👁🗨 Chris Hedges : Mon discours au rassemblement Rage Against The War Machine
Ayez pitié d'Assange à qui on inflige une exécution au ralenti dans une prison de Londres. Il a commis le péché fatal de l'Empire, exposant ses crimes, ses machines de mort & sa dépravation morale.
👁🗨 Mon discours au rassemblement Rage Against The War Machine
Par Chris Hedges / Original to ScheerPost, 19 février 2023
Chris Hedges a pris la parole lors du rassemblement de Washington DC, le 19 février, aux côtés d'autres orateurs de renom.
L'idolâtrie est le péché originel dont découlent tous les autres péchés. Les idoles nous incitent à vouloir devenir Dieu. Elles exigent le sacrifice des autres dans la folle quête de la richesse, de la gloire ou du pouvoir. Mais l'idole finit toujours par exiger le sacrifice de soi, nous abandonnant pour périr sur les autels maculés de sang que nous avons érigés pour les autres.
Car les empires ne sont pas assassinés, ils se suicident aux pieds des idoles qui les engendrent.
Nous sommes ici aujourd'hui pour dénoncer les grands prêtres non élus et non responsables de l'Empire, qui déversent les corps de millions de victimes, ainsi que des billions de notre richesse nationale, dans les entrailles de notre propre version de l'idole cananéenne, Moloch.
La classe politique, les médias, l'industrie du divertissement, les financiers et même les institutions religieuses se jettent comme des loups sur le sang des musulmans, des Russes ou des Chinois, ou de quiconque l'idole a diabolisé comme n'étant pas digne de vivre. Aucun objectif rationnel ne sous-tendait les guerres en Irak, en Afghanistan, en Syrie, en Libye et en Somalie. Il n'y en a aucun en Ukraine. La guerre permanente et le massacre industriel sont leur propre justification. Lockheed Martin, Raytheon, General Dynamics, Boeing et Northrop Grumman réalisent des milliards de dollars de bénéfices. Les faramineuses dépenses que réclame le Pentagone sont intouchables. La cabale des experts, des diplomates et des technocrates bellicistes, qui se dérobent avec suffisance à toute responsabilité pour la série de désastres militaires qu'ils orchestrent, est protéiforme, se déplaçant adroitement au gré des tendances politiques, naviguant du parti républicain au parti démocrate et vice-versa, passant des guerriers froids aux néo-conservateurs et aux interventionnistes libéraux. Julien Benda appelait ces courtisans du pouvoir "les barbares autodidactes de l'intelligentsia".
Ces proxénètes de la guerre font abstraction des cadavres de leurs victimes. Moi, je les ai vus. Y compris des enfants. Chaque corps sans vie que j'ai découvert en tant que reporter au Guatemala, au Salvador, au Nicaragua, en Palestine, en Irak, au Soudan, au Yémen, en Bosnie ou au Kosovo, mois après mois, année après année, a exposé leur faillite morale, leur malhonnêteté intellectuelle, leur soif de sang pathologique et leurs fantasmes délirants. Ils sont les marionnettes du Pentagone, un État dans l'État, et les fabricants d'armes qui financent généreusement leurs groupes de réflexion : Project for the New American Century, Foreign Policy Initiative, American Enterprise Institute, Center for a New American Security, Institute for the Study of War, Atlantic Council et Brookings Institute. Comme la souche mutante d'une bactérie résistante aux antibiotiques, ils ne peuvent être vaincus. Peu importe à quel point ils ont tort, peu importent leurs théories absurdes de domination du monde, combien de mensonges ils profèrent, ou combien de cultures et de sociétés ils dénigrent, les qualifiant de non civilisées, ou combien de personnes ils condamnent à mort. Ils sont des auxiliaires inamovibles, des parasites vomis aux derniers jours de tous les empires, prêts à nous vendre la prochaine guerre vertueuse contre celui qui aura été désigné comme le nouvel Hitler. La carte change. Le jeu demeure.
Ayons pitié de nos prophètes, qui errent dans le paysage désolé en appelant dans les ténèbres. Ayons pitié de Julian Assange, à qui on inflige une exécution au ralenti dans une prison de haute sécurité à Londres. Il a commis le péché capital de l'Empire, en exposant ses crimes, Il a exposé ses crimes, ses machines de mort, sa dépravation morale.
Une société qui exclut la capacité de dire la vérité détruit toute capacité de vivre en toute justice.
Certains ici aujourd'hui aimeraient peut-être se considérer comme des radicaux, voire des révolutionnaires. Mais ce que nous exigeons sur l'échiquier politique est, en fait, plutôt conservateur : la restauration de l'État de droit. C'est simple, c'est fondamental. Cela ne devrait pas, dans une république viable, susciter des critiques incendiaires. Mais vivre en vérité dans un système despotique, que le philosophe politique Sheldon Wolin a appelé le "totalitarisme inversé", est absolument subversif.
Les architectes de l'impérialisme, les maîtres de la guerre, les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif contrôlés par les entreprises, ainsi que leurs serviles porte-parole dans les médias et les universités, sont illégitimes. Dites cette simple vérité et vous êtes relégué, comme beaucoup d'entre nous l'ont été, dans la marginalité. Prouvez cette vérité, comme l'a fait Julian, et vous serez crucifié.
"Rosa la Rouge a maintenant disparu elle aussi..." a écrit Bertolt Brecht à propos de Rosa Luxemburg, la socialiste assassinée. "Elle disait aux pauvres ce qu'était le monde, et les riches l'ont éliminée."
On a assisté à un coup d'État des entreprises, où les pauvres et les travailleurs, dont la moitié ne dispose même pas de 400 dollars pour couvrir des dépenses d'urgence, sont réduits à une précarité chronique. Le chômage et l'insécurité alimentaire sont endémiques. Nos communautés et nos villes sont dévastées. La guerre, la spéculation financière, la surveillance permanente et la police militarisée qui fonctionne comme une armée d'occupation interne sont les seules préoccupations réelles de l'État. Même l'habeas corpus n'existe plus. En tant que citoyens, nous sommes des marchandises aux mains des systèmes de pouvoir des entreprises, utilisées, puis sacrifiées. Et les guerres sans fin que nous menons à l'étranger ont engendré celles que nous menons chez nous, comme le savent pertinemment les étudiants à qui j'enseigne dans le système carcéral du New Jersey. Tous les empires meurent dans le même acte d'auto-immolation. C'est ainsi que la tyrannie que l'empire athénien imposait aux autres, note Thucydide dans son histoire de la guerre du Péloponnèse, s'est finalement abattue sur lui-même.
Se défendre, tendre la main et aider les faibles, les opprimés et ceux qui souffrent, sauver la planète de l'écocide, condamner crimes tant nationaux qu'internationaux de la classe dirigeante, exiger la justice, vivre dans la vérité, briser les images gravées, c'est aussi porter la marque de Caïn.
Ceux qui sont au pouvoir ne peuvent que ressentir notre colère, qui implique des actes constants de désobéissance civile non violente, de perturbation sociale et politique. Le pouvoir organisé d'en bas est notre seule planche de salut. La politique est le jeu de la peur. Il est de notre devoir de faire peur, très peur, aux détenteurs du pouvoir.
L'oligarchie au pouvoir a resserré son étau sur nous. Elle ne peut se réformer. Elle obscurcit et falsifie la vérité. Elle poursuit une quête obsessionnelle d'accroissement de sa richesse obscène et de son pouvoir incontrôlé. Il nous force à nous mettre à genoux devant ses dieux factices. Et, pour citer métaphoriquement la Reine de Cœur, je réclame bien sûr "qu'on leur coupe la tête".
* Chris Hedges est un journaliste lauréat du prix Pulitzer qui a été correspondant à l'étranger pendant quinze ans pour le New York Times, où il a occupé les postes de chef du bureau du Moyen-Orient et du bureau des Balkans. Il a auparavant travaillé à l'étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et NPR. Il est l'hôte de l'émission The Chris Hedges Report.
https://scheerpost.com/2023/02/19/chris-hedges-rage-against-the-war-machine-speech/