👁🗨 Chris Hedges : Qu'ils mangent du ciment
Israël ne décime pas seulement Gaza à coups de bombes mais recourt à l'arme la plus ancienne & cruelle : la famine. Son message à la veille de l'invasion terrestre est clair. Quitter Gaza, ou mourir.
👁🗨 Qu'ils mangent du ciment
Par Chris Hedges, le 22 octobre 2023
Israël, avec le soutien de ses alliés américains et européens, se prépare à lancer non seulement une politique de la terre brûlée à Gaza, mais aussi le pire nettoyage ethnique depuis les guerres de l'ex-Yougoslavie. L'objectif est de pousser des dizaines, très probablement des centaines de milliers de Palestiniens à franchir la frontière méridionale de Rafah à se réfugier dans des camps de réfugiés en Égypte. Les répercussions seront catastrophiques, non seulement pour les Palestiniens, mais aussi pour toute la région, déclenchant presque certainement des affrontements armés au nord d'Israël avec le Hezbollah au Liban et peut-être avec la Syrie et l'Iran.
L'administration Biden, qui obéit servilement aux ordres d'Israël, alimente cette folie. Les États-Unis ont été le seul pays à opposer leur veto à la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à des pauses humanitaires pour acheminer de la nourriture, des médicaments, de l'eau et du carburant à Gaza. Ils ont bloqué les propositions de cessez-le-feu. Ils ont proposé un projet de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies stipulant qu'Israël a le droit de se défendre. La résolution exige également que l'Iran cesse d'exporter des armes aux “milices et groupes terroristes qui menacent la paix et la sécurité dans la région”.
Les États-Unis et leurs alliés occidentaux sont aussi peu moraux et aussi complices d'un génocide que ceux qui ont assisté à l'holocauste des Juifs par les nazis et n'ont rien fait.
Le conflit, qui a coûté la vie à 1 400 Israéliens et à au moins 4 600 Palestiniens à Gaza s'aggrave. Israël a effectué une deuxième frappe aérienne sur deux aéroports en Syrie. Il échange quotidiennement des tirs de roquettes avec les milices du Hezbollah. Les bases militaires américaines en Irak et en Syrie ont été attaquées par des milices chiites. Jeudi, l'USS Carney, un destroyer à missiles guidés, a abattu trois missiles de croisière apparemment lancés par les Houthis au Yémen et se dirigeant vers Israël.
Israël s'efforce également de réprimer les violents affrontements quotidiens en Cisjordanie occupée. Dimanche, il a effectué une frappe aérienne sur une mosquée du camp de réfugiés de Jénine - la première frappe aérienne en Cisjordanie depuis deux décennies - qui a tué au moins deux personnes. Des colons juifs armés se sont déchaînés dans les villes palestiniennes de Cisjordanie. Selon le bureau humanitaire de l'ONU, au moins 90 Palestiniens de Cisjordanie ont été tués par des colons armés ou par l'armée israélienne depuis l'incursion du Hamas et d'autres combattants de la résistance en Israël le 7 octobre. Quelques 4 000 travailleurs de Gaza et 1 000 Palestiniens de Cisjordanie ont été arrêtés au cours des deux dernières semaines, doublant le nombre de prisonniers palestiniens détenus par Israël, qui s'élève à 10 000, dont plus de la moitié sont des prisonniers politiques
“De nombreux prisonniers ont eu les membres, les mains et les jambes cassés ... ils ont été exposés à des propos dégradants et insultants, à des injures, à des blasphèmes, ils ont été attachés avec des menottes dans le dos avec un serrage au point de provoquer des douleurs intenses ... ils ont été fouillés à nu, de manière humiliante et en groupe”,
a déclaré Qadura Fares, la Commission de l'Autorité palestinienne pour les affaires des détenus, lors d'une conférence de presse.
B'Tselem, l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme, a déclaré à la BBC que depuis l'attaque du 7 octobre, elle avait constaté
“un effort concerté et organisé de la part des colons pour profiter du fait que toute l'attention internationale et locale se concentre sur Gaza et le nord d'Israël pour essayer de s'emparer de terres en Cisjordanie”.
À l'intérieur d'Israël, les Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne et des cartes d'identité de Jérusalem sont harcelés, arrêtés, détenus, et expulsés des emplois et des universités dans ce qui est décrit comme une “chasse aux sorcières”. Plus de 152 000 Israéliens ont été évacués des villes et villages proches des frontières de Gaza et du Liban.
Les États-Unis, soucieux de contrecarrer une réaction militaire de l'Iran susceptible de déclencher une guerre régionale, envoient 2 000 soldats supplémentaires au Moyen-Orient. Ils vont redéployer l'un de leurs groupes d'intervention dans le golfe Persique et envoyer des systèmes de défense aérienne supplémentaires dans la région. L'USS Dwight D. Eisenhower et son groupe d'attaque - qui, le week-end dernier, était déployé en Méditerranée orientale pour rejoindre l'USS Gerald R. Ford - ont été redirigés vers le golfe Persique. Une batterie antimissile THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) et des bataillons du système de défense antimissile Patriot ont également été envoyés dans le golfe Persique.
Israël a déclenché ses quatre cavaliers de l'apocalypse : mort, famine, guerre et invasion.
Il a donné deux choix aux habitants de Gaza. Quitter Gaza ou mourir.
Les Palestiniens seront tués non seulement par les bombes et les obus, et finalement, avec l'invasion terrestre, par les balles et les obus de chars, mais aussi par la faim et les épidémies telles que le choléra. Sans eau, sans carburant, sans médicaments et avec l'effondrement des installations sanitaires, les maladies vont se propager rapidement. Les Nations unies affirment que les hôpitaux de Gaza “sont au bord du gouffre”. Des milliers de patients mourront lorsque les générateurs des hôpitaux seront à court de carburant.
Un médecin de l'hôpital al-Shifa à Gaza a déclaré lors d'une interview samedi : “Nous sommes en train de nous écrouler”. Il a évoqué le manque d'oxygène, de lumière et de fournitures médicales, l'absence d'eau dans certains services, les craintes d’épidémies comme le choléra et la perte des médecins tués par les frappes aériennes israéliennes, dont un dentiste tué lors du bombardement israélien d'une église orthodoxe qui a fait au moins 18 morts, dont plusieurs enfants.
La poignée de camions, 37 à ce jour, acheminant de l'aide à Gaza n'est qu'un gadget cynique destiné à améliorer les relations publiques et exigé par l'administration Biden. Elle ne contribuera guère à atténuer la crise humanitaire provoquée par les Israéliens. L'ONU estime qu'il faudrait au moins 100 convois d'aide par jour. La dernière usine de désalinisation d'eau de mer de Gaza en état de fonctionnement s'est arrêtée dimanche, faute de carburant.
Israël n'a pas l'intention de lever le blocus total de Gaza. Il a annoncé qu'il allait intensifier ses frappes aériennes. Il continuera, comme il le fait depuis deux semaines, à anéantir la vie des Palestiniens, à les terroriser et à les affamer pour qu'ils quittent Gaza.
L'assaut terrestre contre Gaza ne va pas être immédiat. Il faudra des semaines, voire des mois, de combats de rue. Le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, a comparé la bataille qui s'annonce à Gaza à l'assaut américain contre la ville irakienne de Mossoul, tenue par ISIS, en 2014. Il a fallu neuf mois aux États-Unis pour reprendre Mossoul.
Quand Israël dit que ce sera une “longue guerre”, pour une fois, il dit la vérité.
Israël a réclamé davantage d'aide militaire à Washington, 14,3 milliards de dollars, dont 10,6 pour la défense antiaérienne et antimissile. Et il l'obtiendra. Israël épuise rapidement ses stocks alors qu'il pilonne Gaza, y compris dans le sud de la bande de Gaza où ont fui des centaines de milliers de familles déplacées venues du nord.
Israël n'autorisera pas la distribution des 100 millions de dollars d'aide américaine promis aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, du moins pas avant la fin de sa politique de la terre brûlée. Mais d'ici là, Gaza sera méconnaissable. Israël l'aura annexée en partie ou totalité. L'argent pourra peut-être servir à construire davantage de colonies juives illégales en Cisjordanie occupée. Et promettre une aide ne revient pas à se l'approprier. C'est peut-être là aussi que réside une partie de l'illusion.
Les responsables égyptiens sont parfaitement conscients de la suite des événements. Jusqu'à la moitié, voire plus, des 2,3 millions de Palestiniens vont être refoulés par Israël vers l'Égypte, à la frontière sud de Gaza, et ne seront jamais autorisés à revenir.
“Ce qui se passe actuellement à Gaza est la tentative de contraindre les résidents civils à fuir et se réfugier en Égypte, ce qui ne peut être envisagé”, a prévenu le président égyptien, Abdulfattah al-Sisi.
Des informations en provenance d'Égypte indiquent que Washington a promis d'effacer une grande partie de l'énorme dette égyptienne de 162,9 milliards de dollars et d'offrir d'autres mesures économiquement incitatives en échange du consentement de l'Égypte à l'épuration ethnique des Palestiniens. Une fois la frontière égyptienne franchie, les réfugiés seront abandonnés à leur sort dans le Sinaï.
“Le risque majeur est d’assister à une réédition de la Nakba de 1948 et de la Naksa de 1967, mais à plus grande échelle. La communauté internationale doit tout faire pour empêcher que cela ne se reproduise”,
a déclaré Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967.
Israël se sert depuis longtemps de la guerre pour justifier son nettoyage ethnique des Palestiniens. Des représentants du gouvernement ont ouvertement appelé à une nouvelle Nakba, ou “catastrophe”, terme qui désigne les événements de 1947-1949, lorsque plus de 750 000 Palestiniens ont été ethniquement nettoyés de la Palestine historique et conduits dans des camps de réfugiés pour former l'État d'Israël. Pendant la guerre de 1967, qui a conduit à l'occupation par Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, Israël a procédé à un nettoyage ethnique de 300 000 autres Palestiniens pendant la Naksa, ou “jour du retrait”, commémoré chaque année par les Palestiniens.
Le nettoyage ethnique des Palestiniens par Israël ne se limite toutefois pas aux guerres. Il s'agit d'un nettoyage ethnique au ralenti, Israël édifiant régulièrement de nouvelles colonies réservées aux Juifs et s'emparant progressivement des terres palestiniennes. Les Palestiniens, privés des droits civiques fondamentaux dans l'État d'apartheid israélien, ont été dépouillés de leurs biens, y compris, souvent, de leurs maisons. Ils ont dû faire face à des restrictions croissantes de leurs libertés de mouvement. On les a empêchés de pratiquer le commerce et les affaires, en particulier la vente de marchandises. Ils ont été de plus en plus appauvris et piégés derrière les murs et les clôtures de sécurité érigés autour de Gaza et de la Cisjordanie. Dans le même temps, ils ont subi des frappes aériennes israéliennes périodiques, des assassinats ciblés et des attaques quasi quotidiennes de la part de colons juifs armés et de l'armée israélienne.
Selon le groupe israélien de défense des droits de l'homme HaMoked, Israël a empêché les Palestiniens qui avaient quitté la Cisjordanie et la bande de Gaza en 1967 de revenir, depuis l'occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza jusqu'à la signature des accords d'Oslo en 1994, soit environ 9 000 Palestiniens par an. Israël a également révoqué les permis de résidence de quelque 14 000 Palestiniens qui vivaient à Jérusalem-Est depuis 1967, selon B'Tselem.
Israël a démoli 9 880 structures, dont plus de 2 600 bâtiments résidentiels habités, déplaçant plus de 14 000 personnes et affectant 233 681 personnes rien qu'en Cisjordanie entre le 1er janvier 2009 et le 7 octobre 2023, selon les données du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies. Depuis l'attaque du 7 octobre, 38 nouvelles maisons et autres structures ont été démolies en Cisjordanie, affectant 13 613 personnes supplémentaires et en déplaçant au moins 73.
Moins de 2,2 % des demandes palestiniennes de permis de construire déposées entre 2009 et 2020 ont abouti, selon les données de Peace Now et du journal israélien Haaretz.
Le nombre de colons israéliens dans les territoires occupés est passé de zéro avant la guerre de juin 1967 à 600 000 à 750 000 répartis dans au moins 250 colonies et avant-postes en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, tous en violation du droit international.
Israël ne se cache pas de ses intentions.
Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré aux soldats qui se préparaient à entrer dans la bande de Gaza : “J'ai levé toutes les restrictions”.
Ariel Kallner, membre de la Knesset et du Likoud de Benjamin Netanyahu, a appelé sur X, anciennement connu sous le nom de Twitter, à “une Nakba qui éclipsera celle de 48”.
L'armée israélienne a mobilisé Ezra Yachin, un vétéran de l'armée âgé de 95 ans, pour “motiver” les troupes. Yachin était membre de la milice sioniste Lehi qui a perpétré de nombreux massacres de civils palestiniens, notamment à Deir Yassin le 9 avril 1948, où plus de 100 civils palestiniens, dont beaucoup de femmes et d'enfants, ont été massacrés.
“Triomphez, achevez-les et ne laissez personne derrière vous. Effacez leur mémoire”, a déclaré M. Yachin en s'adressant aux troupes israéliennes.
“Effacez-les, ainsi que leurs familles, leurs mères et leurs enfants”, a-t-il poursuivi. “Ces animaux n'ont plus le droit de vivre [..] .
“Chaque juif possédant une arme devrait sortir de chez lui pour aller les tuer”, a-t-il ajouté. “Si vous avez un voisin arabe, n'attendez pas, entrez chez lui, et tuez-le”.
Où sont nos interventionnistes humanitaires ? Ceux qui ont versé des larmes de crocodile sur les droits de l'homme des Ukrainiens, des Irakiens, des Syriens, des Libyens et des Afghans pour justifier les livraisons massives d'armes et la guerre ? Où est l'ancienne aile anti-guerre du parti démocrate et de la classe libérale ? Qu'est-il advenu des intellectuels publics qui dénonçaient le massacre d'innocents et la machine de guerre américaine ? Où sont les juristes qui défendent les règles du droit international ? Pourquoi les quelques voix solitaires qui s'élèvent contre le génocide des Palestiniens par Israël sont-elles attaquées, censurées et doxxées ? [doxxing en anglais, est une pratique consistant à rechercher et divulguer sur internet des infos sur l’identité et la vie privée dans le but de nuire - diffamer, dénoncer, menacer].
“Le président précédent voulait nous interdire et probablement nous mettre dans des camps de concentration”, a déclaré Rashida Tlaib, membre du Congrès du Michigan d'origine palestinienne, lors d'un rassemblement en faveur d'un cessez-le-feu le 20 octobre à Washington, devant le Capitole. “Celui-ci veut notre mort, tout simplement. Il le veut ostensiblement ! Honte à lui !”.
Israël ne mettra pas fin à sa campagne génocidaire à Gaza contre les Palestiniens tant que les États-Unis n'auront pas décrété un embargo sur les armes à destination d'Israël. Nos systèmes d'armement, nos munitions et nos avions d'attaque alimentent le massacre. Nous devons mettre fin à l'aide militaire de 3,8 milliards de dollars que les États-Unis accordent chaque année à Israël. Nous devons soutenir le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) et exiger la suspension de tous les accords de libre-échange et autres arrangements entre les États-Unis et Israël. Ce n'est qu'une fois ces appuis éliminés que les dirigeants israéliens seront contraints, à l'instar du régime d'apartheid en Afrique du Sud, de réunir les Palestiniens au sein d'un seul État jouissant de droits égaux. Tant que ces protections sont maintenues, les Palestiniens sont condamnés.