👁🗨 Chris Hedges: Les politiciens qui ont dévasté notre démocratie attendent nos suffrages pour la sauver.
Les Démocrates se sont employés à censurer les critiques de gauche, de droite sur les réseaux sociaux, se prétendant le dernier rempart à la tyrannie. Mais aucun de ces subterfuges ne fonctionnera.
👁🗨 Les politiciens qui ont dévasté notre démocratie attendent nos suffrages pour la sauver.
Nous aurions dû quitter le Parti démocrate et monter un mouvement d'opposition sérieux pendant que nous en avions encore la possibilité.
📰 Par Chris Hedges 🐦@ChrisLynnHedges, le 6 novembre 2022
Le projet bipartite de démantèlement de notre démocratie, qui s'est déroulé au cours des dernières décennies au nom des entreprises et des riches, n'a laissé derrière lui qu’une coquille vide de la démocratie. Les tribunaux, les organes législatifs, le pouvoir exécutif et les médias, y compris la radiodiffusion publique, sont captifs du pouvoir des entreprises. Plus aucune institution ne peut être considérée comme authentiquement démocratique. Le coup d'État des entreprises est achevé. Elles ont gagné. Nous avons perdu.
La désindustrialisation qui a métamorphosé les villes américaines en ruines délabrées; la réduction et la privatisation des programmes sociaux, y compris l'éducation, les services publics et les soins de santé - qui ont vu plus d'un million d'Américains représenter un cinquième des décès mondiaux dus au Covid, bien que nous ne représentions que 4 % de la population mondiale; des formes draconiennes de contrôle social incarnées par une police militarisée, fonctionnant comme une armée d'occupation létale dans les zones urbaines pauvres; le plus grand système carcéral du monde; un boycott fiscal virtuel de la part des individus et des sociétés les plus riches; des élections saturées d'argent qui perpétuent notre système de corruption légale; et la surveillance étatique des citoyens la plus intrusive de notre histoire.
Dans "Les États-Unis de l'amnésie", pour citer Gore Vidal, la presse d'entreprise et la classe dirigeante créent des personnages fictifs et sympathiques pour les candidats, traitant toutes les campagnes politiques comme s'il s'agissait d'une journée d’emplettes, et passent sous silence le fait que sur toutes les questions importantes, des accords commerciaux à la guerre, la différence entre démocrates et républicains est plus que mince. Le parti démocrate et Joe Biden ne sont pas le moindre mal, mais plutôt, comme l'a souligné Glen Ford, "le mal le plus efficace".
Joe Biden a soutenu la campagne visant à discréditer et humilier Anita Hill pour nommer Clarence Thomas à la Cour suprême. Il a été l'un des principaux architectes des guerres sans fin au Moyen-Orient, appelant à "faire tomber Saddam" cinq ans avant l'invasion de l'Irak. Il a réhabilité le dirigeant de facto de l'Arabie saoudite, le prince héritier Mohammed bin Salman, après avoir juré de faire du pays un paria en raison de l'assassinat du chroniqueur du Washington Post Jamal Khashoggi. Biden est un fervent partisan d'Israël, qualifiant l'État d'apartheid de "plus grande force de l'Amérique au Moyen-Orient" et déclarant : "Je suis un sioniste. Il n'est pas nécessaire d'être juif pour être sioniste". Ses campagnes ont été abondamment financées par le lobby israélien pendant au moins deux décennies.
Dans les années 1970, il s'est battu contre le transport scolaire, arguant du fait que la ségrégation était bénéfique pour les Noirs. Avec le sénateur raciste de Caroline du Sud, Strom Thurmond, il a parrainé le Comprehensive Crime Control Act, qui annulait la possibilité de libération conditionnelle des prisonniers fédéraux et limitait la durée des réductions de peine pour bonne conduite. Biden a parrainé et poussé agressivement le projet de loi sur la criminalité de 1994, qu'il a également aidé à rédiger, appelant à son adoption parce que "nous avons dans nos rues des prédateurs que la société a créé, en partie à cause de sa négligence". Le projet de loi étendait la peine de mort à des dizaines de crimes fédéraux existants et nouveaux, et imposait l'emprisonnement à vie pour un troisième crime violent, également connu sous le nom de règle "three strikes and you're out", ce qui faisait plus que doubler la population carcérale du pays. Ce projet de loi prévoyait des fonds pour embaucher 100 000 nouveaux agents de police et construire de nouvelles prisons, à condition que les prisonniers purgent la totalité de leur peine. Il a fait adopter la loi de 1996 sur l'antiterrorisme et la peine de mort, qui a supprimé le droit de l’habeas corpus, aboli les droits des condamnés à mort, et imposé des règles fédérales strictes en matière de condamnation.
Biden s'enorgueillit d'avoir rédigé le Patriot Act de 2001, qui a élargi la capacité du gouvernement à surveiller les communications téléphoniques et électroniques de tous, à collecter les données bancaires et de crédit, et à tracer les activités sur Internet. Il a soutenu les programmes d'austérité, notamment la destruction de l'aide sociale et les coupes sombres dans la sécurité sociale. Il s'est battu pour l'ALENA et d'autres accords de "libre-échange" qui ont alimenté les inégalités, la désindustrialisation, une baisse significative des salaires, et la délocalisation de millions d'emplois manufacturiers vers des travailleurs sous-payés qui peinent dans des ateliers clandestins de pays comme le Mexique, la Malaisie, la Chine ou le Vietnam.
Il a également soutenu la loi sur la réforme de l'immigration illégale et la responsabilité des immigrants qui, comme l'écrit Human Rights Watch, "a éliminé les principaux moyens de défense contre l'expulsion, et a soumis beaucoup plus d'immigrants, y compris des résidents permanents légaux, à la détention et à l'expulsion."
Biden s'est longtemps opposé à l'avortement, écrivant dans une lettre à un électeur: "Ceux d'entre nous qui sont opposés à l'avortement ne devraient pas être obligés de payer pour eux. Comme vous le savez peut-être, j'ai toujours - à pas moins de 50 occasions - voté contre le financement fédéral des avortements."
Il a été à l'avant-garde de la déréglementation du secteur bancaire et de l'abolition du Glass-Steagall, qui ont contribué à l'effondrement financier mondial, notamment l'effondrement de près de 500 banques, en 2007 et 2008. Il est le favori de l'industrie pharmaceutique et des assurances à but lucratif, qui a versé 6,3 millions de dollars à sa campagne présidentielle de 2020, soit près de quatre fois plus d'argent qu'elle n'en a versé à la campagne de Donald Trump. Biden et les démocrates augmentent chaque année le budget militaire, approuvant 813 milliards de dollars pour l'année fiscale 2023. Lui et les démocrates ont fourni plus de 60 milliards de dollars d'aide militaire et d'assistance à la guerre en Ukraine, sans fin en vue. Au Sénat, Biden a abjectement servi les intérêts de MBNA, la plus grande société indépendante de cartes de crédit dont le siège se trouve dans le Delaware, qui a également employé Hunter, le fils de Biden.
Les décisions de politiciens comme Biden ont un coût humain stupéfiant, non seulement pour les pauvres, les travailleurs et la classe moyenne qui rétrécit à vue d’oeil, mais aussi pour des millions de personnes au Moyen-Orient, des millions de familles déchirées par l'incarcération de masse, des millions d'autres acculées à la faillite par notre système médical mercenaire à but lucratif où les entreprises sont légalement autorisées à prendre en otage les enfants malades pendant que leurs parents affolés se ruinent pour les sauver, des millions de personnes devenues dépendantes des opioïdes, et des centaines de milliers qui en sont mortes, des millions de personnes qui se sont vu refuser l'aide sociale, et nous tous qui allons vers l'extinction à cause du refus de freiner la cupidité et le pouvoir destructeur de l'industrie des combustibles fossiles, qui a engrangé 2. 8 milliards de dollars de bénéfices par jour au cours des 50 dernières années.
Biden, moralement creux et à l’intelligence limitée, est responsable de plus de souffrance et de mort chez lui et à l'étranger que Donald Trump. Mais les victimes sont escamotées de nos spectacles médiatiques "Punch-and-Judy". Et c'est pourquoi les victimes méprisent toute la superstructure, et veulent la démolir.
Ces politiciens de l'establishment et leurs juges nommés ont promulgué des lois qui ont permis aux 1 % du haut de l'échelle de piller 54 000 milliards de dollars aux 90 % du bas de l'échelle, de 1975 à 2022, à raison de 2 500 milliards de dollars par an, selon une étude de la société RAND. Le terreau fertile de notre naufrage politique, économique, culturel et social a engendré un bloc de néo-fascistes, d'escrocs, de racistes, de criminels, de charlatans, de théoriciens du complot, de milices d'extrême droite et de démagogues qui prendront bientôt le pouvoir.
Les sociétés décadentes, comme l'Allemagne de Weimar ou l'ex-Yougoslavie, que j'ai couvertes pour le New York Times, vomissent toujours des difformités politiques exprimant la haine qu'une population trahie éprouve pour une classe dirigeante corrompue et un libéralisme en faillite. Le crépuscule des empires grec, romain, ottoman, habsbourgeois et russe n'était pas différent.
Ces déformations politiques jouent le rôle du clan Snopes dans la trilogie de William Faulkner "The Hamlet", "The Town" & "The Mansion". Les Snopes ont arraché le contrôle du Sud à une élite aristocratique dégénérée. Flem Snopes et sa famille élargie - qui comprend un tueur, un pédophile, un bigame, un pyromane, un handicapé mental qui copule avec une vache, et un parent qui vend des billets pour assister à la bestialité - sont des représentations fictives de la racaille qui a détourné le Parti républicain.
"La référence habituelle à l'"amoralité", bien qu'exacte, n'est pas suffisamment distinctive et ne permet pas à elle seule de les situer, comme ils devraient l'être, dans un moment historique", écrivait le critique Irving Howe à propos des Snopese. "La chose la plus importante à dire est peut-être qu'ils sont ce qui arrive ensuite : les créatures qui émergent de la dévastation, encore la bave sur leurs lèvres."
"Qu'un monde s'effondre, dans le Sud ou en Russie, et voilà qu’émergent des figures d'ambition grossière se frayant un chemin depuis les bas-fonds de la société, des hommes pour qui les revendications morales ne sont pas tant absurdes qu'incompréhensibles, des fils de broussards ou de moujiks dérivant de nulle part et prenant le pouvoir par la seule outrance de leur force monolithique", écrit Howe. "Ils deviennent présidents de banques locales et des comités régionaux du parti, et plus tard, un peu déguisés, se frayent un chemin par la force jusqu'au Congrès ou au Politburo. Charognards sans inhibition, ils n'ont pas besoin de croire au code officiel de leur société qui s'effrite: il leur suffit d'apprendre à en imiter les sons."
Biden et d'autres politiciens de l'establishment n'appellent pas réellement à la démocratie. Ils appellent à la civilité. Ils n'ont pas l'intention d'extraire le couteau fiché dans notre dos. Ils espèrent masquer la pourriture et la douleur avec le décorum du discours châtié et mesuré dont ils se sont servi pour nous vendre l'arnaque du néolibéralisme. Malheureusement, le politiquement correct et l'inclusivité imposés par les élites diplômées sont désormais associés à l'agression des entreprises, comme si une femme PDG ou un policier noir allaient atténuer l'exploitation et les abus. Les minorités sont toujours les bienvenues, comme elles l'étaient dans d'autres types de colonialisme, tant qu’elles servent les diktats des maîtres. C'est ainsi que Barack Obama, que Cornel West a appelé "la mascotte noire de Wall Street", est devenu président.
La liberté pour des millions d'Américains enragés est devenue la liberté de haïr, la liberté d'utiliser des mots comme "nègre", "youpin", "spic", "chink", "raghead" et "fag"; celle d'agresser physiquement les musulmans, les travailleurs sans papiers, les femmes, les Afro-Américains, les homosexuels, et quiconque ose critiquer leur fascisme chrétien; la liberté de célébrer des mouvements et des figures historiques que les élites universitaires condamnent, notamment le Ku Klux Klan et la Confédération; la liberté de ridiculiser et rejeter les intellectuels, les idées, la science et la culture; la liberté de faire taire ceux qui leur ont rappelé comment se comporter; la liberté de se délecter de l'hypermasculinité, du racisme, du sexisme, de la violence et du patriarcat.
Ces crypto-fascistes ont toujours fait partie du paysage américain, mais la privation du droit de vote de millions d'Américains, en particulier des Américains blancs, a attisé ces haines. Voter pour les architectes de ce que le philosophe politique Sheldon Wolin appelle notre système de "totalitarisme inversé" ne les fera pas disparaître. En fait, cela discréditera davantage les idées et la démocratie libérales. Ce qui place les libéraux dans une situation très délicate. Ils sont tout à fait en droit de craindre l'extrême droite. Tous les scénarios sombres sont corrects. Mais en soutenant Biden et le parti d'entreprise au pouvoir, ils s'assurent de leur inutilité politique.
Le parti démocrate a dépensé des millions de dollars pour financer des candidats "joueurs de flûte" d'extrême droite, en supposant qu'ils seraient plus faciles à battre, tactique bêtement plagiée de la campagne Clinton, qui a secrètement "élevé" Trump dans l'espoir qu'il remporte l'investiture républicaine. Ils se sont employés à censurer les critiques de gauche et de droite sur les réseaux sociaux. Ils prétendent être le dernier rempart contre la tyrannie. Aucun de ces subterfuges ne fonctionnera. Sans une profonde réforme politique, sociale et économique, l'Amérique sombrera dans un autoritarisme à la Viktor Orbán.
Après que la guerre en Irak ait tourné au vinaigre, on m'a souvent demandé, à moi qui m'étais publiquement opposé à l'invasion, et ex chef du bureau du Moyen-Orient pour le New York Times, ce qu’il fallait que nous fassions maintenant. J'ai répondu que l'Irak ne pouvait plus être remis sur pied. Il était brisé. Nous l'avons brisé. Ceux qui demandent si nous devons soutenir les démocrates pour stopper notre descente vers la tyrannie sont confrontés à un dilemme similaire. Ma réponse n'est pas différente. Nous aurions dû quitter le parti démocrate quand nous le pouvions encore.