce qui est lĂ©gĂšrement plus grand que la cellule de Julian, et j'ai Ă©tĂ© maintenu en isolement 23 heures par jour, parfois 23,5 heures par jour pendant quatre mois. Et c'est extrĂȘmement difficile, extrĂȘmement difficile. Mais je savais qu'en partant, j'avais une date butoir. Ătre incarcĂ©rĂ© dans ces conditions, comme Julian l'a Ă©tĂ© pendant des annĂ©es et des annĂ©es, sans savoir si cela s'arrĂȘtera un jour, sans savoir si on vous laissera sortir vivant, sans parler du fait de ne pas avoir de date de fin, je ne peux pas imaginer Ă quel point cela peut ĂȘtre psychologiquement Ă©crasant.
Chris Hedges : Nous avons entendu des témoignages trÚs troublants lors de l'audience sur son état psychologique, que Baraitser, et c'est tout à son honneur, a transmis au juge.
Craig Murray : Oui câest ce quâelle a fait.
Chris Hedges : Elle en a tenu compte. Il a passé quatre ans dans cette prison de haute sécurité, à Londres, à Belmarsh, puis sept ans à l'ambassade.
Craig Murray : Ce qui se passe est incroyable. C'est un Ă©diteur, pour l'amour du ciel. Il n'est mĂȘme pas lanceur dâalerte lui-mĂȘme.
Chris Hedges : Contrairement à Ellsberg, les gens oublient qu'Ellsberg avait volé les documents.
Craig Murray : Oui, exactement.
Chris Hedges : Julian les a publiés. Il ne les a pas volés.
Craig Murray : Oui. C'est tout Ă fait exact. Et lorsque j'ai moi-mĂȘme tirĂ© la sonnette d'alarme, le Financial Times a publiĂ© l'information.
Chris Hedges : Ă propos des sites noirs ?
Craig Murray : Sur les sites noirs, les restitutions extraordinaires. Oui, je m'attendais vraiment Ă aller en prison Ă ce moment-lĂ . Je me suis dit : âJe suis un lanceur dâalerte, j'ai fait cela pour des raisons morales et je suis prĂȘt Ă aller en prison pour cela. Il faut mettre un terme Ă ce programme de restitutions extraordinaires. Si cela signifie que je dois aller en prison, je suis prĂȘt Ă le faire.â J'aurais Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© que l'on enferme le rĂ©dacteur en chef du Financial Times pour avoir publiĂ© des informations. Ce n'est pas ainsi que le systĂšme fonctionne : c'est le lanceur dâalerte qui assume la responsabilitĂ© morale. Julian est un Ă©diteur, et il est enfermĂ© avec les pires terroristes d'Europe dĂ©tenus dans cet Ă©tablissement de haute sĂ©curitĂ©. Pourquoi ? C'est sidĂ©rant. Regardez-moi. Je suis un vieil homme qui Ă©crit, et j'ai Ă©tĂ© maintenu en isolement pendant quatre mois. Pourquoi moi, pourquoi Julian, pourquoi sommes-nous si dangereux qu'il faille ĂȘtre enfermĂ© dans les mĂȘmes conditions que des tueurs en sĂ©rie ?
Chris Hedges : Eh bien, parce que vous exposez des vĂ©ritĂ©s, des vĂ©ritĂ©s trĂšs dĂ©rangeantes sur la rĂ©alitĂ© des systĂšmes dans lesquels nous vivons. Vous avez raison, il ne sâagit que dâune façade dĂ©mocratique, mais ça n'a plus rien de dĂ©mocratique comme la RĂ©publique romaine.
Donc, une fois que cette audience à deux juges sera terminée, et on peut supposer qu'ils rejetteront l'appel, que se passera-t-il ensuite ?
Craig Murray : Dans l'immédiat, les avocats de Julian essaieront d'aller devant la Cour européenne de Strasbourg...
Chris Hedges : La Cour européenne des droits de l'homme.
Craig Murray : La Cour europĂ©enne des droits de l'homme pour faire appel et obtenir lâabandon de l'extradition, dans l'attente de lâappel. La crainte est que Julian soit instantanĂ©ment extradĂ©, et que le gouvernement n'attende pas l'avis de la Cour europĂ©enne.
Chris Hedges : Pouvez-vous sâil vous plaĂźt expliquer aux auditeurs amĂ©ricains ce qu'est la Cour europĂ©enne, et quelle est sa compĂ©tence au Royaume-Uni.
Craig Murray : Oui, la Cour europĂ©enne des droits de l'homme n'est pas un organe de l'Union europĂ©enne. C'est un organe du Conseil de l'Europe. Elle est compĂ©tente en vertu de la Convention europĂ©enne des droits de l'homme, qui garantit les droits de l'homme fondamentaux, et elle a donc une compĂ©tence juridiquement contraignante sur les violations des droits de l'homme dans tout Ătat membre du traitĂ©. Elle a donc une compĂ©tence juridiquement contraignante et est reconnue comme telle, normalement, par le gouvernement britannique. Mais des voix trĂšs puissantes s'Ă©lĂšvent au sein de l'actuel gouvernement conservateur britannique, qui souhaite sortir de la Convention des droits de l'homme. Mais pour l'instant, ce n'est pas le cas. Le Royaume-Uni fait toujours partie de ce systĂšme. La Cour europĂ©enne des droits de l'homme a donc une autoritĂ© juridiquement contraignante sur le gouvernement du Royaume-Uni, uniquement sur les questions qui contreviennent aux droits de l'homme.
Chris Hedges : Et s'ils l'extradent, câest quâils auront globalement annulĂ© ce processus, et la crainte est que, bien sĂ»r, les services de sĂ©curitĂ© soient au courant de cette dĂ©cision Ă l'avance. Il arriverait sur le tarmac, transportĂ© par navette, sous sĂ©datifs, avec une couche et cagoulĂ© ou quelque chose de ce genre, et mis sur un vol de la CIA Ă destination de Washington. Je veux parler de la possibilitĂ© que cela se produise. C'est certainement possible. Ce que nous devons faire ici, et je sais que c'est en partie la raison pour laquelle vous ĂȘtes aux Ătats-Unis, c'est de nous prĂ©parer Ă cette Ă©ventualitĂ©. Vous essaierez de couvrir les audiences et le procĂšs ici comme vous l'avez fait au Royaume-Uni, mais parlons de ce que nous ferons si cet Ă©vĂ©nement se produit.
Craig Murray : Oui. La premiĂšre chose Ă dire, c'est que si cela se produit, le jour oĂč cela se produira, ce sera lâinfo du jour dans le monde. Nous devons donc nous prĂ©parer. Nous devons savoir qui, du mouvement Assange ou de son Ă©quipe de dĂ©fense, sera le porte-parole, qui parlera Ă toutes les grandes agences de presse. Nous devons traiter l'histoire dĂšs le premier jour. Parce que si vous vous retrouvez Ă la traĂźne - et nous savons quelle sera leur ligne de conduite - ils publieront tous les mensonges possibles et imaginables. Ils publieront tous ces mensonges sur les personnes prĂ©tendument tuĂ©es Ă cause de WikiLeaks, sur la sĂ©curitĂ© amĂ©ricaine mise en danger⊠nous connaissons dĂ©jĂ toute la propagande quâils essaieront de dĂ©verser sur les ondes - Nous devons donc ĂȘtre prĂȘts et avoir une longueur d'avance pour savoir qui parmi nous sera proposĂ© pour des interviews, qui agira de maniĂšre proactive dans les mĂ©dias, et pas seulement dans les mĂ©dias alternatifs comme celui-ci, mais aussi dans les soi-disant mĂ©dias grand public, pour quâils diffusent l'histoire.
Il faut donc prendre ces mesures. Et puis il y a toutes les aspects pratiques. De nombreux membres de la famille de Julian devront venir le soutenir. Nous devrons savoir immĂ©diatement comment les faire venir, oĂč les emmener, oĂč ils seront hĂ©bergĂ©s. Ce jour-lĂ , les militants devront ĂȘtre prĂȘts Ă sortir et Ă commencer Ă manifester dans tous les Ătats-Unis.
Autre chose en quoi je crois vraiment : dans la tournĂ©e que je fais actuellement aux Ătats-Unis, j'ai rencontrĂ© des militants et cette base d'activistes trĂšs expĂ©rimentĂ©s et extrĂȘmement impressionnants qui s'intĂ©ressent Ă l'affaire Assange est Ă©norme, mais il n'y a pas encore de vĂ©ritable Ă©tincelle. Le jour oĂč il sera extradĂ©, la presse comme le Washington Post et le New York Times, publiera des Ă©ditoriaux disant que cela ne devrait pas se produire. Le public sera alors beaucoup plus conscient de ce qui se passe et de ce qui se cache derriĂšre tout cela. Et je pense que ce jour-lĂ , beaucoup de gens seront prĂȘts Ă passer Ă l'action. Encore faut-il qu'ils sachent quoi faire. Nous devons savoir, dans chaque ville et village des Ătats-Unis, oĂč il y aura une manifestation le jour de son arrivĂ©e, oĂč les gens doivent se rendre et Ă quelle heure ils doivent le faire. Nous devons commencer Ă prĂ©parer cette organisation de base de l'activisme.
Chris Hedges : J'ai rendu visite Ă Julian avec mon ami Michael Radner, qui Ă©tait l'avocat de Julian. Nous avons perdu Michael il y a quelques annĂ©es, un grand avocat spĂ©cialisĂ© dans les droits civils qui avait fondĂ© le Center for Constitutional Rights. Mais je me souviens que Michael m'a dit que pour suivre ces affaires - et il a obtenu une reprĂ©sentation juridique, par exemple, pour les prisonniers de Guantanamo - il faut des gens dans la rue. C'est extrĂȘmement important. Et il parle de son travail en salle d'audience, du fait que des gens sont prĂ©sents au dehors - et vous avez peut-ĂȘtre Ă©tĂ© dans la salle d'audience quand j'Ă©tais Ă Londres - avec Baraitser, la juge, se plaignant Ă un moment donnĂ© du bruit Ă l'extĂ©rieur de la salle d'audience.
Craig Murray : Oui. C'est tout Ă fait exact. Nous aurons besoin de personnes au sein mĂȘme du tribunal. Et bien sĂ»r, nous ne savons pas encore exactement quand... Il y aura au prĂ©alable toutes les Ă©tapes procĂ©durales, et les motions dĂ©posĂ©es, etc, avant que le tribunal lui-mĂȘme, le procĂšs Ă proprement parler, ne commence. Mais Ă chaque Ă©tape, il est trĂšs important d'avoir du monde disponible, prĂ©sent dans la salle d'audience, et dehors.
Chris Hedges : Qu'en est-il de l'argument selon lequel Biden ne veut pas s'occuper de cette question ? L'Ă©lection prĂ©sidentielle va ĂȘtre trĂšs serrĂ©e. Il est au coude Ă coude avec Trump. Parlons aussi de la spĂ©culation selon laquelle il pourrait y avoir un accord de plaidoyer, et que Julian pourrait ĂȘtre envoyĂ© en Australie. Il est citoyen australien, bien sĂ»r.
Craig Murray : Tout d'abord, je me demande parfois si le gouvernement amĂ©ricain se rend compte de l'image qu'il renvoie au monde extĂ©rieur. Nous avons ici un gouvernement dont le principal opposant politique - et je ne suis pas un fan - est Donald Trump. Je nâen suis pas fan, mais c'est son principal adversaire politique. Et ils essaient de le mettre en prison pour qu'il ne puisse pas participer aux Ă©lections. Qu'en pense le reste du monde ? Qu'accusez-vous constamment la Russie de faire ? De quoi accusez-vous constamment les autres nations ? Comment cela affecte-t-il la position des Ătats-Unis ? Nous avons une Ă©lection prĂ©sidentielle qui approche, alors le type qui est en tĂȘte dans les sondages, mettons-le en prison pour qu'il ne puisse pas se prĂ©senter.
Et si, en mĂȘme temps, vous essayez de mettre en prison l'Ă©diteur le plus cĂ©lĂšbre du monde, quel message cela envoie-t-il au monde ? C'est le message que vous nâĂȘtes quâune fausse dĂ©mocratie, et que votre bilan en matiĂšre de droits de l'homme n'est pas meilleur que celui de la Chine, de la Russie ou de n'importe quel autre pays que vous critiquez constamment. L'administration Biden serait donc complĂštement folle d'amener Julian ici et de l'extrader. Je nâarrive pas Ă comprendre comment ils ne voient pas la dangerositĂ© de leurs agissements, en termes de libertĂ© d'expression dans le monde entier, ni l'opinion des gens sur la rĂ©pression et la censure dans le monde entier.
Chris Hedges : Parce que c'est dirigĂ© par la CIA. La CIA qui, avec lâaffaire Vault 7, qui a exposĂ© les outils de piratage que la CIA y compris dans nos tĂ©lĂ©phones ou nos tĂ©lĂ©visions, et mĂȘme nos voitures. Et c'est bien sĂ»r Ă ce moment-lĂ que Trump a annoncĂ© la procĂ©dure d'extradition. Auparavant, le prĂ©sident Obama avait utilisĂ© l'Espionage Act contre des lanceurs d'alerte, mais il ne l'avait pas utilisĂ© contre des journalistes. Trump a fait monter les enchĂšres en requĂ©rant l'utilisation de l'Espionage Act pour extrader un journaliste. Mais selon moi, ils ne se soucient pas de lâapparence. Il veulent envoyer un message. Peu importe votre nationalitĂ©, peu importe l'endroit oĂč vous vous trouvez. WikiLeaks n'est pas une publication basĂ©e aux Ătats-Unis. Si vous divulguez les informations que Julian et WikiLeaks ont divulguĂ©es, nous viendrons vous chercher. N'est-ce pas lĂ le message ?
Craig Murray : Tout Ă fait. Et lĂ encore, il est Ă©tonnant qu'ils ne voient pas les dangers de revendiquer cette compĂ©tence universelle. Les Ătats-Unis ne seront plus le pays le plus puissant du monde, ils ne le sont sans doute dĂ©jĂ plus. Et la Chine devient de plus en plus forte. Que diront-ils lorsque les Chinois commenceront Ă arrĂȘter des journalistes amĂ©ricains pour avoir publiĂ© des propos dĂ©sobligeants sur la Chine, alors qu'ils n'ont jamais mis les pieds en Chine ? Cette revendication de compĂ©tence universelle est extraordinaire. Et ce qui est encore plus extraordinaire, c'est qu'ils revendiquent la juridiction universelle, et ils sâarrogent le droit de placer Julian sous leur juridiction parce qu'il a publiĂ© des secrets amĂ©ricains, mĂȘme s'il n'est pas amĂ©ricain et qu'il n'Ă©tait pas en AmĂ©rique. Et en mĂȘme temps, alors qu'ils revendiquent cela, ils prĂ©tendent qu'il n'a pas de droits au Premier Amendement parce qu'il est un Australien.
La combinaison de leur juridiction, de tous les devoirs qui en dĂ©coulent, mais d'aucun des droits parce que vous n'ĂȘtes pas l'un de leurs citoyens, est incroyablement pernicieuse. C'est tellement illogique et vicieux. En fait, longtemps, je n'arrivais pas Ă y croire. Je pensais qu'il s'agissait de Pompeo, jusqu'Ă ce que la Cour suprĂȘme rende un arrĂȘt, il y a environ deux ans, dans l'affaire opposant l'USAID [United States Agency for International Development : lâagence du gouvernement des Ătats-Unis chargĂ©e du dĂ©veloppement Ă©conomique et de lâassistance humanitaire dans le monde] aux agences de dĂ©veloppement d'outre-mer. La Cour a dĂ©clarĂ© en substance que les personnes bĂ©nĂ©ficiant de l'aide de l'USAID Ă l'Ă©tranger n'avaient pas droit au Premier Amendement et qu'une des conditions pour bĂ©nĂ©ficier de l'aide pouvait supposer ne pas dire certaines choses. Si vous lisez le jugement, vous constaterez qu'il spĂ©cifie quâon ne peut pas accorder les droits du Premier Amendement Ă des personnes qui ne sont pas des citoyens amĂ©ricains parce que, sinon, il devrait s'appliquer aux citoyens d'outre-mer pris en charge par l'armĂ©e amĂ©ricaine.
Chris Hedges : Je voudrais terminer sur les rumeurs australiennes. L'ambassadrice Caroline Kennedy a dĂ©clarĂ© qu'ils pourraient envisager un accord de plaidoyer. Je n'y crois pas du tout. Ce n'est que de lâenfumage, mais je me demandais ce que vous en pensiez.
Craig Murray : Il s'agit d'une tentative de calmer l'opinion publique australienne. L'opinion publique australienne est extrĂȘmement forte. Plus de 80 % des Australiens veulent que Julian soit libĂ©rĂ©, et qu'il puisse rentrer chez lui en Australie. Blinken, de passage en Australie, a fait des dĂ©clarations trĂšs hostiles et peu diplomatiques Ă un moment oĂč l'Australie autorise les Ătats-Unis Ă installer des armes nuclĂ©aires chez eux selon lâaccord AUKUS. Lâaffirmation de Caroline Kennedy est un mensonge, franchement. Il n'y a eu aucune approche de la part du ministĂšre de la Justice ou du DĂ©partement d'Ătat en vue d'un quelconque accord. C'est de la poudre aux yeux pour essayer de distraire le public australien. Caroline Kennedy a menti au public australien. C'est aussi simple que cela.
Chris Hedges : Merci, Craig. C'était Craig Murray, l'ancien ambassadeur britannique en Ouzbékistan et l'un des grands défenseurs de Julian Assange. Je tiens à remercier The Real News Network et son équipe de production, Cameron Granadino, Adam Coley, David Hebden et Kayla Rivara. Vous pouvez me retrouver sur chrishedges.substack.com.
https://therealnews.com/craig-murray-on-the-slow-motion-execution-of-julian-assange