🚩 Chris Hedges: Les marionnettes, et les marionnettistes
Quand le gouvernement vous surveille 24 heures sur 24, vous ne pouvez plus utiliser le mot liberté.
Illustration “Armed and Dangerous” - par M. Fish
🚩 Les marionnettes, et les marionnettistes
📰 Par Chris Hedges 🐦@ChrisLynnHedges, le 9 octobre 2022
Les procédures judiciaires contre Julian Assange donnent une fausse légalité à la persécution étatique du journaliste le plus important et le plus courageux de notre génération.
Voici le discours prononcé par Chris Hedges devant le ministère de la Justice à Washington, le samedi 8 octobre, lors d'un rassemblement qui exhortait les États-Unis à révoquer leur demande d'extradition de Julian Assange.
WASHINGTON, D.C. - Merrick Garland et ceux qui travaillent au ministère de la Justice sont les marionnettes, pas les marionnettistes. Ils sont la façade, la fiction, selon laquelle la persécution de longue date de Julian Assange a quelque chose à voir avec la justice. Comme la High Court de Londres, ils exécutent une pantomime judiciaire sophistiquée. Ils débattent d'obscures nuances juridiques pour détourner l'attention de cette farce digne de Dickens, où un homme qui n'a pas commis de crime, qui n'est pas citoyen américain, pourrait être extradé en vertu de la loi sur l'espionnage et condamné à la prison à vie pour le journalisme le plus courageux et le plus important de notre génération.
Le moteur du lynchage de Julian n'est pas ici, sur Pennsylvania Avenue. Il se trouve à Langley, en Virginie, dans un complexe que nous n'aurons jamais le droit d'encercler : la Central Intelligence Agency. Elle est dirigée par un État intérieur secret, où nous ne sommes pas pris en compte dans la folle poursuite d'un empire et d'une exploitation impitoyable. Parce que la machine de ce léviathan moderne a été dévoilée par Julian et WikiLeaks, et que la machine exige une vengeance.
Les États-Unis ont subi un coup d'État corporatif au ralenti. Ce n'est plus une démocratie fonctionnelle. Les véritables centres de pouvoir, dans les secteurs des grandes firmes, de l'armée et de la sécurité nationale, ont été humiliés et embarrassés par WikiLeaks. Leurs crimes de guerre, leurs mensonges, leurs conspirations visant à écraser les aspirations démocratiques des personnes vulnérables et des pauvres, ainsi que leur corruption endémique, ici et partout dans le monde, ont été mis à nu par des monceaux de documents divulgués.
Nous ne pouvons pas nous battre au nom de Julian si nous ne savons pas clairement contre qui nous nous battons. C'est bien pire qu'un système judiciaire corrompu. La classe mondiale des milliardaires, qui a orchestré une inégalité sociale rivalisant avec l'Égypte pharaonique, s'est emparée en interne de tous les leviers du pouvoir et a fait de nous la population la plus espionnée, surveillée, observée et photographiée de l'histoire de l'humanité. Lorsque le gouvernement vous surveille 24 heures sur 24, vous ne pouvez pas utiliser le mot liberté. C'est une relation de maître à esclave. Julian était depuis longtemps une cible, bien sûr, mais lorsque WikiLeaks a publié les documents connus sous le nom de Vault 7, qui exposaient les outils de piratage utilisés par la CIA pour surveiller nos téléphones, nos télévisions et même nos voitures, il a été condamné - et le journalisme avec lui - à la crucifixion. L'objectif est de mettre un terme à toute enquête sur les rouages du pouvoir qui pourrait rendre la classe dirigeante responsable de ses crimes, d'éradiquer l'opinion publique, et de la remplacer par des discours servis en pâture à la populace.
J'ai passé deux décennies comme correspondant étranger aux confins de l'empire en Amérique latine, en Afrique, au Moyen-Orient et dans les Balkans. J'ai une conscience aiguë de la sauvagerie de l'empire, de la façon dont les outils brutaux de répression sont d'abord testés sur ceux que Frantz Fanon appelait "les misérables de la terre". Surveillance à grande échelle. Torture. Coups d'État. Sites noirs. Propagande noire. Police militarisée. Drones militarisés. Assassinats. Guerres. Une fois perfectionnés sur les peuples de couleur à l'étranger, ces outils migrent vers la mère patrie. En vidant notre pays de sa substance via la désindustrialisation, l'austérité, la déréglementation, la stagnation des salaires, l'abolition des syndicats, les dépenses massives en matière de guerre et de renseignement, le refus de répondre à l'urgence climatique et le boycott fiscal virtuel des individus et des entreprises les plus riches, ces prédateurs ont l'intention de nous maintenir en esclavage, victimes d'un néo-féodalisme d'entreprise. Et ils ont perfectionné leurs instruments de contrôle orwelliens. La tyrannie imposée aux autres nous est imposée.
Dès sa création, la CIA a perpétré des assassinats, des coups d'État, des actes de torture, ainsi que de l'espionnage illégal et des abus, y compris sur des citoyens américains, activités révélées en 1975 par les auditions de la Church Committee au Sénat et de la Pike Committee à la Chambre. Tous ces crimes, surtout après les attaques du 11 septembre, sont revenus en force. La CIA est une organisation paramilitaire dévoyée et irresponsable, dotée de ses propres unités armées et d'un programme de drones, d'escadrons de la mort, et d'un vaste archipel de sites noirs dans le monde où les victimes d'enlèvement sont torturées, puis disparaissent.
Les États-Unis allouent un budget secret d'environ 50 milliards de dollars par an pour dissimuler de multiples sortes de projets clandestins menés par la National Security Agency, la CIA et d'autres agences de renseignement, généralement à l'abri des regards du Congrès. La CIA dispose d'un dispositif bien huilé pour enlever, torturer et assassiner des cibles dans le monde entier. C'est pourquoi, puisqu'elle avait déjà mis en place un système de surveillance vidéo de Julian 24 heures sur 24 à l'ambassade d'Équateur à Londres, elle a tout naturellement discuté de son enlèvement et de son assassinat. C'est son métier. Le sénateur Frank Church - après avoir examiné les documents fortement expurgés de la CIA communiqués à sa commission - a défini l'"activité secrète" de la CIA comme "un déguisement sémantique pour le meurtre, la coercition, le chantage, la corruption, la diffusion de mensonges et la fréquentation de tortionnaires connus et de terroristes internationaux".
Tous les despotismes masquent la persécution étatique par des procédures judiciaires fictives. Les procès pour l'exemple et les troïkas dans l'Union soviétique de Staline. Les juges nazis déchaînés de l'Allemagne fasciste. Les rassemblements de dénonciation dans la Chine de Mao. Le crime d'État est recouvert d'une fausse légalité, d'une farce judiciaire.
Si Julian est extradé et condamné et, étant donné les tendances à la Lubyanka du district Est de la Virginie, c'est une quasi-certitude, cela signifie que ceux d'entre nous qui ont publié des documents classifiés, comme je l'ai fait lorsque je travaillais pour le New York Times, deviendront des criminels. Cela signifie qu'un rideau de fer tombera pour masquer les abus de pouvoir. Cela signifie que l'État, qui, par le biais des mesures administratives spéciales (MAS), des lois antiterroristes et de l'Espionage Act, a créé notre version locale de l'article 58 de Staline, peut emprisonner quiconque, où que ce soit dans le monde, ose commettre le crime de dire la vérité.
Nous sommes ici pour nous battre pour Julian. Mais nous sommes aussi ici pour nous battre contre de puissantes forces souterraines qui, en exigeant l'extradition de Julian et son emprisonnement à vie, ont déclaré la guerre au journalisme.
Nous sommes ici pour nous battre pour Julian. Mais nous sommes aussi ici pour nous battre pour la restauration de l'état de droit et de la démocratie.
Nous sommes ici pour nous battre pour Julian. Mais nous sommes aussi ici pour démanteler la surveillance étatique de type Stasi érigée en gros dans tout l'Occident.
Nous sommes ici pour nous battre pour Julian. Mais nous sommes aussi ici pour renverser - et laissez-moi répéter ce mot à l'intention de ceux du FBI et de la Sécurité intérieure qui sont venus ici pour nous surveiller - renverser l'État corporatif et créer un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, qui chérira, plutôt que de persécuter, les meilleurs d'entre nous.
Vous pouvez voir le discours ici:
Vous pouvez voir mon interview avec le père de Julian, John Shipton, ici: