👁🗨 Chris Hedges : La guerre d'Israël contre les hôpitaux
Israël n'existera que par le mythe qu'il s'est lui-même forgé. Comme dans toute forme de despotisme, la vérité sera bannie. Israël, ce monstre pour les Palestiniens, se muera en monstre pour lui-même.
👁🗨 La guerre d'Israël contre les hôpitaux
Par Chris Hedges, le 20 novembre 2023
Israël mène une campagne visant à faire de Gaza une zone inhabitable. Cette campagne comprend la destruction de tous les hôpitaux de Gaza. Le message envoyé par Israël est clair : “Personne n'est en sécurité nulle part. Si vous restez, vous mourrez.”
Israël n'attaque pas les hôpitaux de Gaza parce qu'ils sont des “centres de commandement du Hamas”. Israël détruit systématiquement et délibérément l'infrastructure médicale de Gaza dans le cadre d'une campagne de terre brûlée visant à rendre Gaza inhabitable et à aggraver la crise humanitaire. Il a l'intention de forcer 2,3 millions de Palestiniens à franchir la frontière égyptienne, d'où ils ne reviendront jamais.
Israël a détruit et presque vidé l'hôpital Al Shifa dans la ville de Gaza. L'hôpital Indonésien de Beit Lahia est le suivant. Israël déploie des chars et des véhicules blindés de transport de troupes autour de l'hôpital, et a tiré sur le bâtiment, tuant douze personnes.
Le scénario est familier. Des tracts sont largués par Israël au-dessus d'un hôpital pour demander aux gens de partir parce que l'hôpital est une base pour les “activités terroristes du Hamas”. Des chars et des obus d'artillerie abattent des pans de murs de l'hôpital. Des ambulances sont pulvérisées par des missiles israéliens. L'électricité et l'eau sont coupées. L'approvisionnement en médicaments est bloqué. Il n'y a plus d'analgésiques, d'antibiotiques ni d'oxygène. Les plus vulnérables, les prématurés en couveuse et les personnes gravement malades, meurent. Les soldats israéliens font une descente dans l'hôpital et obligent tout le monde à sortir sous la menace d'une arme.
C'est ce qui s'est passé à l'hôpital Al Shifa. C'est ce qui s'est passé à l'hôpital pour enfants Al Rantisi. C'est ce qui s'est passé dans le principal hôpital psychiatrique de Gaza. Voilà ce qui s'est passé à l'hôpital Nasser. C'est ce qui s'est passé dans les autres hôpitaux qu'Israël a détruits. Et c'est ce qui se passera dans les quelques hôpitaux qui restent.
Israël a fermé 21 des 35 hôpitaux de Gaza, y compris le seul hôpital de cancérologie de Gaza. Les hôpitaux qui fonctionnent encore souffrent d'une grave pénurie de médicaments et de fournitures de base. Les hôpitaux sont éliminés les uns après les autres. Bientôt, il n'y aura plus aucun établissement de santé. C'est délibéré.
Des dizaines de milliers de Palestiniens terrifiés, contraints par Israël d'évacuer leurs maisons en ruines, cherchent à échapper aux bombardements incessants en campant dans les hôpitaux de Gaza et aux alentours. Ils espèrent que les centres médicaux ne seront pas pris pour cible par Israël. Si Israël respectait les Conventions de Genève, ils auraient raison. Mais Israël ne mène pas de guerre. Il se livre à un génocide. Et dans un génocide, une population, et tout ce qui la soutient, est anéantie.
Signe inquiétant qu'Israël se retournera contre les Palestiniens de Cisjordanie une fois qu'il aura rasé Gaza, des véhicules blindés ont encerclé au moins quatre hôpitaux de Cisjordanie. L'hôpital Ibn Sina a été investi par des soldats israéliens, de même que l'hôpital de Jérusalem-Est.
L'État colonial israélien a été fondé sur des mensonges. Il est soutenu par des mensonges. Et aujourd'hui, alors qu'il est fermement décidé à perpétrer le pire massacre et le pire nettoyage ethnique des Palestiniens depuis la Nakba, ou “catastrophe”, de 1948, qui a vu 750 000 Palestiniens faire l'objet d'un nettoyage ethnique et d'une cinquantaine de massacres perpétrés par des milices juives, il crache une aberration grotesque après l'autre. Il parle des Palestiniens comme d'une masse déshumanisée. Il n'y a pas de mères, de pères, d'enfants, d'enseignants, de médecins, d'avocats, de cuisiniers, de poètes, de chauffeurs de taxi ou de commerçants. Dans le lexique israélien, les Palestiniens sont une contagion unique qui doit être éradiquée.
Regardez cette vidéo d'écoliers israéliens chantant “Nous anéantirons tout le monde” à Gaza.
Les jeunesses hitlériennes chantaient des chansons de ce genre sur les Juifs.
Ceux qui se lancent dans des opérations de tuerie massive mentent pour éviter de démoraliser leur propre population, pour faire croire aux victimes qu'elles ne seront pas toutes exterminées et pour empêcher les forces extérieures d'intervenir. Les nazis prétendaient que les Juifs entassés dans les trains et envoyés dans les camps d'extermination étaient affectés à des tâches précises et bénéficiaient de bons soins médicaux et d'une alimentation suffisante. Quant aux infirmes et aux personnes âgées, ils étaient soignés dans des centres de repos. Les nazis ont même créé un camp fictif pour la “réinstallation” des Juifs “à l'Est” - Theresienstadt - où des organismes internationaux tels que la Croix-Rouge ont pu constater à quel point les Juifs étaient traités humainement, alors même que des millions d'entre eux étaient exterminés.
Au moins 664 000 Arméniens, voire 1,2 million, ont été massacrés ou sont morts de froid, de maladie ou de faim au cours du génocide perpétré par l'Empire ottoman entre le printemps 1915 et l'automne 1916. Le génocide arménien a eu autant de retentissement que le génocide de Gaza. Les missions consulaires européennes et américaines ont fourni des comptes rendus détaillés de la campagne visant à nettoyer la Türkiye actuelle des Arméniens.
Le gouvernement ottoman, dans le but de cacher le génocide, a interdit aux étrangers de prendre des photos des réfugiés arméniens ou des cadavres qui jonchaient les routes. Israël a également interdit l'accès de la presse étrangère à Gaza, limitant ainsi les visites à quelques brefs séjours soigneusement mis en scène par l'armée israélienne. Israël coupe régulièrement l'accès à l'internet et à la téléphonie. Au moins 43 journalistes et professionnels des médias palestiniens ont été tués par Israël depuis l'incursion du Hamas en Israël le 7 octobre, beaucoup d'entre eux étant sans aucun doute des cibles des forces israéliennes.
Les Arméniens, comme les Palestiniens, ont été chassés de chez eux, abattus et privés de nourriture et d'eau. Les déportés arméniens ont été envoyés dans des marches de la mort vers le désert syrien, où des dizaines de milliers d'entre eux ont été abattus ou sont morts de faim, de choléra, de paludisme, de dysenterie et de grippe. Israël contraint 1,1 million de Palestiniens à se réfugier dans la partie sud de Gaza et les bombarde lorsqu'ils fuient. Ces réfugiés, comme les Arméniens, manquent de nourriture, d'eau, de carburant et d'installations sanitaires. Eux aussi succomberont bientôt à des épidémies de maladies infectieuses.
Le 2 août 1915, Talat Pacha, le dirigeant de facto de l'Empire ottoman, a déclaré à l'ambassadeur des États-Unis, Henry Morgenthau Sr. dans des termes semblables à ceux d'Israël,
“que notre politique arménienne est définitivement arrêtée, et que rien n'en changera le cours. Nous n'accepterons les Arméniens nulle part en Anatolie. Ils peuvent vivre dans le désert, mais nulle part ailleurs”.
Plus le génocide se poursuit, plus les mensonges deviennent insensés.
Israël a recours à de gros mensonges. Israël insiste pour prétendre que c'est la tentative sélective de se débarrasser du Hamas qui est à l'origine de l'anéantissement de Gaza et de l'assassinat gratuit de milliers de Palestiniens, et non une campagne destinée à réduire Gaza à un tas de ruines, à perpétrer des meurtres de masse et à procéder à un nettoyage ethnique des Palestiniens.
Israël émet aussi de petits mensonges. Quarante bébés décapités. L'hôpital Al Shifa est un “centre de commandement du Hamas”. Selon le porte-parole des Forces de défense israéliennes, le contre-amiral Daniel Hagari, un calendrier en arabe sur le mur d'un hôpital est “une liste de tour de garde, où chaque terroriste écrit son nom et avec son propre quart de surveillance les personnes présentes ici”. Une actrice israélienne déguisée en infirmière et parlant un arabe fortement accentué affirme être un médecin palestinien et avoir vu le Hamas utiliser des civils comme boucliers humains. Elle affirme que des membres du Hamas ont “attaqué l'hôpital Al Shifa” et volé “le carburant et les médicaments”. Selon Israël, ce sont des militants palestiniens, et non des chars israéliens, qui ont bombardé l'hôpital Al Shifa. Israël a bombardé une voiture remplie de “terroristes” dans le sud du Liban, des “terroristes” qui se sont avérés être trois filles, leur mère et leur grand-mère. L'explosion de l'hôpital Al Ahli a été provoquée par une roquette tirée par les Palestiniens, une affirmation mise en doute par le New York Times qui a discrédité la vidéo en se fondant sur l'analyse de son horodatage. Israël a déclaré avoir “répondu à la demande du directeur de l'hôpital Shifa d'autoriser les citoyens gazaouis réfugiés dans l'hôpital et désireux d'évacuer l'hôpital Shifa vers le point de passage humanitaire de la bande de Gaza via un axe sécurisé”. Mohammed Zaqout, directeur général des hôpitaux de Gaza, a déclaré que cette déclaration était “fausse”, ajoutant que “nous avons été forcés de partir sous la menace d'une arme à feu”. Le lieutenant-colonel israélien Jonathan Conricus, dans une vidéo clouée au pilori par la BBC, montre aux téléspectateurs une maigre réserve d'armes automatiques dans une vidéo promotionnelle qui grossit comme par magie lorsque des reporters étrangers arrivent pour une visite guidée. Les FDI l'ont ensuite supprimée.
Ces mensonges seront consignés dans les manuels scolaires israéliens. Ils seront repris par les personnalités politiques, les historiens et les journalistes israéliens. Les mensonges seront racontés à la télévision israélienne, dans les films et les livres israéliens. Les Israéliens sont les éternelles victimes. Les Palestiniens sont le mal absolu. Il n'y a pas eu de génocide. La Turquie, cent ans plus tard, continue à nier ce qui est arrivé aux Arméniens.
En temps de guerre, les gens croient ce qu'ils veulent croire. Les mensonges comblent un besoin de l'opinion publique israélienne qui voit le conflit comme une lutte binaire entre “les enfants de la lumière et les enfants des ténèbres”. Les mensonges sont une défense contre la responsabilisation, car si Israël refuse de voir la réalité en face, il n'est pas obligé d'y faire face. Les mensonges créent une dissonance cognitive, où le fait devient fiction et la fiction vérité. Les mensonges excluent toute discussion sur le génocide ou la réconciliation.
Israël, avec le soutien de l'administration Biden, continuera à détruire tous les systèmes qui préservent la vie à Gaza. Les hôpitaux. Les écoles. Les centrales électriques. Les stations d'épuration d'eau. Les usines. Fermes. Immeubles d'habitation. Maisons. Puis Israël prétendra, comme les tueurs des génocides passés, que ça n'a jamais eu lieu.
Les mensonges dont Israël se sert pour se soustraire à ses responsabilités vont ronger la société israélienne. Ils rongeront sa morale, sa religion, sa vie communautaire, sa vie intellectuelle et sa vie politique. Ils élèveront des criminels de guerre au rang de héros et diaboliseront ceux qui ont une conscience. Le génocide israélien, comme les massacres de 1965 en Indonésie, sera érigé en mythe, en bataille épique contre les forces du mal et de la barbarie, tout comme nous avons érigé en mythe le génocide des Amérindiens et fait de nos colons et de nos unités de cavalerie sanguinaires des héros. Les tueurs de la guerre indonésienne contre le communisme sont acclamés comme des sauveurs dans les meetings. Ils sont interviewés sur les batailles “héroïques” qu'ils ont menées il y a près de soixante ans. Israël fera de même. Il se déformera. Il célébrera ses crimes. Il transformera le mal en bien. Israël va n'exister que par le mythe qu'il s'est lui-même forgé. Comme dans toute forme de despotisme, la vérité sera bannie. Israël, ce monstre pour les Palestiniens, se muera en monstre pour lui-même.