👁🗨 Cinq variables pour définir notre avenir
Maintenant, “l'Amérique a deux armées qu'elle utilise pour combattre au Proche-Orient, la légion étrangère ISIS*/al-Qaïda** (légion étrangère arabophone) et les Israéliens.” Bye bye, soft power.
👁🗨 Cinq variables pour définir notre avenir
Par Pepe Escobar, le 25 janvier 2024
À la fin des années 1930, alors que la Seconde Guerre mondiale était engagée, et quelques mois seulement avant son assassinat, Léon Trotski avait déjà une vision de ce que serait le futur Empire du Chaos.
“Pour l'Allemagne, il s'agissait d'“organiser l'Europe”. Les États-Unis doivent ‘organiser’ le monde. L'histoire met l'humanité face à la montée explosive de l'impérialisme américain... Sous l'un ou l'autre prétexte et slogan, les Etats-Unis interviendront dans ce formidable affrontement afin de faire perdurer leur domination mondiale”.
Nous connaissons tous la suite. Aujourd'hui, nous sommes en présence d'un nouveau phénomène que Trotski lui-même n'aurait pas pu identifier : des États-Unis en déclin face à la “menace” russo-chinoise. Et une fois de plus, la planète entière est affectée par les grands chambardements de l'échiquier géopolitique.
Les néoconservateurs straussiens [inspirés de Leo Strauss - (1899-1973), interventionnisme militaire, “croisade du bien” contre l’”axe du mal” ] en charge de la politique étrangère américaine n’accepteront jamais que la Russie-Chine ouvre la voie à un monde multipolaire. Pour l'instant, l'expansionnisme perpétuel de l'OTAN est leur stratégie pour affaiblir la Russie, et Taiwan leur stratégie pour affaiblir la Chine.
Pourtant, au cours des deux dernières années, la guerre perverse par procuration en Ukraine n'a fait qu'accélérer la transition vers un ordre mondial multipolaire, axé sur l'Eurasie.
Avec le concours précieux du professeur Michael Hudson, récapitulons brièvement les cinq variables clés qui conditionnent la transition actuelle.
Les perdants ne dictent pas les conditions
1) L'impasse - C'est le nouveau discours obsessionnel dopé à la testostérone des États-Unis sur l'Ukraine. Confrontés à la prochaine humiliation cosmique de l'OTAN sur le champ de bataille, la Maison Blanche et le Département d'État ont dû - littéralement - improviser.
Moscou, en revanche, reste impassible. Le Kremlin a fixé ses conditions depuis longtemps : capitulation totale et pas d'Ukraine au sein de l'OTAN. Du point de vue de la Russie, “négocier” revient à accepter ces conditions.
Et si les décideurs de Washington optent pour une intensification de l'armement de Kiev ou pour le déclenchement des “provocations les plus odieuses afin de changer le cours des événements”, comme l'a affirmé cette semaine le chef du SVR, Sergey Naryshkin, tant pis pour eux.
La route sera sanglante. Si les suspects habituels écartent le populaire Zaluzhny et installent Budanov à la tête des forces armées ukrainiennes, celles-ci seront sous le contrôle total de la CIA - et non des généraux de l'OTAN, comme c'est encore le cas.
Cela pourrait empêcher un coup d'État militaire contre le pantin en sweat-shirt de Kiev. Mais les choses iront de mal en pis. L'Ukraine passera à la guérilla totale, avec seulement deux objectifs : attaquer les civils russes et les infrastructures civiles. Moscou, bien sûr, est pleinement consciente des dangers.
Pendant ce temps, les bavardages à outrance sous plusieurs latitudes suggèrent que l'OTAN pourrait même se préparer à une partition de l'Ukraine. Quelle que soit la forme que prendrait cette partition, ce ne sont pas les perdants qui dictent les conditions : c'est la Russie qui le fait.
Quant aux responsables politiques de l'UE, ils sont, comme on pouvait s'y attendre, en proie à une panique totale, persuadés qu'après avoir nettoyé l'Ukraine, la Russie deviendra une “menace” encore plus grande pour l'Europe. C'est grotesque. Non seulement Moscou se fiche éperdument de ce que “pense” l'Europe, mais la dernière chose que la Russie souhaite ou dont elle a besoin, c'est de se joindre à l'hystérie des pays baltes ou de l'Europe de l'Est. D'ailleurs, même Jens Stoltenberg a admis que “l'OTAN ne perçoit aucune menace de la part de la Russie à l'égard de l'un de ses territoires”.
2. Les BRICS - Dès le début de l'année 2024, le tableau d'ensemble est le suivant : la présidence russe des BRICS+, à savoir un accélérateur de particules vers la multi-polarité. Le partenariat stratégique Russie-Chine augmentera la production réelle dans plusieurs domaines, tandis que l'Europe sombrera dans la dépression, déclenchée par la tempête fatale des sanctions contre la Russie et de la désindustrialisation de l'Allemagne. Et ce n'est pas fini, puisque Washington ordonne également à Bruxelles de sanctionner la Chine dans tous les domaines.
Comme le dit le professeur Michael Hudson, nous sommes au beau milieu de
“l'éclatement du monde et du tournant vers la Chine, la Russie, l'Iran, les BRICS”, unis dans “une tentative d'inverser, de défaire et de faire reculer toute l'expansion coloniale des cinq derniers siècles”.
Ou, comme l'a défini le ministre des affaires étrangères Sergei Lavrov au Conseil de sécurité de l'ONU, les BRICS délaissant les tyrans occidentaux, l'évolution de l'ordre mondial ressemble à “une bagarre de cour de récré - que l'Occident est en train de perdre”.
Bye Bye, le Soft Power
3. L'empereur solitaire : “l'impasse” - le fait de perdre une guerre - est directement liée à sa contrepartie : l'Empire qui presse et réduit une Europe vassalisée. Mais alors même que vous exercez un contrôle presque total sur tous ces vassaux relativement riches, vous perdez définitivement le Sud mondial, si ce n'est tous ses dirigeants, certainement l'écrasante majorité de l'opinion publique. La cerise sur le gâteau empoisonné est de soutenir un génocide suivi par toute la planète en temps réel. Bye bye, soft power.
4. La dédollarisation - Tous les pays du Sud ont fait le calcul : si l'Empire et ses vassaux de l'UE peuvent voler plus de 300 milliards de dollars de réserves de change russes - à une puissance nucléaire/militaire de premier plan - ils peuvent le faire à n'importe qui, et ils le feront.
La principale raison pour laquelle l'Arabie saoudite, aujourd'hui membre des BRICS 10, se montre si docile face au génocide de Gaza, c'est que ses importantes réserves en dollars américains sont l'otage de l'Hégémon.
Pourtant, cette caravane qui s'éloigne du dollar américain ne fera que croître en 2024 : tout dépendra des délibérations cruciales qui se tiendront au sein de l'Union économique eurasienne (EAEU) et des BRICS 10.
5. Le Jardin et la jungle - En substance, ce que Poutine et Xi ont dit au Sud mondial - y compris au monde arabe riche en énergie - est très simple. Si vous voulez améliorer le commerce et la croissance économique, à qui allez-vous vous associer ?
Nous en revenons donc au syndrome du “jardin et de la jungle”, imaginé par l'orientaliste britannique Rudyard Kipling. Le concept britannique de “fardeau de l'homme blanc” et le concept américain d'“Évidente Destinée” dérivent tous deux de la métaphore du “jardin et de la jungle”.
L'OTAN, et presque toute l'OTAN, est censée être le jardin. Le Sud global est la jungle. Michael Hudson le répète : dans l'état actuel des choses, la jungle pousse, mais le jardin ne grandit pas
“parce que sa philosophie n'est pas l'industrialisation. Sa philosophie consiste à créer des revenus de monopole, c'est-à-dire des revenus que vous gagnez en dormant sans produire de valeur. Vous avez juste le privilège d'avoir le droit de percevoir de l'argent sur une technologie monopolistique dont vous disposez”.
La différence aujourd'hui, comparé à toutes ces décennies de faste impérial, est “un immense transfert du progrès technologique”, de l'Amérique du Nord et des États-Unis vers la Chine, la Russie et certains pôles de l'Asie.
Des guerres sans fin. Et pas de plan B
Si nous combinons toutes ces variantes - Impasse, BRICS, Empereur solitaire, Dédollarisation, Jardin et jungle - à la recherche du scénario le plus vraisemblable, on voit bien que la seule “issue” pour un empire acculé est, encore une fois, le modus operandi par défaut : des guerres sans fin.
Ce qui nous amène à l'actuel porte-avions américain en Asie occidentale, totalement hors de contrôle mais toujours avec le soutien de l'hégémon, qui mène une guerre sur plusieurs fronts contre l'ensemble de l'Axe de la résistance : Palestine, Hezbollah, Syrie, milices irakiennes, Ansarullah au Yémen et Iran.
En un sens, nous sommes revenus à l'immédiat post-11 septembre, quand le véritable objectif des néoconservateurs n'était pas l'Afghanistan, mais l'invasion de l'Irak : non seulement pour contrôler le pétrole (ce qu'ils n'ont finalement pas fait) mais, selon l'analyse de Michael Hudson,
“essentiellement pour créer la légion étrangère de l'Amérique sous la forme d'ISIS* et d'Al-Qaïda** en Irak.” Maintenant, “l'Amérique a deux armées qu'elle utilise pour combattre au Proche-Orient, la légion étrangère ISIS*/al-Qaïda** (légion étrangère arabophone) et les Israéliens.”
L'intuition de Hudson selon laquelle ISIS* et Israël sont des armées parallèles est exceptionnelle : ils combattent tous deux l'Axe de la Résistance, et ne se battent jamais (c’est moi qui souligne) l'un contre l'autre. Le plan straussien des néoconservateurs - aussi sordide soit-il - est essentiellement une variante du “combat jusqu'au dernier Ukrainien” : “combattre jusqu'au dernier Israélien” sur le chemin du Saint Graal, qui consiste à bombarder, bombarder, bombarder l'Iran (copyright John McCain) et provoquer un changement de régime.
Ce “plan” qui n'a pas fonctionné en Irak ou en Ukraine ne fonctionnera pas plus contre l'Axe de la Résistance.
Ce que Poutine, Xi et Raisi ont expliqué au Sud, explicitement ou de manière assez subtile, c'est que nous sommes au cœur d'une guerre de civilisation.
Michael Hudson est parvenu à traduire en termes pratiques cette lutte épique. Nous dirigeons-nous vers ce que j'ai décrit comme étant le techno-féodalisme - qui est le format IA du turbo-néolibéralisme en quête de profit ? Ou bien vers une évolution similaire à celle des origines du capitalisme industriel ?
Michael Hudson décrit un horizon prometteur comme “l’amélioration du niveau de vie plutôt que d'imposer l'austérité financière du FMI au bloc dollar” : concevoir un système que la Big Finance, la Big Bank, la Big Pharma et ce que Ray McGovern a mémorablement appelé le MICIMATT (complexe militaro-industriel-Congrès-Renseignement-médias-universités-think tanks) ne peuvent contrôler. Alea jacta est.
* ISIS (également connu sous le nom d'ISIL/IS), groupe terroriste interdit en Russie.
** al-Qaïda : groupe terroriste interdit en Russie et dans de nombreux autres pays.
https://sputnikglobe.com/20240125/pepe-escobar-five-variables-defining-our-future-1116381887.html